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Date : 20170629


Dossier : IMM-4554-16

Référence : 2017 CF 623

Montréal (Québec), le 29 juin 2017

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

demandeur

et

ALEXANDRE CHIPOVALOV

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], à l’encontre de l’ordonnance de libération du 31 octobre 2016, rendue par une commissaire de la Section de l’immigration [SI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ayant procédé au contrôle des motifs de détention du défendeur.

II.                Faits

[2]               Le défendeur, citoyen russe âgé de 37 ans, est devenu résident permanent à son arrivée au Canada le 2 mai 1994, alors qu’il était âgé de 14 ans. Il est détenu depuis novembre 2013 pour un motif de risque de fuite.

A.                Historique de toxicomanie, de santé mentale et de criminalité du défendeur

[3]               Depuis l’âge de 12 ans, le défendeur est aux prises avec des problèmes de toxicomanie. Il a développé une dépendance à diverses drogues et, éventuellement, à l’héroïne. Il a tenté de suivre de nombreuses thérapies par le passé, notamment une cure de désintoxication à l’hôpital Saint-Luc débutée en 1998, un séjour au centre de réinsertion social Le Sentier du Nouveau Jour débuté en novembre 2008, une thérapie au Centre de réadaptation en toxicomanie Portage suivie de septembre 2009 à février 2010. Par le passé, le défendeur a fait plusieurs rechutes à la sortie de ses thérapies. Il traite présentement sa dépendance à l’aide de la méthadone et tente un sevrage de ce médicament.

[4]               Parallèlement à ses problèmes de toxicomanie, le défendeur souffre de problèmes psychiatriques. Différents psychiatres ont diagnostiqué chez lui des troubles dépressifs et anxieux et ont tenté divers traitements : Prozac pour traiter des symptômes de dépression et d’angoisse à l’hôpital Saint-Luc en 1998; Effexor XR pour traiter la dépression et l’anxiété à l’Hôtel-Dieu de Saint-Jérôme en 2000; Zyprexa pour traiter des crises d’angoisse et de colère à l’Hôtel-Dieu de Saint-Jérôme en septembre 2002. En octobre 2002, une évaluation psychiatrique à la clinique Cormier-Fontaine, confirmée en février 2005, a mené à un diagnostic imprécis de trouble de dysthymie (dépression chronique mineure) à l’Axe 1, ainsi qu’à un diagnostic imprécis de traits de personnalité antisociale et schizotypique à l’Axe 2. De nouveau, la prise de Prozac a été retenue comme traitement. Cependant, le défendeur allègue que les autorités carcérales refusent actuellement de lui fournir cette médication, ce qui expliquerait son instabilité ainsi que ses comportements erratiques et irrespectueux.

[5]               Entre 1999 et 2014, le défendeur a fait l’objet de condamnations criminelles. Le 11 mai 2000, il a plaidé coupable à des infractions commises avec violence le 7 décembre 1999 (vols et voies de faits) pour lesquelles il a été condamné à des amendes assortis d’une ordonnance de probation de deux ans. Le 26 septembre 2014, il a plaidé coupable à des accusations de vol, infractions commises le 25 septembre 2011 et pour lesquelles il a été condamné à une peine de quatre mois d’emprisonnement et à une probation de deux ans.

B.                 Historique d’immigration, de démarches de renvoi et de détention du défendeur

[6]               Le 2 mai 1994, le défendeur est arrivé au Canada avec sa famille et est devenu résident permanent.

[7]               Le 22 janvier 2002, la SI a émis une mesure d’expulsion contre le défendeur suite à une interdiction de territoire pour grande criminalité en vertu de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR.

[8]               Le 9 juin 2004, une demande d’appel auprès de la Section d’appel de l’immigration a été rejetée par désistement. À partir de cette date, l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] a entrepris des démarches en vue du renvoi du défendeur en Russie.

[9]               Le 30 avril 2007, une décision négative a été rendue dans le cadre de la demande d’examen des risques avant renvoi, mettant fin au sursis d’exécution de la mesure de renvoi.

[10]           Entre 2007 et 2016, l’ASFC a tenté d’obtenir un document de voyage afin de pouvoir exécuter le renvoi du défendeur. Elle s’est heurtée au manque de collaboration du défendeur et au refus du Consulat de la Russie d’émettre un tel document sans la demande expresse du défendeur.

