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Date : 20170706


Dossier : IMM-3893-16

Référence : 2017 CF 657

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 juillet 2017

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

WAJEEHA ZEHRA HAMEED

MAZAHIR MUHAMMAD HAMEED

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Aperçu

[1]               Mme Wajeeha Zehra Hameed et son fils, Mazahir Muhammad Hameed, sont les demandeurs en l’espèce. Ils sont tout d’abord venus au Canada en juin 2001 et ils ont obtenu le statut de résident permanent à leur arrivée. Ils sont retournés au Pakistan deux semaines plus tard. En 2013, les demandeurs sont revenus au Canada sur la base d’un visa de résidence temporaire.

[2]               En août 2013, ils ont interjeté appel auprès de la Section d’appel de l’immigration [SAI] en raison de la perte de leur statut de résident permanent pour non-respect des conditions de résidence. En février 2016, l’appel a été rejeté et en mai 2016, les demandeurs ont déposé une demande d’examen de leur demande de résidence permanente pour motifs d’ordre humanitaire à partir du Canada. Un agent d’immigration principal [l’agent] a rejeté la demande d’examen pour motifs d’ordre humanitaire. Je suis saisi d’une demande d’examen de la décision de cet agent.

[3]               Les demandeurs prétendent que l’agent a commis une erreur en omettant d’identifier et de mentionner le critère à utiliser dans l’évaluation de l’intérêt supérieur d’un enfant et a appliqué le critère de manière déraisonnable. Ils ajoutent que l’agent a évalué les difficultés auxquelles les demandeurs seraient confrontés à leur retour au Pakistan de manière déraisonnable. En réponse, le défendeur a soumis qu’une décision d’un agent pour motifs d’ordre humanitaire constitue une décision discrétionnaire fondée sur des faits à l’égard de laquelle il convient de faire preuve d’une grande déférence. Le défendeur plaide en outre que l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant dépend fortement du contexte, qu’aucun critère particulier ne doit être suivi et que les conclusions de l’agent à l’égard de l’intérêt supérieur de l’enfant et des difficultés étaient raisonnables.

[4]               La demande soulève les questions suivantes :

A.                 L’agent a-t-il omis de suffisamment tenir compte de l’intérêt supérieur de Mazahir?

B.                  L’agent a-t-il tiré une conclusion déraisonnable dans l’évaluation des difficultés?

[5]               Après avoir examiné les observations des parties, je n’ai pas relevé d’erreur susceptible de révision de la part de l’agent qui justifie mon intervention. La demande est rejetée pour les motifs exposés ci-après.

II.                 Norme de contrôle

[6]               Les demandeurs se fondent sur la décision Kastrati c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1141, 172 ACWS (3d) 180, pour faire valoir que la norme du caractère raisonnable devrait être adoptée dans l’examen de l’omission alléguée d’un agent au moment d’énoncer et d’appliquer le critère de l’intérêt supérieur de l’enfant applicable, à savoir le critère établi dans l’arrêt Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 RCS 909 [Kanthasamy] de la Cour suprême du Canada. Je ne suis pas de cet avis.

[7]               L’examen de l’intérêt supérieur d’un enfant « dépend fortement du contexte » en raison « de la multitude de facteurs qui risquent de faire obstacle à l’intérêt de l’enfant » (Khantasamy, au paragraphe 35, citant Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 4, au paragraphe 11, [2004] 1 RCS 76 et Gordon c. Goertz, [1996] 2 RCS 27, au paragraphe 20, 134 DLR (4th) 321). Le principe de l’intérêt supérieur doit être appliqué de façon à refléter les circonstances particulières à chaque enfant (Khantasamy, au paragraphe 35, citant A.C. c. Manitoba (Directeur des services à l’enfant et à la famille), 2009 CSC 30, au paragraphe 89, [2009] 2 RCS 181). « Par conséquent, la décision rendue en application du par. 25(1) sera jugée déraisonnable lorsque l’intérêt supérieur de l’enfant qu’elle touche n’est pas suffisamment pris en compte » (Khantasamy, au paragraphe 39, citant Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 75, 174 DLR (4th) 193).

