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Date : 20170706

Dossier : IMM-5185-16

Référence : 2017 CF 654

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 juillet 2017

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

TIMEA BALOGH

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Aperçu

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée à l’encontre de la décision rendue le 25 octobre 2016 par un agent d’immigration supérieur (l’agent) au sujet de l’examen des risques avant renvoi (ERAR), décision par laquelle l’agent a conclu que la demanderesse ne risquait pas de faire l’objet de torture, de persécution, de menace de mort ou de traitements ou peines cruels et inusités si elle était renvoyée en Hongrie, son pays d’origine.

[2]               Pour les motifs expliqués plus en détail ci-après, la présente demande est accueillie, car j’en suis venu à la conclusion que la décision de l’agent avait été influencée par ses conclusions quant à la crédibilité de la demanderesse; l’agent était donc tenu de convoquer une audience ou, tout au moins, de déterminer si les préoccupations concernant la crédibilité de la demanderesse mettaient en cause les facteurs exigeant la tenue d’une audience afin de donner à la demanderesse l’occasion de dissiper ces préoccupations.

II.                 Contexte

[3]               La demanderesse, Mme Timea Balogh, est une citoyenne de la Hongrie qui est arrivée au Canada le 25 novembre 2008 et qui a présenté une demande d’asile le 21 janvier 2009. Sa demande était fondée sur son origine ethnique rome et sa présumée crainte d’être persécutée par la Garde hongroise; elle disait également craindre l’ancien conjoint de sa belle-mère, M. Sandor Jakovics. M. Jakovics avait accompagné Mme Balogh et sa belle-mère lorsqu’elles ont immigré au Canada, mais il a depuis été expulsé du pays. Selon Mme Balogh, M. Jakovics la blâmait pour sa séparation d’avec sa belle-mère et l’avait menacée lorsqu’il était au Canada, et il lui ferait du mal si elle était renvoyée en Hongrie.

[4]               La demande d’asile de Mme Balogh a été refusée par la Section de la protection des réfugiés (SPR) le 27 septembre 2011. La SPR a tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité des allégations de Mme Balogh selon lesquelles M. Jakovics l’avait menacée lorsqu’il était au Canada, estimant que la preuve était insuffisante pour corroborer ces allégations, que la demanderesse n’avait fourni aucun élément de preuve fiable de la discrimination ou de la persécution dont elle avait été victime en Hongrie du fait de son origine ethnique rome et qu’elle n’avait pas réussi à réfuter, par des éléments de preuve clairs et convaincants, la présomption de la protection offerte par l’État de la Hongrie. Mme Balogh a demandé l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de cette décision, mais cette demande a été refusée le 8 février 2012.

[5]               Mme Balogh a par la suite présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), dans laquelle elle maintenait les allégations soumises à la SPR et a fourni d’autres éléments de preuve pour appuyer ses allégations concernant M. Jakovics. Dans sa demande d’ERAR, la demanderesse a mentionné également qu’elle avait peur de son ancien partenaire, Gabor Nagy, qui, alléguait-elle, avait été violent envers elle en Hongrie. Elle a déclaré que M. Nagy l’avait violé après qu’elle eut mis un terme à leur relation et qu’elle s’était rendue à la police hongroise pour porter plainte, mais que la police avait refusé d’accepter sa plainte parce qu’elle était d’origine rome.

[6]               La demande d’ERAR de Mme Balogh a été rejetée le 10 juillet 2013. Mme Balogh a présenté une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de cette décision; cette demande a été accueillie par la Cour fédérale le 20 janvier 2015, la Cour ayant conclu que l’agent chargé de l’ERAR avait commis une erreur dans son analyse de la protection offerte par l’État (voir Balogh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 76 [Balogh]). La Cour a ordonné un nouvel examen par un autre agent, et Mme Balogh a présenté sa demande d’ERAR mise à jour le 19 mars 2015; cette nouvelle demande était accompagnée de nouveaux éléments de preuve à l’appui des allégations de la demanderesse au sujet de M. Nagy et de ce qu’elle a décrit comme une détérioration de la situation pour les Roms en Hongrie et l’absence de protection offerte par l’État. Le 25 octobre 2016, la demanderesse a de nouveau reçu une décision défavorable quant à l’ERAR, et c’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

[7]               Le 23 décembre 2016, Mme Balogh a présenté une requête en sursis, que j’ai accueillie le 29 décembre 2016.

