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Date : 20170719


Dossier : T-1134-16

Référence : 2017 CF 700

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 juillet 2017

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

DEVIS DEMIRAJ

demandeur

et

BMO GROUPE FINANCIER

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Monsieur Demiraj introduit la présente demande de contrôle judiciaire parce qu’il conteste la décision par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne [la CCDP] a rejeté sa plainte contre BMO Groupe financier [BMO]. M. Demiraj faisait valoir dans cette plainte que BMO avait fait preuve de discrimination à son endroit en lui refusant un service en raison de son origine nationale ou ethnique. M. Demiraj, qui à l’époque de la plainte était âgé de 27 ans, affirme avoir grandi à Tilbury, où il vit depuis plus de 20 ans, et ajoute qu’il appartient à la seule famille albanaise de la municipalité régionale de Chatham-Kent.

[2]  M. Demiraj, qui se représente lui-même, n’a pas comparu à la date d’audience. Il n’a pas prévenu la Cour ou l’avocat de BMO qu’il ne se présenterait pas à l’audience. Le 1er mars 2017, il a envoyé à la Cour une lettre dans laquelle il déclarait qu’il [traduction] « abandonn[ait] pour le moment [s]es procédures judiciaires ». Le 3 mars suivant, un agent du greffe s’est entretenu au téléphone avec M. Demiraj et lui a expliqué la procédure de dépôt d’un avis de désistement s’il voulait mettre fin à l’instance. M. Demiraj n’a rien fait de tel. Il a cherché ensuite à soumettre à la Cour un dossier de requête lacunaire, dont le dépôt a été refusé suivant une directive de la protonotaire Aylen datée du 12 avril 2017. Cette directive ainsi que le dossier de requête ont été retournés à M. Demiraj et le greffe en a confirmé la réception.

[3]  Après avoir examiné le dossier, je suis convaincu que M. Demiraj connaissait l’heure et le lieu de l’audience :

  • - il a reçu l’ordonnance par laquelle la date, l’heure et le lieu de l’audience ont été fixés;

  • - un agent du greffe l’a contacté au numéro indiqué dans le dossier et a laissé un message vocal le 27 juin 2017, lui demandant de contacter la Cour; selon toute apparence, ce message est resté sans réponse;

  • - une directive donnée aux parties le 6 juillet 2017 indiquait qu’il n’était pas nécessaire de se préparer à l’audience; M. Demiraj n’a fait parvenir aucune réponse;

  • - l’avocat de BMO affirme avoir envoyé un courriel à M. Demiraj le 12 juillet 2017 pour lui transmettre l’arrêt rendu par la Cour d’appel dans l’une des affaires invoquées par BMO; M. Demiraj n’a fait parvenir aucune réponse.

[4]  M. Demiraj étant absent à 9 h 30, heure prévue de l’audience; j’ai ajourné celle-ci pendant 15 minutes au cas où il aurait eu de la difficulté à trouver la salle d’audience. À 9 h 45, à la reprise de l’audience, M. Demiraj était toujours absent. J’ai demandé à l’agent du greffe d’appeler son nom dans le couloir à trois reprises pour s’assurer qu’il n’était pas dans les parages, mais en vain. J’ai donc indiqué que j’allais continuer sans M. Demiraj en m’appuyant sur les observations écrites des parties et sur le dossier existant : Ritchie c Canada (Procureur général), 2017 CAF 114, au paragraphe 4. Le défendeur ne s’est pas opposé à cette décision. L’audience a ensuite été ajournée en attendant que je rende ma décision.

[5]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée.

II.  Contexte

[6]  La relation entre M. Demiraj et BMO a débuté avec l’achat d’une voiture usagée auprès d’un concessionnaire de Tilbury (Ontario). Cet achat a été financé le 8 avril 2014 par le biais d’un contrat de vente conditionnelle conclu avec BMO. M. Demiraj déclare qu’il croyait contracter un prêt automobile, mais qu’en réalité le contrat de vente conditionnelle était une location qui permettait au concessionnaire de vendre le véhicule sans aucun gage de qualité, certificat de sécurité, ni garantie. Il affirme que le véhicule ne fonctionnait pas correctement ni de façon sûre. Par ailleurs, il s’est inquiété du fait que la propriété du véhicule n’ait pas été transférée à son nom, mais soit restée attachée à celui du concessionnaire vendeur.