[8]               Dans le cadre de l’examen de l’analyse par un agent de l’intérêt supérieur de l’enfant, une cour de révision doit se pencher sur le fond de l’analyse à l’égard des principes énoncés par la jurisprudence et non pas sur la question de savoir si le décideur a articulé ou énoncé ces principes avant de commencer cette analyse. Il s’agit d’une question de caractère suffisant, à savoir si la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant dans les circonstances particulières de l’enfant était suffisante et si elle doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable. À cet égard, je suis d’accord avec la position du défendeur sur le fait que les questions soulevées dans cette demande portent sur des questions mixtes de fait et de droit et sont susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable.

[9]               En entreprenant cet examen, il convient aussi de noter qu’une dispense pour motifs d’ordre humanitaire en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [LIPR] a pour objectif de fournir une soupape de sécurité pour des cas exceptionnels se fondant sur un examen holistique de tous les motifs d’ordre humanitaire identifiés dans la demande (Semana c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1082, au paragraphe 15, 43 Imm LR (4th) 20; et Kanthasamy, aux paragraphes 30 à 33). L’examen d’une demande d’ordre humanitaire engage l’exercice du pouvoir discrétionnaire du décideur dans l’application du paragraphe 25(1) de la LIPR aux faits communiqués dans la demande. L’exercice de cette discrétion est contrôlable selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 53, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]). Dans le cas où une cour de révision doit établir si une décision est raisonnable, elle doit examiner si le caractère raisonnable « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », ainsi que « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[10]           La cour de révision doit faire montre de « soumission, mais une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision » (Dunsmuir, au paragraphe 48, citant David Dyzenhaus, « The Politics of Deference: Judicial Review and Democracy », The Province of Administrative Law, publié par Michael Taggart (Oxford, UK: Hart Publishing Ltd, 1997), 279, à la page 286) doit être apportée. Il n’appartient pas à la cour de révision d’apprécier à nouveau les éléments de preuve.

III.               Analyse

A.                 L’agent a-t-il omis de suffisamment tenir compte de l’intérêt supérieur de Mazahir?

[11]           Les demandeurs prétendent que l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant par l’agent est viciée parce que l’agent : (1) n’a pas évalué la réalité de l’étendue et de la nature des difficultés auxquelles Mazahir aura à faire face s’il retourne au Pakistan avec sa mère; (2) a tiré une conclusion incohérente; (3) a omis d’identifier l’intérêt de Mazahir; et (4) a omis d’établir s’il était de son intérêt supérieur de demeurer au Canada ou de retourner au Pakistan.

[12]           Dans la décision, l’agent a entrepris une évaluation des intérêts suivants sur lesquels le retour de Mazahir au Pakistan aurait des répercussions :

A.                 La relation tumultueuse alléguée entre ses parents, notamment l’allégation selon laquelle son père était abusif. L’agent a noté une décision antérieure de la SAI mettant en doute la crédibilité des allégations de relation abusive et a conclu que la preuve n’a pas établi que Mazahir serait exposé à un milieu abusif ou contrôlant s’il retournait au Pakistan étant donné la conclusion antérieure quant à la crédibilité;

B.                 L’éducation. L’agent a noté que Mazahir réussissait bien à l’école et que les qualités qui lui avaient permis de réussir au Canada l’aideraient à réussir à un niveau semblable au Pakistan. L’agent a noté que le régime d’éducation au Pakistan était plus faible que celui du Canada, mais que Mazahir avait fréquenté une école privée au Qatar comme cela a été relevé dans la décision antérieure de la SAI, et que rien n’indiquait que cette option ne serait pas disponible au Pakistan. L’agent a également noté que sa mère et ses deux sœurs avaient eu accès à une éducation de qualité au Pakistan;

C.                 Implication dans des activités parascolaires, y compris le tennis. L’agent a noté que la preuve n’indiquait pas que ces activités ne seraient pas disponibles ou seraient inaccessibles au Pakistan;

