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Date : 20170705


Dossier : IMM-5087-16

Référence : 2017 CF 649

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 5 juillet 2017

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

NICHOLAS FRIGYIK

demandeur

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Contexte

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR ou la Loi) à l’encontre d’une décision défavorable (la décision) rendue le 14 novembre 2016. Dans cette décision, la Section d’appel des réfugiés (la SAR ou la Section) a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi. Pour les motifs expliqués ci-dessous, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

[2]               Le demandeur est un enfant de deux ans né à Manchester, en Angleterre, qui a demandé l’asile de la Hongrie en raison de son origine ethnique rome. Son père, qui était son représentant désigné, a signé son formulaire Fondement de la demande d’asile et a témoigné en son nom.

[3]               Le demandeur et sa famille sont arrivés au Canada le 10 février 2016. Tous les membres de la famille ont alors présenté une demande d’asile; le défendeur a toutefois conclu que les parents et les frères et sœurs du demandeur ne pouvaient pas présenter de demandes parce qu’ils avaient retiré leurs demandes antérieures en 2009 et en 2010 respectivement. Cette conclusion n’avait aucune incidence sur le demandeur puisque ces demandes avaient été présentées avant sa naissance. Le demandeur a donc été autorisé à présenter sa demande.

[4]               Le demandeur soutient que sa famille et lui feront l’objet de persécution en Hongrie dans tous les aspects de leur vie (logement, éducation, santé et emploi) en raison de leur origine ethnique rome. Pour appuyer la présente demande, le père du demandeur a décrit des incidents qui se sont produits avant et après la naissance du demandeur.

[5]               En janvier 2009, des membres de la Garde hongroise (membres de la Garde) ont attaqué le quartier résidentiel des parents du demandeur en scandant des insultes racistes au sujet du peuple rom et en lançant des briques dans les fenêtres. Des policiers sont venus et ont dit qu’ils rédigeraient un rapport. Le demandeur allègue que le parti politique Jobbik, qui gagne en popularité en Hongrie, soutient les membres de la Garde qui menacent le peuple rom.

[6]               Peu de temps après, en février 2009, les membres de la famille du demandeur ont fui la Hongrie pour se réfugier au Canada et y demander l’asile. Ils ont présenté des demandes à leur arrivée au pays. Avant le traitement de leurs demandes, la grand-mère du demandeur est tombée malade. Ils sont donc retournés en Hongrie pour prendre soin d’elle et ont par la suite retiré leurs demandes au Canada. Le père du demandeur allègue que la discrimination à l’encontre des membres de sa famille a empiré après leur retour en Hongrie.

[7]               En 2014, le père du demandeur a trouvé un emploi de peintre à Manchester, en Angleterre, et y est déménagé avec sa femme et leurs deux enfants. Sa femme était alors enceinte du demandeur. Le demandeur est né en Angleterre le 11 mai 2014. La famille est retournée en Hongrie en août 2014 et y est restée jusqu’à son départ pour le Canada, sauf pendant le mois de janvier 2015 lorsque le père travaillait en Angleterre.

[8]               Le demandeur et les membres de sa famille affirment avoir été expulsés de leur logis à Miskolc, en Hongrie, en juin 2015. Incapables de trouver un autre logis, ils ont été obligés d’emménager avec les arrière-grands-parents du demandeur. Compte tenu de la petitesse de la résidence, qui ne pouvait pas accueillir cinq autres personnes, les membres de la famille du demandeur n’ont pas pu enregistrer légalement l’adresse de la résidence comme leur adresse. Le père du demandeur affirme que, sans une adresse enregistrée, sa femme et lui ne peuvent pas travailler légalement ou recevoir des prestations.

[9]               Le père du demandeur craint que l’État lui prenne son fils et c’est en partie pour cette raison qu’il a choisi de déménager sa famille au Canada et de déposer une demande d’asile au nom de son jeune fils en février 2016.