[7]  M. Demiraj en a conclu à tort qu’il n’était pas le propriétaire inscrit du véhicule qu’il avait acheté. La vérification de solvabilité qu’il a effectuée ayant montré qu’aucun emprunt ne se rapportait au véhicule, il a cessé de verser les paiements mensuels requis à BMO. Cette dernière a donc intenté une action devant la Cour des petites créances de l’Ontario pour récupérer le solde qui lui était dû. Pendant que le litige était en cours, BMO a saisi et revendu le véhicule.

[8]  D’après le jugement rendu par la Cour des petites créances (dont une copie a été déposée par BMO), M. Demiraj avait déjà demandé et obtenu de BMO plusieurs relevés montrant les transactions relatives au contrat de vente conditionnelle, ce qui comprenait ses paiements mensuels et le solde à acquitter. Il ressort du rapport d’enquête de la CCDP et du jugement de la Cour des petites créances que M. Demiraj croyait que le solde d’environ 16 000 $ dû à la Banque était en fait le montant que celle-ci lui devait. Il s’est donc présenté plusieurs fois à diverses succursales de BMO à Tilbury, Chatham, Windsor et London, et a demandé à être payé conformément à ce qu’indiquaient les relevés. M. Demiraj a persisté dans ses demandes et BMO a fini par lui délivrer un avis d’intrusion. Il a été escorté à cinq reprises par la police à l’extérieur des succursales de BMO. La preuve indique aussi qu’il a appelé le service à la clientèle de BMO pour faire entendre ses préoccupations. Ces appels ont donné lieu à 6,5 heures d’enregistrement audio qui, selon BMO, montrent que M. Demiraj a toujours été traité équitablement et avec respect. M. Demiraj allègue que l’avis d’intrusion et les expulsions de force prouvent que BMO et les citoyens de Tilbury l’ont traité de manière discriminatoire en raison de son origine nationale ou ethnique.

III.  Autres litiges entre les parties

[9]  En septembre 2014, BMO a intenté une action devant la Cour des petites créances pour récupérer le solde qui lui était dû au titre de l’emprunt. BMO a ensuite modifié sa réclamation de manière à soustraire du montant des dommages-intérêts demandé la somme qu’elle avait récupérée en vendant le véhicule aux enchères.

[10]  En avril 2015, M. Demiraj a poursuivi BMO devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario pour un milliard de dollars. Dans une décision datée du 12 mai 2015, sa demande introductive d’instance a été radiée sans autorisation de la modifier, parce qu’elle ne présentait aucune cause d’action. Les dépens payables à BMO ont été fixés à 1 500 $.

[11]  En juillet 2015, M. Demiraj a présenté devant la Cour des petites créances une action reconventionnelle à l’encontre de BMO. Il cherchait à récupérer les paiements mensuels qu’il avait effectués lorsqu’il était en possession du véhicule ainsi qu’à se faire rembourser le solde qu’il estimait lui être dû aux termes du contrat au moment où le véhicule a été saisi.

[12]  Dans un jugement daté du 20 juillet 2016, le juge suppléant de la Cour des petites créances a conclu que M. Demiraj ne devait plus aucun autre montant à BMO, et que celle-ci ne lui devait non plus aucune somme d’argent. Le juge suppléant a estimé que les parties étaient liées par un contrat valide, mais que le véhicule a été vendu aux enchères à un prix inférieur à sa valeur réelle. En raison de cette différence, une somme de 2 072,37 $ a été créditée à M. Demiraj, ce qui correspondait au montant restant que lui réclamait BMO. Comme le jugement de la Cour des petites créances n’a pas été soumis à la CCDP, il n’a aucune portée quant au bien-fondé de la décision de la CCDP; je m’en suis simplement servi pour comprendre l’historique et la nature du litige entre les parties : Delios c Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, aux paragraphes 44 et 45.

