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Date : 20170707


Dossier : T‑1213‑16

Référence : 2017 CF 664

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 juillet 2017

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

CLAUDIO ORTU

demandeur

et

CFMB LIMITÉE

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Claudio Ortu, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 7 juin 2016 par laquelle l’arbitre Guy Lafrance [l’arbitre] a estimé, en vertu de l’alinéa 242(3.1)a) du Code canadien du travail, LRC, 1985, c L‑2 [le Code], qu’il n’avait pas compétence pour examiner la plainte de congédiement injuste de M. Ortu.

I.  La décision faisant l’objet du contrôle

[2]  La station radiophonique CFMB a mis fin à l’emploi de M. Ortu le 13 mai 2015. M. Ortu a déposé une plainte en vertu du Code pour congédiement injuste. Un arbitre a été nommé pour régler la plainte. L’audience a eu lieu devant l’arbitre le 26 mai 2016.

[3]  L’arbitre s’est déclaré incompétent en vertu de l’alinéa 242(3.1)a) du Code après avoir conclu que M. Ortu n’avait pas été congédié injustement. L’arbitre a plutôt conclu que l’employeur, CFMB Limitée [CFMB], avait mis fin à l’emploi de M. Ortu à la suite de la suppression du poste de ce dernier dans le cadre de la restructuration de CFMB effectuée par ses nouveaux propriétaires en vue de résoudre les difficultés financières de l’entreprise.

[4]  L’arbitre a fait observer que M. Ortu avait été engagé à forfait en novembre 2013 et que ses principales fonctions étaient d’ordre administratif, notamment la coordination des communications au sein du service et la réalisation de recherches concernant d’éventuels sujets d’émissions.

[5]  L’arbitre a fait observer que l’ancien vice‑président de CFMB avait fourni à M. Ortu en novembre 2014 une lettre adressée au Ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion du Québec [le MIDI], qui décrivait les fonctions de M. Ortu, notamment l’établissement de relations avec les clients, la vente d’espace publicitaire à la radio, et la co‑animation d’une émission radiophonique hebdomadaire. (Je constate que la même lettre avait également été adressée au ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration du Canada [CIC]). L’arbitre a reconnu que les fonctions décrites par l’ancien vice‑président étaient contestées par M. Luigi Valente, le directeur de la station, qui avait expliqué qu’il avait refusé de signer une lettre semblable au motif qu’elle ne décrivait pas fidèlement les attributions de M. Ortu.

[6]  L’arbitre a accepté les éléments de preuve fournis par CFMB pour expliquer sa situation économique, et notamment le déclin de ses revenus au cours des cinq années précédentes. CFMB a été vendue à Dufferin Communications Inc. le 1er avril 2015. Dufferin Communications a lancé un plan de restructuration et de réorganisation en vue de rendre la station plus rentable. Le plan prévoyait des changements à la programmation. Dans le cadre de cette restructuration, on a mis fin à l’emploi de cinq employés, dont M. Ortu, le 13 mai 2015.

[7]  L’arbitre a accepté le témoignage de CFMB suivant lequel les grilles de programmation ont été modifiées, l’émission de radio italienne co-animée par M. Ortu a été retirée des ondes et les fonctions de rédaction de textes de M. Ortu ont été confiées à un autre employé comptant plus d’ancienneté.

[8]  L’arbitre a pris acte de l’impact de ces mesures sur M. Ortu, qui était un travailleur étranger temporaire titulaire d’un permis de travail lui permettant seulement de travailler à CFMB. L’arbitre a constaté que CFMB n’avait pas d’obligation fiduciaire qui l’aurait contraint à continuer à engager M. Ortu. L’arbitre a également fait observer que M. Ortu avait épousé une citoyenneté canadienne et qu’il pouvait également demander que son permis de travail soit modifié s’il obtenait un nouvel emploi.

