Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20160617


Dossier : T-662-16

Référence : 2016 CF 681

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 juin 2016

En présence de monsieur le juge Boswell

RECOURS COLLECTIF ENVISAGÉ

ENTRE :

VOLTAGE PICTURES, LLC,

COBBLER NEVADA, LLC,

PTG NEVADA, LLC,

CLEAR SKIES NEVADA, LLC,

GLACIER ENTERTAINMENT S.A.R.L.

DU LUXEMBOURG,

GLACIER FILMS 1, LLC, ET

FATHERS & DAUGHTERS NEVADA, LLC

demanderesses

et

JOHN DOE NO 1, REPRÉSENTANT DÉFENDEUR PROPOSÉ, AU NOM DES DÉFENDEURS D’UN RECOURS COLLECTIF

défendeur

et

ROGERS COMMUNICATIONS INC.

défenderesse non-partie

(requête en divulgation des demanderesses seulement)

et

CLINIQUE D’INTÉRÊT PUBLIC ET DE POLITIQUE INTERNET

DU CANADA SAMUELSON-GLUSHKO

intervenante proposée

ORDONNANCE ET MOTIFS

Demande jugée sur dossier sans comparution des parties sur la base de représentations écrites, en application de l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106

[1]               Les demanderesses ont déposé une déclaration en vue d’un éventuel recours collectif, demandant entre autres un jugement déclaratoire et une injonction contre le défendeur, dont l’identité leur est actuellement inconnue. Il est allégué que le défendeur (et d’autres comme lui) a partagé illégalement des fichiers sur Internet et a ainsi enfreint les droits d’auteur que les demanderesses détenaient à l’égard de plusieurs films. Les demanderesses souhaitent faire autoriser cette action comme soi-disant recours collectif « inversé » et, à cette fin, elles ont introduit une requête en ordonnance obligeant Rogers Communications Inc. [« Rogers »] à divulguer les coordonnées et les renseignements personnels du titulaire d’un compte associé à une certaine adresse de protocole Internet à divers moments, tel qu’il est énoncé dans la requête. Cette requête [la « requête en divulgation »] est actuellement en instance devant la Cour et est rapportable devant moi le 28 juin 2016, à titre de juge chargé de la gestion de l’instance dans cette affaire.

[2]               L’intervenante proposée, la Clinique d’intérêt public et de politique Internet du Canada Samuelson-Glushko [la « CIPPIC »], souhaite intervenir non seulement dans la requête en divulgation des demanderesses, mais également d’une manière plus générale, et sur la base de ses prétentions écrites, dans la requête des demanderesses en vue d’un recours collectif envisagé. Elle a présenté une requête en application des articles 109 et 369 des Règles des Cours fédérales, demandant que la CIPPIC soit autorisée à intervenir dans cette instance, à titre d’intervenante représentant l’intérêt public. Il semble que la CIPPIC demande également un ajournement de la requête en divulgation, mais cette demande n’est pas mentionnée dans son projet d’ordonnance proposé ou dans ses prétentions écrites relatives à sa requête en intervention.

[3]               La CIPPIC est une clinique juridique d’intérêt public dédiée à la technologie dont le mandat est d’assurer une prise de décisions équilibrée concernant les questions juridiques et politiques découlant du droit et de la technologie. Elle a pour objectif de garantir que les lois canadiennes servent l’intérêt public. La CIPPIC prétend qu’elle a un intérêt réel dans le caractère d’intérêt public de cette instance, qui met en balance l’application des droits de propriété intellectuelle, les intérêts des utilisateurs d’Internet et les droits des individus à la protection de leur vie privée. Tous ces intérêts reposent au centre du mandat de la CIPPIC. La CIPPIC cite de nombreuses instances et affaires dans lesquelles on lui a accordé le statut d’intervenante, notamment devant notre Cour (voir Volatage Picture LLC c. John Doe, 2014 CF 161, et Voltage Pictures LLC c. Untel, 2015 CF 1364).

