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Date : 20170713


Dossier : T-1070-16

Référence : 2017 CF 682

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 juillet 2017

En présence de madame la juge Mandy Aylen,

juge chargée de la gestion de l’instance

ENTRE :

FONDATION DAVID SUZUKI,

LES AMI(E)S DE LA TERRE CANADA,

ONTARIO NATURE ET
WILDERNESS COMMITTEE

 

demandeurs

et

MINISTRE DE LA SANTÉ,

SUMITOMO CHEMICAL COMPANY LIMITED, BAYER CROPSCIENCE INC. ET VALENT CANADA INC.

défendeurs

Dossier : T-1071-16

ENTRE :

FONDATION DAVID SUZUKI,

LES AMI(E)S DE LA TERRE CANADA,

ONTARIO NATURE ET
WILDERNESS COMMITTEE

 

demandeurs

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, MINISTRE DE LA SANTÉ et
SYNGENTA CANADA INC.

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Selon les demandeurs, les abeilles du Canada pourraient être vulnérables en raison de leur exposition aux pesticides que sont la clothianidine et le thiaméthoxame. Dans les présentes demandes, les demandeurs font valoir que l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) a adopté une ligne de conduite illégale en homologuant successivement ces pesticides et leurs préparations commerciales, ou en modifiant l’homologation de ceux-ci, malgré le fait que les sociétés défenderesses n’ont pas fourni les renseignements scientifiques qu’elles devaient fournir, comme condition préalable à leur homologation, pour démontrer que les risques environnementaux liés aux produits sont acceptables pour les insectes pollinisateurs.

[2]  Les défendeurs ont présenté des requêtes en vue de faire rejeter les demandes à ce stade préliminaire, pour les raisons suivantes : a) les demandes visent un total de 79 décisions distinctes de l’ARLA – lesquelles décisions ne constituent pas une « même série d’actes », ce qui va à l’encontre de l’article 302 des Règles des Cours fédérales [les Règles] et du délai prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, et b) les demandeurs disposent d’un autre recours approprié, soit les réévaluations, examens spéciaux et évaluations des demandes de conversion que mène constamment l’ARLA à l’égard de ces pesticides et de leurs préparations commerciales en application de différentes dispositions de la Loi sur les produits antiparasitaires [la Loi]. Les demandeurs contestent ces requêtes.

[3]  Les questions à trancher dans les présentes requêtes sont les suivantes :

  1. Les demandes devraient-elles être rejetées à ce stade de l’instance au motif qu’elles ne portent pas sur le contrôle d’une même série d’actes?

  2. Les demandes devraient-elles être rejetées à ce stade de l’instance au motif que les demandeurs disposent d’un autre recours approprié?

[4]  Pour les motifs ci-après exposés, les requêtes sont rejetées. À mon avis, il y a lieu de se demander si les demandes portent sur le contrôle judiciaire d’une même série d’actes et si les demandeurs disposent d’un autre recours approprié. Ces deux questions devraient être tranchées par le juge saisi des demandes dans le cadre de leur instruction et non dans le cadre d’une requête préliminaire.

Critère permettant de rejeter une demande sur présentation d’une requête préliminaire

[5]  Les demandes de contrôle judiciaire sont censées être instruites avec célérité et les requêtes en radiation ou en rejet présentées à un stade préliminaire peuvent retarder indûment et inutilement le dénouement de demandes connexes. Cependant, la Cour d'appel fédérale a reconnu que la Cour fédérale a compétence pour rejeter sommairement une demande de contrôle judiciaire dans des cas exceptionnels lorsque la demande « est manifestement irrégulièr[e] au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli[e] » [voir l’arrêt David Bull Laboratories (Canada) Inc. c Pharmacia Inc., [1995] 1 ACF n° 588 (CAF)]. La Cour doit être en présence d’une demande « d’une efficacité assez radicale, un vice fondamental et manifeste » qui se classe parmi les moyens exceptionnels qui infirmeraient à la base sa capacité à instruire la demande [voir l’arrêt Canada (Revenu national) JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250, au paragraphe 47].

[6]  Lorsqu’elle est saisie d’une requête en rejet, la Cour doit lire l’avis de demande de manière à saisir la véritable nature de la demande. Elle doit faire une appréciation réaliste de la nature essentielle de la demande en s’employant à en faire une lecture globale et pratique, sans s’attacher aux questions de forme. [Voir l’arrêt JP Morgan, précité, aux paragraphes 49-50].

[7]  Lorsque la question soulevée par la partie requérante au soutien du rejet de la demande est jugée être une question discutable, les circonstances ne justifient pas le rejet de l’action à un stade préliminaire. La question devrait plutôt être tranchée par le juge saisi de la demande [voir l’arrêt David Bull, précité, au paragraphe 15, et la décision Apotex c Canada (Ministre de la Santé), 2010 CF, 1310, aux paragraphes 12-13].

Question n° 1 – Les demandes devraient-elles être tranchées à ce stade de l’instance au motif qu’elles ne portent pas sur le contrôle d’une même série d’actes?

[8]  Selon l’article 302 des Règles, la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule décision, à moins que la Cour ne rende une ordonnance contraire ou que les demandeurs arrivent à démontrer que les décisions en cause constituent « une même série d’actes » [voir la décision Servier Canada Inc. c Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 196, au paragraphe 17]. Lorsque le contrôle judiciaire porte sur l’objet de la demande qui consiste en une même série d’actes (plutôt que sur une décision ou une ordonnance), le délai de trente (30) jours prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales ne s’applique pas. Pour distinguer l’objet de la demande d’avec une décision ou une ordonnance, il faut se demander s’il est question d’une « décision unique » ou d’une décision qui « fait partie d’une ligne de conduite dont le demandeur conteste l’ensemble » [voir la décision Apotex, précitée, au paragraphe 10 et la décision Airth c Ministre du Revenu national, 2006 CF 1442, au paragraphe 9].