D.                 Liens d’amitié au Canada. L’agent a noté qu’il y avait des moyens pour Mazahir de garder contact avec ses amis actuels et que les aptitudes sociales qu’il a démontrées l’aideraient à se faire de nouveaux amis au Pakistan;

E.                  Le taux élevé de pauvreté au Pakistan. L’agent a noté ces conditions tout en tenant compte du fait que l’éducation, l’expérience et la débrouillardise de Mme Hameed lui permettraient d’obtenir un emploi et de subvenir à ses besoins à son retour au Pakistan. L’agent a également noté qu’un soutien financier mensuel était fourni par le mari de Mme Hamid et que, pour cette raison, il était peu probable que la pauvreté au Pakistan ait des répercussions négatives sur Mazahir;

F.                  Les risques à la santé auxquels font face les enfants au Pakistan, y compris les risques liés à la maladie et à la violence dans la société. L’agent a conclu que la preuve indiquait qu’il était peu probable que Mazahir subisse des répercussions négatives découlant de ces conditions.

[13]           En l’espèce, l’agent a défini et évalué les intérêts de Mazahir. En réalisant cette évaluation, l’agent a cerné les éléments de preuve pertinents et les a pesés à l’égard de chacun des intérêts recensés.

[14]           Les demandeurs se sont appuyés sur la décision Duhanaj c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 416, [2015] ACF no 397 (QL) [Duhanaj], dans laquelle la juge Anne Mactavish a conclu que l’agente avait dans ce cas commis une erreur en ne pesant pas le préjudice qu’un enfant subirait s’il était forcé de terminer ses études dans un système d’éducation manifestement inférieur par rapport à l’avantage de poursuivre ses études au Canada.

[15]           À mon avis, la décision Duhanaj est de peu d’utilité aux demandeurs. À la différence de Duhanaj, l’agent n’a en l’espèce pas conclu que Mazahir ne subirait pas de répercussions négatives simplement parce que les conditions d’éducation sous-optimales et les risques à la santé et à la sécurité étaient communs à tous les enfants. L’agent a plutôt reconnu le régime d’éducation plus faible et les risques à la santé et la sécurité. L’agent a ensuite noté que la preuve indiquait que Mazahir avait eu accès à une éducation de qualité dans le système privé au Qatar, que ses sœurs avaient reçu une éducation de qualité au Pakistan leur permettant d’être acceptées dans des programmes d’éducation supérieure d’autres pays, qu’aucun élément de preuve n’indiquait que Mazahir n’aurait pas accès à une éducation semblable et qu’il avait les qualités personnelles nécessaires pour atteindre un haut niveau d’éducation au Pakistan.

[16]           En concluant qu’il était peu probable que Mazahir subisse des répercussions directes de la pauvreté, de la maladie et de la violence, l’agent a noté qu’il était probable que Mme Hameed subviendrait à ses besoins et que le soutien financier de son père se poursuivrait. L’analyse de l’agent a tenu compte des répercussions des conditions sur les enfants au Pakistan et n’a pas conclu qu’elles constituaient des facteurs sans importance en raison du fait que tous les autres enfants y sont assujettis, mais plutôt que Mazahir ne subirait vraisemblablement pas de répercussions directes en raison des circonstances qui lui sont propres. Bref, l’agent a tenu compte des facteurs ayant des répercussions sur Mazahir et a entrepris une analyse contextuelle de ces facteurs. Il était raisonnablement loisible à l’agent d’atteindre ces conclusions.

[17]           Les demandeurs ont plaidé que la conclusion de l’agent [traduction] « qu’il serait vraisemblablement dans l’intérêt supérieur de Mazahir de ne pas être dans un pays dans lequel [des problèmes de pauvreté, de maladie et de violence] surviennent » est incompatible avec la conclusion finale à laquelle l’agent est arrivé dans sa décision. Là encore, je ne suis pas d’accord. L’agent est arrivé à sa conclusion finale après avoir effectué un examen balancé et raisonnable de la preuve dans le cadre duquel il a noté que l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant constitue un seul élément de la demande globale d’ordre humanitaire, un élément qui n’est pas concluant, mais qui doit être pesé parmi les nombreux facteurs pertinents examinés dans le cadre d’une demande d’ordre humanitaire (Duhanaj, au paragraphe 4).