III.               Décision contestée

[8]               L’agent a conclu que Mme Balogh n’avait pu démontrer qu’elle était exposée à des risques en Hongrie, que ce soit à cause de Sandor Jakovics ou de Gabor Nagy, jugeant que peu d’éléments de preuve corroboraient ses allégations selon lesquelles l’un ou l’autre de ces hommes chercherait à la retrouver et à lui faire du mal en Hongrie.

[9]               Mme Balogh a prétendu que M. Jakovics l’avait abordée et menacée le 20 août 2011, alors qu’elle se trouvait à bord d’un autobus à Mississauga, et qu’il avait par la suite commencé à la traquer. L’agent a examiné les éléments de preuve présentés par Mme Balogh pour démontrer le risque que présentait M. Jakovics, notamment une lettre du service de police de Toronto (TPS) qu’elle avait reçue en réponse à une demande d’accès à l’information. Cette lettre faisait mention de deux rapports détaillés d’événement produits en 2010 ainsi que d’un rapport d’incident sommaire indiquant que Mme Balogh avait déposé une plainte le 23 août 2011. L’agent a constaté que l’ensemble de la plainte avait été caviardé et que le nom du sujet avait été supprimé.

[10]           Il a aussi observé que Mme Balogh n’avait jamais donné suite à l’enquête sur l’incident de Mississauga. L’agent a noté que, sur sa demande d’ERAR, Mme Balogh avait indiqué que M. Jakovics avait commencé à la traquer après cet incident; elle avait alors trouvé refuge au Red Door Shelter de la rue Queen où elle a résidé pendant six mois; M. Jakovics a toutefois fini par la retrouver à cet endroit. Cependant, Mme Balogh a aussi fourni une lettre du Red Door Shelter, datée du 28 octobre 2011, dans laquelle il était indiqué qu’elle résidait à ce refuge depuis le 19 mai 2011, soit des mois avant l’incident de Mississauga et la présumée traque. L’agent a également noté qu’aucun rapport de police ne faisait mention de la présumée traque ou de la visite de M. Jakovics au refuge.

[11]           Compte tenu des incohérences dans les renseignements fournis par Mme Balogh, du peu de détails que contenaient les rapports de police et de l’absence d’éléments de preuve récents concernant l’enquête sur le comportement menaçant de M. Jakovics le 20 août 2011, l’agent n’a accordé qu’une faible valeur probante aux déclarations de Mme Balogh, à la documentation obtenue du service de police de Toronto, ainsi qu’à la lettre du Red Door Shelter, pour déterminer le risque personnalisé auquel Mme Balogh pourrait être exposée.

[12]           En ce qui concerne M. Nagy, l’agent a noté que Mme Balogh avait fourni très peu de renseignements sur leur relation, notamment des dates ou un calendrier des événements et qu’elle n’avait pas fait part à la SPR de ses allégations concernant M. Nagy ni expliqué cette omission. Ses demandes d’ERAR comprenaient une lettre oblitérée en date du 31 octobre 2012 en provenance, disait-elle, de M. Nagy et dans laquelle celui-ci la menaçait de mort. Elle a aussi présenté un message qu’un ami de M. Nagy avait publié sur un compte Facebook qu’elle avait créé sous un alias et dans lequel cet ami proférait des menaces à son endroit. Puisque Mme Balogh avait omis d’informer la SPR de ce risque et fourni peu d’éléments de preuve à l’appui, l’agent a accordé peu de poids à ces documents comme preuve d’un risque futur.

