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Date : 20170529


Dossier : 17-T-22

Référence : 2017 CF 527

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 29 mai 2017

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

VINCENT DAOUST

demandeur

et

CONSEIL MOHAWK DE KANESATAKE

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               La présente décision concerne une requête présentée par Vincent Daoust dans laquelle il sollicite les mesures suivantes :

PROROGER le délai pour déposer une demande de contrôle judiciaire concernant la décision datée du 23 septembre 2016 de la Conseillère d’assistance sociale du Conseil de bande de Kanesatake, laquelle décision suspend l’assistance sociale du requérant et ce en raison du motif suivant : [traduction] « Attendre la directive politique du chef en conseil du CMK »;

AUTORISER le requérant à déposer son Avis de demande de contrôle judiciaire au plus tard 30 jours après la réception par le requérant de l’Ordonnance prorogeant le délai;

ORDONNER à l’intimée de payer au requérant l’ensemble de l’Assistance sociale ayant été retenue depuis le 23 septembre 2016, et ce, dans les 10 jours de la réception de l’Ordonnance à être rendue (Règle 53);

ORDONNER à l’intimée de verser au requérant l’Assistance sociale auquel il avait droit avant le 23 septembre 2016, et ce, de la réception de l’Ordonnance au jugement final à intervenir suivant le dépôt de l’Avis de demande de contrôle judiciaire (Règle 53);

RENDRE toute autre directive, ordonnance ou conclusion que cette honorable cour juge équitable ou assortir toute conclusion des conditions et directives qu’elle juge équitables (Règle 53);

SIGNALER à la procureure du requérant, si c’est le cas, toute lacune de preuve ou de procédure que comporte le présent dossier de requête, et, le cas échéant, lui permettre de remédier aux lacunes selon les modalités que la Cour juge équitables (Règle 60);

CONDAMNER l’intimé aux dépens suivant la présente requête;

[2]               La présente requête comporte deux volets distincts. Premièrement, M. Daoust demande une prorogation du délai prévu pour présenter une demande de contrôle judiciaire. Comme il est indiqué dans la citation ci-dessus, la demande concerne une décision prise par le Conseil mohawk de Kanesatake (CMK) en septembre 2016, par laquelle il a suspendu le versement de prestations d’aide sociale à M. Daoust. Deuxièmement, M. Daoust demande qu’il soit ordonné au CMK de lui verser toutes les prestations d’aide sociale qui ont été retenues jusqu’à présent et les prestations d’aide sociale auxquelles il aurait droit à l’avenir.

[3]               Je vais traiter de chacun de ces volets de la requête dans les paragraphes qui suivent.

I.                   Demande de prorogation de délai

[4]               Le critère qu’il convient d’appliquer lorsqu’il est question d’une demande de prorogation de délai a été énoncé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Larkman, 2012 CAF 204, aux paragraphes 61 et 62 [Larkman]. Les questions suivantes sont pertinentes :

  1. Le requérant a-t-il manifesté une intention constante de poursuivre sa demande?
  2. La demande a-t-elle un certain fondement?
  3. La partie adverse a-t-elle subi un préjudice en raison du retard?
  4. Le requérant a-t-il une explication raisonnable pour justifier le retard?

[5]               Il n’est pas nécessaire que la réponse à ces quatre questions soit favorable au requérant. La question primordiale en l’espèce consiste à savoir s’il est dans l’intérêt de la justice de proroger le délai.

[6]               Le CMK ne conteste pas qu’il est satisfait aux premier et quatrième critères (intention constante de poursuivre la demande et explication raisonnable pour justifier le retard). Par conséquent, les critères en litige sont les deuxième et troisième critères. Ils seront examinés à tour de rôle.