[9]  L’arbitre a conclu que la preuve démontrait que les changements apportés par les nouveaux propriétaires de CFMB étaient justifiés, que le poste de M. Ortu n’existait plus, que CFMB n’avait pas de réserves au sujet du rendement de M. Ortu et que la réorganisation avait été effectuée de bonne foi, pour des raisons sérieuses et objectives, en l’occurrence des difficultés financières.

II.  La thèse du demandeur

[10]  M. Ortu affirme que l’arbitre a commis une erreur en concluant que son poste avait été supprimé en raison de la réorganisation et pour des raisons financières.

[11]  M. Ortu affirme que l’arbitre n’a pas tenu compte d’éléments de preuve qui démontraient que ses fonctions étaient plus larges que ce qu’avait affirmé M. Valente. M. Ortu a expliqué qu’il avait assumé davantage de responsabilités et qu’il avait notamment animé une émission quotidienne de « retour à la maison » en italien, qu’il avait remplacé des lecteurs de nouvelles et qu’il s’était occupé de vente de publicités. Il a notamment cité deux contrats, évalués respectivement à 20 000 et à 23 500 $, qu’il avait obtenus pour la station auprès d’une compagnie de croisières, pour démontrer qu’il était un vendeur et que ces contrats avaient eu des répercussions positives sur les revenus de CFMB.

[12]  M. Ortu croit que son congédiement n’était pas attribuable à une pénurie de travail ou à la suppression de son poste, mais plutôt à ses relations difficiles avec d’autres employés, en particulier ceux du secteur des ventes. Il soutient que CFMB n’avait aucune raison de le congédier, étant donné qu’on lui avait confié davantage de responsabilités et qu’il ne manquait pas de travail à CFMB, compte tenu de sa polyvalence.

[13]  M. Ortu affirme que l’arbitre a commis une erreur en ne tenant pas compte de ses fonctions de vendeur ni du fait que CFMB avait engagé un autre employé pour le remplacer comme lecteur de nouvelles à peine quelques jours après sa cessation d’emploi, en déclarant à tort que CFMB était devenu rentable par la suite et en ne tenant pas compte des éléments de preuve tendant à démontrer que son congédiement n’avait pas été avantageux sur le plan financier pour CFMB.

[14]  M. Ortu ajoute que l’arbitre a déclaré à tort qu’il était marié et soutient que ce n’est qu’un autre exemple des erreurs dont est entachée cette décision, ce qui permet de penser que l’arbitre n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve dont il disposait.

III.  La thèse de la défenderesse

[15]  La défenderesse affirme que l’arbitre n’a pas commis d’erreur. Après avoir accepté les éléments de preuve présentés par CFMB suivant lesquels le congédiement de M. Ortu était attribuable à la suppression de son poste en raison de la réorganisation de l’entreprise à la suite de difficultés financières, l’arbitre a appliqué l’alinéa 242(3.1)a) du Code et s’est déclaré incompétent.

[16]  La défenderesse affirme que la plupart des fonctions de M. Ortu ont été supprimées et que ses autres fonctions ont été confiées à un autre employé.

[17]  La défenderesse reconnaît que M. Ortu a obtenu de sa propre initiative deux contrats grâce à ses relations personnelles avec des clients antérieurs, mais soutient que ces contrats ont été obtenus de façon ponctuelle. La défenderesse conteste que M. Ortu était un vendeur, soulignant que cet aspect de sa description de travail, comme le démontre la lettre de novembre 2014 du vice‑président adressée à CIC et au MIDI, avait été contestée par M. Valente dans son témoignage devant l’arbitre. La défenderesse cite également un projet de lettre de recommandation que M. Ortu avait demandée à M. Valente, qui ne fait aucune mention qu’il s’occupait des ventes.

[18]  La défenderesse conteste également que les contrats compenseraient le salaire de M. Ortu au point où CFMB ne pourrait pas justifier sa réorganisation en évoquant ses problèmes d’ordre financier. La défenderesse ajoute que, si M. Ortu n’avait pas obtenu ces contrats, les vendeurs de la station auraient obtenu d’autres contrats, et pas seulement deux contrats. De plus, rien n’indique que la valeur des contrats en question ont permis à la défenderesse de réaliser des profits, compte tenu des dépenses afférentes.

