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Date : 20170505


Dossiers : T-1101-13

T-145-15

Référence : 2017 CF 453

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 mai 2017

En présence de madame la juge Mactavish

Dossiers : T-1101-13

ENTRE :

GARY SAUVE

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

et

MONECO SOBECO

partie au recours





Dossier : T-145-15

ET ENTRE :

GARY SAUVE

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

SA MAJESTÉ LA REINE

DU CHEF DU CANADA

défendeurs

et

MONECO SOBECO

partie au recours

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Gary Sauvé est un ancien membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et a été congédié de la GRC après avoir été trouvé coupable de deux chefs de harcèlement criminel.

[2]               M. Sauvé a déposé deux demandes de contrôle judiciaire par lesquelles il conteste plusieurs décisions reliées à son congédiement. Les deux demandes ont été entendues conjointement et les observations des parties sur chacune des demandes se chevauchent grandement. M. Sauvé a d’ailleurs déposé le même mémoire des faits et du droit pour chacune de ses demandes. Par conséquent, je trancherai les deux demandes par la voie d’une seule décision.

[3]               Dans la demande T-145-15, M. Sauvé demande le contrôle judiciaire d’une décision du 27 janvier 2005 d’un commissaire adjoint de la GRC suspendant le paiement de son salaire et de ses avantages sociaux dans l’attente de la tenue d’une enquête disciplinaire portant sur sa conduite. Le commissaire adjoint a conclu qu’il serait inapproprié de continuer de payer M. Sauvé avec des fonds publics en raison du mépris qu’il a démontré à l’égard de son rôle de policier et de son [traduction] « manque total d’intégrité à titre de membre de la GRC ».

[4]               Je constate que M. Sauvé conteste également par cette demande la décision du 19 mars 2014 refusant de lui accorder une prorogation de délai pour lui permettre d’interjeter appel de la décision rendue le 26 mars 2010 le congédiant de la GRC.

[5]               Dans le dossier T-1101-13, M. Sauvé demande le contrôle judiciaire de la décision du comité d’arbitrage disciplinaire de la GRC le congédiant de la Gendarmerie royale canadienne. Il sollicite également par cette demande le contrôle judiciaire de la lettre du 5 avril 2013 d’un autre commissaire adjoint de la GRC adressée à l’ancienne avocate de M. Sauvé. Cette lettre mentionnait que M. Sauvé ne pouvait entreprendre un grief interne à l’égard de la décision du 27 juillet 2005 suspendant le paiement de son salaire et de ses avantages sociaux puisqu’il était hors délai. L’avocat a également été avisé que puisque M. Sauvé avait omis de déposer un grief à l’égard de son congédiement, il ne pouvait faire réviser la décision relative au congédiement par un commissaire de la GRC.

[6]               L’article 302 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, dispose qu’à moins d’ordonnance contraire de la Cour, la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée. Considérant que les deux parties se sont présentées à l’audience préparées pour débattre des deux questions soulevées dans chacune des demandes de M. Sauvé, j’exercerai mon pouvoir discrétionnaire de lever l’exigence selon laquelle M. Sauvé devrait déposer deux demandes de contrôle judiciaire distinctes pour chaque affaire. Toutefois, pour les motifs exposés ci-dessus, je conclus que les deux demandes de contrôle judiciaire de M. Sauvé doivent être rejetées.

I.                    Demande T-145-15 : Décision du 27 janvier 2005 de suspendre le paiement du salaire et des avantages sociaux de M. Sauvé

[7]               En raison des multiples accusations d’infractions criminelles portées contre M. Sauvé, une instance disciplinaire a été entreprise à son égard à la fin de l’année 2004. Bien qu’il ait d’abord été suspendu de son poste avec salaire, un commissaire adjoint de la GRC a, dans une décision du 27 janvier 2005, déterminé que la nature de l’inconduite de M. Sauvé était d’une telle gravité qu’il devrait être suspendu sans salaire ni avantages sociaux.

