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Date : 20170720


Dossier : IMM-303-17

Référence : 2017 CF 706

Ottawa (Ontario), le 20 juillet 2017

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

HIPOLITO MBENGANI

Demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

Défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Hipolito Mbengani, est citoyen de l’Angola. Il entre au Canada le 21 novembre 2013 et présente une demande d’asile quelques jours plus tard. Il prétend faire l’objet d’un mandat d’arrêt émis par les autorités angolaises qui le soupçonnent d’avoir appuyé le groupe rebelle Front de libération de l’enclave de Cabinda qui oppose le parti au pouvoir, le Mouvement populaire de libération de l’Angola [MPLA].

[2]  La Section de la protection des réfugiés [SPR] rejette la demande d’asile le 31 mars 2014. Elle juge le demandeur non crédible en raison de contradictions et omissions concernant des éléments centraux à sa demande d’asile, soit qu’il a été convoqué et détenu par les autorités angolaises et qu’il fait l’objet d’un mandat d’arrêt. La SPR détermine également qu’il y a absence de preuve corroborant les activités commerciales du demandeur qui seraient à l’origine de ses problèmes. Elle n’accorde donc aucun poids aux avis de comparaître, au document de mise en liberté et au mandat d’arrêt produits par le demandeur au soutien de sa demande d’asile.

[3]  Le 4 novembre 2014, la Section d’appel des réfugiés [SAR] maintient la décision de la SPR. Cette décision fait l’objet d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, laquelle est rejetée par la Cour le 2 septembre 2015.

[4]  Le 16 décembre 2015, le demandeur dépose une demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR] fondée sur les mêmes risques que ceux invoqués devant la SPR. Sa demande est accompagnée de divers documents. Notamment, le demandeur soumet : (1) un mandat de mise en liberté, daté du 18 mars 2013; (2) un avis de comparaître, émis le 1er mai 2013; (3) un avis de comparaître, émis le 13 mars 2013; (4) un mandat d’arrêt, émis le 5 mai 2013; (5) une citation à comparaître, émise le 23 mars 2013; (6) l’affidavit de M. De Figueiredo, daté du 25 mai 2015; (7) une copie d’une carte d’identité nationale; (8) la déclaration de M. Ayoko, datée du 20 mai 2015; (9) la déclaration de M. Martins, non datée; (10) une lettre de l’oncle du demandeur, M. Antonio, dont la date est incertaine; (11) des copies de photos en noir et blanc; et (12) une lettre d’Amnistie internationale, datée du 30 juillet 2015.

[5]  Le 30 novembre 2016, l’agent d’ERAR rejette la demande. Il conclut que le mandat de mise en liberté, les avis de comparaître du 13 mars et 1er mai 2013 ainsi que le mandat d’arrêt ne constituent pas de la nouvelle preuve puisqu’ils ont tous été présentés devant la SPR qui ne leur a accordé aucune force probante. Concernant la citation à comparaître du 23 mars 2013, l’agent est d’avis que l’explication du demandeur voulant qu’il ne l’ait pas produite devant la SPR parce qu’il ne l’avait pas en sa possession ne constitue pas une justification qui permet d’établir que cette preuve rencontre les critères de l’article 113a) de la Loi sur limmigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Quant aux autres documents, l’agent les accepte en tant que nouvelle preuve, mais après analyse, leur accorde soit peu ou pas de force probante. L’agent conclut que le demandeur n’a apporté aucun élément justifiant que les conclusions de la SPR quant à la crédibilité des allégations du demandeur soient reconsidérées ou permettant de conclure à l’existence d’un risque quelconque au sens des articles 96 et 97 de la LIPR. L’agent conclut également, après examen de la documentation objective, que les conditions du pays n’ont pas évolué de telle sorte que le demandeur serait plus à risque qu’il l’était lorsque la SPR s’est penchée sur son dossier.

[6]  Le demandeur conteste cette décision. Il soutient que l’agent a erré dans son appréciation de la preuve, dont notamment en rejetant sans motifs valables l’affidavit de M. De Figueiredo et en faisant abstraction de la preuve documentaire sur la situation générale en Angola.

