Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20170718


Dossier : IMM-175-17

Référence : 2017 CF 695

Ottawa (Ontario), le 18 juillet 2017

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

ELI ELIAS SAMEER KOMATSIA

Demandeur

Et

LE MINISTER DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

Défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Le demandeur, un citoyen israélien d’origine arabe et de foi chrétienne, se pourvoit à l’encontre d’une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada,  Section d’appel des réfugiés [SAR], rendue en date du 20 décembre 2016, confirmant le rejet, par la Section de la protection des réfugiés de la dite Commission [SPR], de la demande d’asile qu’il a logée aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [Loi] peu après son arrivée au Canada en septembre 2015.

[2]  Tant la SAR que la SPR ont jugé que l’État d’Israël était en mesure de protéger le demandeur contre les menaces qui l’auraient contraint à fuir ce pays.  Le demandeur, camionneur de métier, soutient que lors d’un voyage en Cisjordanie, en février 2014, des extrémistes palestiniens lui auraient demandé de transporter des armes en territoire israélien, ce qu’il aurait refusé de faire.  S’en serait suivi, tant en territoire israélien que cisjordanien, des pressions, menaces et agressions physiques à son endroit de la part de ce groupe d’extrémistes.   Le demandeur aurait, à un certain moment, dénoncé la situation aux gardes-frontières israéliens mais ceux-ci se seraient contentés de fouiller son chargement.  Il n’aurait pas fait d’autres démarches auprès des autorités israéliennes, étant d’avis qu’elles n’interviennent normalement pas pour ce qu’elles perçoivent être des « chicanes entre arabes ».

[3]  Exaspéré, le demandeur aurait quitté Israël pour le Brésil en décembre 2014 et y aurait séjourné jusqu’en avril 2015.  De retour en Israël, il aurait de nouveau été la cible de ses persécuteurs.  Il serait retourné au Brésil en mai avant se rendre au Canada en septembre 2015.  Le demandeur craint d’être victime de ce groupe d’extrémistes s’il devait retourner en Israël.

[4]  La SPR a jugé que le demandeur ne s’était pas déchargé du fardeau qui était le sien de repousser la présomption de la protection de l’État.  Reconnaissant que le bilan des forces policières israéliennes n’est pas parfait et que celles-ci font parfois preuve de racisme à l’égard des ressortissants israéliens d’origine arabe,  la SPR a estimé que cela n’était pas suffisant pour repousser ladite présomption, d’autant plus que le problème qui accablait le demandeur n’avait rien d’une « chicane entre arabes », comme celui-ci s’est plu à le caractériser, mais tout d’une menace à la sécurité d’Israël.  La SPR s’est dite d’avis que dans un tel contexte, les autorités auraient pris au sérieux la dénonciation du demandeur, d’autant plus que celui-ci est à la fois citoyen et résident d’Israël. 

[5]  La SAR n’a pas jugé bon d’intervenir, jugeant, elle-aussi, sur la foi de son propre examen du dossier, dont, notamment, de la preuve contenue dans le Cartable national de documentation portant sur Israël, que le demandeur ne s’était pas acquitté de son fardeau d’établir, par une preuve claire et convaincante, que dans son cas, il y avait renversement de la présomption de la protection de l’État.  Elle a souligné à cet égard qu’il en était notamment ainsi parce que le demandeur n’avait pas épuisé les recours qui lui était offerts afin d’obtenir la protection des autorités de son pays.

[6]  Le demandeur reproche à la SAR, et à la SPR avant elle, d’avoir omis de considérer la preuve démontrant que l’État d’Israël a commis – et continue de commettre – de nombreuses violations des droits de la personne à l’égard des Palestiniens et d’expliquer en quoi cette conduite, comme en témoigne l’indifférence affichée par les gardes-frontières lorsqu’il leur a dénoncé les agissements de ses persécuteurs, ne pouvait justifier la perte de confiance du demandeur envers les autorités israéliennes et son refus de rechercher une protection contre ses persécuteurs.  Il prétend aussi que la SAR était liée par la décision de cette Cour dans Zaatrec c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 211 [Zaatrec], une affaire similaire à la sienne, selon lui, que, sauf pour une note en bas de page, la SAR a passé sous silence.

II.  Question en litige et norme de contrôle

[7]  Il s’agit ici de déterminer si, comme le soutient le demandeur, la SAR, en concluant que l’État d’Israël, malgré son bilan en matière de droits de la personne, est en mesure de protéger le demandeur contre ses persécuteurs, a commis une erreur justifiant l’intervention de la Cour suivant les paramètres fixés par l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), ch.  F-7.

[8]  Il est bien établi, et le demandeur en convient, que les décisions de la SAR sont révisables par cette Cour suivant la norme déférente de la décision raisonnable (You c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1010, au para 11).  Cette norme est aussi la norme de contrôle applicable aux fins de l’examen des questions liées à la protection de l’État puisqu’il s’agit là de questions mixtes de fait et de droit relevant de l’expertise de la SPR (Meci c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 892, au para 16 [Meci]) et maintenant également de celle de la SAR, elle aussi un tribunal administratif spécialisé.