[8]               M. Sauvé soutient qu’on ne l’a pas avisé que la suspension de son salaire et de ses avantages sociaux était envisagée. Toutefois, il ressort manifestement de la décision du commissaire adjoint du 27 janvier 2005 que M. Sauvé a eu l’occasion de faire valoir ses observations sur la question de la suspension de son salaire et qu’il s’en est prévalu. En effet, la décision du commissaire adjoint renvoie directement aux arguments soulevés par M. Sauvé relativement à la suspension de son salaire et de ses avantages sociaux dans l’attente de la conclusion de son audience disciplinaire.

[9]               M. Sauvé affirme également qu’il n’avait pas connaissance de la décision du commissaire adjoint de suspendre son salaire et ses avantages sociaux au moment où la décision a été rendue. Il reconnaît cependant à l’audience qu’en 2005, il savait qu’il n’était plus payé par la GRC. Dans ces circonstances, je suis convaincu que M. Sauvé a eu connaissance de la décision du commissaire au moment où il l’a rendu ou autour de cette période.

[10]           Bien que le dossier indique que M. Sauvé a déposé un grief de la décision du 27 janvier 2005 du commissaire suspendant son salaire et ses avantages sociaux au premier palier du processus de grief de la GRC, ce dernier affirme catégoriquement qu’il n’a pas déposé ce grief. Il est toutefois inutile de résoudre cette question. Le dépôt même d’un grief de la décision du commissaire adjoint au premier palier du processus de grief de la GRC par M. Sauvé est peut-être contesté, mais le fait que ce grief n’a pas été porté au second palier du processus de grief ne l’est pas. M. Sauvé n’a pas donné d’explication satisfaisante de sa décision de ne pas porter le grief plus loin.

[11]           Par conséquent, M. Sauvé n’a pas épuisé les voies de recours qui s’offraient à lui par l’intermédiaire du processus de grief de la GRC avant de présenter une demande de contrôle judiciaire devant la Cour. De plus, il a entrepris sa demande de contrôle judiciaire près d’une décennie après la décision du 27 janvier 2005, n’a pas démontré qu’il avait l’intention continue de poursuivre sa demande et n’a pas fourni d’explication raisonnable relativement à la tardiveté de son recours. M. Sauvé n’a pas non plus été en mesure de démontrer que sa demande était fondée (Canada (Procureur Général) c. Hennelly, 1999 CanLII 8190 (CAF), 244 NR 399).

[12]           Il ne m’a pas non plus convaincu qu’il était dans l’intérêt de la justice d’accorder sa demande de prorogation de délai pour demander le contrôle judiciaire de la décision du 27 janvier 2005 suspendant son salaire et ses avantages sociaux (Grewal v. Canada (Minister of Employment and Immigration), [1985] 2 F.C. 263 (F.C.A.), [1985] F.C.J. No. 144).

[13]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire T-145-15 est rejetée dans la mesure où elle renvoie à la décision du commissaire adjoint du 27 janvier 2005 de suspendre le salaire et les avantages sociaux de M. Sauvé.

II.                Demande T-1101-13 : lettre du 5 avril 2013 concernant la prorogation du délai pour déposer un grief de la décision du 27 janvier 2005 de suspendre le salaire et les avantages sociaux de M. Sauvé

[14]           La demande de contrôle judiciaire T-1101-13 vise principalement la décision du comité d’arbitrage disciplinaire de la GRC du 26 mars 2010 congédiant le demandeur de la GRC. Toutefois, comme il a été noté au début de ces motifs, la demande T-1101-13 sollicite également le contrôle judiciaire de la lettre du 5 avril 2013 d’un commissaire adjoint de la GRC adressée à l’ancienne avocate de M. Sauvé l’avisant que ce dernier était hors délai pour déposer un grief à l’égard de la décision du 27 janvier 2005 de suspendre le paiement de son salaire et de ses avantages sociaux.

[15]           À la suite de sa suspension puis de son congédiement définitif de la GRC, M. Sauvé a entrepris de nombreux recours devant la Cour. Plusieurs adjudications des dépens ont été ordonnées contre lui et la plupart demeurent impayées à ce jour. En raison de cette situation, le défendeur a déposé une requête en cautionnement pour dépens dans plusieurs recours, y compris dans la demande T-1101-13. Cette requête a été accueillie par le juge en chef Crampton dans une décision datée du 31 janvier 2014 (Sauvé c. Canada, 2014 CF 119, 462 FTR 1, conf. par 2015 CAF 59).