[7]  La norme de contrôle applicable à la décision de l’agent d’ERAR et son appréciation de la preuve est celle de la décision raisonnable (Ince c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 283 au para 16; Kathirkamanathan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 761 au para 14).

[8]  Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, le rôle de la Cour est de déterminer si la décision appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Si « le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité », il n’appartient pas à cette Cour d’y substituer l’issue qui lui serait préférable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47 [Dunsmuir]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59 [Khosa]).

[9]  Par ailleurs, il est bien établi qu’il n’appartient pas à l’agent d’ERAR de réexaminer la preuve évaluée par la SPR ni d’apprécier la preuve qui aurait pu lui être présentée. Son rôle ne consiste à examiner que la preuve survenue depuis le rejet de la demande d’asile ou qui n’était alors pas normalement accessible ou, si elle l’était, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce que le demandeur l’ait présentée (Massudom c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 14 au para 11; Yousef c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 864 au para 20).

[10]  Le demandeur reproche à l’agent de ne pas avoir donné des motifs valables pour refuser d’accorder une force probante à l’affidavit de M. De Figueiredo, ancien policier angolais qui atteste premièrement de l’authenticité des avis de comparaître, de la citation à comparaître et du mandat d’arrêt et deuxièmement, du risque de torture advenant le retour du demandeur en Angola. Le demandeur prétend que l’affidavit apporte un nouvel éclairage aux preuves présentées devant la SPR et qu’il était déraisonnable pour l’agent de refuser de les évaluer à nouveau au motif que la carte d’identité qui accompagnait l’affidavit était illisible. Le demandeur affirme avoir précisé à l’agent dans ses soumissions que les originaux étaient disponibles pour consultation.

[11]  La Cour estime que la décision de l’agent d’accorder peu de force probante à l’affidavit de M. De Figueiredo n’est pas basée sur le seul fait que la carte d’identité était illisible. Sa décision est plutôt basée sur l’absence de preuve corroborant l’identité de M. De Figueiredo ainsi que ses qualifications comme ancien policier angolais.

[12]  L’agent note que M. De Figueiredo déclare dans son affidavit : (1) être un ancien policier angolais ayant servi au sein des forces policières pendant plusieurs années avant de fuir vers le Canada; (2) avoir été témoin des situations de détention, de torture ou d’abus de pouvoir de la part des autorités angolaises; et (3) être d’avis que le demandeur sera arrêté, détenu et subira des sévices importants de la part des autorités s’il est retourné en Angola puisque toute personne visée par un mandat d’arrêt, comme celui émis contre le demandeur, s’expose à de sérieux risques.

[13]  L’agent constate ensuite que la carte d’identité qui accompagne l’affidavit et qui est produite afin d’établir l’identité et l’expertise de l’affiant est de piètre qualité et qu’il ne peut y lire ni le nom du détenteur ni d’autres informations identitaires. L’agent estime donc que la carte d’identité ne saurait corroborer les renseignements identitaires de M. De Figueiredo, ni confirmer qu’il a servi dans les forces policières angolaises. L’agent note alors que le demandeur n’a soumis aucun autre document pour démontrer que M. De Figueiredo est un ancien policier ou qu’il a été témoin des situations de détention, de torture ou d’abus de pouvoir tel qu’allégué. En l’absence d’une telle preuve, l’agent estime que le témoignage de M. De Figueiredo ne peut être compris comme provenant d’un expert en la matière. L’agent considère également le fait que M. De Figueiredo n’a pas de connaissance personnelle du cas du demandeur ou des faits qui sous-tendent sa demande d’asile, ayant été mis en contact avec le demandeur au Canada par le procureur du demandeur. L’agent accorde donc peu de force probante à l’affidavit de M. De Figueiredo.