IV.  L’enquête de la CCDP

[13]  Le 6 novembre 2015, M. Demiraj a déposé devant la CCDP une plainte alléguant que BMO avait fait preuve à son endroit de discrimination dans la prestation de services en raison de son origine nationale ou ethnique. Il a nommé quatre différentes succursales de BMO en Ontario. Un enquêteur a été affecté au dossier le 26 novembre 2015, et le rapport d’enquête a été achevé le 22 mars 2016. L’enquêteur a interviewé M. Demiraj, le directeur de la succursale de BMO à Chatham ainsi que l’ancien directeur de la succursale de Windsor. Il a également examiné la preuve documentaire fournie par les parties.

[14]  D’après le rapport d’enquête, M. Demiraj a confirmé à l’enquêteur qu’il n’avait pas de compte bancaire chez BMO et que le service bancaire visé par sa plainte se rapportait au contrat de vente conditionnelle. L’enquête a conclu que le litige de M. Demiraj était d’ordre contractuel et ne se rapportait ni directement ni indirectement à une question de droits de la personne. L’enquêteur a noté que M. Demiraj n’avait fourni aucun élément de preuve établissant que le contrat avait été résilié à cause de son origine nationale ou ethnique. D’après les éléments dont il disposait, les directeurs des succursales bancaires interrogés par l’enquêteur ignoraient l’origine nationale ou ethnique de M. Demiraj et celle-ci n’avait nullement influencé la décision de résilier le contrat de vente conditionnelle. Aux termes du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC (1985), c H‑6 [la LCDP], l’enquêteur a recommandé que la Commission rejette la plainte de M. Demiraj, car un nouvel examen n’était pas justifié.

V.  La décision de la CCDP faisant l’objet du contrôle

[15]  Après avoir reçu le rapport d’enquête, les parties ont soumis des observations écrites à la CCDP. Dans une décision écrite très succincte datée du 16 juin 2016 [la décision], la CCDP a confirmé qu’elle avait examiné le rapport d’enquête ainsi que les observations soumises en réponse par les parties. La CCDP a souscrit à la recommandation de l’enquête et rejeté la plainte, car un nouvel examen n’était pas justifié. Comme la CCDP n’a pas fourni de motifs distincts, le rapport d’enquête constitue les motifs de sa décision : Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 37.

 

VI.  La norme de contrôle

[16]  M. Demiraj fait valoir que la question à trancher dans le cadre du présent contrôle judiciaire est de savoir si la CCDP a choisi la bonne norme de contrôle et si elle l’a correctement appliquée. Il soutient que la décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

[17]  Cette observation montre que M. Demiraj traite la présente demande de contrôle judiciaire comme un appel de la décision plutôt que comme un contrôle. Il est bien établi que la norme de contrôle d’une décision par laquelle la CCDP a rejeté une plainte aux termes du sous‑alinéa 44(3)b)(i) de la LCDP est celle de la raisonnabilité, car elle intéresse une question de fait et de droit : Wong c Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2017 CF 633, au paragraphe 26; Ritchie c Canada (Procureur général), 2017 CAF 114, au paragraphe 16.

[18]  Une décision est raisonnable si le processus décisionnel est justifié, transparent et intelligible, et s’il aboutit à une décision appartenant aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47. De plus, les tribunaux estiment que la CCDP jouit de larges pouvoirs discrétionnaires et la Cour ne doit pas intervenir à la légère à l’égard d’une décision fondée sur le sous-alinéa 44(3)b)(i) de la LCDP : Walsh c Canada (Procureur général), 2015 CF 230, au paragraphe 19.

VII.  Analyse des observations écrites de M. Demiraj

[19]  Dans l’affaire qui nous concerne, M. Demiraj a déposé l’avis de demande le 12 juillet 2016. Il sollicite le contrôle judiciaire de la décision au motif que la CCDP n’a pas tenu compte de la preuve qui lui a été présentée. Il allègue également que l’enquêteur a ignoré tous les éléments de preuve importants qui lui ont été soumis concernant [traduction] « les violations courantes des droits de la personne des gens de Tilbury (Ontario) ».