[11]           Le 5 juillet 2010, le défendeur a été arrêté par l’ASFC en vue de son renvoi au motif qu’il était considéré comme un risque de fuite, qu’il ne s’était pas présenté pour sa convocation le 5 juillet 2010, qu’il ne coopérait pas avec l’ASFC pour son renvoi et qu’il ne désirait pas retourner en Russie. Le 15 juillet 2010, le défendeur a été remis en liberté par la SI moyennant un cautionnement de 1 000 $ remis par sa mère et à la condition de collaborer pleinement avec l’ASFC pour l’obtention d’un document de voyage.

[12]           Entre le 26 et le 30 septembre 2013, le défendeur a de nouveau été détenu en raison de sa non-collaboration avec l’ASFC pour l’obtention d’un document de voyage. Il a rechuté dans la consommation de drogues. Le 8 novembre 2013, il ne s’est pas présenté à sa convocation à l’ASFC. Le 30 novembre 2013, il a été arrêté par la police pour vol à l’étalage.

[13]           Le défendeur est détenu par l’ASFC depuis le 3 décembre 2013 au Centre de détention de Rivière-des-Prairies (à l’exception de la période de septembre à décembre 2013 durant laquelle il a purgé une peine d’emprisonnement pour des infractions commises en 2011). La détention du défendeur a fait l’objet de révisions mensuelles par la SI. La détention du défendeur a été chaque fois maintenue en raison du risque de fuite. Le défendeur refuse toujours de signer la demande exigée par les autorités russes pour émettre le document de voyage nécessaire à l’ASFC afin de procéder à son renvoi.

III.             Décision

[14]           Après avoir pris le dossier en délibéré le 28 octobre 2016, la commissaire de la SI a rendu une décision oralement le 31 octobre suivant. D’abord, le tribunal a fait une révision du dossier complet du défendeur, faisant l’historique de sa situation au Canada ainsi que des révisions de sa détention depuis décembre 2013. Elle a ensuite passé en revue le droit applicable et la jurisprudence en la matière.

[15]           Ensuite, la commissaire a procédé à l’analyse des critères prévus à l’article 248 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR], pour évaluer la nécessité de maintenir ou non le défendeur en détention.

[16]           La SI a ordonné la libération du défendeur sous plusieurs conditions : la preuve d’acceptation du défendeur dans une cure de désintoxication d’une durée d’au moins six mois; une caution de 5 000 $ déposée par ses parents; l’obligation de maintenir un contact avec les autorités d’immigration et de se présenter à tous les rendez-vous fixés par l’agence; l’obligation de résider chez sa mère ou au lieu de la cure de désintoxication; ne pas avoir de nouvelles condamnations au criminel.

IV.             Questions en litige

[17]           Dans la présente cause, la Cour doit déterminer si la SI, dans sa décision, a commis une erreur susceptible de révision. La norme de contrôle applicable au contrôle des motifs de détention par la SI est celle de la décision raisonnable. Comme les décisions concernant le contrôle des motifs de détention sont fondées sur des faits, elles commandent la retenue en contrôle judiciaire. La Cour n’interviendra que si le raisonnement de la décision a été vicié et que la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 au para 47; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708 au para 16; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339 aux para 59, 61 [Khosa]).

[18]           Les parties considèrent, et la Cour est d’accord, que la cause n’est pas devenue théorique puisque le défendeur est toujours détenu, et ce, depuis qu’un sursis à sa libération a été prononcé dans l’attente du contrôle judiciaire (Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342).

V.                Dispositions pertinentes

[19]           Le paragraphe 58(1) de la LIPR traite des circonstances de la mise en liberté par la SI :

Mise en liberté par la Section de l’immigration

Release - Immigration Division

58 (1) La section prononce la mise en liberté du résident permanent ou de l’étranger, sauf sur preuve, compte tenu des critères réglementaires, de tel des faits suivants :

58 (1) The Immigration Division shall order the release of a permanent resident or a foreign national unless it is satisfied, taking into account prescribed factors, that

a) le résident permanent ou l’étranger constitue un danger pour la sécurité publique;

(a) they are a danger to the public;

b) le résident permanent ou l’étranger se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi, ou à la procédure pouvant mener à la prise par le ministre d’une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2);