[14]  Bien que le demandeur soutienne le contraire dans sa réplique et lors de l’audience, le demandeur présente l’affidavit du policier afin de prouver notamment l’authenticité des avis de comparaître, du mandat de mise en liberté et du mandat d’arrêt. Il réfère à l’affidavit comme étant une « expertise » tant dans ses soumissions à l’agent que dans son mémoire devant cette Cour. La Cour estime qu’il était raisonnable pour l’agent de s’attendre à ce que le demandeur établisse clairement l’expertise de son affiant considérant qu’il appert de l’affidavit que M. De Figueiredo n’a travaillé que quatre (4) ans comme policier avant de quitter l’Angola en janvier 1987, qu’il n’a pas une connaissance personnelle de la situation du demandeur et que ses affirmations reposent sur des impressions fondées sur une conversation sommaire avec le demandeur.

[15]  Quant à l’argument du demandeur voulant que l’agent aurait dû lui demander l’original de la pièce d’identité ainsi que des avis de comparaître et du mandat d’arrêt, le demandeur avait la responsabilité de s’assurer qu’il présentait la meilleure preuve à l’appui de sa demande, ou à tout le moins, que les copies produites au soutien de l’affidavit étaient lisibles (Tovar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 490 au para 21 [Tovar]; Ormankaya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1089 aux para 29-30 [Ormankaya]; Jiang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 794 au para 21). De plus, il appartenait au demandeur de persuader l’agent de la force probante de sa preuve (Mbaraga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 580 au para 29). L’agent n’avait pas l’obligation de signaler au demandeur que sa preuve était insuffisante ou de demander au demandeur de lui fournir une preuve additionnelle (Tovar au para 21; G.M. c Canada (Citoyenneté et immigration), 2013 CF 710 au para 53; Ormankaya au para 31).

[16]  Compte tenu du fait que l’agent accorde peu de force probante à l’affidavit de M. De Figueiredo, il était donc raisonnable pour l’agent de refuser de reconsidérer les avis de comparaître, le mandat de mise en liberté ainsi que le mandat d’arrêt produits devant la SPR. La production d’un nouvel affidavit ne permet pas en soi de réfuter les conclusions de la SPR s’il n’établit pas que les faits qui se présentent à la date de la demande d’ERAR sont sensiblement différents des faits constatés par la SPR (Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 au para 17; Nagendram c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 514 au para 14; Bengabo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 186 aux para 24-25 [Bengabo]; Elezi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 240 au para 27). Quant à l’avis de comparaître qui n’avait pas été produit devant la SPR, l’agent a raisonnablement conclu que le demandeur n’avait pas expliqué convenablement pourquoi ce document n’avait pas été produit antérieurement.

[17]  Le demandeur reproche également à l’agent d’avoir refusé d’accorder une force probante à une lettre d’Amnistie internationale qui précise que le renvoi du demandeur vers l’Angola porterait atteinte à ses droits fondamentaux. Le demandeur affirme qu’Amnistie internationale est une des plus grandes organisations de droits humains au niveau international, dont la crédibilité est bien reconnue et que l’agent ne pouvait rejeter cette preuve sous le prétexte que l’organisation n’avait pas une connaissance personnelle des évènements allégués par le demandeur.

[18]  La Cour ne peut souscrire à l’argument du demandeur. L’agent reconnaît effectivement l’expertise de l’organisation et admet qu’il s’agit d’une « source fiable, compétente en ce qui a trait aux enjeux et aux conditions généralisées en Angola ». Toutefois, et à juste titre, l’agent considère que la lettre ne permet pas de renverser les problèmes de crédibilité du demandeur et d’établir les craintes alléguées par le demandeur. Comme le note l’agent, le ton de la lettre est très général et la lettre fournit très peu de détails sur la situation personnelle du demandeur. De plus, la lettre ne démontre pas que l’organisation a une connaissance personnelle des faits et du cas du demandeur outre ce qui a été rapporté par le demandeur lui-même et qui a été jugé non crédible par la SPR.

