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Date : 20170721


Dossier : IMM‑88‑17

Référence : 2017 CF 713

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 21 juillet 2017

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

VIVIEN ADAOBI UGWUEZE

(ALIAS ADAOBI VIVIEN UGWUEZE)

CHIKWUNONSO DAVID AKUDU (MINEUR)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Le contexte

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2002, c 27 [la LIPR], d’une décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration [la SAI ou la Commission] a refusé de faire droit à la demande fondée sur des circonstances d’ordre humanitaire des demandeurs qui visait à rendre inopposable l’inobservation de l’obligation de résidence prévue à l’article 28 de la LIPR durant la période d’août 2009 à 2014.

[2]  Mme Ugwueze, la demanderesse principale, est citoyenne du Nigéria. Elle est devenue résidente permanente le 5 août 2009 après avoir été admise comme travailleuse qualifiée avec son fils à charge, le second demandeur dans le présent contrôle judiciaire. En octobre 2009, la demanderesse principale et son fils sont retournés au Nigéria, où la demanderesse principale s’est mariée et a pris soin de sa mère malade. Ils sont revenus au Canada en janvier 2010. En février 2010, ils sont retournés au Nigéria pour que le fils subisse une évaluation médicale. Ce dernier souffrait apparemment d’une allergie au froid.

[3]  La demanderesse principale a laissé son fils au Nigéria, le médecin ayant prétendument recommandé qu’il évite les climats froids. Dans l’intervalle, elle est revenue travailler au Canada, et elle a fait plusieurs voyages entre le Canada et le Nigéria. Elle a donné naissance à son deuxième enfant au Canada en octobre 2013, après quoi elle est retournée au Nigéria avec celui‑ci pour rejoindre le père. Durant un séjour subséquent au Nigéria, les demandeurs ont cherché à obtenir des titres de voyage pour retourner au Canada, étant donné que leurs cartes de résident permanent avaient expiré. Un agent des visas a refusé leur demande parce qu’ils n’avaient pas respecté l’obligation de résidence (au moins 730 jours au cours de la période quinquennale précédente). La demanderesse principale a interjeté appel devant la SAI, faisant valoir qu’il existait des motifs d’ordre humanitaire suffisants pour rendre inopposable l’inobservation de l’obligation de résidence, qu’elle a ratée de 49 jours.

II.  La décision sous contrôle

[4]  La SAI a tenu compte de divers facteurs d’ordre humanitaire, notamment ceux qui suivent.

A.  Les raisons du retour au Nigéria (de la mère et du fils)

[5]  La SAI a conclu que les demandeurs n’avaient pas respecté l’obligation de résidence qu’il leur incombait, ce qu’ils ont reconnu. La demanderesse principale est retournée au Nigéria périodiquement pour s’occuper de sa mère, dont la santé s’est améliorée, ainsi que pour répondre aux nécessités de son mariage.

[6]  La SAI a remis en question l’authenticité de deux lettres médicales concernant le fils – l’une datée de 2010 et faisant état de son problème de santé, et l’autre datée de 2015 et indiquant qu’il allait mieux. Selon la SAI, les lettres comportaient plusieurs incohérences et omettaient certains détails concernant ses antécédents médicaux. Elles indiquent par exemple que le fils a été traité au Texas l’année précédente par un « spécialiste », ce qui contredisait le témoignage de la demanderesse principale selon lequel le médecin examinateur était son médecin de famille, plutôt qu’un spécialiste. Par ailleurs, il y a des incompatibilités entre l’estampille et la signature du médecin. Enfin, la demanderesse principale n’a pas soumis de demande de carte d’assurance maladie canadienne après avoir immigré et a attendu jusqu’en 2016 pour en obtenir une.

B.  L’établissement au Canada

[7]  La SAI a estimé que l’établissement au Canada était minimal, car les avis de cotisation de la demanderesse principale se rapportant à la période pertinente indiquent que ses revenus au Canada étaient irréguliers et limités; elle a mieux gagné sa vie au Nigéria et elle y a travaillé de manière plus constante. Cependant, la demanderesse principale a demandé et obtenu la prestation fiscale pour enfants durant toute la période en question, y compris pendant les années où son fils était au Nigéria. La SAI a noté que la demanderesse principale ne possédait pas de biens au Canada. Enfin, ses efforts en vue de trouver un emploi régulier ou d’obtenir un permis pour exercer dans le domaine de l’immobilier ou dans le secteur des soins de santé ont été jugés tout au plus moyens.

