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Date : 20170705


Dossier : IMM-4664-16

Référence : 2017 CF 648

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 juillet 2017

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

PALWASHA BARAK, ABDUL SHAKOOR BARAK, FARISHTA BARAK, AHMAD FAHIM BARAK, EHSANULLAH BARAK

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Contexte

[1]               Il s’agit d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), d’une décision rendue par un agent de la section des visas (l’agent) le 2 septembre 2016 à Islamabad, au Pakistan (la décision), dans laquelle l’agent a déterminé que les demandeurs ne satisfaisaient pas aux exigences de résidence permanente au Canada, au titre des catégories des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou des personnes de pays d’accueil. Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Un résumé des faits suit.

[2]               Les demandeurs affirment être des ressortissants afghans qui ont fui en famille au Pakistan en 1996. Ils soutiennent avoir été pris pour cible en Afghanistan et avoir été déplacés au Pakistan, après avoir fui de Kaboul à Kandahar parce que leur mode de vie était jugé trop libéral et qu’ils étaient pachtounes. Trois des demandeurs disent s’être procuré, en versant des pots-de-vin, des cartes d’identité du Pakistan comme celles que reçoivent les citoyens pakistanais.

[3]               Les demandeurs ont été reçus en entrevue par l’agent le 29 août 2016. Un autre des demandeurs se trouvait aux États-Unis à ce moment et n’a pas participé à l’entrevue. Pendant l’entrevue, l’agent a interrogé les demandeurs au sujet de leurs cartes d’identité du Pakistan et de leur manque de documents afghans.

[4]               L’agent n’a pas été convaincu que les demandeurs n’étaient pas des ressortissants de l’Afghanistan; par conséquent, ils ne répondaient pas à la définition de réfugié au sens de la Convention. L’agent a également conclu qu’ils n’appartenaient pas à la catégorie des personnes de pays d’accueil parce qu’ils trouvaient la vie paisible au Pakistan.

[5]               Cependant, l’agent a jugé que même si les demandeurs étaient des ressortissants afghans, ils n’avaient donné d’information qui aurait démontré qu’ils étaient ou auraient pu être gravement et personnellement touchés par la situation en Afghanistan, ce qui aurait pu les rendre admissibles au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières.

II.                Questions en litige et analyse

[6]               Les demandeurs prétendent que l’agent a commis une erreur a) en ne respectant pas les exigences en matière d’équité procédurale, b) en n’exerçant pas sa compétence pour évaluer correctement les catégories, et c) en n’examinant pas convenablement les éléments de preuve, dont l’élément de preuve documentaire objectif sur la situation au pays.

A.                Norme de contrôle

[7]               En ce qui concerne la première question en litige, la norme de la décision correcte s’applique à une allégation de manquement à l’équité procédurale (Sahar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1400, au paragraphe 14). Les deux autres questions en litige sont assujetties à l’examen du caractère raisonnable : la décision d’un agent quant à savoir si un demandeur appartient aux catégories des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou des personnes de pays d’accueil est une question mixte de fait et de droit qui doit être évaluée en fonction de la norme de la décision raisonnable (Adan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 655, au paragraphe 23).

[8]               Après avoir examiné les arguments présentés et appliqué la norme de contrôle appropriée, je conclus que la décision est viciée relativement à au moins deux points essentiels et, par conséquent, je la renvoie au bureau des visas pour qu’elle soit réexaminée par un autre agent.

B.                 Équité procédurale

[9]               Sur le plan de l’analyse approfondie, l’agent a commis des omissions par rapport à deux points de la brève analyse effectuée après les courtes entrevues avec les différents demandeurs. Le premier concerne l’analyse des demandes d’asile et l’omission d’examiner équitablement les demandeurs pendant les entrevues. L’agent n’a pas suffisamment discuté avec les demandeurs des éléments centraux de leurs demandes (ethnicité et sexe).

[10]           Comme point de départ, la Cour a noté l’importance de la responsabilité des agents des visas à l’étranger lorsqu’il est question de prendre des décisions concernant des réfugiés. Bien que le processus diffère de celui devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, l’effet de la décision est le même. L’évaluation repose sur différentes catégories d’immigration fondées sur des facteurs économiques et familiaux, attendu que les demandeurs doivent fournir tous les éléments de preuve nécessaires pour démontrer qu’ils remplissent les critères d’admissibilité. En ce qui a trait à la détermination de l’appartenance à la catégorie des réfugiés, les demandeurs doivent citer les motifs de la Convention (ou les simples raisons) pour lesquels ils demandent le statut de réfugié. Comme l’a énoncé le juge Mosley dans Krishnapillai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 244, au paragraphe 7, une affaire qui concernait également la détermination de l’appartenance à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières :

La jurisprudence citée par le défendeur porte entièrement sur des cas où des agents des visas ont pris des décisions au sujet des demandes de résidence permanente et des demandes de visas de visiteur, sans traiter de l’élément supplémentaire d’interprétation de la loi qui existe en l’espèce. Bien que le décideur reste le même, la nature de la décision est tout à fait différente, étant donné qu’elle s’appuie davantage sur le droit. L’expérience des agents des visas qui doivent prendre des décisions au sujet du statut de réfugié n’est pas aussi étendue que celle, par exemple, des membres de la Section de la protection des réfugiés (SPR).