[16]           Dans ses motifs, le juge en chef Crampton a traité de la lettre du 5 avril 2013 affirmant que M. Sauvé se trouvait hors délai pour déposer un grief visant la décision de suspendre le paiement de son salaire et de ses avantages sociaux. Il y souligne qu’il n’est « pas certain que le contenu de la lettre [du 5 avril 2013] constitue une mesure administrative susceptible de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC, 1985, c F‑7, modifiée ». Il note que cette lettre « décrit simplement l’effet juridique de l’omission de M. Sauvé de déposer son grief au niveau II dans les délais prescrits ». La lettre « ne contenait pas de décision qui portait atteinte aux droits de M. Sauvé, lui imposait des obligations juridiques ou entraînait des effets préjudiciables » (au paragraphe 30 de la décision, citant Air Canada c. Administration portuaire de Toronto et al, 2011 CAF 347 (CanLII), paragraphes 21‑42).

[17]           Dans sa lettre du 6 février 2013 adressée au commissaire de la GRC, l’avocate de M. Sauvé demande au commissaire de permettre au grief de M. Sauvé concernant la suspension de son salaire et de ses avantages sociaux d’être entendu.  L’avocate y affirme que M. Sauvé a été empêché de poursuivre son grief en raison de la « prescription ». Lue de manière libérale, la lettre de l’avocate pourrait être interprétée comme constituant une demande de prorogation de délai et la réponse du 5 avril 2013 du commissaire pourrait être vue comme un refus de prolonger le délai applicable.

[18]           Toutefois, même si je retenais que la lettre du commissaire adjoint du 5 avril 2013 constituait une décision pouvant être susceptible de contrôle judiciaire, le fait demeure que M. Sauvé n’a pas entrepris sa demande de contrôle judiciaire de la « décision » du commissaire adjoint en temps opportun. Il n’y a aucune indication que M. Sauvé a reçu tardivement la lettre du commissaire adjoint. Malgré cela, il n’a entrepris sa demande de contrôle judiciaire que le 21 juin 2013, soit bien après le délai de 30 jours alloué pour déposer une demande de contrôle judiciaire.

[19]           Une fois de plus, M. Sauvé n’a pas démontré qu’il satisfait les critères établis dans l’arrêt Hennelly. Il n’a pas démontré qu’il avait l’intention continue de poursuivre sa demande à l’égard de la lettre du 5 avril 2013. M. Sauvé n’a pas non plus été en mesure de fournir une explication raisonnable de son retard, ni n’a démontré que sa demande était fondée (Hennely, précité, au paragraphe 3). Je n’ai pas non plus été convaincue que l’intérêt de la justice nécessite qu’une prorogation de délai soit accordée (Grewal, précité).

[20]           Par conséquent, la demande T-1101-13 de M. Sauvé est rejetée à l’égard de la demande d’examen de la lettre du commissaire adjoint du 5 avril 2013.

III.             T-1101-13 : Décision du 26 mars 2010 congédiant le demandeur de la GRC

[21]           Comme il a été mentionné, le dossier T-1101-13 sollicite également le contrôle judiciaire de la décision du comité d’arbitrage disciplinaire de la GRC congédiant M. Sauvé de la Gendarmerie royale canadienne. Cette décision a été prononcée de vive voix le 28 janvier 2010. La version écrite de cette décision est datée du 26 mars 2010.

[22]           M. Sauvé allègue que la décision de 2010 le congédiant de la GRC devrait être annulée puisqu’il n’a jamais été avisé de la date d’audience et qu’il n’a donc pas eu l’occasion de participer au processus disciplinaire. Il soutient également qu’il n’a pas reçu la divulgation documentaire du dossier soulevé contre lui, ayant pour conséquence qu’il n’avait pas connaissance des éléments auxquels il devait répondre. Enfin, il plaide que l’audience disciplinaire était nulle puisqu’elle s’est tenue plus d’un an après les évènements donnant lieu à la mesure disciplinaire, en contravention au paragraphe 43(8) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, ch. R-10 (désormais le paragraphe 41(2) de la Loi sur la GRC).