C.  Les liens familiaux au Canada

[8]  La SAI a constaté que la demanderesse principale n’avait aucun lien familial au Canada. Ses frères et sœurs, sa mère et son mari vivent tous au Nigéria, comme ses deux fils (l’aîné qui souffre d’une prétendue allergie au froid et le plus jeune, un citoyen canadien qui est resté au Nigéria, mais qui n’est pas visé par la présente demande).

D.  Les difficultés au Nigéria

[9]  La SAI a noté que la demanderesse principale avait décidé de ne pas faire examiner son fils par un médecin au Canada, mais plutôt de l’emmener au Nigéria. Aucune difficulté en matière d’accès aux soins médicaux ou à l’éducation dans ce pays n’a été signalée. Enfin, le climat du Nigéria a été jugé mieux adapté que le climat froid du Canada pour une personne souffrant d’une allergie au froid.

E.  L’intérêt supérieur de l’enfant

[10]  De même, il a été jugé qu’il n’était pas dans l’intérêt supérieur de l’enfant qu’il reste au Canada (abstraction faite de l’allergie), puisqu’il avait passé l’essentiel de sa vie avec des parents proches au Nigéria.

[11]  Par ailleurs, la SAI a également inféré du dossier que la demanderesse principale n’avait jamais eu l’intention que son fils aîné réside avec elle au Canada, mais qu’elle voulait plutôt s’assurer qu’il obtienne le statut de résident pour lui procurer des avantages (comme la prestation fiscale pour enfants). Quant au fils cadet, aucun élément de preuve n’est venu réfuter la présomption suivant laquelle il est toujours dans l’intérêt supérieur de chaque enfant d’être élevé par ses deux parents.

[12]  Compte tenu des divers motifs énumérés plus haut, la SAI a estimé qu’il n’y avait pas de motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales concernant la perte du statut de résident permanent.

III.  Les questions à trancher et l’analyse

[13]  Les demandeurs soutiennent que la SAI a commis une erreur dans son évaluation :

  1. du manquement à l’obligation de résidence;

  2. de l’établissement au Canada;

  3. de l’intérêt supérieur de l’enfant.

[14]  En termes simples, la question à trancher dans le cadre de la présente demande est de savoir si la conclusion de la SAI selon laquelle les demandeurs n’ont pas établi de motifs d’ordre humanitaire suffisants pour justifier le maintien de la résidence permanente était raisonnable. En effet, les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Samad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 30, aux paragraphes 20 à 23 [Samad]).

[15]  Les demandeurs ont reconnu qu’ils avaient manqué à l’obligation de résidence prévue par la LIPR. N’ayant pas été en mesure de signaler à la Cour la moindre conclusion déraisonnable, mais contestant plutôt l’issue dans son ensemble, la demanderesse principale demande essentiellement à la Cour de soupeser à nouveau les éléments de preuve (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 61). Bien que la demanderesse principale ait contesté chacune des conclusions énoncées ci‑dessus comme étant déraisonnable, le mieux qu’elle a fait pour justifier cette observation a été de citer des faits invoqués à l’audience, mais qui n’ont pas été spécifiquement mentionnés dans la décision de la SAR; par exemple, le fait qu’elle n’a pas pu passer ses examens d’agent immobilier parce que sa carte de résidente permanente avait été refusée.

[16]  Cependant, comme l’a fait remarquer l’avocat de la demanderesse durant l’audience, même la conclusion concernant l’établissement de la demanderesse sur le marché du travail n’était pas erronée; la Commission a simplement décidé que cet aspect n’était pas important au regard de la décision. Après tout, ce fait est survenu après la période pertinente, c’est‑à‑dire après que le manquement avait eu lieu.

[17]  En fin de compte, le présent contrôle judiciaire se résume à une contestation générale de l’interprétation des diverses composantes des conclusions de la Commission relatives aux motifs d’ordre humanitaire énoncés ci‑dessus. Je reconnais que tous les commissaires n’auraient pas forcément pondéré et tranché ces motifs individuels de la manière dont la SAI l’a fait, mais cela ne rend pas la décision de la Commission déraisonnable en l’espèce.

[18]  La SAI a pondéré et évalué les facteurs pertinents, en tenant compte du degré d’établissement, des contacts réguliers avec les membres de la famille, des difficultés liées à la perte de la résidence permanente et au retour dans le pays d’origine, des conditions de vie à l’extérieur du Canada, des tentatives de revenir au Canada, de l’intérêt supérieur de l’enfant et d’autres circonstances spéciales ou particulières qui justifieraient l’octroi d’une mesure spéciale : Samad, au paragraphe 18.