[9]  La question de savoir si les demandes sous-jacentes portent sur une même série d’actes – plutôt que sur plusieurs décisions isolées – est une question de fait. Pour trancher cette question, la Cour fédérale et la Cour d'appel fédérale ont cherché à savoir si les décisions en cause ont été rendues par les mêmes décideurs ou des décideurs différents, vers les mêmes dates ou à des dates différentes et en vertu de régimes législatifs différents ou similaires, si elles portaient sur des situations factuelles, des allégations, et un objet semblables ou différents et si les réparations sollicitées étaient analogues ou non [voir la décision Servier, précitée, et les décisions Truehope Nutritional Support Ltd. c Canada (Procureur général), 2004 CF 658; Whitehead c Première Nation de Pelican Lake, 2009 CF 1270; Khadr c Canada (Ministre des Affaires étrangères), 2004 CF 1145; Krause c Canada (CA), [1999] 2 CF 476].

[10]  La Cour fédérale a décidé que, lorsque les similitudes des décisions contestées l’emportent sur leurs différences, leur contrôle devrait avoir lieu dans le cadre d’une seule demande, car le dépôt de deux demandes de contrôle judiciaire distinctes constituerait une perte de temps et d’énergie [voir les décisions Truehope, précitée, au paragraphe 19, et Whitehead, précitée, au paragraphe 52].

[11]  Je m’attarde maintenant aux demandes en cause. Pour situer l’affaire dans son contexte, il convient de souligner que, selon le paragraphe 8(1) de la Loi, le ministre (agissant par l’entremise de l’ARLA) doit homologuer un produit antiparasitaire lorsqu’il conclut, au terme des évaluations et des consultations requises, que la valeur du produit ainsi que les risques sanitaires et environnementaux qu’il présente sont « acceptables ». À cet égard, le paragraphe 2(2) de la Loi dispose que les risques environnementaux d’un produit antiparasitaire sont acceptables s’« il existe une certitude raisonnable qu’aucun dommage à la santé humaine, aux générations futures ou à l’environnement ne résultera de l’exposition au produit ou de l’utilisation de celui-ci, compte tenu des conditions d’homologation proposées ou fixées ».

[12]  Au moment de l’homologation, l’ARLA peut remettre au titulaire l’avis visé à l’article 12 de la Loi afin d’exiger de celui-ci qu’il effectue des essais, accumule des renseignements et surveille l’expérimentation du produit antiparasitaire et qu’il lui communique les renseignements supplémentaires ainsi obtenus dans le délai qu’elle précise. L’exécution de l’obligation énoncée dans l’avis visé à l’article 12 constitue une condition d’homologation du produit.

[13]  Selon l’article 14 du Règlement sur les produits antiparasitaires [le Règlement], si l’avis visé à l’article 12 est remis au titulaire lors de l’homologation du produit, l’homologation est conditionnelle et sa période de validité est d’environ trois ans. Le Règlement prévoit que la période de validité de l’homologation conditionnelle ne peut être prolongée que dans des circonstances précises. Elle peut être prolongée de deux ans lorsque le titulaire se conforme aux exigences de l’article 12 de la Loi et cette prolongation permet à l’ARLA, par exemple, d’examiner les données supplémentaires fournies par le titulaire. Ainsi que je l’explique plus loin, l’article 14 du Règlement a été abrogé depuis l’introduction des présentes demandes.

[14]  Dans les présentes demandes, les demandeurs font valoir que l’ARLA a remis l’avis visé à l’article 12 de la Loi à l’égard de la clothianidine et du thiaméthoxame ainsi que de leurs préparations commerciales afin d’exiger des sociétés défenderesses qu’elles fournissent des études sur les ruches présentant un risque de toxicité chronique pour les abeilles à miel. Les données fournies par les sociétés défenderesses en réponse aux avis visés à l’article 12 ont été jugées, à différents moments, incomplètes, invalides ou restreintes en raison des incertitudes qui s’y rattachent. À quelques occasions, les renseignements exigés n’ont pas été fournis dans le délai prévu dans l’avis visé à l’article 12. À une occasion en 2010, l’ARLA a souligné que [traduction] « jusqu’à maintenant, aucune étude valide sur les ruches n’a été présentée à l’ARLA, ce qui constitue une lacune majeure des données aux fins de l’évaluation du risque inhérent à la clothianidine ». Des conclusions similaires ont été formulées dans au moins trois autres avis que l’ARLA a remis aux sociétés défenderesses au titre de l’article 12.

[15]  Les demandeurs font valoir que, même si les sociétés défenderesses n’ont pas respecté les exigences des avis visés à l’article 12 et n’ont pas comblé la « lacune majeure des données » en temps opportun, l’ARLA a prolongé à maintes reprises la période de validité des homologations conditionnelles relatives à la clothianidine, au thiaméthoxame et à leurs préparations commerciales, et a reporté l’obligation de fournir des études sur les ruches présentant un risque de toxicité chronique en remettant d’autres avis visés à l’article 12 lors de la prolongation des homologations conditionnelles. Ces avis supplémentaires obligeaient les sociétés défenderesses à produire les mêmes données scientifiques initialement demandées par l’ARLA ou des données similaires au sujet du risque de toxicité chronique auquel les insectes pollinisateurs étaient exposés.

