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Date : 20170629


Dossier : IMM-3248-16

Référence : 2017 CF 635

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 juin 2017

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

LOVETH OGHOMWEN OSAGIE

BRITNEY OLAMIDE DUROJAIYE

KENDRICK OLADIP DUROJAIYE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Loveth Oghomwen Osagie et ses deux enfants, les demandeurs, sont des citoyens du Nigéria. Ils ont quitté le Nigéria en août 2015 et ils ont présenté une demande d’asile pour le motif que les membres de la famille de son mari croyaient que Mme Osagie et sa fille étaient des sorcières et qu’ils voulaient qu’elles subissent une mutilation génitale féminine. La demande initiale incluait également le mari de Mme Osagie et leur troisième enfant qui est un ressortissant américain.

[2]  Devant la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, le ministre de la Sécurité publique [le ministre] est intervenu pour le motif qu’il y avait des raisons sérieuses de croire que le mari de Mme Osagie avait commis un crime grave de droit commun l’excluant de la protection des réfugiés. Se fondant sur l’intervention du ministre, les demandeurs ont demandé de séparer la demande du mari devant la SPR. La demande a été rejetée pour le motif que les questions soulevées étaient semblables, la famille demeurait une unité familiale habitant ensemble, et la demande d’asile de Mme Osagie était fondée sur ce que son mari lui avait dit. La SPR a conclu que le mari était exclu de la protection et elle a décidé que les autres demandeurs n’avaient pas besoin de protection. Pour arriver à cette conclusion, la SPR a relevé certaines préoccupations quant à la crédibilité et elle a conclu qu’il existait une possibilité de refuge intérieur [PRI].

[3]  La décision de la SPR a été portée en appel devant la Section des appels des réfugiés [SAR]. La SAR a conclu que le mari de Mme Osagie était une personne exclue en raison d’un crime grave de droit commun et que son fils, qui est un ressortissant des États-Unis, n’avait pas besoin d’être protégé. À l’égard des demandeurs restants devant la Cour, la SAR a décidé qu’ils avaient une PRI à Abuja ou à Port Harcourt et a rejeté l’appel.

[4]  Les demandeurs présentent maintenant une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la SAR. Le mari de Mme Osagie et son fils ne sont pas des demandeurs en l’espèce. La preuve par affidavit de Mme Osagie fait référence à son mari comme étant [traduction] « séparé ». Dans ses observations écrites, Mme Osagie affirme que l’analyse de la PRI est viciée parce qu’elle a omis de tenir compte des circonstances d’une mère monoparentale avec deux enfants mineurs. Les observations écrites de Mme Osagie font valoir par ailleurs que la SAR a commis une erreur en : 1) ne tirant pas une conclusion relative à la crédibilité en général; 2) n’effectuant pas d’analyse de protection conférée par l’État; 3) rendant implicitement des conclusions d’invraisemblance.

[5]  Après avoir soigneusement examiné les observations des parties, je ne peux pas conclure que la SAR a commis une erreur susceptible de révision en concluant qu’une PRI viable était disponible au Nigéria pour les demandeurs. La SAR a déterminé le critère qu’il convient d’appliquer à la PRI et elle a appliqué ce critère aux faits qui lui ont été présentés compte tenu du dossier et des observations des demandeurs. La conclusion relative à la PRI a un effet déterminant sur l’issue des demandes d’asile. La demande est rejetée pour les motifs exposés ci-après.

II.  Norme de contrôle

[6]  La question soulevée par la présente demande implique des questions de faits ou des questions mixtes de droit et de fait qui doivent être examinés selon la norme du caractère raisonnable. (Décision Kastrati c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1141, 172 ACWS (3d) 180, arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 47, 53 à 56 et 62, [2008] 1 RCS 190 [arrêt Dunsmuir]). Lorsque la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, la Cour doit se garder d’intervenir (arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47).

III.  Analyse

A.  Question préliminaire

[7]  L’affidavit de Mme Osagie affirmé à l’appui de la présente demande indique qu’elle est séparée de son mari. Le défendeur note que Mme Osagie n’indique pas quand la séparation a commencé et qu’elle ne fournit aucune preuve de la séparation. Le défendeur affirme qu’aucun élément de preuve n’a été présenté à la SAR selon lequel le couple était séparé; la preuve démontrait plutôt qu’ils vivaient ensemble comme mari et femme. Le défendeur fait valoir que la preuve de la séparation est un nouvel élément de preuve dont la SAR ne disposait pas et qu’il devrait par conséquent être rayé ou écarté.