[10]           Dans la première décision sur cette question, la Section de la protection des réfugiés (SPR) a accepté l’identité rome du demandeur, mais doutait de la crédibilité des allégations relatives à l’expulsion et au retour en Hongrie et a tiré une conclusion défavorable à cet égard en raison de l’absence de preuve corroborante. La SPR a également déterminé que la discrimination n’équivalait pas à de la persécution et que le demandeur n’éprouvait aucune crainte subjective ou objective. Pour ces motifs, la SPR a rejeté la demande du demandeur et a conclu qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[11]           Dans la décision subséquente portée en appel, la SAR a effectué une appréciation indépendante de la preuve et en est arrivée à la même conclusion que la SPR : le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. Plus précisément, la Section a conclu que la discrimination n’équivalait pas à de la persécution et que le demandeur pourrait bénéficier de la protection de l’État. Il convient néanmoins de souligner que la SAR a infirmé les conclusions sur la crédibilité de l’allégation d’expulsion. Elle a également conclu que les motifs de la famille pour retourner en Hongrie étaient [traduction] « suffisamment étayés ».

II.                Analyse

[12]           Le demandeur soutient que les conclusions de la SAR concernant (1) la discrimination et (2) la protection de l’État sont déraisonnables.

[13]           La norme de révision applicable à une décision de la SAR est la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35). La norme de la décision raisonnable s’applique aussi lorsque la SAR interprète sa loi constitutive (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Singh, 2016 CAF 96, au paragraphe 29). La question de savoir si l’État de la Hongrie offre une protection adéquate est une question mixte de faits et de droit qui est susceptible de révision selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Neubauer, 2015 CF 260, au paragraphe 10).

A.                Discrimination

[14]           Le demandeur soutient que la conclusion de la SAR selon laquelle la discrimination à laquelle il serait exposé n’équivaut pas à de la persécution est déraisonnable parce que (i) la SAR a négligé de tenir compte d’éléments de preuve importants au sujet de la persécution des Roms et (ii) qu’elle a examiné séparément les éléments de discrimination au lieu de les considérer cumulativement, commettant une erreur dans les deux cas.

[15]           Plus précisément, le demandeur prétend que la SAR a négligé de tenir compte des éléments de preuve concernant l’expulsion, la crise du logement, la difficulté à trouver un emploi, et l’incapacité du demandeur à trouver un logis s’il devait retourner en Hongrie, de même que la surreprésentation des enfants roms confiés à l’État, lesquels éléments donneraient lieu, compte tenu de la présence de tous les autres facteurs, au retrait du demandeur de sa famille pour le confier aux soins de l’État.

[16]           Je ne peux admettre que la SAR n’a pas pleinement examiné l’effet cumulatif de la discrimination ou l’élément allégué de persécution concernant la prise en charge par l’État. En ce qui concerne d’abord la question du logement, plusieurs passages de la décision indiquent que la SAR a tenu compte de la situation précaire du demandeur en matière de logement. Par exemple, elle a reconnu que [traduction] « [l]es éléments de preuve documentaire démontrent que la ségrégation résidentielle des Roms est évidente en Hongrie. Même s’ils ne subissent pas officiellement une ségrégation, les Roms continuent de vivre dans de mauvaises conditions de vie ».

[17]           Malgré ces conclusions, la SAR a conclu que la discrimination que subirait le demandeur dans l’accès au logement, à l’école, au travail et dans l’accès aux services sociaux [traduction] « ne constitue pas de la persécution » (paragraphe 54 de la décision). En effet, la SAR a fait remarquer que [traduction] « la discrimination dont le [demandeur] craint d’être victime, bien qu’elle soit malheureuse, ne menace pas ses droits fondamentaux, mais nuit plutôt à sa qualité de vie dans son pays d’origine » (paragraphe 57 de la décision).

[18]           Bien que le demandeur ne soit pas satisfait de ces conclusions, le rôle de la SAR est de faire une distinction entre la discrimination et la persécution (Sagharichi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 796, au paragraphe 3 (CAF)). Contrairement aux observations du demandeur, selon mon interprétation, ces conclusions se rapportent à l’effet cumulatif des éléments de discrimination et en tiennent compte, et il a été conclu que cette discrimination n’était pas assimilable à de la persécution. Compte tenu de la situation particulière que vivait la famille du demandeur en Hongrie, il était loisible à la SAR de tirer cette conclusion. En effet, comme l’a exprimé le défendeur, pour tirer une conclusion différente, la Section aurait dû s’engager dans la voie des conjectures.