[16]  Les demandeurs expliquent qu’ils contestent par les présentes demandes la ligne de conduite illégale qu’a adoptée l’ARLA en remettant des avis visés à l’article 12 qui ont eu pour effet de reporter la réception et l’examen des études nécessaires sur le risque que comportent la clothianidine, le thiaméthoxame et leurs préparations commerciales pour les insectes pollinisateurs, maintenant de ce fait en vigueur pendant plus d’une décennie les homologations conditionnelles de ces pesticides et de leurs préparations commerciales malgré l’absence d’études valides ou suffisantes concernant le risque de toxicité chronique qu’ils présentent pour les insectes pollinisateurs.

[17]  Les demandeurs affirment que la principale réparation qu’ils sollicitent dans les demandes est une déclaration portant que cette ligne de conduite, qui s’est étalée sur une période de onze ans, est illégale. La réparation découlant de cette déclaration est une ordonnance déclarant invalides les homologations des pesticides et de leurs préparations commerciales qui ont été obtenues par suite de la conduite illégale. Bien que 79 décisions d’homologation soient touchées par la réparation sollicitée, les demandeurs soutiennent que les demandes visent la conduite illégale et non les décisions en question. Cette conséquence ressort clairement, à leur avis, du fait que la majorité des 79 décisions d’homologation ont déjà expiré ou ont été remplacées par des décisions d’homologation subséquentes.

[18]  À titre d’argument préliminaire, les défendeurs soutiennent que les demandeurs tentent à tort de modifier leurs actes de procédure, notamment en ce qui concerne la « même série d’actes » contestés dans les présentes demandes. Ils précisent que la demande de réparation et la description de la conduite figurant dans les avis de demandes ne comportent aucune mention précise de l’utilisation inappropriée des avis visés à l’article 12, et que les demandeurs modifient aujourd’hui leur position dans l’unique espoir d’avoir gain de cause dans les présentes requêtes.

[19]  Je rejette cet argument. À mon avis, les demandeurs ont décrit correctement l’objet de leurs allégations figurant dans leurs actes de procédure en répondant aux présentes requêtes. La remise répétée d’avis visés à l’article 12 et la prolongation par l’ARLA de la période de validité des homologations conditionnelles malgré l’omission présumée de la part des sociétés défenderesses de respecter les exigences énoncées dans les avis en question sont clairement invoquées dans les avis de demande et seraient visées l’une et l’autre par la description de la conduite reprochée et les demandes de réparation qui figurent dans ceux-ci.

[20]  En conséquence, je conclus que ce qui est contesté dans les présentes demandes, et ce que les demandeurs ont décrit comme une ligne de conduite, réside dans la pratique apparemment illégale à laquelle l’ARLA se serait livrée en remettant des avis visés à l’article 12 qui ont eu pour effet de reporter la réception et l’examen des études nécessaires sur le risque de toxicité chronique que présentent la clothianidine, le thiaméthoxame et leurs préparations commerciales pour les insectes pollinisateurs, maintenant de ce fait en vigueur pendant plus d’une décennie les homologations conditionnelles de ces pesticides et de leurs préparations commerciales malgré l’absence d’études valides ou suffisantes.

[21]  Les défendeurs répondent que, même si la description par les demandeurs de la ligne de conduite contestée est acceptée, il n’en demeure pas moins que les demandes constituent en réalité, ainsi que les défendeurs l’ont souligné à l’origine, une contestation des 79 décisions distinctes que l’ARLA a prises en application de l’article 8 et par lesquelles elle a approuvé les homologations des pesticides et de leurs préparations commerciales. De l’avis des défendeurs, la Cour devra déterminer, dans le cadre des présentes demandes, si chacune des 79 décisions prises en application de l’article 8 était raisonnable, malgré la lacune des données relevée dans les avis visés à l’article 12.

[22]  Les défendeurs affirment que le contrôle de 79 décisions distinctes dans le cadre de deux demandes de contrôle judiciaire va à l’encontre de l’article 302 des Règles et que la majorité des décisions ne peuvent plus faire l’objet d’un contrôle judiciaire au titre du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, parce qu’elles ont été prises plus de trente (30) jours avant l’introduction des demandes. Selon les défendeurs, les demandeurs auraient dû solliciter le contrôle judiciaire de chacune des décisions au moment où elles ont été prises et ils ne peuvent aujourd’hui avoir gain de cause dans ces demandes de contrôle judiciaire en faisant valoir que la contestation porte en réalité sur une « même série d’actes ».

[23]  Invoquant une remarque formulée au paragraphe 10 de la décision Mahmood c Canada, [1998] ACF n° 1345, les défendeurs soutiennent que, selon la jurisprudence, il est possible de conclure à l’existence d’une ligne de conduite uniquement lorsqu’il serait difficile de préciser pour quelle décision une réparation pourrait être sollicitée auprès de la Cour. Étant donné que les présentes demandes portent sur 79 décisions identifiables, les défendeurs affirment que la Cour ne peut considérer celles-ci comme une ligne de conduite.

[24]  Je ne puis souscrire à l’interprétation que les défendeurs donnent à la remarque formulée dans la décision Mahmood. Même s’il est possible que, dans certains cas, l’existence d’une « ligne de conduite » a été inférée de la difficulté à relever une décision précise, la Cour fédérale a conclu à maintes reprises à l’existence d’une ligne de conduite dans des situations où des décisions distinctes ont été relevées ou auraient facilement pu l’être. Ainsi, dans la décision Sweet c R, [1999] ACF n° 1539, la Cour fédérale était saisie d’une contestation de l’application par un établissement correctionnel d’une politique de double occupation involontaire des cellules. Il n’aurait pas été difficile de trouver une décision précise contraignant les détenus à partager leurs cellules, laquelle décision aurait pu être contestée dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire; malgré tout, la Cour a conclu que la politique de double occupation des cellules pouvait bel et bien faire l’objet d’un contrôle judiciaire. De plus, la Cour fédérale a affirmé en toutes lettres qu’une ligne de conduite pouvait concerner une situation « dans le cadre [de laquelle] un certain nombre de décisions sont prises » conformément à une politique [voir la décision Truehope, précitée, au paragraphe 7]. En conséquence, l’existence de décisions identifiables de l’ARLA qui sont sous-jacentes à la ligne de conduite reprochée ne permet pas de rejeter l’allégation des demandeurs selon laquelle le véritable objet de la contestation réside dans une ligne de conduite illégale.