[4]               La CIPPIC affirme que la requête en divulgation soulève d’importantes questions d’intérêt public. La CIPPIC dit qu’elle apporte un point de vue d’intérêt public important, différent de celui des parties à l’instance. Si on lui accorde l’autorisation d’intervenir, la CIPPIC affirme qu’elle abordera différentes questions, dont les suivantes :

(a)                Faudrait-il ajouter des mesures de protection additionnelles à l’ordonnance de communication demandée, notamment pour protéger les attentes élevées des personnes touchées en ce qui concerne le caractère privé des activités en ligne anonymes?

(b)               Est-il indiqué d’identifier une personne anonyme dans le but d’identifier le représentant défendeur du recours collectif, alors qu’il est peu probable que la personne accepte de jouer un tel rôle ou de présenter une défense vigoureuse au nom des défendeurs d’un recours collectif?

(c)                Est-il indiqué, à la lumière de la possibilité que la plupart des personnes choisissent d’exercer leur droit de « se retirer » de ce recours collectif proposé, d’obliger l’identification de personnes à cette étape et sans mesures de protection additionnelles?

(d)               L’entrée en vigueur de nouveaux amendements à la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, vient-elle modifier la règle historique selon laquelle les coûts de la divulgation doivent être assumés par ceux qui cherchent à faire appliquer leurs droits de propriété intellectuelle, et non par de tierces parties innocentes obligées d’aider à la divulgation afin de permettre l’identification de leurs clients? Si oui, dans quelle mesure?

[5]               Pour leur part, les demanderesses ne s’opposent pas fermement à ce que l’intervenante proposée soit autorisée à obtenir le statut d’intervenante, tant que ce statut se limite à la requête en divulgation. Les demanderesses affirment que, si la CIPPIC obtient l’autorisation d’intervenir, sa participation ne doit pas venir compliquer exagérément la requête en divulgation, et doit se limiter aux questions qu’elle pourrait aborder dans cette requête. En particulier, les demanderesses avancent que la CIPPIC ne doit pas être autorisée à se pencher sur la question de savoir qui paie les dépens de toute divulgation qui serait ordonnée à la suite de la requête en divulgation, parce cette question sera traitée comme il se doit par Rogers. Quoi qu’il en soit, les demanderesses soutiennent que la CIPPIC a fait remarquer, lors de la conférence de gestion de l’instance le 7 juin 2016, qu’elle a demandé à intervenir plus en tant qu’intervenante bénévole qu’en tant que partie active, et qu’elle ne souhaite pas déposer d’éléments de preuve ou contre-interroger des déposants.

[6]               Rogers ne s’est pas opposée à ce que la CIPPIC obtienne le statut d’intervenante, et n’a pas pris position sur ce point. On ne peut affirmer la même chose en ce qui concerne sa position sur la requête en divulgation, alors qu’elle affirme que, contrairement à la position des demanderesses, elle a droit au remboursement de dépens raisonnables pour toute divulgation demandée.

[7]               La principale question à trancher concernant cette requête, c’est de savoir si l’intervention de la CIPPIC aidera la Cour à entendre la requête en divulgation et servira les intérêts de la justice. À cet égard, il faudrait prendre en considération les six facteurs indiqués par la Cour dans l’affaire Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Canada (Procureur général), [1990] 1 CF 74, 29 FTR 267, au paragraphe 12 (infirmée pour d’autres motifs [1990] 1 CF 90). Ces facteurs ne sont pas exhaustifs. Ils n’ont pas à être satisfaits tous les six. Les questions à examiner sont les suivantes :

(a)                La personne qui se propose d’intervenir est-elle directement touchée par l’issue du litige?

(b)               Y a-t-il une question qui est de la compétence des tribunaux ainsi qu’un véritable intérêt public?

(c)                S’agit‑il d’un cas où il semble n’y avoir aucun autre moyen raisonnable ou efficace de soumettre la question à la Cour?

