Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20170530


Dossier : T-538-16

Référence : 2017 CF 531

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 mai 2017

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

CHERYL FLAIG

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision, datée du 24 février 2016, par laquelle la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale [la division d’appel] a refusé à la demanderesse l’autorisation de faire appel d’une décision de la division générale de ce même Tribunal [la division générale] sur la question de la rétroactivité des prestations que la demanderesse était par ailleurs considérée comme fondée à recevoir au titre du Régime de pensions du Canada, LRC (1985), c C‑8 (le RPC).

II.  Contexte

[2]  La demanderesse est une veuve âgée de 46 ans, mère de deux jeunes enfants. Son mari – le père des deux enfants – est décédé tragiquement le 31 juillet 2007. À la suite du décès de son mari, elle est devenue admissible à des prestations de survivante au titre du RPC.

[3]  Cependant, la demanderesse n’a réclamé lesdites prestations qu’en janvier 2012. Sa demande a été acceptée, et les versements devaient commencer rétroactivement en février 2011. La demanderesse a demandé aux autorités du RPC de réexaminer la date de son admissibilité afin que les versements soient rétroactifs à la date du décès de son mari. Elle a expliqué que, en raison du traumatisme entraîné par ce tragique événement, elle avait été incapable de s’occuper des formalités préalables au versement de ces prestations. Elle a ajouté que sa situation s’était compliquée davantage en 2009 lorsqu’elle-même, ses enfants et sa mère avaient été impliqués dans un grave accident de voiture.

[4]  Sa demande de réexamen a été refusée, de même que son appel ultérieur à la division générale. Devant la division générale, la demanderesse s’est exprimée sur les difficultés qu’elle avait rencontrées après le décès de son mari. Elle a affirmé souffrir d’un trouble de déficit de l’attention, ajoutant que l’un de ses enfants, chez qui ont été diagnostiqués des troubles de développement neurologique, requiert toute son attention. Elle a expliqué avoir engagé un avocat et un comptable pour qu’ils liquident l’entreprise dont elle était copropriétaire avec son défunt mari et qu’ils vendent leur domicile. Elle avait présumé que l’avocat ou le comptable allait faire la demande de versement des prestations en son nom et ne s’est rendu compte qu’en 2011 qu’elle devait s’en occuper elle-même.

[5]  La demanderesse a aussi présenté un rapport de son médecin de famille, le Dr R. Arthur Harpur, dans lequel celui‑ci écrivait qu’elle [traduction« a eu beaucoup de mal à se concentrer sur les tâches requérant une attention immédiate, notamment celles qui faisaient surgir un débordement émotionnel », ajoutant qu’il croyait que [traduction« ces facteurs expliquent largement son incapacité de s’occuper des documents requis par le Régime de pensions du Canada pour sa demande de prestations de survivante ».

[6]  La division générale a conclu que la demanderesse n’avait pas établi, comme le requiert le paragraphe 60(9) du RPC, qu’elle n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestations de survivante avant la date à laquelle celle‑ci avait réellement été faite. En conséquence, elle a rejeté son appel.

[7]  La demanderesse a alors tenté d’obtenir l’autorisation d’interjeter appel de cette décision devant la division d’appel, affirmant que la division générale avait commis plusieurs erreurs, à savoir, comme les résumait la division d’appel au paragraphe 3 de ses motifs, les erreurs suivantes :

a)  Elle a contrevenu à la théorie des attentes légitimes et n’a pas observé un principe de justice naturelle, en n’acceptant pas le certificat d’incapacité du médecin de la demanderesse;

b)  Elle n’a pas respecté un principe de justice naturelle lorsqu’elle a manqué de transmettre un avis à la demanderesse pour lui faire part que la présente affaire se référera à l’affaire Procureur général c. Danielson, 2008 CAF 78 (CanLII). Le représentant affirme que la division générale a aussi commis une erreur d’interprétation de l’affaire Danielson en tant que fondement pour faire abstraction de la preuve médicale;