[25]  Valent et Sumitomo affirment, dans le même sens, qu’il ressort de la jurisprudence qu’une ligne de conduite peut exister uniquement lorsqu’il y a eu adoption unilatérale d’une politique gouvernementale qui ne répond pas à une demande précise d’une partie (comme une demande d’homologation d’un pesticide). Lorsqu’il s’agit de décisions qui ont été rendues à l’égard de demandes individuelles et qui sont susceptibles de contrôle judiciaire (comme c’est le cas en l’espèce), les demandeurs doivent, selon elles, solliciter le contrôle judiciaire de chacune de ces décisions et non en demander la révision à titre de ligne de conduite adoptée en application d’une politique donnée.

[26]  Je rejette également cet argument. Dans la décision Fisher c Canada, 2013 CF 1108, la Cour fédérale s’est attardée à la question de l’examen d’une ligne de conduite adoptée au cours de l’application d’une politique précise par opposition à l’examen de chaque décision ainsi prise et a formulé les remarques suivantes :

L’arrêt Krause fait autorité quant au principe voulant que la prise d’une décision générale ne fait pas courir un délai qui empêche le contrôle des mesures de mise en œuvre, la logique inattaquable étant que nul ne devait être empêché de demander justice « du seul fait que le supposé acte […] illégal découle d’une décision antérieurement prise en la matière ». La Cour n’affirme pas dans l’arrêt Krause que la décision générale est ellemême susceptible de contrôle. Toutefois, la jurisprudence a ensuite appliqué l’arrêt Krause de manière à permettre à la cour de révision de se pencher sur la décision générale, sur les mesures de mise en œuvre, ou à la fois sur cette décision et ces mesures lorsqu’il résulte de leur réunion un acte illégal du gouvernement envers le demandeur.

[27]  En conséquence, je conclus que le fait que les demandeurs auraient pu solliciter le contrôle judiciaire de la décision sous-jacente à la ligne de conduite reprochée ne les empêche pas de demander la révision de la ligne de conduite en question.

[28]  Les défendeurs font également valoir que la Cour ne pourrait conclure que l’utilisation apparemment erronée des avis visés à l’article 12 constitue une même série d’actes ou une ligne de conduite, parce que la conduite en question doit être « en cours » à la date à laquelle les demandes sont instruites afin d’être considérée comme une ligne de conduite, eu égard aux décisions rendues dans les affaires Krause et Fisher. Compte tenu de l’abrogation récente de l’article 14 du Règlement, les défendeurs ajoutent que toute mauvaise conduite reprochée cessera, de sorte que la ligne de conduite alléguée ne donnera plus lieu à des effets continus. Je n’accepte pas l’interprétation du droit proposée par les défendeurs. Il n’est nullement mentionné dans les décisions Krause et Fisher que la ligne de conduite doit être en cours à la date à laquelle la demande de contrôle judiciaire s’y rapportant est instruite. Les défendeurs ne m’ont cité aucune décision qui appuie directement l’interprétation qu’ils préconisent et je ne suis pas disposée à accepter une interprétation aussi restreinte de l’expression « même série d’actes ». Accepter cette interprétation permettrait à un office fédéral, par exemple, d’échapper au contrôle judiciaire que la Cour s’apprête à exercer à l’égard d’une ligne de conduite établie depuis longtemps en mettant simplement fin à la conduite en question quelques jours avant l’audience.

[29]  Je souligne que, dans le cadre de ses arguments concernant l’existence d’une « même série d’actes », le procureur général a soutenu qu’il n’est pas utile de trancher les questions soulevées dans les présentes demandes, étant donné l’abrogation de l’article 14 du Règlement, qui autorisait les homologations conditionnelles, laquelle abrogation entrera en vigueur le 30 novembre 2017. Après cette date, il n’y aura plus d’homologation conditionnelle de la clothianidine, du thiaméthoxame et de leurs préparations commerciales et il n’y aura pas de renouvellement d’homologations conditionnelles. Seuls les produits dont les périodes de validité prennent fin en 2017 bénéficieront de prolongations. En conséquence, le procureur général affirme que la ligne de conduite contestable qui est reprochée ne pourra plus avoir lieu après les modifications au régime législatif, de sorte que la demande de réparation est théorique.

[30]  Dans le dossier T-1071-16, les demandeurs sollicitent des déclarations portant que l’alinéa 14(1)b) est ultra vires et inopérant et que l’ARLA a outrepassé sa compétence en se fondant sur l’alinéa 14(1)b) du Règlement pour justifier l’omission de sa part de tenir des consultations publiques au sujet de l’homologation et des modifications des homologations du thiaméthoxame et de ses préparations commerciales. De l’avis du procureur général, étant donné que l’article 14 du Règlement a été abrogé et que l’ARLA corrige actuellement l’erreur qu’elle aurait commise en omettant de tenir certaines consultations publiques au sujet du thiaméthoxame, cette partie de la demande est également théorique.

[31]  Malgré les observations du procureur général au sujet de la question du caractère théorique, aucun des défendeurs n’a invoqué cet argument dans ses avis de requête et aucune des parties n’a fourni d’observations écrites au sujet de l’applicabilité du critère de l’arrêt Borowski. En conséquence, je ne m’attarderai pas à la question de savoir si les demandes devraient être rejetées, en tout ou en partie, en raison de leur caractère théorique. J’ai plutôt examiné ces arguments dans le contexte de la proposition du procureur général selon laquelle la même série d’actes doit se poursuivre à la date d’instruction des demandes.