B.                 Protection de l’État

[19]           Le demandeur affirme que la SAR a appliqué le mauvais critère juridique à l’égard de la protection de l’État : l’État doit réellement offrir de la protection et non simplement faire preuve d’efforts en ce sens. Le demandeur soutient que la SAR a simplement décrit les différents efforts déployés par le gouvernement hongrois et d’autres organisations sans mentionner des éléments de preuve concrets décrivant l’efficacité et la disponibilité de la protection de l’État.

[20]           Le critère relatif à la protection de l’État a été énoncé par la Cour suprême du Canada dans Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 RCS 689, au paragraphe 725 [Ward] et a été correctement établi par la SAR : un demandeur qui demande l’asile doit [traduction] « confirmer d’une façon claire et convaincante l’incapacité de l’État d’assurer la protection ». De plus, le fardeau de la preuve qui incombe au demandeur est directement proportionnel au degré de démocratie atteint chez l’État en cause.

[21]           L’examen des éléments de preuve à l’égard de la protection qu’offre l’État au peuple rom effectué par la SAR est contradictoire. La SAR a tenu compte d’éléments de preuve défavorables concernant des actes de violence et de discrimination générale commis à l’encontre des Roms, notamment par certains policiers, l’accroissement de l’hostilité à l’égard des Roms et la montée du parti Jobbik. Cependant, la SAR a également mentionné plusieurs mesures positives qui ont été adoptées, comme une nouvelle loi, des initiatives et des poursuites pour contrer les actes anti-Roms.

[22]           Je ne suis donc pas d’accord avec la prétention du demandeur voulant que la Section a simplement abordé les bonnes intentions de l’État et a fait fi de tous les autres éléments de preuve qui lui auraient permis de tirer une conclusion contraire. La SAR a considéré l’efficacité de la protection de l’État en donnant des exemples concrets des efforts déployés par le gouvernement et différentes organisations. La Section a également mentionné des organisations internationales qui luttent contre le racisme et la marginalisation des Roms. Après avoir examiné les éléments de preuve présentés par le demandeur, ainsi que le Cartable national de documentation, la SAR a conclu que les mécanismes mis en place pour fournir une protection de l’État ont bel et bien été une réussite sur le plan opérationnel. Il lui était certainement loisible de parvenir à cette conclusion au vu des faits particuliers concernant le demandeur et sa famille en l’espèce, et conformément aux instructions de la Cour d’appel fédérale dans Mudrak c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178, au paragraphe 29. Si la situation ou les expériences du demandeur avaient été différentes, il n’aurait peut-être pas été loisible à la Section de tirer ces conclusions.

[23]           Plus précisément, le demandeur n’a produit aucun élément de preuve démontrant que sa famille ou lui a sollicité la protection de l’État ou de la police et que cette protection a été refusée; il était donc raisonnable que la SAR se fonde uniquement sur les éléments de preuve documentaire dont elle disposait. En fait, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau les éléments de preuve (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59).

[24]           Enfin, bien que l’observation au paragraphe 77 de la décision soit formulée faiblement et ne puisse certainement pas être étayée comme s’il s’agissait d’une proposition indépendante (comme l’a admis le défendeur), cela ne suffit pas pour conclure que les 87 autres paragraphes de la décision sont déraisonnables.

III.             Conclusion

[25]           Les conclusions de la SAR selon lesquelles le demandeur ne sera pas persécuté et n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État à l’aide d’éléments de preuve clairs et convaincants sont raisonnables compte tenu du risque personnalisé évident. Dans les circonstances particulières, la SAR a raisonnablement conclu que la preuve était insuffisante pour arriver à la conclusion que souhaitait le demandeur.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-5087-16

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  L’avocat n’a présenté aucune question à certifier, et aucune n’est soulevée.

3.                  Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5087-16

 

INTITULÉ :

NICHOLAS FRIGYIK c. LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 juin 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 5 juillet 2017

 

COMPARUTIONS :

Meera Budovitch

 

Pour le demandeur

 

Alex Kam

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Patricia Wells Immigration Lawyers

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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