(d)               La position de la personne qui se propose d’intervenir est-elle défendue adéquatement par l’une des parties au litige?

(e)                L’intérêt de la justice sera‑t‑il mieux servi grâce à l’intervention de l’intervenante proposée?

(f)                La Cour peut‑elle entendre l’affaire et statuer sur le fond sans autoriser l’intervention?

[8]               Ces facteurs ont été récemment réitérés et confirmés par la Cour d’appel fédérale dans Sport Maska Inc. c. Bauer Hockey Corp., 2016 CAF 44, et également dans Première nation de Prophet River c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 120.

[9]               Après avoir examiné ces facteurs, j’ai conclu que le statut d’intervenante devait être accordé à la CIPPIC dans la requête en divulgation, ne serait-ce que parce que Rogers, dans ses observations écrites en réponse à la requête en divulgation, n’a pas pris position quant à la question de savoir si les demanderesses avaient satisfait au critère applicable pour obtenir une ordonnance de divulgation. En l’absence d’une telle intervention, la requête en divulgation des demanderesses n’aurait en effet pas d’opposition (bien que Rogers s’oppose à la requête des demanderesses pour que Rogers ne reçoive aucune somme ni aucun débours relativement à la divulgation issue de la requête en divulgation).

[10]           L’intervenante proposée a soulevé la question des mesures de protection à ajouter à toute ordonnance de divulgation issue de la requête en divulgation, et a promis, si elle est autorisée à intervenir, de se pencher sur cette question. La Cour sera mieux outillée pour arriver à une décision convenable et éclairée sur la requête en divulgation après avoir entendu des points de vue différents et opposés concernant la demande présentée par les demanderesses pour que soient divulgués les coordonnées et les renseignements personnels du titulaire d’un compte Rogers associé à une certaine adresse de protocole Internet.

[11]           La Cour ne serait pas mieux servie, toutefois, si l’intervention de la CIPPIC dans la requête en divulgation était illimitée et semblable à celle d’une partie. Je suis d’accord avec les demanderesses qu’il est prématuré et hypothétique pour la CIPPIC de soulever et de défendre des questions qui constituent dûment l’objet d’une requête et d’une audience anticipées relativement à l’autorisation du recours collectif proposé.

[12]           En conséquence, l’intervention de la CIPPIC concernant la requête en divulgation devrait être limitée et répondre aux conditions suivantes :

(a)                La CIPPIC peut signifier et déposer des prétentions écrites le ou avant le 22 juin 2016, à midi, et ces représentations ne doivent pas reproduire celles des demanderesses ou de Rogers déjà présentées dans la requête en divulgation.

(b)               Les prétentions écrites de la CIPPIC doivent respecter les articles 65 à 68 et 70 des Règles des Cours fédérales et ne pas dépasser dix pages.

(c)                La CIPPIC peut uniquement aborder dans ses prétentions écrites les questions suivantes :

(i)                 le type et la quantité de données d’identification que Rogers doit fournir;

(ii)               les limites qui pourraient être imposées sur l’usage de ces données;

(iii)             le format de l’avis qu’il faudrait remettre au défendeur quand il recevra signification de l’avis de demande.

(d)               La CIPPIC ne doit pas être autorisée à ajouter quoi que ce soit au dossier de preuve dont dispose la Cour pour les besoins de la requête en divulgation, ou à contre-interroger tout déposant dont l’affidavit est inclus dans ce dossier.

(e)                La CIPPIC recevra signification de tous les documents déposés ou à déposer par les parties en ce qui a trait à la requête en divulgation.

(f)                La CIPPIC ne doit pas être autorisée à faire appel de toute décision dans la requête en divulgation sans l’autorisation de la Cour.

(g)               La CIPPIC pourra présenter des observations orales ne devant pas dépasser 20 minutes lors de l’audience de la requête en divulgation, et portant sur les questions énoncées au paragraphe 12(c) ci-dessus.

