Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20170705


Dossier : IMM-5221-16

Référence : 2017 CF 650

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 5 juillet 2017

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

BING CHEN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Contexte

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) à l’égard d’une décision (la décision) rendue le 17 novembre 2016 par la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Dans sa décision, la SAR a confirmé la conclusion de la Section de la protection des réfugiés (SPR) selon laquelle le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi. Pour les motifs expliqués ci-dessous, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

[2]               Le demandeur est un citoyen de la Chine originaire de Tantou, dans la ville de Changle, dans la province du Fujian. Il allègue qu’il a été victime, et qu’il continuera de l’être, d’une persécution fondée sur les croyances religieuses en Chine en raison de sa confession catholique.

[3]               Le demandeur allègue que le 24 décembre 2015, il a participé à son premier rassemblement dans une maison-église catholique à la suite de la recommandation de deux amis. Il affirme qu’il a par la suite commencé à assister aux services réguliers du dimanche soir, qui étaient tenus dans les maisons de cinq croyants différents.

[4]               Le demandeur allègue que le 18 mars 2016, il s’est enfui et s’est caché quand il a vu s’approcher des agents du Bureau chinois de la sécurité publique (PSB) alors qu’il distribuait des prospectus religieux. Il affirme qu’il a réussi à s’échapper et à se rendre à la maison de sa tante, où il est resté caché jusqu’à ce que des dispositions soient prises pour son départ vers le Canada. Il a payé un passeur pour qu’il lui obtienne un passeport chinois à son nom ainsi qu’un visa afin de faciliter son départ de la Chine vers le Canada.

[5]               Le demandeur a quitté la Chine le 16 mai 2016 à partir de Guangzhou à bord d’un vol direct à destination de Vancouver. Il a présenté une demande d’asile à son arrivée. La SPR a finalement rejeté la demande du demandeur en fonction d’un certain nombre de conclusions défavorables concernant sa crédibilité. Le demandeur a interjeté appel de la décision auprès de la SAR.

[6]               La SAR, qui a entrepris sa propre analyse, a rejeté la demande en fonction de conclusions défavorables concernant la crédibilité et d’une insuffisance d’éléments de preuve. Les conclusions concernant la crédibilité indiquaient notamment que les éléments de preuve n’avaient pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur faisait partie d’une église catholique clandestine en Chine, et qu’ils n’étaient pas suffisants pour établir une demande de statut de réfugié sur place.

II.                 Questions en litige et analyse

[7]               Le demandeur soulève trois questions : la SAR a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la (A) crédibilité du demandeur, de sa (B) croyance sincère à la religion catholique et de sa (C) demande sur place?

[8]               La norme de révision applicable à ces trois questions est la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35). La Cour doit déterminer si les conclusions de la SAR appartiennent « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

A.                 Crédibilité par rapport au départ de la Chine

[9]               Les conclusions de la SAR quant à la crédibilité du demandeur étaient raisonnables. La SAR a ciblé un certain nombre de facteurs qui ont miné la crédibilité du demandeur, y compris ses comptes rendus de ce qui suit : la perte de sa carte d’identité de résident avant que sa famille lui trouve une ancienne carte; la perte de son passeport dans l’avion, alors qu’il a conservé tous les autres documents de voyage essentiels; son départ de la Chine au moyen d’un faux passeport délivré à son propre nom alors qu’il était recherché par le PSB; son expérience de la religion catholique.

[10]           Le demandeur, dans les documents écrits qu’il a présentés, n’a pas contesté la conclusion de la SAR selon laquelle les nouveaux renseignements concernant la carte d’identité de résident (qui ne figuraient pas dans son formulaire Fondement de la demande d’asile [FDA]) constituaient un embellissement et minaient par conséquent sa crédibilité. Cependant, dans sa réponse orale, le demandeur a allégué que cette conclusion concernant sa crédibilité était déraisonnable. Je suis toutefois d’avis que la conclusion de la SAR (et de la SPR) selon laquelle l’explication de la carte d’identité de résident constituait un embellissement était totalement raisonnable.

[11]           Il n’y a rien non plus de déraisonnable dans les conclusions relatives au passeport (c’est-à-dire que le demandeur a utilisé un faux passeport délivré à son propre nom alors qu’il était prétendument recherché par le PSB). La même norme s’applique à la prétendue perte du passeport du demandeur dans l’avion : compte tenu de l’importance du passeport dans son départ de la Chine, de l’absence de toute mention du passeport dans la liste de documents de sa demande d’asile et du fait qu’il n’a pas fait d’effort pour le récupérer quand il s’est rendu compte qu’il l’avait perdu, la SAR a fait référence de manière raisonnable à l’article 106 de la Loi. Elle s’est également fondée à juste titre sur l’article 11 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256, en vertu duquel un demandeur doit « transmet[tre] des documents acceptables qui permettent d’établir son identité et les autres éléments de sa demande d’asile » – un demandeur qui ne peut pas respecter cette exigence doit en donner la raison et indiquer quelles mesures il a prises pour se procurer de tels documents.

[12]           Cela étant dit, les conclusions de la SAR concernant la crédibilité du demandeur ne sont pas parfaites. Je suis d’accord avec le demandeur, qui affirme que la conclusion de la SAR selon laquelle il devait présenter une demande de passeport au PSB local est problématique. Cette conclusion ne tient pas compte des nombreux éléments de preuve documentaire concernant la disponibilité de faux passeports obtenus par des tiers, ce qui permet ainsi aux personnes de ne pas avoir à présenter une demande à leur PSB local.