c)  Elle s’est fondée sur l’affaire Danielson, même si les faits de l’affaire sont différents des circonstances de l’affaire de la demanderesse;

d)  Elle a outrepassé sa compétence en formulant sa propre opinion médicale au lieu de prendre en compte l’opinion du médecin de la demanderesse. Le représentant allègue que la division générale n’avait pas les compétences requises pour tirer des conclusions au sujet de l’état de santé de la demanderesse;

e)  Elle a interprété les dispositions relatives à l’incapacité du Régime de pensions du Canada de façon restrictive;

f)  Elle n’a pas appliqué le bon fardeau de la preuve. Le représentant soutient qu’en concluant qu’il n’y avait pas assez d’éléments de preuve d’incapacité, malgré l’avis d’expert qui lui a été présenté, la division générale a exigé, dans les faits, un fardeau de preuve plus lourd. Le représentant soutient que le seul critère que devait respecter la demanderesse était qu’elle devait obtenir un certificat d’incapacité. Cela fait, elle s’est acquittée du fardeau de la preuve;

g)  Elle a mal apprécié la preuve. Le représentant avance que la division générale a accordé trop d’importance aux éléments de preuve relatives aux activités de la demanderesse. Le représentant affirme que le poids a été mal accordé et que la division générale aurait dû avoir accordé plus de poids aux éléments de preuve du médecin, qui a accès à l’intégralité du dossier médical de la demanderesse. Le représentant avance que la division générale a entravé son propre pouvoir discrétionnaire en n’interprétant pas la preuve correctement;

h)  Elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée qui est que la demanderesse avait la capacité de formuler et d’exprimer son intention de présenter une demande de pension de survivant, malgré le certificat médical d’incapacité;

i)  Elle a porté atteinte aux droits à l’égalité de la demanderesse en vertu de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte). Le représentant soutient que [traduction] « les femmes et leurs enfants qui survivent le suicide de leur père sont disproportionnels […] affectés de manière négative par une législation exagérément restrictive limitant la récupération de leur pension de survivant ».

[8]  La division d’appel a rejeté la demande d’autorisation d’interjeter appel déposée par la demanderesse parce qu’elle n’était pas convaincue que l’appel avait une chance raisonnable de succès, selon ce que requiert le paragraphe 58(2) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC (2005), c 34, quant à l’un des trois moyens d’appel ouverts à quiconque souhaite contester une décision de la division générale, à savoir : i) un manquement à un principe de justice naturelle; ii) une erreur de droit; ou iii) une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance (voir aussi : Canada (Procureur général) c O’Keefe, 2016 CF 503, aux paragraphes 36 et 37 [O’Keefe]).

III.  Point litigieux

[9]  La demanderesse affirme que la division d’appel s’est trompée sur un fait essentiel quand elle a estimé que la déclaration requise d’incapacité, une fois produite, avait été évaluée et examinée par la division générale, mais jugée insuffisante en elle-même pour répondre au critère juridique de l’incapacité. Elle précise que cette erreur n’est pas imputable à la division d’appel, mais plutôt au fait que l’avocat du défendeur a laissé croire à la division d’appel que la déclaration d’incapacité avait été portée à la connaissance de la division générale, alors que ce n’était pas le cas. La demanderesse prétend que cela a pour effet d’invalider la décision de la division d’appel.

[10]  C’est là l’unique moyen soulevé par la demanderesse pour attaquer la décision de la division d’appel, bien qu’elle sollicite plusieurs jugements déclaratoires concernant de prétendus problèmes systémiques touchant le mode de fonctionnement du Tribunal de la sécurité sociale, un mode de fonctionnement qui, selon elle, est trop lourd et incommode et devrait être simplifié. Comme je l’ai indiqué à l’avocat de la demanderesse à l’audience, même à supposer qu’il soit loisible à la Cour d’entreprendre un tel examen opérationnel autonome du fonctionnement de ce Tribunal, ce que voudrait la demanderesse en l’occurrence comporte au moins trois difficultés. D’abord, ce moyen n’a été soulevé ni devant la division d’appel ni devant la division générale et, en conséquence, il échappe au cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Deuxièmement, vu ce qui précède, ce moyen est soulevé dans un vide factuel complet, et il serait donc tout à fait paradoxal pour la Cour d’entreprendre un tel examen. Troisièmement, la demanderesse n’a pas démontré que cette question, si elle est résolue en sa faveur, serait déterminante, en totalité ou en partie, pour l’issue de sa demande de contrôle judiciaire.