(b) they are unlikely to appear for examination, an admissibility hearing, removal from Canada, or at a proceeding that could lead to the making of a removal order by the Minister under subsection 44(2);

c) le ministre prend les mesures voulues pour enquêter sur les motifs raisonnables de soupçonner que le résident permanent ou l’étranger est interdit de territoire pour raison de sécurité, pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou pour grande criminalité, criminalité ou criminalité organisée;

(c) the Minister is taking necessary steps to inquire into a reasonable suspicion that they are inadmissible on grounds of security, violating human or international rights, serious criminality, criminality or organized criminality;

d) dans le cas où le ministre estime que l’identité de l’étranger — autre qu’un étranger désigné qui était âgé de seize ans ou plus à la date de l’arrivée visée par la désignation en cause — n’a pas été prouvée mais peut l’être, soit l’étranger n’a pas raisonnablement coopéré en fournissant au ministre des renseignements utiles à cette fin, soit ce dernier fait des efforts valables pour établir l’identité de l’étranger;

(d) the Minister is of the opinion that the identity of the foreign national — other than a designated foreign national who was 16 years of age or older on the day of the arrival that is the subject of the designation in question — has not been, but may be, established and they have not reasonably cooperated with the Minister by providing relevant information for the purpose of establishing their identity or the Minister is making reasonable efforts to establish their identity; or

e) le ministre estime que l’identité de l’étranger qui est un étranger désigné et qui était âgé de seize ans ou plus à la date de l’arrivée visée par la désignation en cause n’a pas été prouvée.

(e) the Minister is of the opinion that the identity of the foreign national who is a designated foreign national and who was 16 years of age or older on the day of the arrival that is the subject of the designation in question has not been established.

[20]           L’article 248 du RIPR prévoit les critères à considérer avant de prendre une décision sur le maintien de la détention ou sur la libération :

248 S’il est constaté qu’il existe des motifs de détention, les critères ci-après doivent être pris en compte avant qu’une décision ne soit prise quant à la détention ou la mise en liberté :

248 If it is determined that there are grounds for detention, the following factors shall be considered before a decision is made on detention or release:

a) le motif de la détention;

(a) the reason for detention;

b) la durée de la détention;

(b) the length of time in detention;

c) l’existence d’éléments permettant l’évaluation de la durée probable de la détention et, dans l’affirmative, cette période de temps;

(c) whether there are any elements that can assist in determining the length of time that detention is likely to continue and, if so, that length of time;

d) les retards inexpliqués ou le manque inexpliqué de diligence de la part du ministère ou de l’intéressé;

(d) any unexplained delays or unexplained lack of diligence caused by the Department or the person concerned; and

e) l’existence de solutions de rechange à la détention.

(e) the existence of alternatives to detention.

VI.             Analyse

A.                Propositions des parties et analyse

[21]           Le demandeur soutient que la décision rendue par la SI est déraisonnable, car la commissaire aurait erré dans l’analyse des critères de l’article 248 du RIPR ainsi que dans le choix de la solution de rechange.

(1)               248a) RIPR – Motif de la détention

[22]           La SI a identifié le motif de détention comme étant le risque de fuite, et non pas un motif de danger :

[43] Alors étant donné que si on a le motif de risque de fuite, l’agence me demande le maintien en détention de Monsieur Chipovalov pour s’assurer de sa présence lors de son renvoi du Canada. Mais il faut clarifier que, il n’y a aucune date de renvoi prévue, il y a un obstacle à l’exécution du renvoi et c’est l’obtention d’un document de voyage. Qu’on soit clair. C’est Monsieur Chipovalov qui fait obstacle, oui. Mais reste que dans les faits, le renvoi est exécutoire selon la loi, mais il n’est pas exécutable dans les faits. Alors, ceci est un élément important que j’ai tenu en compte tout au long de mon évaluation.

[23]           Le demandeur argue que la commissaire a ignoré la preuve au dossier criminel du défendeur lorsqu’elle a noté que ce dernier avait un historique criminel datant de plusieurs années pour des vols et un événement de vol qualifié. Comme le souligne le défendeur, le plumitif fait état d’infractions de vols et voies de faits en 1999 ainsi que d’infractions de vols commis en 2011. Il s’agit en effet de vol prévu à l’alinéa 334b)(i) du Code criminel, LRC (1985), ch C-46, et non pas de vol qualifié (article 343 du Code criminel).

[24]           Considérant la preuve dont disposait la SI et dont la Cour a pris connaissance, la Cour estime que la décision de la commissaire sur cet élément n’est entachée d’aucune erreur nécessitant son intervention.