(h)               Aucuns dépens ne seront adjugés en faveur de la CIPPIC ou contre elle dans la requête en divulgation, à condition qu’elle participe de manière responsable à l’instance.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que l’intervenante proposée, la Clinique d’intérêt public et de politique Internet du Canada Samuelson-Glushko (CIPPIC), soit autorisée à intervenir en l’espèce dans la requête des demanderesses déposée le 25 mai 2016, sous réserve des conditions suivantes :

(a)                La CIPPIC peut signifier et déposer des prétentions écrites le ou avant le 22 juin 2016, à midi, et ces représentations ne doivent pas reproduire celles des demanderesses ou de Rogers déjà présentées dans la requête en divulgation.

(b)               Les prétentions écrites de la CIPPIC doivent respecter les articles 65 à 68 et 70 des Règles des Cours fédérales et ne pas dépasser dix pages.

(c)                La CIPPIC peut uniquement aborder dans ses prétentions écrites les questions suivantes :

(i)                 le type et la quantité de données d’identification que Rogers doit fournir;

(ii)               les limites qui pourraient être imposées sur l’usage de ces données;

(iii)             le format de l’avis qu’il faudrait remettre au défendeur quand il recevra signification de l’avis de demande.

(d)               La CIPPIC ne doit pas être autorisée à ajouter quoi que ce soit au dossier de preuve dont dispose la Cour pour les besoins de la requête en divulgation, ou à contre-interroger tout déposant dont l’affidavit est inclus dans ce dossier.

(e)                La CIPPIC recevra signification de tous les documents déposés ou à déposer par les parties en ce qui a trait à la requête en divulgation.

(f)                La CIPPIC ne doit pas être autorisée à faire appel de toute décision dans la requête en divulgation sans l’autorisation de la Cour.

(g)               La CIPPIC pourra présenter des observations orales ne devant pas dépasser 20 minutes lors de l’audience de la requête en divulgation, et portant sur les questions énoncées au paragraphe (c) ci-dessus.

(h)               Aucuns dépens ne seront adjugés en faveur de la CIPPIC ou contre elle dans la requête en divulgation, à condition qu’elle participe de manière responsable à l’instance.

LA COUR ORDONNE qu’aucuns dépens ne soient adjugés relativement à la présente requête.

« Keith M. Boswell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-662-16

INTITULÉ :

VOLTAGE PICTURES, LLC, COBBLER NEVADA, LLC, PTG NEVADA, LLC, CLEAR SKIES NEVADA, LLC, GLACIER ENTERTAINMENT S.A.R.L. DU LUXEMBOURG, GLACIER FILMS 1, LLC, ET FATHERS & DAUGHTERS NEVADA, LLC c. JOHN DOE NO 1, REPRÉSENTANT DÉFENDEUR PROPOSÉ AU NOM DES DÉFENDEURS D’UN RECOURS COLLECTIF c. ROGERS COMMUNICATIONS INC. c. CLINIQUE D’INTÉRÊT PUBLIC ET DE POLITIQUE INTERNET DU CANADA SAMUELSON-GLUSHKO

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO) EN VERTU DE L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 17 juin 2016

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Kenneth R. Clark

Paul V. McCallen

Patrick Copeland

 

Pour les demanderesses

 

Non représenté

Pour le défendeur

 

Andrew Bernstein

James Gotowiec

 

Pour la défenderesse non-partie

(requête en divulgation des demanderesses seulement)

 

David Fewer

Tamir Israel

Pour l’intervenante proposée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aird & Berlis LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demanderesses

 

Non représenté

Pour le défendeur

 

Torys LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la défenderesse non-partie

(requête en divulgation des demanderesses seulement)

 

Clinique d’intérêt public et de politique

Internet du Canada Samuelson-Glushko

Université d’Ottawa, Faculté de droit

Section de common law

Ottawa (Ontario)

Pour l’intervenante proposée

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.