[13]           Ayant conclu que Mme Balogh n’avait pu démontrer qu’elle était exposée à des risques de la part de M. Jakovics ou de M. Nagy, l’agent a analysé les conditions en Hongrie pour la population rome en général, sans tenir compte plus précisément de la question de la violence familiale. L’agent a reconnu l’existence d’un certain nombre de problèmes liés aux droits de la personne, notamment la discrimination et l’exclusion sociales, mais a noté que, même si aucun gain notable n’avait été réalisé, il n’y avait pas eu non plus dégradation des protections ou des programmes existants. L’agent a conclu que Mme Balogh n’avait pas réussi à démontrer que le niveau de discrimination dont elle risquait de faire l’objet en Hongrie équivalait à de la persécution, ou que les protections actuellement en place ne lui seraient d’aucune aide. L’agent a indiqué qu’un demandeur était tenu de présenter des éléments de preuve clairs et convaincants de l’incapacité ou de la réticence d’un État à offrir une protection, sauf en cas de total effondrement de l’État. En l’espèce, l’agent a conclu que Mme Balogh n’avait pas satisfait à cette exigence.

IV.              Question préliminaire

[14]           Dans ses observations écrites, le défendeur a soulevé une question préliminaire, s’opposant à l’utilisation par la demanderesse de l’affidavit de Cassandra Fu, une technicienne juridique du bureau de l’avocate de la demanderesse. L’affidavit de Mme Fu est accompagné du dossier de requête que la demanderesse a déposé à l’appui de sa requête en sursis, lequel comprend le propre affidavit de Mme Balogh. Le défendeur a toutefois fait valoir que l’affidavit de Mme Balogh comprend des éléments de preuve qui, bien qu’ils puissent être pertinents pour l’examen des questions soulevées dans la requête en sursis, n’ont pas été présentés à l’agent lorsqu’il a rendu sa décision concernant l’ERAR; ils ne conviennent donc pas à l’examen de la présente demande de contrôle judiciaire.

[15]           Dans son exposé des arguments, le défendeur a aussi fait valoir que l’affidavit de Mme Fu n’est pas conforme au paragraphe 12(1) des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22 (les Règles d’immigration), qui prévoit que tout affidavit déposé à l’appui d’une demande d’autorisation de contrôle judiciaire doit se limiter au témoignage que son auteur pourrait donner s’il témoignait devant la Cour. Le défendeur a donc demandé que l’affidavit de Mme Fu soit supprimé et il a soutenu que la demande devrait être rejetée, car la demanderesse n’avait pas fourni l’affidavit exigé pour que sa demande soit complète conformément au paragraphe 10(2) des Règles d’immigration.

[16]           Lors de l’audition de cette demande de contrôle judiciaire, l’avocat du défendeur a expliqué que ces arguments ont été soulevés avant que la Cour n’accorde l’autorisation et donc avant la production du dossier certifié du tribunal et que, de ce fait, le défendeur pourrait être désavantagé du fait qu’il était incapable de déterminer avec précision, à partir de l’affidavit de la demanderesse, quels étaient les éléments de preuve dont disposait l’agent au moment où la décision contestée a été rendue. L’autorisation ayant depuis été accordée, l’avocat du défendeur a déclaré durant l’audience que le défendeur ne se basait pas particulièrement sur ces arguments à ce stade, puisqu’il disposait désormais du dossier certifié du tribunal qui rend compte du dossier que l’agent avait en sa possession.

[17]           Durant la plaidoirie, l’avocate de la demanderesse a reconnu que l’affidavit de Mme Fu comportait du matériel qui n’avait pas été présenté à l’agent, ajoutant qu’elle avait l’intention de se fier uniquement aux documents contenus dans le dossier certifié du tribunal, mis à part deux autres documents relatant l’historique de l’instance (la décision rendue lors la première demande d’ERAR de Mme Balogh et la décision dans Balogh ayant annulé cette demande). Suivant ce raisonnement, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que seul le matériel admissible et pertinent devrait être pris en compte pour l’examen de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire proprement dite. Sauf quelques exceptions, notamment les explications contextuelles et les éléments de preuve visant à démontrer une iniquité procédurale, ces affidavits devraient se limiter au matériel que le décideur avait en sa possession.