[19]  La défenderesse affirme également que M. Ortu n’était pas un lecteur de nouvelles, mais plutôt qu’il remplaçait à l’occasion les lecteurs de nouvelles au besoin.

[20]  La défenderesse conteste l’argument de M. Ortu que son congédiement n’a pas permis à CFMB d’épargner de l’argent, en faisant observer que le congédiement des cinq employés suivi de l’embauche de quelques autres, principalement à temps partiel, avait permis à la station d’économiser au moins 70 000 $ par année. Ces éléments de preuve avaient été portés à la connaissance de l’arbitre.

[21]  La défenderesse fait également observer qu’il ressort à l’évidence du témoignage que Mme Laurignano a donné devant l’arbitre que, par suite de cette réorganisation, CFMB avait réalisé des profits.

[22]  La défenderesse reconnaît que l’arbitre a commis une erreur en déclarant à tort que M. Ortu avait épousé une citoyenne canadienne. La défenderesse affirme que l’arbitre a confondu par inadvertance l’état matrimonial de M. Ortu avec celui d’un autre employé que CFMB avait congédié à la suite de la restructuration et dont la plainte avait été entendue par le même arbitre la veille. La défenderesse affirme que cette erreur n’a pas eu d’incidence sur la décision de l’arbitre, qui était de toute évidence fondée sur le Code et la jurisprudence applicable.

IV.  La question en litige

[23]  La question clé est celle de savoir si l’arbitre a commis une erreur en concluant qu’il n’avait pas compétence pour statuer sur la plainte de congédiement injuste en vertu de l’alinéa 242(3.1)a) du Code.

[24]  Pour pouvoir trancher cette question, il faut d’abord décider si l’arbitre n’a pas tenu compte ou a mal interprété la preuve dont il disposait.

[25]  Les dispositions pertinentes du Code canadien du travail sont reproduites à l’annexe A.

V.  La norme de contrôle

[26]  Dans l’affaire Connelly c Société de communication Atikameckw‑Montagnais, 2013 CF 909 [Connelly], le juge de Montigny s’est penché sur la norme de contrôle applicable à la question de savoir si l’arbitre avait commis une erreur dans son interprétation de l’alinéa 242(3.1)a) et a conclu que la norme applicable était celle de la décision raisonnable. Le juge de Montigny a signalé que la jurisprudence avait quelque peu fluctué sur cette question au départ, mais que la Cour d’appel avait clarifié la question, en faisant observer ce qui suit, au paragraphe 14:

Je m’estime cependant lié par la décision plus récente de la Cour d’appel fédérale sur cette même question dans l’arrêt Banque Canadienne Impériale de Commerce c Muthiah, 2011 CAF 276 au par. 4, [2011] ACF no 1426 (QL). À cette occasion, la Cour a clairement indiqué que l’interprétation de l’article 242(3.1) par un arbitre est révisable en fonction de la norme de la décision raisonnable.

Le juge de Montigny ajoute, au paragraphe 15 :

[15]  En l’occurrence, nous ne sommes clairement pas en présence d’une véritable question de compétence telle que décrite par la Cour suprême dans les jugements précités. Il est clair que le législateur a confié à l’arbitre le pouvoir de déterminer si un plaignant a été licencié ou plutôt congédié. Il s’agit à n’en pas douter d’une question de droit qui concerne l’interprétation de la loi constitutive d’où l’arbitre tire son mandat. Qui plus est, le Code comporte une clause privative étanche à l’article 243 qui témoigne de l’intention du Parlement de mettre les décisions prises par des arbitres à l’abri des tribunaux sauf dans les cas les plus clairs d’abus ou d’excès de compétence. Par conséquent, la première question doit également être analysée en appliquant la norme de la décision raisonnable.

[27]  La norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique également à la question de savoir si l’arbitre a commis une erreur dans son appréciation des faits (Connelly, au paragraphe 11).