[11]  Il est bien établi en droit que le pouvoir de surveillance que confèrent à la Cour les articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F‑7, est de nature discrétionnaire (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 40). Autrement dit, lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire la Cour a le pouvoir discrétionnaire d’accorder ou non un redressement, à condition évidemment que ce pouvoir soit exercé judiciairement et dans le respect des principes applicables. Pour les motifs que je viens d’exposer, il s’agit ici d’un cas où la demanderesse n’est pas recevable à prétendre que la procédure à suivre devant le Tribunal de la sécurité sociale du Canada est contraignante. L’avocat de la demanderesse ne s’est pas attardé davantage sur la question à l’audience.

IV.  Analyse

[12]  Le paragraphe 72(1) du RPC prévoit, comme règle générale, que des prestations de survivant peuvent être versées rétroactivement jusqu’à 11 mois avant la date de présentation de la demande de prestations. Cependant, selon les paragraphes 60(9) et (10) du RPC, lorsque le ministre responsable du RPC [le ministre] est convaincu que le demandeur n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestations, les prestations peuvent être versées rétroactivement à partir du mois qui précède celui au cours duquel l’incapacité a commencé, à condition que la période d’incapacité soit continue.

[13]  Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Danielson, 2008 CAF 78 [Danielson], la Cour d’appel fédérale avait fait sienne l’approche adoptée par la Commission d’appel des pensions de l’époque dans l’affaire Morrison c Le ministre du Développement des ressources humaines (Appel CP 04182, 7 mars 1997). Dans cette affaire, la Commission avait conclu que l’article 60 du RPC « n’exige pas de prendre en compte la capacité de présenter, de préparer, de traiter ou de remplir une demande de prestations d’invalidité, mais seulement et tout simplement ‘la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande’ ». La Commission avait ajouté que, pour trancher cette question, il était nécessaire de considérer à la fois la preuve médicale et « les activités pertinentes de la personne en cause entre la date prétendue de début de l’invalidité et la date de la demande, ce qui nous informe sur la capacité de cette personne pendant la période en question ‘de former et d’exprimer l’intention’ de faire une demande » (Danielson, aux paragraphes 5 et 6).

[14]  Comme indiqué plus haut, la division générale, en accord avec l’arrêt Danielson, a considéré à la fois la preuve constituée par le certificat médical du Dr Harpur, daté du 18 juin 2012, et les activités pertinentes de la demanderesse au cours de la prétendue période d’incapacité. Les principales conclusions de la division générale sur cet aspect sont formulées ainsi :

[traduction]

[35]  Dans son rapport, le Dr Harpur relève que l’appelante présente un trouble de déficit de l’attention et qu’elle avait beaucoup de mal à se concentrer sur ses tâches; cet état expliquait largement son incapacité à remplir les documents requis pour sa demande de prestations. Cependant, le libellé de la Loi est que l’intéressé doit être dans l’incapacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande. […]

[36]  Dans l’appel dont le Tribunal est saisi, il ne fait aucun doute que l’appelante a traversé une période très difficile. Elle a vécu une tragédie et elle avait d’importantes responsabilités familiales. Elle a dû reconstruire sa vie. Le Tribunal est sensible à tous les défis qu’a dû relever l’appelante. Toutefois, il doit considérer que le critère à appliquer n’est pas de savoir si elle était en mesure de remplir les formulaires, il est de savoir si elle avait la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestations. Et le Tribunal, dans l’application de ce critère, doit tenir compte des démarches qu’elle a accomplies de 2007 à 2011.