A.                La demande a-t-elle un certain fondement?

[7]               La demande que M. Daoust envisage de présenter reposerait sur le fait que le seul motif invoqué par le CMK pour suspendre le versement de ses prestations d’aide sociale était qu’il occupe une résidence qu’il n’aurait pas le droit d’occuper (il aurait été décidé que la résidence serait occupée par le Centre des Aînés de la collectivité). M. Daoust affirme que l’occupation illicite d’une résidence ne constitue pas une raison valable de refuser de lui fournir de l’aide sociale, et il sollicite l’annulation de la décision du CMK. Il convient de souligner qu’Affaires autochtones et du Nord Canada (AANC) semble souscrire à l’argument de M. Daoust dans sa lettre du 24 janvier 2017 : [traduction] « Retenir le versement de prestations d’aide sociale n’est pas la bonne façon de régler ce problème. »

[8]               Le CMK fait valoir que la demande que M. Daoust envisage de présenter n’a aucun fondement parce que celui-ci dispose d’un autre recours valable. Plus précisément, il s’agit, selon le CMK, du processus de traitement des plaintes d’AANC, dont M. Daoust s’est déjà prévalu. Le CMK prétend que la [traduction] « plus récente lettre d’AANC, datée du 10 mars 2017, démontre clairement qu’AANC à l’intention d’accorder à [M. Daoust] les mesures qu’il demande, que ce soit par l’entremise du CMK ou par d’autres moyens ». Le passage de la lettre d’AANC invoquée par le CMK est rédigé comme suit :

[traduction]

Par conséquent, AANC demande que des mesures adéquates soient prises afin que la direction du Programme d’aide au revenu respecte les directives du ministère et qu’une confirmation soit transmise au ministère au plus tard le 22 mars 2017. Autrement, le ministère n’aura d’autre choix que d’envisager d’autres solutions afin que tous les membres admissibles de la collectivité puissent se prévaloir du programme.

[Soulignement ajouté par le défendeur. Note de bas de page omise.]

[9]               Selon moi, ce passage démontre qu’AANC a fait une demande claire, mais il est loin de démontrer clairement qu’AANC veillera à ce que M. Daoust obtienne les mesures qu’il demande. À mon sens, la demande d’AANC ne constitue pas un recours subsidiaire valable permettant de conclure que la demande que M. Daoust envisage de présenter n’a aucun fondement.

[10]           Je conclus que la demande que M. Daoust envisage de présenter a un certain fondement.

B.                 La partie adverse a-t-elle subi un préjudice en raison du retard?

[11]           Le CMK prétend que le fait que M. Daoust ait présenté sa demande en retard lui occasionne un préjudice parce qu’il a pris une décision difficile de bonne foi et que

[traduction]

[r]ouvrir l’affaire plusieurs mois plus tard aura un effet psychologique défavorable sur les aînés de Kanesatake et les membres de la collectivité qui craignent que des personnes entrent de force chez eux sans qu’aucune mesure ne soit prise par le CMK.

[12]           Même si j’accepte que la décision du CMK fût difficile et que l’occupation par M. Daoust du Centre des Aînés a causé dans la collectivité les craintes alléguées, je ne suis pas convaincu que la demande que M. Daoust envisage de présenter concernant le refus de lui fournir de l’aide sociale est suffisamment liée à l’occupation du Centre des Aînés pour constituer un préjudice aux fins de la présente requête. Premièrement, je ne suis pas convaincu par l’argument du CMK selon lequel, pour obtenir que M. Daoust quitte le Centre des Aînés, il ne disposait pratiquement pas d’autres moyens que de le priver d’aide sociale. De plus, compte tenu du dossier dont je dispose, il ne semble pas que le refus de fournir de l’aide sociale à M. Daoust ait changé quoi que ce soit au fait qu’il occupe illicitement la résidence réservée au Centre des Aînés.

[13]           De plus, je ne suis pas convaincu que les difficultés subies au sein de la collectivité de Kanesatake auraient été moins importantes si M. Daoust avait présenté, comme il avait le droit de le faire, sa demande dans les 30 jours suivant la décision du CMK. Par conséquent, je ne suis pas convaincu que le retard accusé pour présenter la demande a causé un préjudice au CMK ou à la collectivité de Kanesatake.