B.                 L’agent a-t-il tiré une conclusion déraisonnable dans l’évaluation des difficultés?

[18]           Les demandeurs font valoir que l’agent a commis une erreur sur deux points dans l’évaluation des difficultés : (1) il a omis de tenir compte des difficultés auxquelles Mme Hameed aurait à faire face en raison de son sexe et de ses convictions politiques progressistes; (2) Mme Hameed devait démontrer des répercussions directes et négatives à l’égard du problème de violence endémique contre les femmes au Pakistan alors qu’un tel lien direct n’était pas exigé.

[19]           Il existe des circonstances où un demandeur cherchant à obtenir une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire peut s’appuyer sur les conditions d’un pays pour soutenir une inférence raisonnable des risques auxquels il serait exposé à son retour (Aboubacar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 714, au paragraphe 12, 460 FTR 84). Toutefois, cette inférence doit, à mon avis, être tirée d’un examen holistique de la preuve. Il incombe toujours au demandeur d’établir qu’il sera « vraisemblablement touché par une condition défavorable » (Kanthasamy, au paragraphe 56).

[20]           En l’espèce, l’agent a examiné de nombreux facteurs et a pesé chacun d’eux compte tenu des circonstances propres à cette affaire. L’agent a examiné les documents présentés par les demandeurs, les membres de leur famille et leurs amis, ainsi que les documents concernant les conditions du pays. L’agent a conclu qu’il y avait peu de preuve étayant une conclusion selon laquelle Mme Hameed subirait vraisemblablement des répercussions directes négatives à l’égard de la discrimination juridique ou économique fondée sur le sexe à son retour au Pakistan ou qu’elle aurait précédemment subi de telles répercussions. L’agent a raisonnablement conclu que Mme Hameed pourrait probablement trouver un emploi et qu’elle continuerait probablement à recevoir un soutien financier de son époux. Dans le contexte de toutes ces circonstances, l’agent a conclu que les allégations liées aux difficultés ne justifiaient pas d’accorder une dispense pour motifs d’ordre humanitaire.

[21]           Les demandeurs ne remettent pas en cause ces conclusions, mais font plutôt valoir que l’agent leur a imposé un fardeau trop élevé. Je ne suis pas de cet avis. L’agent n’a pas exigé que Mme Hameed démontre des répercussions négatives directes à l’égard du risque généralisé de violence fondée sur le sexe. La preuve documentaire a révélé qu’un certain nombre de facteurs ont des répercussions sur le traitement des femmes sur une base individuelle au Pakistan. Ces facteurs comprennent le positionnement social, la dépendance économique et l’éducation, des facteurs dont a tenu compte l’agent et qui ont été abordés par lui. Lorsque cette preuve est examinée dans l’ensemble, il n’est pas déraisonnable pour l’agent de conclure que Mme Hameed n’a pas réussi à établir qu’elle serait probablement exposée à des difficultés découlant de la violence fondée sur le sexe.

[22]           En demandant à notre Cour d’intervenir en ce qui concerne cette décision, les demandeurs me demandent dans les faits d’apprécier à nouveau la preuve. Comme je l’ai mentionné ci-dessus, ce n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

IV.              Conclusion

[23]           Les conclusions de l’agent sont justifiées, transparentes et intelligibles. Le résultat appartient aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit. La demande est rejetée.

[24]           Les parties n’ont pas soulevé de question de portée générale aux fins de certification, et aucune question n’a été soulevée.


JUGEMENT DANS L’AFFAIRE T-3893-16

LA COUR rejette la présente demande. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3893-16

 

INTITULÉ :

WAJEEHA ZEHRA HAMEED, MAZAHIR MUHAMMAD HAMEED c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 mars 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 JUILLET 2017

 

COMPARUTIONS :

Sumeya Mulla

 

Pour les demandeurs

 

Alex Kam

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lorne Waldman Professional Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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