[32]  Pour leur part, les demandeurs font valoir que l’abrogation de l’article 14 du Règlement n’a pas eu d’incidences sur l’article 12 de la Loi et sur la façon dont l’ARLA peut utiliser les avis visés à cette disposition à l’avenir. Il est donc possible que la conduite illégale de l’ARLA se poursuive. C’est pourquoi les demandes ne peuvent être considérées comme des demandes théoriques ou inutiles en pratique. Qui plus est, il pourrait y avoir un intérêt public lié à l’examen par la Cour de la question de savoir si l’ARLA a agi de manière illégale, malgré la possibilité que la conduite illégale reprochée ait cessé ou cesse. La déclaration portant que la conduite de l’ARLA était illégale et l’analyse qui serait nécessaire au soutien de l’octroi de cette réparation pourraient guider l’ARLA lors des décisions ultérieures qu’elle sera appelée à prendre dans le cadre de l’utilisation des avis visés à l’article 12 et seraient donc utiles.

[33]  Étant donné que les défendeurs n’ont pas invoqué le caractère théorique des demandes pour en solliciter la radiation et que j’ai rejeté l’argument selon lequel la même série d’actes doit se poursuivre à la date d’instruction des demandes, je n’ai aucune raison d’examiner plus à fond les arguments du procureur général au sujet de l’utilité pratique de l’examen de celles‑ci. Il sera loisible aux parties de présenter des observations sur la question du caractère théorique devant le juge saisi des demandes et il appartiendra à celui-ci de décider, lors de l’instruction des demandes, s’il convient, eu égard aux circonstances, qu’il tranche toutes les questions qui y sont soulevées.

[34]  Comme je l’ai mentionné au départ, la question de savoir si les demandes sous-jacentes concernent une même série d’actes – plutôt que plusieurs décisions isolées – est une question de fait. S’inspirant des facteurs énoncés dans la jurisprudence, les défendeurs soutiennent que les 79 décisions d’homologation distinctes ne peuvent constituer une même série d’actes, pour les raisons suivantes :

  1. Les décisions ont été prises à différentes dates au cours d’une période de onze ans allant de 2006 à 2016;

  2. Les décisions concernaient quatre sociétés différentes;

  3. Les décisions concernaient des évaluations séparées de données scientifiques et non scientifiques propres à chaque préparation commerciale;

  4. Les décisions concernaient 31 préparations commerciales différentes caractérisées par des formulations et compositions chimiques ainsi que des propriétés fonctionnelles différentes et destinées à être utilisées pour des applications différentes (c'est-à-dire traitement des semences ou applications foliaires ou au sol) et pour différentes récoltes et différents organismes nuisibles;

  5. Les décisions ont été prises en fonction d’exigences différentes en matière de données et de cadres d’évaluation qui ont changé au fil des années;

  6. Même si toutes les décisions ont été prises au titre de la Loi et du Règlement, différentes dispositions s’appliquaient selon la nature de la décision en cause (renouvellement, modification, prolongation ou rétablissement);

  7. Les décisions ont pour effet d’imposer des conditions d’étiquetage différentes et des conditions d’homologation propres à chaque préparation commerciale.

[35]  Les demandeurs font valoir que les présentes demandes visent à contester une ligne de conduite liée à la « façon » dont l’ARLA a pris ses décisions et non les décisions proprement dites. Malgré tout, ils soutiennent que les similitudes entre les décisions en cause sont très grandes et l’emportent de loin sur les différences pouvant exister entre elles. Plus précisément :

  1. Chaque décision a été prise en fonction du même cadre législatif;

  2. Chaque décision a été prise par le même décideur, soit l’ARLA;

  3. Chaque décision concernait une homologation conditionnelle nécessitant davantage de données de la part des sociétés défenderesses conformément à un avis visé à l’article 12;

  4. Chaque décision faisait état de données insuffisantes au sujet du risque de toxicité chronique que présentent les pesticides et leurs préparations commerciales pour les insectes pollinisateurs;

  5. Chaque décision concernait seulement un nombre restreint d’applications de l’ingrédient actif, en l’occurrence, les traitements de semences et les applications foliaires;

  6. Les préparations commerciales en cause comportent toutes les deux mêmes ingrédients actifs – la clothianidine et le thiaméthoxame;

  7. Dans chaque décision, l’ARLA a appliqué la Loi et le Règlement de la même façon, soit en utilisant de manière inappropriée l’avis visé à l’article 12 qui a donné lieu à la prolongation de la période de validité d’une homologation conditionnelle malgré le fait que les sociétés défenderesses n’avaient pas fourni de données satisfaisantes pour combler la lacune relevée en ce qui concerne les données;

  8. Les homologations conditionnelles des préparations commerciales de la clothianidine et du thiaméthoxame sont inexorablement liées entre elles de différentes façons depuis 2006, et il est préférable d’examiner les ingrédients actifs et les préparations commerciales ensemble pour mieux comprendre l’évolution de l’homologation des produits.

[36]  Après avoir soupesé les similitudes et les différences des décisions en cause, je suis d’avis qu’il y a certainement lieu de se demander si les demandeurs cherchent à contester en bonne et due forme une même série d’actes. Étant donné que cette question n’est toujours pas tranchée, il n’est pas permis selon moi d’affirmer que les demandes n’ont aucune chance d’être accueillies au motif qu’elles vont à l’encontre de l’article 302 des Règles et du délai prescrit au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales. C’est au juge saisi des demandes qu’il appartient de trancher la question importante de savoir s’il y a lieu d’affirmer que les demandes sous-jacentes concernent une même série d’actes [voir la décision Apotex, précitée, aux paragraphes 12-13].