[37]  Ces considérations à l’esprit, le Tribunal relève que, même si, selon le Dr Harpur, l’appelante avait du mal à remplir les documents requis pour sa demande de prestations, le critère est de savoir si elle avait la capacité de former ou d’exprimer l’intention requise. La preuve ne permet pas de conclure qu’elle était privée de cette capacité. Le Tribunal ne peut ignorer qu’elle a eu la capacité de former ou d’exprimer l’intention de prendre des décisions nécessaires et importantes durant cette période. Elle a liquidé une entreprise et vendu une maison. Elle a pu bénéficier de l’aide d’un avocat, d’un comptable et d’un agent immobilier, et elle avait donc la capacité de former ou d’exprimer une intention d’entreprendre de telles démarches. Le Tribunal reconnaît que l’appelante n’a pas, durant cette période, demandé le versement de diverses prestations auxquelles elle avait droit. Toutefois, le seuil fixé pour l’incapacité est davantage que l’incapacité de remplir des formulaires ou de présenter la demande, c’est tout bonnement l’incapacité de former ou d’exprimer l’intention de présenter effectivement la demande.

[15]  La demanderesse affirme que la décision de la division générale est foncièrement viciée parce que la déclaration d’incapacité signée par le Dr Harpur, le 13 novembre 2012, n’a pas été présentée à la division générale, ce qui n’est apparu que durant la présente procédure de contrôle judiciaire, après que la demanderesse et la division d’appel eurent été amenées à croire que ce document avait été présenté à la division générale, et que celle‑ci l’avait dûment examiné. La demanderesse soutient que, dans la mesure où une telle déclaration est une étape préalable à la conclusion d’existence d’une incapacité, il était impossible pour la division générale de tirer une telle conclusion en l’absence de ce document.

[16]  Il en résulte, selon la demanderesse, que le processus tout entier est vicié, ce qui, en soi, justifie d’invalider la décision de la division d’appel, car il serait absurde d’avancer des arguments sur la valeur probante accordée à la déclaration d’incapacité et sur la question de savoir si cette valeur probante était fondée en droit, maintenant qu’il est acquis que ce document n’a en fait nullement été pris en compte par la division générale. Autrement dit, selon la demanderesse, l’assise factuelle de tels arguments est inexistante à cause de cette erreur et l’affaire doit donc être renvoyée à la division générale pour nouvelle décision fondée sur la réalité des faits.

[17]  Malheureusement, et loin de moi ici l’idée de mettre en doute les moments très difficiles que la demanderesse a dû traverser – et qu’elle traverse encore certainement – par suite de la perte tragique de son mari, ce raisonnement ne tient pas, et cela pour plusieurs raisons.

[18]  D’abord, je ne crois pas qu’il soit juste d’affirmer que la division d’appel a pu être conduite à penser que la déclaration d’incapacité signée par le Dr Harpur avait été portée à la connaissance de la division générale et examinée par elle; et je ne crois pas non plus que cette supposée fausse impression a joué un rôle déterminant dans la décision de la division d’appel de rejeter la demande d’autorisation. Le défendeur évoque effectivement cette déclaration dans ses conclusions écrites adressées à la division d’appel, en précisant qu’elle avait été reçue par le « défendeur » – c’est‑à‑dire les autorités du RPC – le 30 novembre 2012, mais il précise aussi que, alors même qu’il s’était référé à ce document dans ses conclusions adressées à la division générale, il n’avait pas été en mesure de trouver un exemplaire codé de ce document dans les dossiers de la division générale qu’il avait en sa possession.

[19]  Je suis persuadé qu’une lecture impartiale des conclusions du défendeur adressées à la division d’appel tend à démontrer que le message du défendeur était plutôt que la déclaration d’incapacité signée par le Dr Harpur n’avait sans doute pas été soumise à la division générale et que celle‑ci ne l’avait donc pas considérée. Je reconnais aussi avec le défendeur que ces conclusions montrent qu’il n’importait pas que la déclaration d’incapacité ait pu ne pas être soumise à la division générale puisqu’elle renfermait des renseignements semblables – encore que moins détaillés – à ceux qui apparaissaient dans le certificat médical signé par le Dr Harpur quelques semaines auparavant.