(2)               248b) RIPR – Durée de la détention

[25]           La SI a qualifié la détention comme étant de longue durée, considérant que le défendeur était détenu depuis le 30 novembre 2013, soit une détention de trois ans. Se fondant sur la décision Shariff c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 640 aux para 34-35, la commissaire a déterminé que la période de septembre à décembre 2014 ne pouvait être considérée comme une période de liberté.

[26]           Le demandeur conteste la décision de la SI, considérant que la période durant laquelle le défendeur refusait de collaborer ne devait pas être comptabilisée dans le calcul de la durée (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c Kamail, 2002 CFPI 381 au para 46; Canada (Public Safety and Emergency Preparedness) v Lunyamila, 2016 FC 1199 [Lunyamila]). Le défendeur soutient plutôt que la commissaire a convenablement conclu, comme tous les autres décideurs de la SI saisis de ce dossier avant elle, à une détention de longue durée, et ce, en s’appuyant sur la jurisprudence.

[27]           La Cour estime que la SI n’a pas erré en considérant la détention du défendeur comme pouvant être qualifiée de longue durée et qu’elle s’est suffisamment appuyée sur la jurisprudence pour conclure en ce sens (Charkaoui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 RCS 350; Warssama c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1311 [Warssama]). La Cour note que la commissaire a souligné à plusieurs reprises que la durée de la détention était due, au moins en partie, au refus du défendeur de collaborer avec l’ASFC et qu’elle a traité de cet élément dans l’analyse des critères subséquents de l’article 248 du RIPR. Par conséquent, il n’y a pas lieu pour la Cour d’intervenir.

(3)               248c) RIPR – Évaluation de la durée probable de la détention

[28]           La SI a procédé à l’évaluation de la durée probable de la détention :

[49] Je peux conclure à ce stade-ci avec les faits que j’ai devant moi aujourd’hui que le renvoi est devenu illusoire. Il est hypothétique. La mesure de renvoi existe, la loi est claire, mais le renvoi actuel ne peut pas être exécuté. Et encore une fois, je le répète, c’est à cause du comportement de Monsieur Chipovalov, c’est à cause de la position de Monsieur Chipovalov. Ceci est clair. Mes collègues l’ont réitéré à maintes reprises. C’est Monsieur qui fait obstacle à son renvoi, mais ici je fais une distinction parce que je dois constater le fait que le renvoi ne peut pas avoir lieu sans la collaboration de monsieur. Et c’est clair que monsieur ne collabore pas, alors, on n’a pas de renvoi.

[29]           La commissaire a souligné que l’ASFC n’avait pas informé le tribunal de nouvelles démarches entamées afin de procéder au renvoi du défendeur, se fiant à sa collaboration inexistante. Elle s’est ensuite penchée sur la pertinence de maintenir la détention pour contrebalancer le risque de fuite :

[56] La détention à ce stade-ci semble être sans but concret et sans finalité. Bien sûr, la jurisprudence parle d’une question de faire bénéficier à monsieur de son manque de collaboration et c’est un autre élément que j’ai pris en considération. Est-ce que en libérant monsieur dans les circonstances présentes ça met devant nous un précédent dangereux? Mais je ne pense pas qu’il faut regarder la situation dans cette optique. Le tribunal doit se concentrer sur le cas devant lui. Chaque cas est un cas d’espèce. Le tribunal doit appliquer la loi aux circonstances et aux faits qui ont été établis dans le cas devant eux et la jurisprudence récente qui a été soumis par la représentante de monsieur parle de cas similaires où les personnes concernées refusaient de collaborer avec l’Agence des services frontaliers et le tribunal a donné certaines directives en ce qui concerne le fait que, on ne peut pas simplement dire monsieur ne collabore pas ainsi la détention est maintenue. Ce n’est pas suffisant de dire ceci. Et dans les présentes circonstances, on rajoute le fait que c’est une détention […] de longue durée […] et dans l’arrêt Warssama, on nous dit clairement que l’écoulement du temps aggrave la situation avec chaque contrôle mensuel. [La Cour souligne.]