[19]  Plus particulièrement, la SAI n’était pas convaincue que la maladie de la mère de la demanderesse principale, le problème de santé prétendu de son fils, le mariage ou les autres raisons avancées pour expliquer la période d’absence, justifiaient le manquement. Par exemple, l’évaluation de la Commission selon laquelle quelqu’un d’autre aurait pu s’occuper de la mère, par exemple le soignant qui l’avait fait en l’absence de la demanderesse principale, ce qui aurait permis à cette dernière de respecter son obligation de résidence, était raisonnable compte tenu des éléments de preuve. Il était également raisonnable pour la SAI d’estimer que les lettres médicales soulevaient de sérieuses préoccupations, notamment à cause des irrégularités concernant les signatures, le nom du fils et l’omission relative au traitement antérieur (au Texas).

[20]  La demanderesse principale a affirmé que la Commission avait commis une erreur dans son évaluation des éléments de preuve. Bien que les éléments de preuve et les témoignages soient présumés véridiques, cette présomption peut être réfutée en présence de motifs valables, et la SAI en l’espèce était fondée à tirer des inférences défavorables compte tenu des préoccupations liées à l’authenticité et des explications s’y rapportant : Maldonado c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1979), [1980] 2 CF 302, à la page 305 (CAF).

[21]  Enfin, je note qu’il appert clairement des conclusions de la Commission concernant les explications de la demanderesse principale relatives à son manquement à l’obligation de résidence que la demanderesse principale n’avait pas l’intention de résider au Canada de manière permanente, mais qu’elle avait plutôt l’intention d’y effectuer des séjours. La SAI a ainsi déclaré au paragraphe 26 de sa décision :

Bien que le degré de manquement de l’appelante ne se situe pas à l’extrémité du spectre, elle ne m’a pas convaincue que sa présence au Nigéria pendant d’aussi longues périodes était justifiée dans les circonstances qu’elle a décrites, ou que son habitude de venir au Canada uniquement de façon périodique concordait avec une intention de maintenir le statut de résident permanent. Ce facteur ne joue pas en faveur des appelants.

[22]  J’estime que ce paragraphe résume la conclusion centrale de la Commission et explique pourquoi la Commission a décidé de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire pour faire droit à la demande pour des motifs d’ordre humanitaire. Même si d’autres auraient pu opter pour une issue favorable, cela ne rend pas déraisonnable cet exercice du pouvoir discrétionnaire, étant donné que la SAI a justifié ses conclusions au regard de la preuve, et que ces conclusions étaient à la fois intelligibles et transparentes.

[23]  En bref, la conclusion suivant laquelle les facteurs d’ordre humanitaire ne rendaient pas inopposable le manquement de la demanderesse principale à l’obligation de résidence était raisonnable, tout comme l’explication et l’analyse de l’intention démontrée.

IV.  Conclusion

En fin de compte, la Commission est parvenue à une conclusion raisonnable selon laquelle i) les éléments de preuve n’ont pas mis en évidence une intention de revenir au Canada à la première occasion et de s’y établir; ii) les habitudes de voyage de la demanderesse principale « illustrent des séjours périodiques et un retour à une vie plus établie au Nigéria », mais du point de vue de la résidence permanente, elle n’a pas réussi à établir que sa présence au Nigéria était justifiée dans les circonstances; iii) l’établissement au Canada était minimal; iv) les liens familiaux au Nigéria étaient plus solides; v) aucune difficulté personnelle au Nigéria n’a été établie; et vi) il était dans l’intérêt supérieur de l’enfant en l’espèce qu’il reste au Nigéria. Ces considérations relèvent dûment de l’analyse et du pouvoir discrétionnaire de la SAI en matière de motifs d’ordre humanitaire. Même si un autre commissaire aurait pu parvenir à une conclusion différente, je ne vois aucune raison de revenir sur la décision contestée.


JUGEMENT dans le dossier no IMM‑88‑17

LA COUR STATUE que : 

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Les avocats n’ont présenté aucune question à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune;

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑88‑17

 

INTITULÉ :

VIVIEN ADAOBI UGWUEZE (ALIAS ADAOBI VIVIEN UGWUEZE), CHIKWUNONSO DAVID AKUDU (MINEUR) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 JUILLET 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 JUILLET 2017

 

COMPARUTIONS :

Akinwumi Reju

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Alexis Singer

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Topmarké Attorneys s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Nathalie G. Drouin

Sous‑procureure générale du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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