[20]  M. Demiraj n’a indiqué aucun élément de preuve spécifique ignoré par la CCDP ou l’enquêteur. Le seul élément qui semble aller dans le sens de ses allégations [traduction] concernant les « violations courantes des droits de la personne » tient à ce que M. Demiraj a été expulsé par la police des succursales de BMO et qu’il s’est vu signifier des avis d’intrusion. Compte tenu des renseignements figurant dans le rapport de l’enquêteur, cet élément de preuve n’a pas été ignoré; il ne démontrait simplement pas qu’il y avait eu discrimination à l’encontre de M. Demiraj en raison de son origine nationale ou ethnique. Ces mesures semblent avoir été prises parce que M. Demiraj s’est présenté à plusieurs reprises pour discuter du contrat de vente conditionnelle et du montant qu’il croyait à tort que BMO lui devait. En fait, le relevé auquel il faisait référence indiquait le solde qu’il devait à BMO après avoir cessé ses paiements mensuels au titre du contrat de vente conditionnelle.

[21]  M. Demiraj fait valoir que rien n’étaye l’allégation suivant laquelle les affiliées de BMO n’ont pas agi contre lui en raison de ses origines ethniques. Cette observation a pour effet d’inverser le fardeau; c’était à M. Demiraj qu’il incombait de fournir à l’enquêteur des éléments de preuve appuyant son allégation de discrimination. La CCDP a estimé qu’il n’avait pas fourni de tels éléments. Au contraire, la preuve indiquait que les représentants de BMO ne savaient pas que M. Demiraj était Albanais.

[22]  M. Demiraj soutient également que la conclusion de l’enquêteur et de la CCDP selon laquelle un nouvel examen n’était pas justifié est incorrecte, que BMO n’avait pas le droit de lui délivrer des avis d’intrusion, et qu’elle n’était pas autorisée par la loi à conclure le contrat de vente conditionnelle. En dehors de ces vagues allégations, M. Demiraj n’a soumis aucun élément de preuve à l’appui de sa position, et n’a signalé aucune erreur dans le rapport d’enquête.

VIII.  Conclusion

[23]  Au regard du dossier dont je dispose, rien n’indique un motif de discrimination de la part de BMO contre M. Demiraj. La preuve versée au dossier démontre en fait le contraire; les représentants de BMO ont passé plusieurs heures à s’efforcer de répondre aux questions de M. Demiraj et à lui expliquer les modalités du contrat de vente conditionnelle.

[24]  M. Demiraj a reconnu devant l’enquêteur que personne à BMO ne lui a fait de commentaires concernant son origine nationale ou ethnique. Il était plus que raisonnable de la part de la CCDP de conclure qu’il s’agissait d’un litige purement contractuel entre les parties.

[25]  Compte tenu des motifs fournis par l’enquêteur et repris à son compte par la CCDP, je suis convaincu que la décision portant que l’examen du Tribunal n’était pas justifié appartient aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits de la présente affaire et du droit existant.

[26]  Par conséquent, la demande est rejetée.

[27]  BMO a eu gain de cause et a donc droit à ses dépens. M. Demiraj réside à Tilbury, qui est à l’ouest de Toronto; il a pourtant demandé, et obtenu que l’audience ait lieu à Ottawa, bien que l’avocat de BMO ait souhaité que l’instruction ait lieu à Toronto, où il travaille.

[28]  Si M. Demiraj avait répondu au message vocal que lui a laissé l’agent du greffe, ou au courriel que lui a envoyé l’avocat la veille de l’audience, pour indiquer qu’il ne comparaîtrait pas, la Cour aurait pu instruire l’affaire sur la base des observations écrites seulement sans que l’avocat n’ait à se présenter en personne. Par conséquent, les dépens payables à BMO doivent être augmentés de 500 $ pour la dédommager de l’inconvénient inutile et des dépenses additionnelles liées au déplacement de son avocat à Ottawa, alors que l’instruction de l’affaire n’a finalement reposé que sur les observations écrites existantes. Cette augmentation s’ajoute aux débours que BMO a indubitablement payés en faisant déplacer son avocat à Ottawa, et n’en tient pas lieu.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, les dépens sont adjugés au défendeur et seront taxés en conformité avec la colonne III du Tarif B. L’officier taxateur augmentera de 500 $ les coûts et débours qui seraient autrement fixés.

« E. Susan Elliott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

T-1134-16

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

DEVIS DEMIRAJ c GROUPE FINANCIER BMO

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 JUILLET 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ELLIOTT

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

 

LE 19 JUILLET 2017

 

COMPARUTIONS :

Sans objet

LE DEMANDEUR

 

Frank Cesario

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hicks Morley Hamilton Stewart Storie s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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