[30]           Le demandeur prétend que la SI a erré dans la pondération de ce critère en lui accordant trop de poids (Brown v Canada (Ministry of Public Safety and Emergency Preparedness), 2016 ONSC 7760). Il avance qu’il était insuffisant de simplement présumer que le renvoi du défendeur ne serait pas imminent et, que ce faisant, le tribunal a rendu une décision sur la base de spéculations. Au contraire, le défendeur affirme que la conclusion de la SI repose sur des faits : aucun sursis n’empêche le renvoi du défendeur depuis 2007; le défendeur refuse de signer tout document permettant l’obtention d’un document de voyage; les autorités russes ont à plusieurs reprises déclaré qu’elles n’émettront pas de document de voyage au défendeur sans son consentement; l’alternative des démarches diplomatiques présentées par le ministre depuis janvier 2014 est maintenant éliminée (Décision du 12 mai 2016); un renvoi qui devait avoir lieu le 29 mai 2015 a été annulé le 25 mai 2015 sans explication; l’ASFC déclare depuis avril 2016 compter maintenant sur la collaboration du défendeur pour faire avancer le dossier; aucune date de renvoi n’est prévue à ce jour.

[31]           La Cour constate que la SI a tenu compte de tous les faits au dossier en évaluant la durée probable de la détention du défendeur dans le futur. À nouveau, il est à noter que la commissaire a souligné plusieurs fois que la durée de la détention était attribuable, en grande partie, au refus du défendeur de collaborer avec l’ASFC. Après analyse des faits disponibles, il était loisible à la commissaire de conclure que la durée de la détention était indéterminée, considérant toutes les démarches entreprises par l’ASFC dans le passé. Il ne revient pas à la Cour de soupeser à nouveau la preuve (Khosa, ci-dessus).

(4)               248d) RIPR – Retards ou manque inexpliqué de diligence des parties

[32]           La SI, tout au long de sa décision, a maintes fois souligné que la durée de la détention du défendeur était causée par son manque de collaboration avec l’ASFC et son refus de signer les documents nécessaires afin d’obtenir les documents de voyage des autorités russes :

[50] La section (d) parle de retard inexpliqué ou le manque inexpliqué de diligence de la part du ministère ou de l’intéressé. En ce qui concerne la diligence de l’Agence des services frontaliers, elle n’a rien à se reprocher. Ils ont agi de bonne foi. Ils ont entamé toutes les démarches possibles à date. Ils ont tenté de travailler avec les besoins de Monsieur Chipovalov, tout pour exécuter leur mandat. Mais reste que, c’était sans succès et Monsieur Chipovalov est encore sur le territoire canadien.

[…]

[52] Monsieur Chipovalov, par contre, selon moi n’a pas toujours agi de bonne foi. La jurisprudence nous dit que monsieur dans ces circonstances n’a pas les mains propres et je suis d’accord avec ceci. Il veut dicter au gouvernement canadien comment traiter son dossier et pas son comportement il démontre qu’il ne respecte pas la décision, les décisions qui ont été prises par le gouvernement canadien à son égard. On lui a confronté à maintes reprises avec le fait que monsieur n’a plus de statut au Canada et qu’il n’a plus le droit d’être ici, mais monsieur insiste que, pour lui, il n’est pas question d’aider l’agence à le renvoyer en Russie […].

[33]           Néanmoins, elle s’est interrogée sur la pertinence de prolonger la détention dans l’espérance d’obtenir une signature de la part du défendeur :

[55] Alors la détention de Monsieur Chipovalov ne va pas aider l’agence à obtenir un document de voyage et elle ne va pas inciter monsieur à signer quelque chose qui pourrait aider à l’obtention d’un document de voyage. Alors je ne vois aucun signe de quoi que ce soit qui pourrait déclencher dans les prochains 30 jours qui changerait le portrait qui est devant nous aujourd’hui.

[34]           Le demandeur prétend que la commissaire a erré en accordant peu d’importance au facteur concernant les délais et le manque de diligence du défendeur, par son refus de collaborer à la mesure de renvoi (Lunyamila, ci-dessus, aux para 106-112). Le défendeur, à l’inverse, soutient que la commissaire a effectué une analyse posée et étendue de chacun des critères de l’article 248 du RIPR, tout en tenant compte de la jurisprudence (Sahin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] 1 CF 214, 85 FTR 99).

[35]           La Cour observe que la SI a pris en considération tous les éléments défavorables à la libération du défendeur, en contrebalançant chacun des critères de la loi. Néanmoins, malgré le manque de collaboration du défendeur avec l’ASFC, la commissaire a conclu que cet élément à lui seul ne militait pas en faveur du maintien de la détention. Ce faisant, la SI a fait usage de son pouvoir discrétionnaire et n’a pas commis d’erreur susceptible de révision.