[20]  Du reste, les motifs de la division d’appel n’appuient nullement la prétention de la demanderesse selon laquelle sa décision était largement influencée par le fait que la déclaration d’incapacité avait été prise en compte par la division générale. Le fond de la décision de la division d’appel est plutôt que les opinions médicales, qu’elles soient en la forme requise par les autorités du RPC, c’est‑à‑dire en la forme d’une déclaration d’incapacité ou d’un certificat médical, ou qu’elles se présentent d’une autre manière, ne permettent pas de conclure à une incapacité au sens de l’article 60 de la Loi puisque le critère juridique, énoncé dans l’arrêt Danielson, requiert du décideur qu’il considère plutôt les actions ou activités de la demanderesse durant la prétendue période d’incapacité. Plus précisément, la division d’appel a estimé que la production d’une déclaration ou d’un certificat ne suffit pas à remplir ce critère juridique, ni ne dispense un demandeur de prouver le bien-fondé de sa prétention, ni ne l’autorise à croire qu’un tel document sera admis comme preuve concluante de son incapacité.

[21]  En résumé, la décision de la division d’appel ne tient nullement à la question de savoir si la division générale a pris en compte la déclaration d’incapacité signée par le Dr Harpur, et je ne puis discerner chez le défendeur aucune attitude répréhensible sur ce point.

[22]  Deuxièmement, la demanderesse n’est pas fondée à prétendre qu’une déclaration d’incapacité est un préalable au constat, par la division générale, de la réalité d’une incapacité selon l’article 60 de la Loi. Une telle déclaration est une exigence des autorités du RPC, et non du Tribunal de la sécurité sociale, ni même de la Loi. C’est une exigence purement administrative. Elle constitue l’un de plusieurs facteurs dont il est tenu compte pour savoir si un bénéficiaire du RPC est ou non capable. Encore une fois, le critère juridique est le suivant : la preuve médicale ne détermine pas l’incapacité, car il appartient au décideur d’évaluer cette preuve à l’aune des actions ou activités pertinentes de l’intéressé durant la supposée période d’incapacité. Par conséquent, la déclaration d’incapacité ne constitue qu’un facteur dans cette analyse, et non le facteur déterminant.

[23]  Troisièmement, il ne s’agit pas ici d’un cas où la division générale a passé outre à la preuve médicale qui lui avait été soumise. La division générale a bien pris en compte le certificat médical du Dr Harpur de juillet 2012, qui donnait un compte rendu plus détaillé de l’état de la demanderesse que ne le faisait plus tard la déclaration d’incapacité, qui n’est qu’un formulaire d’une page rempli par le Dr Harpur. Comme l’a indiqué la division d’appel, il semble que la division générale avait accepté la preuve produite par le Dr Harpur, mais que, sachant que la demanderesse avait été en mesure, durant la supposée période d’incapacité, de prendre d’importantes décisions, elle avait estimé que cette preuve ne l’autorisait pas à conclure à une absence de capacité au sens de l’article 60.

[24]  Je souscris à l’argument du défendeur pour qui, dans un tel contexte, le fait que la déclaration d’incapacité signée par le Dr Harpur ait pu ne pas avoir été portée à la connaissance de la division générale est sans conséquence puisque les renseignements contenus dans cette déclaration étaient, à toutes fins utiles, déjà entre les mains de la division générale et qu’ils ont été considérés par elle.