[18]           Il n’existe aucune exigence selon laquelle la demande de contrôle judiciaire doit être étayée par une déclaration sous serment du demandeur (voir Zheng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 C.F. 1re inst. 1152, au paragraphe 5). Le problème en l’espèce vient du fait que l’affidavit de Mme Fu, qui ne fait que joindre le dossier de requête déposé par la demanderesse à l’appui de sa requête en sursis, semble avoir été présenté à l’appui de la demande d’autorisation, sans tenir dûment compte des différences entre ce qui est pertinent pour une requête en sursis et sur ce qui l’est pour une demande de contrôle judiciaire. Il faut décourager ce genre de pratique. Cependant, notamment parce que le défendeur n’insiste plus sur ce point, les lacunes dans l’approche utilisée par la demanderesse à l’égard de l’affidavit à l’appui ne justifient pas le rejet de sa demande pour le motif qu’elle n’était pas complète, car la demanderesse invoque des erreurs à la lecture du dossier pour contester la décision de l’agent (voir Turcinovica c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 C.F. 1re inst.164, aux paragraphes 11 à 14).

V.                 Questions en litige

[19]           La demanderesse soumet à la Cour les questions suivantes aux fins d’examen :

A.     L’agent a-t-il commis une erreur en omettant de convoquer une audience et en ne donnant pas à la demanderesse l’occasion de réfuter les préoccupations quant à sa crédibilité?

B.     L’agent a-t-il commis une erreur dans son analyse de la protection offerte par l’État?

VI.              Norme de contrôle

[20]           La demanderesse fait valoir que la première question en est une d’équité procédurale qui est, de ce fait, sujette à révision en regard de la norme de la décision correcte, et que la deuxième question est sujette à révision en regard de la norme de la décision raisonnable. Le défendeur, pour sa part, est d’avis que la norme de la décision raisonnable s’applique aux deux questions.

[21]           Cette divergence d’opinion entre les parties, quant à la norme de contrôle devant s’appliquer, tient à la manière dont la première question est formulée. La demanderesse soutient qu’il s’agit d’une question d’équité procédurale, sujette à révision en regard de la norme de la décision correcte, en s’appuyant sur la décision rendue par le juge Boswell dans Zmari c. Canada (Citoyenneté et Immigration) 2016 CF 132, aux paragraphes 10 à 13. Il existe toutefois une abondante jurisprudence selon laquelle la norme applicable à la décision d’un agent d’ERAR de tenir ou non une audience est celle de la décision raisonnable (voir Ikeji c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1422, au paragraphe 20 [Ikeji]; Sanchez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 737, au paragraphe 4; Ibrahim c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 837, au paragraphe 6, citant Bicuku c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 339, aux paragraphes 16 à 20; Ponniah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 386, au paragraphe 24; et Mosavat c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 647, aux paragraphes 7 à 10).

[22]           Selon ma recension de la jurisprudence, le choix de la norme de contrôle à appliquer semble dépendre de la façon dont la Cour décrit dans un cas d’espèce la question de savoir si une audience aurait dû être accordée. Si la Cour détermine qu’il s’agit d’une question d’équité procédurale, la norme de la décision correcte doit être appliquée, mais s’il s’agit d’une question d’interprétation de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), c’est alors la norme de la décision raisonnable qui doit s’appliquer.

[23]           Je suis d’avis qu’il convient d’appliquer la norme de la décision raisonnable lorsque la question en litige est de savoir si un agent d’ERAR aurait dû accorder une audience, car cette décision repose sur l’interprétation et l’application de la loi qui régit les activités de l’agent. L’alinéa 113b) de la LIPR dispose qu’une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires, et l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002/227 (RIPR) indique que les facteurs applicables sont les suivants :

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

[24]           En l’espèce, les arguments portaient sur le premier de ces facteurs, à savoir s’il existe des éléments de preuve qui soulèvent des doutes importants quant à la crédibilité de la demanderesse et, plus particulièrement, si le raisonnement de l’agent, qui repose sur le caractère suffisant de la preuve, pourrait plus justement être qualifié de conclusion quant à la crédibilité (parfois qualifiée de « conclusion voilée en matière de crédibilité »). Au paragraphe 20 de la décision Ikeji, la juge Strickland a énoncé que la norme de la décision raisonnable s’applique aux questions se rapportant à des conclusions voilées en matière de crédibilité, tout en signalant que bien que la jurisprudence soit divisée quant à la norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’ERAR de tenir ou non une audience, elle conclut que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique. La juge Strickland en est arrivée à cette conclusion parce qu’un agent doit tenir compte des exigences prévues à l’alinéa 113b) de la LIPR et des facteurs énoncés à l’article 167 du RIPR pour rendre une telle décision, ce qui constitue une question de fait et de droit.