[13]           Je suis aussi d’avis que la conclusion connexe concernant la capacité de quitter la Chine en passant inaperçu au moyen d’un faux passeport délivré au nom d’une personne recherchée par le PSB est contestable, malgré les différences dans les éléments de preuve et les faits en l’espèce avec ceux des décisions sur lesquelles le demandeur se fonde [y compris Yang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 543 et Ren c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1402]. Comme le juge Locke l’a affirmé dans l’arrêt Yao c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 927, au paragraphe 16, « les éléments de preuve ne démontrent pas clairement que les faux passeports chinois ne peuvent pas être utilisés pour passer par les contrôles à la frontière et quitter la Chine ».

[14]           Néanmoins, si on tient compte de ces conclusions contestables concernant l’obtention du passeport et le départ de la Chine dans le contexte de toutes les autres conclusions du tribunal – y compris celles sur le passeport lui-même, comme le caractère vraisemblable de sa perte dans l’avion –, elles ne sont pas fatales à la décision générale. Il y a un très grand nombre d’autres conclusions justifiables concernant la crédibilité dans la décision.

[15]           Je suis d’avis que, dans l’ensemble, les conclusions concernant la crédibilité relativement au passage du demandeur au Canada appartiennent aux issues possibles acceptables et qu’elles résistent donc à l’examen judiciaire.

B.                 Confession catholique du demandeur et appartenance à une église clandestine en Chine

[16]           La SAR a conclu que les facteurs suivants sapaient l’affirmation du demandeur selon laquelle il était réellement de confession catholique et membre d’une église clandestine en Chine : (1) son témoignage « vague » sur la raison pour laquelle il a commencé à fréquenter l’église et a continué à le faire, ainsi que son témoignage « vague » sur la raison pour laquelle il a été attiré par le catholicisme; (2) son incapacité à expliquer de façon raisonnable les mesures de sécurité mises en place par l’église et par ses membres pour rester sous le radar du PSB, et ce, en dépit de son témoignage selon lequel ces mesures de sécurité avaient permis d’apaiser sa crainte de devenir membre d’une église clandestine; (3) son manque de connaissances sur des éléments très fondamentaux de la structure de l’Église catholique (comme des questions sur le pape et le Vatican).

[17]           Étant donné le contexte factuel et l’interrogatoire qui a été mené devant la SPR, la SAR pouvait s’appuyer sur ces conclusions. Bien que le formulaire FDA du demandeur et son témoignage comprennent des explications sur la raison pour laquelle il est devenu catholique ainsi que des énoncés indiquant que sa participation aux services lui avait laissé [traduction« un sentiment positif », cet élément de preuve ne dissipe pas les doutes de la SAR à l’égard du manque de connaissances de base sur l’Église catholique romaine ou ses institutions. La SAR doit faire preuve d’une grande retenue dans son évaluation des connaissances religieuses d’un demandeur dans les cas où la crédibilité de ce dernier a été contestée et qu’il n’a pas réussi à fournir de solides éléments de preuve pour étayer l’authenticité de ses croyances [Hou c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 993, au paragraphe 54].

[18]           En outre, je suis d’avis que les doutes de la SAR à l’égard des motivations qu’avait le demandeur pour devenir membre d’une église clandestine en Chine, de son incapacité à fournir des renseignements sur les mesures de sécurité de l’église et de sa connaissance très limitée de l’Église catholique romaine sont légitimes. La SAR pouvait conclure que l’accent mis par le demandeur sur les quelques connaissances qu’il a acquises au Canada sapait son affirmation selon laquelle il était réellement de confession catholique en Chine.

C.                 Demande sur place du demandeur

[19]           Enfin, les conclusions de la SAR relatives à la demande sur place étaient intelligibles et justifiables : les lettres d’un prêtre de l’Église catholique au Canada et de paroissiens étaient simplement insuffisantes pour attester de l’authenticité de la foi catholique prétendue du demandeur, selon la prépondérance des probabilités, aux fins d’une demande sur place, surtout à la lumière des conclusions relatives à sa participation en Chine (se reporter, par exemple, à l’arrêt Li c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 998, aux paragraphes 29 et 32, et à l’arrêt Su c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 518).

III.               Conclusion

[20]           La SAR a fourni des raisons détaillées et incisives, notamment des renvois à des éléments de preuve documentaire clés, et a appliqué la loi pertinente. Le fait que la SAR était en désaccord avec le traitement de certains éléments de preuve par la SPR démontre qu’elle s’est lancée dans une analyse indépendante et approfondie de la demande. Je suis d’avis que le dossier appuie les conclusions de la SAR en fonction de la totalité des éléments de preuve. Bien que la décision ne soit pas parfaite, elle est parfaitement justifiable, intelligible et transparente quand on l’examine dans son ensemble (Dunsmuir, au paragraphe 48 et Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 15). La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-5221-16

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                   La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                   L’avocat n’a présenté aucune question à certifier, et aucune n’est soulevée.

3.                   Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5221-16

 

INTITULÉ :

BIN CHEN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 juin 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 5 juillet 2017

 

COMPARUTIONS :

Stephanie Phung

 

Pour le demandeur

 

Alex Kam

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.