[19]  En ce qui concerne les autres preuves soumises par le demandeur, la Cour estime que l’agent avait des raisons légitimes pour accorder peu de poids aux déclarations de M. Ayoko, M. Martins et de l’oncle du demandeur. L’agent a noté que la traduction de ces documents n’était pas assermentée et donc ne pouvait confirmer la conformité des informations qui y étaient contenues, les déclarations étaient vagues et brèves, formulant peu d’information quant aux risques de retour allégués et aux événements passés et finalement, les déclarations n’étaient pas accompagnées de preuve d’envoi, ne permettant pas d’établir leur provenance. Après examen des documents, la Cour estime que cette conclusion est raisonnable et considère que les documents ne corroborent pas les allégations de risques du demandeur.

[20]  Quant aux photos du demandeur, celles-ci ont été déposées en noir et blanc et elles sont tellement sombres que la Cour n’arrive pas à y déceler quoi que ce soit. Considérant que le demandeur n’a fourni aucune explication justifiant la mauvaise qualité des photos, il n’était pas déraisonnable pour l’agent de ne pas leur accorder de poids.

[21]  Le demandeur soumet également que l'agent a erré en ne tenant pas compte des éléments de preuve documentaire portant sur la situation en Angola afin d'évaluer la crainte de persécution du demandeur à son retour. Il soutient que les risques qu’il allègue sont reconnus par Amnistie internationale et le Département d’État américain et que les articles produits en preuve confirment le maintien de pratiques douteuses par les forces publiques contre les présumés opposants au pouvoir du MPLA.

[22]  Il appert clairement de la décision que l'agent a examiné la situation en Angola à la lumière de la preuve documentaire. L’agent note que les défenseurs de droits humains ainsi que les détracteurs du gouvernement peuvent faire l’objet de répression et de force excessive et arbitraire. Cependant, l’agent considère que le demandeur n’a pas démontré que les conditions dans le pays ont évolué de telle sorte que le demandeur serait plus à risque qu’il ne l’était lorsque la SPR et la SAR ont examiné son dossier. L’agent conclut d’ailleurs que cette situation touche l’ensemble de la population et le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau d’établir qu’il serait persécuté en Angola en vertu d’un des cinq (5) motifs de la Convention ou qu’il serait personnellement exposé à un risque de torture ou à une menace à sa vie ou aux risques de traitements cruels et inusités.

[23]  Bien que le demandeur ne soit pas d’accord avec les conclusions de l’agent, il ne revient pas à cette Cour de réévaluer et de soupeser la preuve pour en arriver à une conclusion qui serait favorable au demandeur (Khosa au para 59).

[24]   Le demandeur soulève la constitutionnalité du système d’ERAR dans son mémoire écrit. La Cour n’entend pas élaborer sur cet argument puisque le demandeur n’a pas insisté sur ce point à l’audience.

[25]  Enfin, le demandeur tente d’introduire en preuve devant cette Cour, l’attestation d’un médecin qu’il a consulté après que la décision d’ERAR a été rendue. La Cour refuse toutefois de la considérer puisqu’il est bien établi que l’examen d’une décision en contrôle judiciaire doit se faire sur la base des documents qui se trouvaient devant le décideur. Le demandeur n’a pas démontré qu’il rencontre une des situations qui fait exception à la règle (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 aux para 19-20; Bengabo au para 29). Le demandeur avait le fardeau de placer devant l’agent tous les éléments de preuve permettant à ce dernier de prendre une décision (Luse c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 464 au para 5).

[26]  En conclusion, la Cour est d’avis que la décision de l’agent appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » et qu’elle est justifiée d’une manière qui satisfait aux critères de transparence et d’intelligibilité du processus décisionnel (Dunsmuir au para 47).

[27]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans IMM-303-17

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. L’intitulé de la cause est amendé pour remplacer « Le Ministre de l’Immigration, Réfugiés et la Citoyenneté » par « Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration »;

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-303-17

INTITULÉ :

HIPOLITO MBENGANI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 juillet 2017

JUGEMENT et motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 20 JUILLET 2017

COMPARUTIONS :

Stewart Istvanffy

Pour le demandeur

Yaël Levy

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Étude Légale Stewart Istvanffy

Avocats

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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