[25]           Je souscris à cette analyse et je considère qu’elle s’applique particulièrement à la présente affaire, où la position de la demanderesse sur la question de la tenue d’une audience repose sur l’argument selon lequel l’agent a tiré une conclusion équivalant à une conclusion voilée en matière de crédibilité. J’appliquerai donc la norme de la décision raisonnable aux deux questions en litige dans la présente demande.

VII.            Analyse

A.     L’agent a-t-il commis une erreur en omettant de convoquer une audience et en ne donnant pas à la demanderesse l’occasion de réfuter les préoccupations quant à sa crédibilité?

[26]           La question que la Cour doit trancher est de déterminer si la décision défavorable de l’agent d’ERAR était fondée sur des conclusions négatives quant à la crédibilité de la demanderesse, comme le soutient cette dernière, ou plutôt sur une insuffisance de la preuve comme l’affirme le défendeur.

[27]           En ce qui concerne le rapport de police, le défendeur soutient que la conclusion de l’agent est que ce document contenait peu d’information utile, car il y était seulement indiqué que Mme Balogh avait déposé une plainte le 20 août 2011, sans autre détail. De plus, il ne contenait aucune information plus récente concernant l’enquête sur le présumé incident. Le rapport de police n’avait donc qu’une faible valeur probante pour étayer les allégations de Mme Balogh quant aux risques auxquels elle était exposée, et aucun élément de preuve récent découlant de l’enquête ne démontrait un risque futur. Je considère que cela représente une caractérisation exacte de l’analyse faite par l’agent du rapport de police, c’est-à-dire qu’il était de peu d’utilité pour Mme Balogh en raison de sa faible valeur probante, et non à cause des doutes quant à sa crédibilité.

[28]           De même, j’accepte la position du défendeur selon laquelle le peu de poids accordé par l’agent à la lettre du Red Door Shelter constitue une appréciation de la valeur probante de cet élément de preuve et non une conclusion sur la crédibilité. Comme l’a souligné le défendeur, cette lettre mentionnait uniquement le fait que Mme Balogh avait vécu au refuge et ne faisait nullement mention des tentatives faites par M. Jakovics pour découvrir où vivait la demanderesse.

[29]           Cependant, les éléments de preuve présentés à l’agent incluaient également la propre déclaration de Mme Balogh dans laquelle elle décrivait l’incident de Mississauga et la présumée traque dont elle aurait par la suite fait l’objet de la part de M. Jakovics. L’agent a notamment invoqué les incohérences relevées dans les renseignements fournis par Mme Balogh pour expliquer le peu de poids accordé aux éléments de preuve, y compris aux déclarations de Mme Balogh. Selon mon interprétation, ces incohérences sont liées, en partie du moins, aux observations formulées par l’agent aux paragraphes précédents de sa décision, dans lesquelles il souligne le fait que Mme Balogh a déclaré être entrée au Red Door Shelter au moment où M. Jakovics a commencé à la traquer, alors que la lettre du refuge indiquait qu’elle y vivait depuis le 19 mai 2011, soit des mois avant que débute la présumée traque l’ayant poussé à chercher refuge. Il est difficile de caractériser cette analyse autrement que comme une conclusion défavorable quant à la crédibilité de la demanderesse. L’agent a mis en doute la véracité des allégations de harcèlement dont Mme Balogh disait avoir été victime, à cause des incohérences entre ses propos et les éléments de preuve documentaires présentés.