[9]  Suivant cette norme de contrôle, la Cour ne saurait interférer avec une décision de la SAR que si celle-ci se situe hors du champ des issues possibles, acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au para 47).

[10]  En l’espèce, j’estime qu’il n’y pas lieu d’intervenir.

III.  Analyse

[11]  Dans l’affaire Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 [Ward], la Cour suprême du Canada rappelait que le droit international relatif aux réfugiés a été établi « afin de suppléer à la protection qu'on s'attend à ce que l'État fournisse à ses ressortissants ».  L’on voulait ainsi que les demandeurs d’asile « soient tenu[e]s de s'adresser à leur État d'origine pour obtenir sa protection avant que la responsabilité d'autres États ne soit engagée ».  Ce droit ne devait donc s'appliquer « que si la protection ne pouvait pas être fournie, et même alors, dans certains cas seulement » (Ward, à la p 709).

[12]  Ainsi, en l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique, il y a lieu, selon une jurisprudence constante, de présumer que la protection de l’État est offerte au demandeur d’asile.  Pour réfuter cette présomption, celui-ci doit démontrer, au moyen d’une preuve claire et convaincante, que l’État dont il est le ressortissant n’a ni la capacité ni la volonté de lui fournir une protection, laquelle, par ailleurs, n’a pas à être parfaite (Carillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, au para 19; Ruszo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1004, au para 29 [Ruszo]; Ward, à la p 722).

[13]  Il n’est pas contesté, en l’espèce, que cette présomption s’applique à l’État d’Israël, un état démocratique doté d’une force policière professionnelle et d’une magistrature indépendante.  Or, pour repousser cette présomption, le demandeur se devait de démontrer soit qu’il a épuisé tous les moyens objectivement raisonnables pour obtenir la protection de l’État, soit qu’il lui aurait été objectivement déraisonnable de le faire (Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, au para 46).  En d’autres termes, remettre en doute l’efficacité de la protection de l’État sans vraiment la mettre à l’épreuve ou simplement faire valoir une réticence subjective à faire intervenir cette protection ne suffit pas à réfuter ladite présomption (Ruszo, au para 33).

[14]  Or, d’une part, je ne peux souscrire à la prétention du demandeur voulant que la SAR ait omis de considérer la preuve démontrant que l’État d’Israël a commis – et continue de commettre – des violations des droits de la personne à l’égard des Palestiniens.  Au contraire, la SAR en a fait état tout en soulignant, notamment, les critiques dont font l’objet les forces policières quant au traitement des plaintes provenant des israéliens d’origine arabe, lequel accuse parfois de longs délais et est perçu comme favorisant les policiers au détriment des victimes.  Toutefois, la SAR a également souligné que l’État israélien exerçait un contrôle effectif sur ses forces de sécurité et ses policiers et qu’il existait pour ses citoyens, y compris ceux d’origine arabe et de foi chrétienne, des recours administratifs et judiciaires, devant des juges indépendants, dans les cas de violations de leurs droits fondamentaux.  Elle a aussi noté, à cet égard, que des organisations gouvernementales, dotés de pouvoirs d’enquête, étaient habilités à recevoir et donner suite aux plaintes de citoyens dont les droits sont bafoués.  La SAR a aussi souligné que la situation vécue par le demandeur aurait sans doute intéressé l’Agence de sécurité israélienne puisqu’elle interpellait la sécurité du pays. 

[15]  À mon sens, en statuant que le demandeur n’avait pas épuisé les recours qui lui étaient offerts afin d’obtenir la protection de l’État et qu’il ne s’était ainsi pas déchargé du fardeau qui était le sien de repousser la présomption que cette protection lui était accessible, la SAR a tiré une conclusion raisonnable.  Encore une fois, un demandeur d’asile ne peut remettre en doute l’efficacité de la protection de l’État sans vraiment la mettre à l’épreuve.  À cet égard, il est également erroné de dire que la SAR, et la SPR avant elle, a omis de tenir compte de la réaction des gardes-frontières lorsque le demandeur leur a dénoncé la situation qu’il vivait.  La SPR a conclu, au paragraphe 16 de ses motifs, que le fait d’avoir dénoncé en une occasion les menaces dont il faisait l’objet ne suffisait pas au demandeur pour démontrer qu’il ne pouvait se prévaloir de la protection de l’État.  Pour sa part, la SAR en a implicitement tenu compte en concluant que le demandeur n’avait pas épuisé les recours qui lui étaient offerts afin d’obtenir la protection des autorités de son pays. 