Question no 2 – Les demandes devraient-elles être rejetées à ce stade de l’instance au motif que les demandeurs disposent d’un autre recours approprié?

[37]  Un recours en contrôle judiciaire introduit malgré l’existence d’un recours approprié et efficace ailleurs et à un autre moment ne peut être instruit, sous réserve de circonstances exceptionnelles illustrées dans la jurisprudence. Ce principe empêche l’introduction inappropriée ou prématurée du recours en contrôle judiciaire qui pourrait contrecarrer la volonté du législateur au regard des régimes spécialisés qu’il a établis [voir l’arrêt JP Morgan, précité, aux paragraphes 84-85].]

[38]  Pour accueillir une requête préliminaire en vue de faire radier une demande de contrôle judiciaire en raison de l’existence d’un autre recours approprié, la Cour doit être certaine : (i) qu’un recours est possible ailleurs, maintenant ou plus tard; (ii) que le recours est approprié et efficace et (iii) que les circonstances invoquées sont d’une nature inhabituelle ou exceptionnelle reconnue par la jurisprudence ou présentent des caractéristiques analogues [arrêt JP Morgan, précité, au paragraphe 91].

[39]  Pour déterminer si le recours est approprié, les tribunaux ont relevé un certain nombre de considérations pertinentes, y compris la commodité de l’autre recours, la nature de l’erreur alléguée, la nature de l’autre tribunal qui pourrait statuer sur la question et sa faculté d’accorder une réparation, l’existence d’un recours adéquat et efficace devant le tribunal déjà saisi du litige, la célérité, l’expertise relative de l’autre décideur, l’utilisation économique des ressources judiciaires et les coûts [voir l’arrêt Strickland c Canada (Procureur), 2014 CAF 33, au paragraphe 42]. 

[40]  Les défendeurs affirment que les demandeurs disposent d’autres recours appropriés, soit les procédures en cours introduites sous le régime de la Loi. Selon les défendeurs, le premier recours de cette nature réside dans les réévaluations constantes que mène l’ARLA. La première réévaluation concerne explicitement les insectes pollinisateurs et elle a été entreprise en juin 2012 en application du paragraphe 16(1) de la Loi. La réévaluation relative aux insectes pollinisateurs englobe tous les usages agricoles de la clothianidine et du thiaméthoxame et permettra de déterminer si les risques sanitaires et environnementaux et la valeur du produit antiparasitaire sont acceptables pour l’ARLA. À l’heure actuelle, il est prévu que l’ARLA fera connaître sa décision initiale d’ici le 31 décembre 2017; par la suite, une consultation publique à laquelle les demandeurs pourront participer sera tenue. L’ARLA devrait faire connaître sa décision définitive d’ici le 31 décembre 2018, bien qu’aucun délai ne soit fixé dans la Loi pour la réévaluation en question et que, jusqu’à maintenant, les délais annoncés par l’ARLA pendant la réévaluation relative aux insectes pollinisateurs n’aient pas été respectés jusqu’à maintenant relativement à deux étapes. Les demandeurs pourront contester la décision définitive de l’ARLA au sujet de la réévaluation en déposant un avis d’opposition conformément à l’article 35 de la Loi et, une fois le processus d’avis d’opposition terminé, en déposant une demande de contrôle judiciaire, s’il y a lieu.

[41]   La deuxième réévaluation est une réévaluation cyclique exigée au titre du paragraphe 16(2) de la Loi, qui a débuté en novembre 2016. La décision définitive concernant cette évaluation peut également être contestée au moyen du processus d’avis d’opposition et, par la suite, d’une demande de contrôle judiciaire, s’il y a lieu.

[42]  Les défendeurs font valoir que le deuxième recours approprié existe dans le cadre des demandes que les sociétés défenderesses ont déposées en vue de convertir leurs différentes homologations conditionnelles en homologations en bonne et due forme. L’ARLA tranche ces demandes de conversion en même temps qu’elle procède à la réévaluation relative aux insectes pollinisateurs. Les défendeurs rappellent que les demandeurs auront la possibilité de participer aux consultations publiques concernant certaines demandes de conversion, de déposer un avis d’opposition, s’ils sont insatisfaits des décisions rendues à l’égard des demandes en question et, par la suite, de déposer une demande de contrôle judiciaire, s’ils sont insatisfaits de l’issue du processus d’avis d’opposition.

[43]  Syngenta ajoute que les demandeurs disposent d’un autre recours approprié dans le cadre de la participation à deux examens spéciaux que l’ARLA a entrepris : a) un examen spécial des produits contenant du thiaméthoxame, qui a été amorcé en 2014 et vise à évaluer les risques environnementaux potentiels pour l’abeille des courges exposée au thiaméthoxame contenu dans les produits utilisés sur des cucurbitacées, examen au sujet duquel la décision est attendue en décembre 2018, et b) un examen spécial entrepris en novembre 2016 à l’égard de quinze produits contenant du thiaméthoxame et l’ingrédient actif, lequel examen a pour but d’évaluer les risques potentiels pour les invertébrés aquatiques exposés au thiaméthoxame utilisé comme traitement de semences, foliaire ou de sol, et mènera à des consultations publiques.