[30]           De même, au moment d’apprécier la déclaration de Mme Balogh concernant la violence dont elle aurait été victime de la part de M. Nagy, l’agent a noté que la demanderesse avait fourni peu d’information sur M. Nagy ou sur la relation qu’elle entretenait avec lui, et peu d’éléments de preuve corroborant ces mauvais traitements. Tous ces facteurs peuvent mener à conclure à une insuffisance de la preuve. Cependant, l’analyse que l’agent a faite de ces allégations était également fortement influencée par le fait que Mme Balogh n’avait pas fait mention de ce risque à la Section de la protection des réfugiés. Même si cet élément n’a pas été qualifié de conclusion quant à la crédibilité, je ne vois pas d’autre façon de caractériser cet élément de l’analyse de l’agent; en d’autres mots, l’agent a mis en doute la véracité des éléments de preuve de Mme Balogh parce qu’elle n’avait pas fait mention, dans sa demande d’asile, des risques que posait M. Nagy.

[31]           Je conclus donc que la décision de l’agent a été influencée à la fois par des conclusions quant à l’insuffisance de la preuve et des conclusions défavorables quant à la crédibilité de la demanderesse. La Cour ne peut spéculer et se demander si l’agent en serait venu à une conclusion défavorable concernant l’ERAR s’il s’était fondé uniquement sur l’insuffisance de la preuve. Comme les préoccupations quant à la crédibilité font intervenir l’alinéa 113b) de la LIPR et l’article 167 du RIPR concernant la tenue d’une audience, l’agent était tenu de prendre en compte les facteurs énoncés à l’article 167 et, notamment, de déterminer l’importance des éléments de preuve relatifs à la crédibilité de la demanderesse pour la prise de la décision relative à la demande de protection. C’est particulièrement le cas dans les circonstances en l’espèce, puisqu’il était expressément demandé, dans les observations écrites présentées à l’appui de la demande de protection de Mme Balogh, que celle-ci ait droit à une audience si l’agent avait quelque doute quant à sa crédibilité.

B.     L’agent a-t-il commis une erreur dans son analyse de la protection offerte par l’État?

[32]           Une conclusion établissant le caractère adéquat de la protection offerte par l’État peut être déterminante dans le rejet d’une demande d’ERAR. Par conséquent, nonobstant ma conclusion concernant la première question soulevée par la demanderesse, je me dois d’examiner la deuxième question afin de déterminer si l’agent a commis une erreur en appréciant la protection offerte par la Hongrie.

[33]           L’agent a limité son analyse de la protection offerte par l’État à des considérations liées aux conditions en Hongrie pour les Roms en général, sans examiner si cette protection de l’État s’appliquait également aux cas de violence familiale ou de violence fondée sur le sexe. Cette approche choisie par l’agent résultait de sa conclusion selon laquelle Mme Balogh n’avait pu démontrer qu’elle courait des risques en Hongrie, que ce soit de la part de M. Jakovics ou de M. Nagy. Cependant, comme j’ai conclu précédemment que l’agent a fondé sa décision, du moins en partie, sur des conclusions défavorables quant à la crédibilité de la demanderesse, sans accorder d’audience à Mme Balogh et, tout au moins, sans déterminer si les doutes quant à sa crédibilité faisaient intervenir les facteurs énoncés à l’article 167, je ne peux confirmer la décision de l’agent sur la base d’une analyse de la protection de l’État qui n’a pas tenu compte des risques de violence fondée sur le sexe ou de violence familiale.

[34]           Je conclus donc que la décision de l’agent n’appartient pas à la gamme des issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit et qu’elle n’est pas raisonnable. Par conséquent, la décision doit être renvoyée pour un nouvel examen conformément aux présents motifs.

[35]           Aucune des parties n’a proposé de question à certifier aux fins de l’appel, et aucune question n’est mentionnée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-5185-16

LA COUR accueille la présente demande de contrôle judiciaire, annule la décision de l’agent et renvoie l’affaire pour faire l’objet d’un nouvel examen par un autre agent, conformément aux présents motifs du jugement. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5185-16

INTITULÉ :

TIMEA BALOGH c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 juin 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Southcott

DATE DES MOTIFS :

Le 6 juillet 2017

COMPARUTIONS :

Wennie Lee

Pour la demanderesse

Jocelyn Espejo Clarke

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wennie Lee

Lee & Company

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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