[8]  Dans la décision Lemiecha v Canada (Minister of Employment and Immigration) (1993), 72 FTR 49, 24 Imm LR (2d) 95, [décision Lemiecha], le juge Frederick Gibson a déclaré ce qui suit au paragraphe 4 : [traduction] « Il est bien établi en droit que le contrôle judiciaire d’une décision que rend un office, une commission ou un autre tribunal d’instance fédérale doit être fondé sur les éléments de preuve dont le décisionnaire était saisi. » Même s’il existe des exceptions au principe voulant qu’un contrôle judiciaire soit instruit selon la preuve dont le décideur dispose, aucune de ces exceptions n’est applicable en l’espèce (arrêt Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au paragraphe 20, 428 NR 22).

[9]  La preuve de la séparation est un nouvel élément de preuve et elle ne sera pas prise en compte dans la présente demande.

B.  La décision relative à la PRI était-elle raisonnable?

[10]  L’avocat de Mme Osagie affirme que la décision relative à la PRI est déraisonnable. L’avocat fait valoir que le défaut de tenir compte de la demande de Mme Osagie et de ses enfants séparément de la situation de son mari, l’absence d’une conclusion relative à la crédibilité générale et le défaut d’effectuer une analyse de protection conférée par l’État, minent le caractère raisonnable de la conclusion la décision relative à la PRI. L’avocat affirme également que la décision rendue par la SAR se contente d’approuver sans discussion la décision de la SPR. Je ne suis pas de cet avis.

[11]  D’emblée, je souligne que les appelants devant la SAR comprenaient le mari et le fils de Mme Osagie. Je souligne également que les appelants n’ont formulé aucune observation devant la SAR selon laquelle les appels devraient être examinés séparément ou que la situation méritait une analyse distincte pour l’un ou plusieurs des appelants.

[12]  Il est un principe bien établi que chaque demande d’asile doit être examinée individuellement sur le fond. Toutefois, ce principe n’exclut pas la prise en compte de la situation familiale et sociale pour analyser les questions concernant la demande, notamment la viabilité d’une PRI. Comme l’a affirmé l’avocat de Mme Osagie, ces situations ne sauraient être passées sous silence ou négligées simplement parce que l’un des membres de la famille s’est avéré exclu pour un motif distinct.

[13]  La preuve présentée à la SAR était que les appelants constituaient une cellule familiale et qu’ils vivaient à ce titre. Aucun élément de preuve présenté à la SAR n’indique que cette situation a changé. La SAR n’avait pas l’obligation de spéculer au sujet d’une possible situation future en effectuant son analyse lors de l’appel. La SAR n’a pas commis d’erreur en examinant la situation de Mme Osagie et de ses enfants dans le contexte de sa situation familiale et d’après la façon dont cette situation se traduisait selon la preuve présentée à la SAR.

[14]  En abordant la question d’une PRI, la SAR a commencé son analyse en citant le critère à deux volets bien établi : 1) le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où il existe une PRI; 2) il ne serait pas déraisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles étant particulières au demandeur, pour le demandeur d’y chercher refuge (décision Rasaratnam v Canada (Minister of Employment and Immigration), [1992] 1 FCR 706, [1991] FCJ No 1256 (CA), arrêt Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1994] 1 RCF 589, 109 DLR (4th) 682 (CA).

[15]  En examinant la raisonnabilité des PRI proposées, la SAR a entrepris un examen détaillé des circonstances. Elle a noté l’absence d’élément de preuve indiquant que les prétendus agents de persécution, des membres de la famille du mari de Mme Osagie, possédaient un profil qui leur permettrait de retrouver les demandeurs. La SAR a mentionné que la preuve indiquait que les membres de la famille n’avaient pas les ressources et l’autorité, au sein de la société, pour retrouver ou lancer une recherche en vue de retrouver les demandeurs. La SAR a également mentionné qu’il n’existait aucun élément de preuve étayant la prétention que le mari de Mme Osagie était assez connu au Nigéria en raison de passages à la télévision.