[44]  De l’avis des défendeurs, chacun des critères énoncés dans l’arrêt Strickland permet d’affirmer qu’il y a lieu de contraindre les demandeurs à chercher à obtenir réparation dans le cadre des procédures en cours de l’ARLA. Les défendeurs affirment que le principal objectif des demandeurs est de combler la lacune des données qui découle de l’absence d’étude satisfaisante au sujet du risque de toxicité chronique auquel les abeilles à miel sont exposées. Cette lacune sera comblée dans le cadre des procédures de réévaluation et des demandes de conversion en cours. Les demandeurs ne pourront peut-être pas obtenir toutes les réparations qu’ils sollicitent dans les présentes demandes dans le cadre des procédures en cours de l’ARLA, mais il n’est pas nécessaire que les réparations soient identiques; il suffit qu’elles soient appropriées. Les défendeurs affirment que les réévaluations et les demandes de conversion permettront de déterminer s’il existe une certitude raisonnable qu’aucun dommage ne sera causé aux insectes pollinisateurs par suite de leur exposition à la clothianidine, au thiaméthoxame et à leurs préparations commerciales, compte tenu des conditions d’homologation proposées ou fixées, et pourraient donner lieu au refus d’homologuer ces pesticides et leurs préparations commerciales, ce qui est la principale réparation que les demandeurs sollicitent dans les présentes demandes. En conséquence, les défendeurs affirment que l’autre recours dont disposent les demandeurs est donc manifestement approprié.

[45]  Pour sa part, le procureur général fait valoir que l’instruction des présentes demandes occasionnerait un gaspillage des ressources judiciaires, car l’ARLA examine actuellement les mêmes questions que la Cour serait appelée à trancher. Le procureur général explique que, si les demandes des demandeurs sont accueillies, il est probable que la Cour renverra l’affaire à l’ARLA en vue d’une nouvelle décision; or, c’est précisément cette démarche qui est entreprise dans le cadre des réévaluations. Cependant, je souligne que les demandeurs n’ont pas sollicité un réexamen au fond de l’une ou l’autre des décisions d’homologation rendues par l’ARLA. En conséquence, je ne suis pas convaincue que les présentes demandes se traduiront nécessairement par un nouvel examen au fond.

[46]  Pour leur part, les demandeurs nient que les procédures en cours de l’ARLA constituent un recours approprié qui justifie le rejet des présentes demandes à un stade préliminaire de l’instance. Plus précisément, les demandeurs font valoir ce qui suit :

  1. Les procédures en cours de l’ARLA ne porteront pas sur la légalité de la conduite de l’Agence, ce qui est le principal objet des présentes demandes. Les procédures relatives aux réévaluations et aux demandes de conversion concernent uniquement une analyse scientifique de la question de savoir si les risques sanitaires et environnementaux et la valeur des produits antiparasitaires sont acceptables pour l’ARLA. Même si les demandeurs soulevaient la question de la légalité de la conduite de l’ARLA dans le cadre de ces autres procédures, celle-ci a refusé dans le passé d’examiner ses pratiques de réglementation dans le cadre du processus d’avis d’opposition. En conséquence, une déclaration concernant l’illégalité de la conduite de l’ARLA ne constitue pas un recours dont les demandeurs disposent dans le cadre de ces autres procédures, ce qui rend celles‑ci tout à fait inappropriées.

  2. Les autres procédures ne sont pas expéditives. Les réévaluations et l’examen au fond des demandes de conversion sont menés simultanément. Même si la réévaluation relative aux insectes pollinisateurs est en cours depuis plus de cinq ans, elle ne se terminera pas avant 17 mois encore. De plus, les demandeurs craignent que l’échéance de décembre 2018 prévue pour la décision définitive ne soit pas respectée, étant donné que les délais fixés pour la réévaluation provisoire relative aux insectes pollinisateurs ne l’ont pas été. Même si l’échéance prévue pour la décision définitive est respectée, les demandeurs seraient ensuite tenus de participer à un processus d’avis d’opposition, qui est loin d’être rapide, selon l’expérience qu’ils ont vécue. Dans les circonstances, seule la Cour fédérale peut offrir un recours permettant de trancher rapidement les questions soulevées dans les présentes demandes.

  3. Le processus d’avis d’opposition n’est ni adéquat ni efficace. Trois des demandeurs ont déjà exercé leurs droits au titre de l’article 35 de la Loi et déposé un avis d’opposition à la décision de l’ARLA de renouveler l’homologation conditionnelle des préparations commerciales apparentées à la clothianidine comme produits de traitement foliaire et de traitement de sol. L’ARLA a mis trois ans avant de décider de constituer, ou de ne pas constituer, une commission d’examen. Après tout ce temps, l’homologation prolongée était déjà sur le point d’expirer et la présentation d’une demande de contrôle judiciaire aurait été un recours futile, car les questions qui y auraient été soulevées seraient devenues théoriques à la date d’instruction de la demande.

  4. Si l’ARLA concluait, à l’issue des procédures de réévaluation et de demande de conversion, que les risques sanitaires et environnementaux et la valeur des produits antiparasitaires sont acceptables, mais qu’elle donnait de nouveaux avis visés à l’article 12 afin d’exiger d’autres études sur la toxicité chronique, les demandeurs seraient dans la même position que celle dans laquelle ils se trouvent à l’heure actuelle et tout contrôle judiciaire qui résulterait des procédures en question serait une simple répétition des demandes actuelles. En conséquence, les autres procédures n’offrent peut-être aucun recours.

  5. Les demandes concernent l’interprétation et l’application d’un texte de loi, lesquelles questions relèvent de la compétence de la Cour fédérale et non de l’ARLA.