[16]  Comme je l’ai déjà indiqué, pour repousser avec succès la présomption de la protection de l’État, le demandeur se devait de ne ménager aucun effort objectivement raisonnable afin d’épuiser tous les recours auxquels il avait raisonnablement accès avant de demander l’asile à l’étranger (Ruszo, au para 32).  Ne faire qu’une seule démarche, alors que d’autres recours sont raisonnablement accessibles, comme produire une dénonciation auprès des forces policières elles-mêmes, tel que l’a noté la SPR, ne suffit pas (Ruszo, au para 37; Meci, aux paras 36 à 38).  La réticence du demandeur à effectuer d’autres démarches auprès des forces de l’ordre, sous prétexte qu’elles demeureraient vaines, apparait selon moi, à la lumière de la preuve documentaire au dossier et dans des circonstances où les menaces dont il faisait l’objet pouvaient raisonnablement être considérées comme étant autre chose qu’une simple « chicane entre arabes », de l’ordre de la réticence subjective et, donc, insuffisante pour repousser la présomption de la protection de l’État comme l’a ultimement conclu la SAR.   

[17]  Pour sa part, l’affaire Zaatrec n’est, à mon avis, d’aucun secours au demandeur.  Je rappelle que le demandeur soutient que tant la SPR que la SAR étaient liées par ce jugement.  Cela revient à dire qu’à la lumière de ce jugement de la Cour, une seule issue possible et acceptable s’offrait à ces deux décideurs, celle voulant que l’État d’Israël refuse la protection à ses ressortissants d’origine arabe, y compris ceux d’obédience chrétienne.   

[18]  Cet argument ne peut être retenu pour un certain nombre de raisons.  D’abord, Zaatrec n’a pas cette portée.  Ce que la Cour y a jugé, c’est que la SPR avait « omis » de traiter de la preuve faisant état d’une tendance lourde selon laquelle l'État d’Israël refusait de fournir une protection adéquate à ses citoyens arabes, ce qui, selon la Cour, avait vicié l’ensemble de son analyse et justifiait, par le fait même, le renvoi de l’affaire à la SPR pour un nouvel examen (Zaatrec, aux paras 55-56).  En l’espèce, cet examen a été fait.  Il est particulièrement détaillé dans la décision de la SAR et révèle que la SAR était sensible au fait que la situation n’est pas parfaite en Israël et que des violations des droits de la personne y ont cours.  Toutefois, comme on l’a vu, la SAR s’est dite satisfaite que l’État d’Israël, un pays démocratique, offrait des protections à l’encontre de ce type d’abus.   

[19]  Par ailleurs, Zaatrec a été rendu en 2010 et la décision qu’elle a renversée, en juillet 2009.  Il y a un écart de près de huit ans entre la décision de la SPR dans Zaatrec et celle rendue par la SAR en l’instance.  Je n’ai pas de preuve devant moi que la situation, telle que dépeinte dans Zaatrec, vaut encore aujourd’hui, du moins dans la même mesure.  D’ailleurs, dans des jugements récents, cette Cour a rejeté les contrôles judiciaires de ressortissants israéliens qui soutenaient que la SPR, dans un cas, et la SAR, dans l’autre, avaient eu tort de conclure que l’État d’Israël était en mesure de les protéger (Alhokbee c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 848 et Khattr c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 341).  Dans le premier cas (Alhokbee), il s’agissait d’une famille de citoyens israéliens d’origine arabe se disant persécutée par des membres de la famille de l’épouse dont le père était violent et d’obédience musulmane stricte.  Dans l’autre (Khattr), la demanderesse était une résidente permanente apatride d’Israël se disant persécutée par l’État d’Israël, notamment, parce que son travail d’avocate l’amenait à défendre des causes impliquant des Palestiniens.

[20]  Comme on peut le voir de ces deux jugements, mais aussi de Zaatrec, le fait d’être un citoyen israélien d’origine arabe n’opère pas, à lui seul, un renversement de la présomption de la protection de l’État.  Il en faut davantage pour repousser cette présomption.  Ici, je suis satisfait, comme je l’ai déjà dit, que la conclusion de la SAR, à la lumière de l’ensemble de la preuve au dossier,  voulant que le demandeur n’en ait pas fait assez pour repousser ladite présomption, se situe à l’intérieur du champ des issues possibles, acceptables pouvant se justifier en regard des faits et du droit.

[21]  La présente demande de contrôle judicaire sera donc rejetée.  Ni l’une ni l’autre des parties n’a sollicité la certification d’une question pour la Cour fédérale d’appel.  Je suis aussi d’avis qu’il n’y a pas matière à certifier une question.


JUGEMENT dans le dossier IMM-175-17

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée.

« René LeBlanc »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-175-17

 

INTITULÉ :

ELI ELIAS SAMEER KOMATSIA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 juillet 2017

 

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 juillet 2017

 

COMPARUTIONS :

Me Jacques Beauchemin

pour le demandeur

Me Guillaume Bigaouette

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

BEAUCHEMIN Avocat

Montréal (Québec)

pour le demandeur

Me Nathalie G. Drouin

sous-procureure générale du Canada

Montréal (Québec)

pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.