[11]           Dans d’autres affaires, on a de même établi un devoir accru de faire preuve de rigueur — et donc d’équité — dans la détermination de l’appartenance à la catégorie des réfugiés, par rapport aux autres catégories. Le devoir des agents à l’étranger d’examiner tous les motifs juridiques d’une demande d’asile en fonction des éléments de preuve découle d’un cas d’espèce canadien touchant le droit des réfugiés, Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 RCS 689, au paragraphe 745. La Cour suprême a noté que, selon le paragraphe 66 du guide du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, « il n’incombe pas au demandeur d’identifier les motifs de persécution. Il incombe à l’examinateur de déterminer si les conditions de la définition figurant dans la Convention sont remplies; habituellement, il y a plus d’un motif. » (Voir aussi Elyasi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 419, au paragraphe 25.)

[12]           Pendant l’audience, le fardeau de justifier les motifs prévus par la Convention a fait l’objet d’une discussion. De toute évidence, il n’incombe pas à l’agent de remplir la demande pour le demandeur. Comme l’a récemment affirmé la Cour dans Mariyadas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 741, au paragraphe 25, « l’[agent] ne peut inventer de craintes et doit se fonder sur ce que les demandeurs lui disent ».

[13]           Toutefois, lorsqu’un motif est présenté pour demander le statut de réfugié, l’agent doit l’examiner et analyser les éléments de preuve pour déterminer s’il y a une crainte bien fondée de persécution. N’ayant pas pris en considération tous les motifs de persécution présentés, l’agent a commis une erreur et l’affaire doit être réexaminée (Ghirmatsion c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 519, au paragraphe 108).

[14]           En l’espèce, les demandeurs ont clairement allégué la crainte d’être persécutés en Afghanistan en raison de leur origine ethnique. En outre, les demanderesses, parce qu’elles ont étudié à l’université (dans le cas de la fille) et enseigné à l’école (dans le cas de la mère), ont fait valoir la crainte d’être persécutées en raison de leur capacité à exercer ces activités en Afghanistan. En somme, l’agent aurait dû minimalement expliquer pourquoi la crainte de persécution des demandeurs n’était pas fondée selon les motifs de l’origine ethnique et du sexe.

C.                 Détermination de l’appartenance aux différentes catégories à l’étranger

[15]           J’estime que l’agent a confondu la définition de réfugié et celle de personne de pays d’accueil, en concluant que [traduction] « si vous êtes des ressortissants de l’Afghanistan, vous n’avez donné aucune information qui démontrerait que vous étiez sérieusement et personnellement touchés par une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne ». Il s’agit du test pour déterminer l’appartenance à la catégorie des personnes de pays d’accueil (personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières), et non du test pour déterminer l’appartenance à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières. Il s’agit d’une erreur en droit de confondre ces deux tests.

[16]           Cette erreur est en quelque sorte liée à la première, en ce sens que l’agent n’a pas abordé la crainte de persécution fondée sur l’origine ethnique ou le sexe dans les parties de la décision censées traiter de la question de la catégorie des réfugiés au sein de la Convention outre-frontières. Ainsi, la décision a souffert des mêmes erreurs que celle du bureau des visas d’Islamabad qui a fait l’objet d’une révision pour des ressortissants afghans dans Ismailzada c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 67.

[17]           En résumé, il m’est d’avis que l’agent a omis d’examiner suffisamment les principaux motifs prévus par la Convention, à savoir l’origine ethnique et le sexe. Ces motifs étaient facilement discernables dans le dossier, tant dans les formulaires de demande que dans les discussions qui ont eu lieu pendant les entrevues.  Cependant, étant considérés la portée de son étude de la question de la situation en Afghanistan et le fondement de sa décision sur la croyance que les demandeurs avaient trouvé une solution durable au Pakistan, l’agent n’a pas procédé à une analyse significative de ces deux motifs.

D.                Omission de tenir compte d’éléments de preuve

[18]           Enfin, les demandeurs soutiennent que l’agent a commis une erreur en ne tenant pas dûment compte de certains éléments de preuve objectifs sur la situation au pays. Compte tenu des deux erreurs expliquées ci-dessus, qui sont des facteurs déterminants de cette demande de contrôle judiciaire, il n’est pas nécessaire de statuer sur cette troisième question en litige.

III.             Conclusion

[19]           Pour les motifs ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire sera renvoyée au bureau des visas pour qu’un autre agent la réexamine. Les deux parties conviennent qu’il n’y a pas de question à certifier, et je suis du même avis.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4664-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.        La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.        L’affaire sera renvoyée au bureau des visas pour qu’un autre agent la réexamine.

3.        Aucune question n’est formulée pour être certifiée, et aucuns dépens ne sont accordés.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4664-16

INTITULÉ :

PALWASHA BARAK ET AL. c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 JUIN 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

DATE DES MOTIFS :

Le 5 juillet 2017

COMPARUTIONS :

Hadayt Nazami

Pour les demandeurs

Alexis Singer

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

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