[47]  J’ai examiné les observations formulées par les parties au sujet de la question de savoir si les procédures en cours de l’ARLA offrent un autre recours approprié aux demandeurs. À mon avis, les circonstances de la présente affaire sont bien différentes de celles qui ont été examinées dans la majorité des décisions que les parties ont invoquées sur la question. Les demandeurs ne se sont pas adressés à la Cour pour faire réviser une décision intérimaire rendue par un tribunal administratif ni ne se sont présentés à la Cour sans avoir d’abord suivi un processus d’appel énoncé en toutes lettres dans le régime législatif applicable. Les autres procédures que les défendeurs demandent à la Cour fédérale de considérer comme des recours appropriés ont été engagées sans la participation des demandeurs et sont bien différentes de la conduite qui est contestée dans les présentes demandes.

[48]  Après avoir examiné les facteurs énoncés dans l’arrêt Strickland et les observations des parties, je ne suis pas convaincue que les demandeurs disposent d’un recours adéquat et efficace dans le cadre des procédures en cours de l’ARLA. Je suis particulièrement préoccupée par le fait que ces autres procédures ne seront pas expéditives et qu’elles ne permettront pas aux demandeurs d’obtenir la principale réparation qu’ils cherchent à obtenir de la Cour fédérale, soit des déclarations d’illégalité en ce qui concerne la conduite de l’ARLA. Malgré la complexité des questions qu’elles soulèvent, les présentes demandes seront instruites avant la date limite actuellement fixée au 31 décembre 2018 pour la communication de la décision définitive en ce qui concerne les réévaluations relatives aux insectes pollinisateurs. Qui plus est, les demandeurs devront encore attendre après le 31 décembre 2018 avant de s’adresser à la Cour fédérale pour contester le résultat des procédures en cours de l’ARLA, car ils devraient d’abord suivre le processus de l’avis d’opposition, dont la célérité est loin d’avoir été établie, d’après la preuve dont j’ai été saisie à ce sujet.

[49]  En conséquence, je conclus qu’il est permis de se demander si les procédures en cours de l’ARLA offrent un autre recours approprié aux demandeurs. Cette question importante devrait être tranchée par le juge saisi des demandes.

Dépens

[50]  Étant donné que les demandeurs ont contesté avec succès les requêtes, j’estime qu’ils ont droit à leurs dépens s’y rapportant, lesquels seront payables par tous les défendeurs. Les parties ont mentionné au cours de l’audience relative aux requêtes qu’elles préféraient présenter leurs observations sur les dépens après l’issue desdites requêtes. En conséquence, les parties discuteront du droit des demandeurs à des dépens afin de savoir si elles peuvent en arriver à un règlement. Dans la négative, les parties signifieront et déposeront leurs observations sur les dépens conformément à l’échéancier figurant ci-dessous.


ORDONNANCE dans les dossiers T-1070-16 et T-1071-16

LA COUR STATUE que :

  1. Les requêtes sont rejetées.

  2. Les défendeurs paieront les dépens des demandeurs dans les présentes requêtes. Si les parties ne peuvent s’entendre sur le montant des dépens, elles fourniront des observations écrites à la Cour selon l’échéancier suivant :

  1. Les demandeurs signifieront et déposeront des observations sur les dépens, d’au plus trois pages, d’ici le 28 juillet 2017.

  2. Les défendeurs signifieront et déposeront des observations en réponse, d’au plus trois pages, d’ici le 4 août 2017.

  3. Les demandeurs signifieront et déposeront des observations en réplique, le cas échéant, d’au plus deux pages, d’ici le 11 août 2017.

  4. Les parties peuvent, sur consentement, modifier l’échéancier relatif au dépôt des observations sur les dépens, pourvu qu’un avis écrit de toute modification soit remis à la Cour.

  1. Les parties feront faire connaître, au plus tard le 31 juillet 2017, les dates auxquelles elles seront disponibles en vue d’une conférence de gestion de l’instance que la Cour tiendra au mois d’août pour discuter du calendrier des prochaines étapes de l’instance.

« Mandy Aylen »

Juge chargée de la gestion de l’instance


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DoSSIERS :

T-1070-16 ET T-1071-16

 

DOSSIER :

T-1070-16

 

INTITULÉ :

FONDATION DAVID SUZUKI, LES AMI(E)S DE LA TERRE CANADA, ONTARIO NATURE ET WILDERNESS COMMITTEE c MINISTRE DE LA SANTÉ, SUMITOMO CHEMICAL COMPANY LIMITED, BAYER CROPSCIENCE INC ET VALENT CANADA INC

 

ET DOSSIER :

T-1071-16

 

INTITULÉ :

FONDATION DAVID SUZUKI, LES AMI(E)S DE LA TERRE CANADA, ONTARIO NATURE ET WILDERNESS COMMITTEE c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, MINISTRE DE LA SANTÉ ET SYNGENTA CANADA INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 6 ET 7 JUILLET 2017

 

ordonnance ET MOTIFS :

LA PROTONOTAIRE AYLEN

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :

 

LE 13 JUILLET 2017

 

COMPARUTIONS :

Julia Croome

Charles Hatt

 

POUR LES demandeurS

 

Christine Mohr

Andrea Bourke

 

POUR LES DÉFENDEURS, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

Grant Worden

Tosh Weyman

 

POUR LA DÉFENDERESSE

BAYER CROPSCIENCE INC.

 

Matthew Fleming

Soloman Lam

 

POUR LES DÉFENDERESSES

SUMITOMO CHEMICAL COMPANY LIMITED ET VALENT CANADA INC.

 

Kara Smythe

John P. Brown

Brandon Kain

 

POUR LA DÉFENDERESSE

SYNGENTA CANADA INC.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ECOJUSTICE

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LES dÉFENdeurS,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU
CANADA ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

Torys LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

BAYER CROPSCIENCE INC.

 

Dentons LLP Canada

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDERESSES

SUMITOMO CHEMICAL COMPANY LIMITED ET VALENT CANADA INC.

 

McCarthy Tetrault LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

SYNGENTA CANADA INC.

 

 

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