[16]  La SAR a raisonnablement conclu qu’il était peu probable que des gens à Port Harcourt ou Abuja connaîtraient ou reconnaîtraient les demandeurs ou croiraient que Mme Osagie est une sorcière à la lumière des éléments de preuve présentés. La SAR a raisonnablement conclu que les demandeurs n’avaient pas réussi à « prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils risquent sérieusement d’être persécutés dans les villes proposées comme PRI ou qu’ils seraient personnellement exposés à une menace à leur vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumis à la torture à Abuja ou à Port Harcourt ».

[17]  Pour parvenir à cette conclusion, la SAR a également tenu compte des risques émanant des forces policières nigériennes. La SAR a mentionné : l’absence d’élément de preuve convaincant indiquant que les demandeurs étaient recherchés par la police ou que d’autres personnes les recherchaient activement; la taille du pays; la population au sein des villes proposées comme PRI; le manque de motivation et de capacité des forces policières nigériennes d’appréhender les demandeurs. Après avoir abordé et pesé ces facteurs, la SAR a raisonnablement conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y avait pas de risque sérieux de persécution dans les PRI désignées. Cette conclusion était raisonnablement loisible à la SAR, compte tenu du manque de preuve démontrant le risque de persécution ou d’absence de protection conférée par l’État.

[18]  En traitant le second volet du critère, la SAR a examiné la preuve psychologique et elle a retenu le diagnostic selon lequel Mme Osagie souffrait d’un [traduction] « trouble lié au stress prolongé dans le temps ». La SAR a mentionné l’absence de preuve indiquant un traitement continu ou un traitement de suivi, et elle a cité la preuve documentaire objective dont elle disposait en déterminant la disponibilité et l’accessibilité de services de santé mentale adéquats à Abuja et Harcourt.

[19]  La SAR a évalué la capacité de déménager à l’une des PRI proposées en fonction de la preuve qui lui avait été présentée. La SAR a conclu que la situation des appelants, un mari et une femme qui pourraient déménager ensemble, n’était pas une situation assimilée à une femme qui déménage toute seule. Ils ont ainsi constaté qu’en amalgamant ces deux situations différentes, la preuve et les considérations accordées aux femmes déménageant seules ne s’appliquaient pas, et par conséquent, les appelants pourraient vivre dans n’importe laquelle des PRI proposées. Cette conclusion était conforme à la preuve et raisonnable.

[20]  Des conclusions implicites inappropriées de plausibilité sont soulevées dans les observations écrites de Mme Osagie, toutefois l’argument n’a pas été avancé en détail dans ces observations écrites ou dans les plaidoiries orales. J’ai soigneusement examiné la décision de la SAR et je ne suis pas en mesure de relever des conclusions enracinées dans une conclusion inappropriée de plausibilité. La décision de la SAR était fondée sur le nombre limité d’éléments de preuve et non sur des conclusions de plausibilité découlant de la preuve.

[21]  En résumé, la SAR a entrepris une évaluation détaillée et indépendante des éléments de preuve qui traitent des PRI. La SAR a précisé et examiné les questions soulevées en appel, et n’a pas simplement approuvé sans discussion la décision de la SPR. En entreprenant une analyse complète et détaillée, la SAR en est arrivée aux mêmes conclusions que la SPR en raison de l’insuffisance d’éléments de preuve favorisant les appelants. La SAR n’avait pas besoin de tirer une conclusion relative à la crédibilité générale dans ce cas. La décision de la SAR respecte les exigences de justification, de transparence et d’intelligibilité.

IV.  Conclusion

[22]  La décision de la SAR appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47). La demande est rejetée.

[23]  Les parties n’ont pas soulevé de question de portée générale aux fins de certification, et aucune question n’a été soulevée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3248-16

LA COUR rejette la présente demande. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3248-16

 

INTITULÉ :

LOVETH OGHOMWEN OSAGIE BRITNEY OLAMIDE DUROJAIYE KENDRICK OLADIP DUROJAIY c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 février 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 JUIN 2017

 

COMPARUTIONS :

Peter Lulic

 

Pour les demandeurs

 

Asha Gafar

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Peter Lulic

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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