[28]  La norme de la décision raisonnable s’intéresse essentiellement à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables se justifiant au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [Dunsmuir]). Il n’appartient pas à la Cour de réévaluer la preuve.

[29]  Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 14 à 16 [Newfoundland Nurses], la Cour suprême du Canada a donné des précisions sur les exigences formulées dans l’arrêt Dunsmuir, en indiquant, aux paragraphes 14 à 16, que le décideur n’est pas tenu de mentionner chaque motif, argument ou détail dans sa décision. Il n’est pas non plus tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement qui l’a mené à sa conclusion finale. Les motifs doivent « être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles » (au paragraphe 14). En outre, si cela est nécessaire, le tribunal peut examiner le dossier « pour apprécier le caractère raisonnable du résultat » (au paragraphe 15).

VI.  La décision de l’arbitre est raisonnable

[30]  Je reconnais que M. Ortu et la défenderesse CFMB divergent d’opinion quant au motif du congédiement de M. Ortu, et que M. Ortu conteste son congédiement eu égard à sa contribution à CFMB. Toutefois, la question dont la Cour est saisie est celle de savoir si la décision de l’arbitre est raisonnable compte tenu des éléments de preuve dont il disposait.

[31]  Dans le jugement Rogers Cablesystems Ltd c Roe [2000], [2000] ACF no 1457, 193 FTR 240 (CF 1re inst.), la juge Dawson s’est penchée sur la question de savoir si l’arbitre avait correctement exercé le pouvoir discrétionnaire que lui conférait le Code, en rappelant, aux paragraphes 31 et 32, la raison d’être de l’alinéa 242(3.1)a) :

[31]  La politique qui sous‑tend cette disposition est que l’employeur est le mieux placé pour déterminer comment organiser ses affaires. L’alinéa 242(3.1)a) empêche un arbitre d’intervenir dans les gestes posés par un employeur en réaction à un changement dans le contexte. Par conséquent, comme l’a fait remarquer le juge Muldoon dans Air Canada c. Davis (1994), 72 F.T.R. 283 (1re Inst.), l’alinéa 242(3.1)a) fait que dans certaines circonstances un employé peut être mis à pied sans blâme, sans que le licenciement constitue un congédiement injuste.

[32]  Il s’ensuit qu’avant d’accepter qu’il a compétence, un arbitre doit d’abord déterminer de la façon correcte si la cessation d’emploi découle d’un manque de travail ou de la suppression d’un poste, dans des circonstances où l’employeur a pris sa décision de bonne foi. Voir, par exemple : Flieger c. Nouveau‑Brunswick, [1993] 2 R.C.S. 651.

[32]  La juge Dawson a analysé la jurisprudence et estimé qu’une fois que l’arbitre avait conclu que l’employeur a démontré que sa décision de procéder à une réorganisation a été prise de bonne foi, ce dernier a le droit de licencier les employés visés suite à un manque de travail, et l’arbitre n’a pas compétence pour statuer sur le fond de la plainte pour licenciement de Mme Roe. (au paragraphe 35). La juge Dawson a cité la jurisprudence pertinente à l’appui de cette position, et expliqué ce qui suit, aux paragraphes 36 et 37 :

[36]  Je constate que cette conclusion est appuyée par la décision de cette Cour dans Davis, précité. Dans cette affaire, la Cour avait jugé que l’arbitre n’avait pas compétence dès qu’il avait conclu qu’il y avait un manque de travail et que l’employeur avait conservé les membres de son personnel qui constitueraient la meilleure équipe de gestion. Cette conclusion s’appuie aussi sur une autre décision de cette Cour dans Énergie atomique du Canada Ltée c. Jindal (1996), 110 F.T.R. 221 (1re inst.), conf. (1998) 229 N.R. 212 (C.A.F.), où le juge Cullen a décidé que lorsqu’il y a eu suppression du poste d’un employé, l’arbitre n’a pas compétence pour examiner au fond la plainte visant le licenciement.