C.                 Conclusion concernant la demande de prorogation de délai

[14]           Comme je suis convaincu que tous les critères énoncés dans l’arrêt Larkman favorisent M. Daoust et qu’il est dans l’intérêt de la justice d’accorder la prorogation de délai demandée, j’accorderai la prorogation en question.

II.                Ordonnance enjoignant au CMK de verser des prestations d’aide sociale à M. Daoust

[15]           M. Daoust sollicite une ordonnance enjoignant que lui soient versées avant la tenue de l’instance les prestations d’aide sociale qui lui ont été refusées et qui font l’objet de la demande qu’il envisage de présenter. Il affirme que si on ne fait rien, la violation de ses droits à la dignité, à la sécurité et à une vie décente se prolongera injustement.

[16]           Le CMK invoque de nombreuses raisons pour lesquelles l’ordonnance enjoignant le versement de prestations d’aide sociale avant la tenue de l’instance ne devrait pas être accordée. Bien que je ne tenterai pas de traiter de toutes ces raisons, je suis disposé à déclarer que je suis d’accord avec le CMK en ce qui concerne les points suivants.

[17]           Premièrement, M. Daoust n’a pas respecté le paragraphe 372(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles], qui prévoit que « [la] personne qui présente une requête visée au paragraphe (1) s’engage à introduire l’instance dans le délai fixé par la Cour ». Bien qu’il apparaisse clairement que l’objectif de M. Daoust en présentant la présente requête est d’intenter la demande envisagée, ce dernier n’a pas suivi la procédure prévue. Il n’a pas respecté l’exigence prévue au paragraphe 372(2) et n’a pas demandé à être dispensé de cette exigence.

[18]           Deuxièmement, M. Daoust n’a pas fourni l’engagement visé au paragraphe 373(2) des Règles, à savoir payer les dommages-intérêts découlant de la délivrance de l’ordonnance sollicitée. Je souscris à l’argument du CMK selon lequel la mesure que M. Daoust sollicite dans ce volet de sa requête est en fait une injonction interlocutoire. Par conséquent, le paragraphe 373(2) des Règles s’applique. M. Daoust n’a pas fourni l’engagement exigé et n’a pas demandé à être dispensé de l’obligation de le faire.

[19]           Enfin, je souligne que le paragraphe 372(1) des Règles prévoit qu’une requête visant l’obtention d’une mesure interlocutoire ne peut être présentée avant l’introduction de l’instance, sauf en cas d’urgence. Bien que le refus de fournir de l’aide sociale puisse être considéré comme un cas d’urgence, il est difficile d’accepter que M. Daoust ait traité la présente affaire de façon urgente compte tenu du temps qui s’est écoulé depuis que les versements de ses prestations d’aide sociale ont été interrompus. Il ne semble pas non plus que M. Daoust a l’intention d’agir de façon urgente à l’avenir, étant donné qu’il demande un délai supplémentaire de 30 jours pour présenter sa demande. M. Daoust n’a pas satisfait à l’exigence du paragraphe 372(1) des Règles.

[20]           Pour les motifs qui précèdent, je ne suis pas disposé à ordonner le versement provisoire de prestations d’aide sociale.


ORDONNANCE dans le dossier 17-T-22

LA COUR ORDONNE :

1.      Le délai prévu pour déposer l’avis de demande visé dans le dossier de requête de M. Daoust est prolongé de 30 jours après la date de la présente ordonnance.

2.      Les dépens relatifs à la présente requête suivront l’issue de la cause.

« George R. Locke »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

17-T-22

 

INTITULÉ :

VINCENT DAOUST c CONSEIL MOHAWK DE  KANESATAKE

 

REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR ÉCRIT, CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES (DORS/98-106), ET EXAMINÉE À TORONTO (ONTARIO).

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LOCKE J.

 

DATE DE L’ORDONNANCE

ET DES MOTIFS :

LE 29 MAI 2017

 

COMPARUTIONS :

Maryse Lapointe

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nicholas Dodd

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Maryse Lapointe

Avocate

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Dionne Schulze s.e.n.c.

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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