(5)               248e) RIPR – Existence de solutions de rechange à la détention

[36]           Finalement, la SI a évalué l’existence de solutions de rechange à la détention. Elle a décidé d’accorder la libération au défendeur sous certaines conditions, sans requérir la signature du document exigé pour l’obtention d’un document de voyage :

[56] Étant donné que je suis arrivée à la conclusion qu’un risque de fuite existe, il n’est pas raisonnable bien sûr de considérer une libération de monsieur dans certaines conditions. Ici je considère que une alternative à la détention, malgré le fait que monsieur jusqu’à maintenant n’a pas collaboré, est nécessaire pour le simple fait que la détention qui continue dans ce cas ici va être une détention comme j’ai dit sans but ultime parce que il n’y a pas pour l’instant un espoir que monsieur va collaborer et il n’y a pas pour l’instant un espoir que l’agence peut renvoyer monsieur par un autre moyen.

[37]           La commissaire a déterminé que la libération du défendeur sous conditions ne mettait pas fin à la mesure de renvoi contre lui, mais qu’il s’agissait d’une alternative considérant que la détention était devenue déraisonnable. L’exigence de signer un formulaire ou de collaborer à l’obtention d’un document de voyage ayant posé problème par le passé, ceci n’a pas fait l’objet d’une condition.

[38]           Le demandeur reproche d’avoir assujetti la libération du défendeur à des conditions déraisonnables, ne permettant pas de contrebalancer le risque de fuite. Il estime que l’alternative choisie par la commissaire n’est ni efficace, ni appropriée : il était impératif que l’on exige du défendeur qu’il collabore pour son renvoi éventuel avant d’envisager une libération; il était nécessaire d’analyser la capacité des garants d’assurer le respect des conditions de libération; la caution de 5 000 $ était déraisonnable puisque par le passé, une caution de 1 000 $ avait été perdue par la mère du défendeur lorsqu’il avait omis de se conformer à une condition précédente; il n’a pas été exigé que la cure de désintoxication ait lieu dans un centre fermé.

[39]           Le défendeur soutient que la commissaire de la SI a usé de son pouvoir discrétionnaire et que les conditions exigées étaient raisonnables. Il nie que l’obtention d’un document de voyage soit une condition de rigueur exigée par la loi.

[40]           La Cour estime que les conditions de libération établies par la SI ne comportent pas d’erreur susceptible de révision. La commissaire a analysé tous les éléments du dossier, s’est appuyée sur la loi et la jurisprudence, avant de se prononcer sur les conditions de libération du défendeur.

B.                 Conclusion

[41]           En conclusion, comme l’a observé le juge Russell W. Zinn :

[27]      À un moment donné, longtemps avant le contrôle des motifs de détention de mars 2015, le processus a complètement déraillé. La charge de la preuve repose sur le ministre à chacun des contrôles des motifs de détention. Bien qu’il soit acceptable, dans la plupart des cas, que le ministre se contente d’invoquer sa décision précédente (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Thanabalasingham, 2004 CAF 4, [2004] 3 RCF 572, l’écoulement du temps aggrave la situation avec chaque contrôle mensuel. [La Cour souligne.]

(Warssama, ci-dessus, au para 27.)

[42]           Par conséquent, considérant le caractère exhaustif de la décision rendue par la commissaire de la SI, l’aggravation de la situation de détention par l’écoulement du temps et les conditions exigées pour la libération du défendeur, la décision est raisonnable et il n’y a pas lieu pour la Cour d’intervenir.

VII.          Conclusion

[43]           Pour les motifs énumérés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT au dossier IMM-4554-16

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.

OBITER

La Cour souligne que selon l’affidavit du défendeur, et c’est important de le souligner, le défendeur a demandé pour suivre une cure à l’intérieur d’un programme où il sera encadré sans possibilité de quitter avant d’avoir rencontré les objectifs du programme en question.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4554-16

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE c ALEXANDRE CHIPOVALOV

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 juin 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 juin 2017

 

COMPARUTIONS :

Thi My Dung Tran

 

Pour le demandeur

 

Mélanie Calisto Azevedo

 

Pour le demandeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Mélanie Azevedo, avocate

 

Pour le demandeur

 

 

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