[37]  Je conclus aussi que la décision de la Cour d’appel fédérale dans Lignes aériennes Canadien International Ltée c. Husain (1998), 161 D.L.R. (4th) 381 (C.A.F.), va dans le même sens. Dans cette affaire, la Cour étant convaincue que la décision de supprimer un poste avait été prise de bonne foi, et qu’il n’y avait pas d’éléments de preuve établissant clairement que la décision de licencier l’intimée n’avait pas été prise de mauvaise foi, elle a conclu que l’arbitre n’avait pas compétence pour rendre une sentence.

[33]  Dans le jugement Canadien Pacifique Ltée. c Clerk, 2004 CF 715 [CP], le juge Russel s’est penché sur des conclusions semblables tirées par un arbitre dans une situation dans laquelle l’employé avait été congédié à la suite de changements apportés à l’organisation de l’employeur. Le juge Russel a répété que les décisions d’entreprise étaient la prérogative de l’employeur, en faisant observer, au paragraphe 57 :

[57]  Il est de jurisprudence constante que l’employeur a toute latitude pour décider comment organiser son entreprise et qu’il peut licencier des employés pour des raisons commerciales légitimes sans risquer de se faire accuser de congédiement injustifié. Le juge Muldoon a précisé ce qui suit dans le jugement Bande indienne de Moricetown c. Morris, [1996] A.C.F. no 1268 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 30 et 31 :

30. Bien que le Code impose certaines restrictions aux employeurs, il ne les prive pas de toute liberté de restructurer et réorganiser leur entreprise. Monsieur le juge Pratte, dans l’arrêt Transport Guilbault Inc. c. Scott, A‑618‑85 (21 mai 1986) (C.A.F.), a déclaré, au sujet de la décision de réduire le personnel : « Dès lors que cette décision est réelle et n’a rien de simulé, on ne saurait interpréter autrement l’article 61.5(3)a) [maintenant l’alinéa 242(3.1)a) du Code canadien du travail] sans limiter indûment la liberté de l’employeur de structurer et organiser son entreprise comme il l’entend. » Monsieur le juge Pratte faisait évidemment référence à la restructuration qui a entraîné la « suppression d’une fonction ». En conséquence, dans des circonstances semblables, si l’employeur prend sa décision de bonne foi comme l’a conclu l’arbitre et pour des motifs légitimes, on peut affirmer qu’il y a eu suppression de poste.

[34]  Dans le jugement Kassab c Bell Canada, 2008 CF 1181 [Kassab], le juge Pinard a expliqué que, pour pouvoir invoquer le paragraphe 242(3.1) du Code, l’employeur doit démontrer une justification économique du licenciement et fournir une explication raisonnable quant au choix du licenciement des employés (au paragraphe 24, citant l’arrêt Thomas c Banque indienne Crie Enoch, 2004 CAF 2 , au paragraphe 5). Une fois que l’employeur a fait cette démonstration, c’est au plaignant qu’il appartient de convaincre l’arbitre que son congédiement était un « subterfuge », c.‑à‑d. qu’il était motivé par d’autres considérations (au paragraphe 25, citant l’arrêt Flieger c Nouveau‑Brunswick, [1993] 2 RCS 651 (CSC)).

[35]  Dans le jugement Connelly, le juge de Montigny a cité les principes énoncés dans l’arrêt Kassab et dans la jurisprudence citée dans cet arrêt, les résumant ainsi, au paragraphe 18 :

[18]  En d’autres termes, la protection contre le congédiement injuste ne jouera pas si la perte d’emploi résulte de circonstances économiques (manque de travail ou suppression d’un poste). C’est néanmoins l’employeur qui a le fardeau d’établir que de telles circonstances ont motivé sa décision, et d’expliquer la raisonnabilité du choix de l’employé qui a été congédié.