[25]  Pour recevoir les prestations de survivante à partir de la date du décès de son mari jusqu’à la date à laquelle elle a effectivement déposé sa demande en 2012, la demanderesse devait démontrer que, durant toute cette période, elle avait été, sans discontinuer, incapable de « former ou d’exprimer l’intention de faire une demande », et non pas incapable de présenter, de préparer, de traiter ou de remplir une telle demande (Danielson, aux paragraphes 5 et 6). La division générale a estimé que la demanderesse n’avait pas satisfait à cette exigence puisqu’il était établi que, durant cette période, elle avait été en mesure de prendre d’importantes décisions, par exemple engager un agent immobilier pour qu’il vende sa maison, un avocat pour qu’il présente en son nom une réclamation à son assureur, et à la fois un avocat et un comptable pour qu’ils procèdent à la liquidation de l’entreprise familiale. Si sa demande d’autorisation présentée à la division d’appel a été rejetée, c’est parce que la division d’appel était convaincue que l’appel de la demanderesse n’avait aucune chance raisonnable de succès.

[26]  Les décisions de la division d’appel d’accorder ou non l’autorisation d’interjeter appel sont susceptibles de révision par la Cour selon la norme de la décision raisonnable (O’Keefe, au paragraphe 17). Cela signifie qu’une décision de cette nature commande une importante retenue judiciaire et que la Cour n’interviendra que si la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 R.C.S. 190 [Dunsmuir]).

[27]  La décision de la division d’appel est, en l’occurrence, détaillée, approfondie et éclairée, et je ne vois aucune raison de l’infirmer. Mais, chose plus importante, je ne vois aucune raison d’intervenir au motif que la déclaration d’incapacité signée par le Dr Harpur n’aurait pas été portée à la connaissance de la division générale, ce dont la division d’appel a été informée par le défendeur et ce qui, comme je l’ai déjà dit, est sans conséquence dans la présente affaire.

[28]  Je note que, au soutien de sa demande de contrôle judiciaire, la demanderesse a produit un affidavit de son père, qui montre combien celui‑ci l’a soutenue dans toutes les grandes décisions qu’elle a dû prendre à la suite du décès de son mari. Eu égard à la position qu’elle a adoptée devant la Cour, une position axée pour l’essentiel sur le fait que la déclaration d’incapacité n’avait pas été soumise à la division générale et sur les prétendues fausses impressions données par le défendeur à ce chapitre, l’intérêt de cet affidavit dans un tel contexte est assez difficile à cerner. Et même s’il ne l’était pas, l’affidavit serait irrecevable puisqu’il n’a pas été soumis à la division générale. Comme cela est bien établi aujourd’hui, sauf quelques exceptions qui ne sont pas applicables ici, la preuve soumise à la Cour dans une procédure de contrôle judiciaire se limite à celle qui a été soumise au décideur administratif. En d’autres termes, la preuve qui n’a pas été soumise au décideur et qui intéresse le bien-fondé de l’affaire dont il était saisi n’est pas recevable dans une demande de contrôle judiciaire présentée à la Cour (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency, 2012 CAF 22, au paragraphe 19).

[29]  La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée. Le défendeur voudrait obtenir ses dépens tandis que la demanderesse voudrait être autorisée à présenter des conclusions sur cet aspect. L’autorisation lui est accordée. La demanderesse dispose d’une semaine à compter de la date des présents motifs pour signifier et déposer ses conclusions. Le défendeur disposera d’une semaine à compter de la date à laquelle les conclusions de la demanderesse lui seront signifiées pour déposer et signifier sa réponse. Les conclusions des parties sur les dépens devront être présentées sous la forme d’une lettre ne dépassant pas deux pages. Dans l’esprit de l’Avis de la Cour aux parties et à la communauté juridique, publié le 30 avril 2010, les parties sont invitées à déployer tous les efforts raisonnables pour s’entendre sur la question et/ou le quantum des dépens.


JUGEMENT

LE JUGEMENT DE LA COUR est le suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Les dépens seront adjugés sur la base des conclusions des parties, qui seront signifiées et déposées ainsi que le prévoit le paragraphe 29 des présents motifs.

« René LeBlanc »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑538‑16

 

INTITULÉ :

CHERYL FLAIG c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE-bRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 JANVIER 2017

 

JUGeMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 MAI 2017

 

COMPARUTIONS :

Gavin Laird

 

POUR La demanderesse

 

James Gray et Hasan Junaid

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Laird & Company

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR La demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.