[36]  L’arbitre a accepté le témoignage de M. Valente et de Mme Laurignano, qui avaient déclaré, au nom de la défenderesse : (i) que les revenus de CFMB étaient en déclin, ce que la preuve documentaire confirmait; (ii) que la réorganisation avait été effectuée, notamment par le congédiement de cinq employés, pour améliorer la situation financière de l’entreprise; (iii) que les fonctions de M. Ortu avaient été supprimées ou réaffectées et, plus précisément, que M. Valente n’avait plus besoin de ses services en langue italienne, que la programmation avait été réduite, que l’émission du « retour à la maison » avait été retirée des ondes et que les fonctions de rédaction de textes avaient été confiées à un autre employé comptant plus d’ancienneté et (iv) que, par suite de la réorganisation, CFMB était devenue plus rentable.

[37]  L’arbitre a reconnu le désaccord qui existait entre les parties au sujet des attributions de M. Ortu, mais s’est dit néanmoins convaincu que les fonctions de ce dernier avaient été réassignées ou éliminées, ce qui s’était soldé par la suppression de son poste et que cette suppression était attribuable à la réorganisation de l’entreprise. En d’autres termes, l’arbitre a conclu que CFMB s’était acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer que les circonstances justifiaient sa décision de mettre fin à l’emploi de M. Ortu.

[38]  M. Ortu affirme maintenant que l’arbitre n’a pas tenu compte des éléments de preuve concernant les contrats qu’il avait obtenus et qui avaient dégagé des revenus plus élevés que son salaire annuel, ce qui, selon lui, démontrait que son congédiement n’était pas motivé par des raisons d’ordre économique. Le fait que l’arbitre n’avait pas mentionné ces contrats ne démontre pas qu’il n’a pas tenu compte de cet élément de preuve. De plus, l’arbitre n’était pas chargé d’examiner en détail les états financiers de CFMB, mais plutôt de déterminer si CFMB avait démontré que le congédiement de M. Ortu était le résultat d’une pénurie de travail ou de la suppression d’un poste. Comme le tribunal l’a fait observer dans le jugement CP, l’employeur a le droit de décider comment organiser son entreprise.

[39]  De plus, comme la défenderesse l’a fait observer, les deux contrats obtenus par M. Ortu ne se sont pas nécessairement traduits par des profits pour CFMB, et d’autres vendeurs auraient pu continuer à chercher à obtenir des contrats, comme il leur incombait de le faire.

[40]  En ce qui concerne l’argument de M. Ortu suivant lequel l’arbitre n’a pas tenu compte du fait que CFMB avait engagé un autre employé pour le remplacer comme lecteur de nouvelles quelques jours à peine après son congédiement, le témoignage que M. Valente et Mme Laurignano ont donné au nom de CFMB et que l’arbitre a accepté démontrait qu’un lecteur de nouvelles avait été engagé à temps partiel et à coût réduit et que M. Ortu n’avait été qu’un lecteur de nouvelles de remplacement et que cette tâche ne faisait pas partie de ses attributions.

[41]  L’arbitre n’a pas commis d’erreur en déclarant que CFMB était devenue rentable par suite de la réorganisation, conformément au témoignage de Mme Laurignano.

[42]  Comme je l’ai déjà expliqué, une décision est jugée raisonnable si elle est justifiée, transparente et intelligible et si elle « appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». La décision de l’arbitre, qui reposait sur la preuve dont il disposait, et que la Cour ne réévaluera pas, appartient de toute évidence aux issues acceptables. L’arbitre a conclu de façon raisonnable que le congédiement de M. Ortu était attribuable à la réorganisation effectuée par CFMB pour corriger sa situation financière et que les fonctions principales de M. Ortu avaient été supprimées; certaines avaient été éliminées et d’autres avaient été réparties entre d’autres employés. Par conséquent, conformément à la jurisprudence, l’arbitre n’avait pas compétence pour examiner la plainte de M. Ortu.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Catherine M. Kane »

Juge


ANNEXE A

Dispositions pertinentes du Code canadien du travail

242 (1) Sur réception du rapport visé au paragraphe 241(3), le ministre peut désigner en qualité d’arbitre la personne qu’il juge qualifiée pour entendre et trancher l’affaire et lui transmettre la plainte ainsi que l’éventuelle déclaration de l’employeur sur les motifs du congédiement.

242 (1) The Minister may, on receipt of a report pursuant to subsection 241(3), appoint any person that the Minister considers appropriate as an adjudicator to hear and adjudicate on the complaint in respect of which the report was made, and refer the complaint to the adjudicator along with any statement provided pursuant to subsection 241(1).

(2) Pour l’examen du cas dont il est saisi, l’arbitre :

(2) An adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1)

a) dispose du délai fixé par règlement du gouverneur en conseil;

(a) shall consider the complaint within such time as the Governor in Council may by regulation prescribe;

b) fixe lui‑même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d’une part, et de tenir compte de l’information contenue dans le dossier, d’autre part;

(b) shall determine the procedure to be followed, but shall give full opportunity to the parties to the complaint to present evidence and make submissions to the adjudicator and shall consider the information relating to the complaint; and

c) est investi des pouvoirs conférés au Conseil canadien des relations industrielles par les alinéas 16a), b) et c).

(c) has, in relation to any complaint before the adjudicator, the powers conferred on the Canada Industrial Relations Board, in relation to any proceeding before the Board, under paragraphs 16(a), (b) and (c).

(3) Sous réserve du paragraphe (3.1), l’arbitre :

(3) Subject to subsection (3.1), an adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1) shall

a) dispose du délai fixé par règlement du gouverneur en conseil;

(a) consider whether the dismissal of the person who made the complaint was unjust and render a decision thereon; and

b) fixe lui‑même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d’une part, et de tenir compte de l’information contenue dans le dossier, d’autre part;

(b) send a copy of the decision with the reasons therefor to each party to the complaint and to the Minister.

(3.1) L’arbitre ne peut procéder à l’instruction de la plainte dans l’un ou l’autre des cas suivants :

(3.1) No complaint shall be considered by an adjudicator under subsection (3) in respect of a person where

a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d’un poste;

(a) that person has been laid off because of lack of work or because of the discontinuance of a function; or

b) la présente loi ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours.

(b) a procedure for redress has been provided elsewhere in or under this or any other Act of Parliament.

(4) S’il décide que le congédiement était injuste, l’arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l’employeur :

(4) Where an adjudicator decides pursuant to subsection (3) that a person has been unjustly dismissed, the adjudicator may, by order, require the employer who dismissed the person to

a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu’il aurait normalement gagné s’il n’avait pas été congédié;

(a) pay the person compensation not exceeding the amount of money that is equivalent to the remuneration that would, but for the dismissal, have been paid by the employer to the person;

b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;

(b) reinstate the person in his employ; and

c) de prendre toute autre mesure qu’il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.

(c) do any other like thing that it is equitable to require the employer to do in order to remedy or counteract any consequence of the dismissal.

243 (1) Les ordonnances de l’arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.

243 (1) Every order of an adjudicator appointed under subsection 242(1) is final and shall not be questioned or reviewed in any court.

(2) Il n’est admis aucun recours ou décision judiciaire — notamment par voie d’injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto — visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l’action d’un arbitre exercée dans le cadre de l’article 242.

(2) No order shall be made, process entered or proceeding taken in any court, whether by way of injunction, certiorari, prohibition, quo warranto or otherwise, to question, review, prohibit or restrain an adjudicator in any proceedings of the adjudicator under section 242.

[Emphasis added]

[Non souligné dans l’original]


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1213‑16

 

INTITULÉ :

CLAUDIO ORTU c CFMB LIMITED

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 JUIN 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

 

LE 7 JUILLET 2017

 

COMPARUTIONS :

Claudio Ortu

 

POUR LE demandeur

 

Thang Nguyen

 

POUR LA défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Blank

POUR LE demandeur

 

Evanov Radio Group

Conseiller juridique interne

Montréal (Québec)

 

POUR LA défenderesse

 

 

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