[23]           Je ne puis retenir les observations de M. Sauvé. Il ressort clairement de la décision du comité d’arbitrage que M. Sauvé a reçu la signification de l’avis d’audition, mais qu’il a choisi de ne pas s’y présenter. D’ailleurs, cet état de fait a même été reconnu par l’avocate de M. Sauvé dans sa lettre du 6 février 2013 au commissaire Paulson.

[24]           Il ressort également clairement de la décision du comité d’arbitrage disciplinaire que M. Sauvé a refusé de façon répétée la signification des documents, y compris de la divulgation de la preuve documentaire, lorsque la GRC a tenté de les lui signifier. M. Sauvé est mal venu, après avoir refusé la signification de la preuve documentaire, de se plaindre à présent de l’absence de divulgation.

[25]           Le moment où M. Sauvé a eu connaissance de la décision du comité d’arbitrage disciplinaire de le congédier de la GRC est contesté. La preuve de M. Sauvé sur cette question n’est pas cohérente. Il a affirmé dans un affidavit daté du 27 décembre 2013 qu’il a été avisé pour la première fois de la cessation de son emploi dans la GRC le 11 août 2011. Toutefois, il a affirmé devant moi qu’il a appris son congédiement quelque part en 2010.

[26]           Considérant les incohérences retrouvées dans la preuve de M. Sauvé à cet égard, je préfère retenir la preuve retrouvée dans l’affidavit de signification de Serge Côté daté du 13 avril 2010, dans lequel il certifie avoir signifié une copie de la décision du comité d’arbitrage disciplinaire à M. Sauvé au matin du 8 avril 2010.

[27]           Un dénommé Brian Kelly, ami de M. Sauvé, a également déposé un affidavit contestant le fait que M. Sauvé a reçu la signification d’une copie de la décision du comité d’arbitrage disciplinaire le 8 avril 2010. L’affidavit de M. Kelly déclare qu’il était à la Cour fédérale avec M. Sauvé ce matin-là, que M. Côté a abordé M. Sauvé, mais que ce dernier a refusé de lui parler. M. Côté aurait dit quelque chose à M. Sauvé, mais M. Kelly n’a pas entendu ce dont il s’agissait. Considérant que M. Kelly n’a pas entendu ce que M. Côté a dit à M. Sauvé, je préfère une fois de plus la preuve de M. Côté à celle de M. Kelly sur la question de la signification.

[28]           La demande de contrôle judiciaire de M. Sauvé visant la décision de congédiement de 2010 doit être rejetée, et ce, pour deux motifs. Premièrement, le demandeur n’a pas épuisé le processus d’appel interne dont il dispose en vertu de la Loi sur la GRC. Deuxièmement, M. Sauvé ne s’est pas conformé au délai de prescription pour entreprendre sa demande de contrôle judiciaire.

[29]           Sur la question des autres voies de recours adéquates, si M. Sauvé n’était pas satisfait de la décision le congédiant de la GRC, il disposait d’un recours d’appel en vertu du paragraphe 45.11 de la Loi sur la GRC. Cet article dispose que toute personne faisant l’objet d’une décision concluant qu’elle a contrevenu au code de conduite de la GRC peut faire appel de cette décision devant le commissaire de la GRC. Selon la version de la Loi sur la GRC en vigueur au moment pertinent, cet appel devait être interjeté dans les 14 jours de la date de la signification de la décision à M. Sauvé.

[30]           M. Sauvé a choisi de ne pas poursuivre avec le recours dont il disposait en vertu de la Loi sur la GRC et n’a pas donné d’explication satisfaisante de la raison pour laquelle un tel appel n’aurait pas été une autre voie de recours adéquate au contrôle judiciaire. De plus, le fait que M. Sauvé se trouve désormais hors délai pour entreprendre un appel interne devant le commissaire de la GRC n’a pas pour effet de rendre ce recours inadéquat. En effet, comme le juge Evans l’a noté dans la décision Lazar c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 553, 168 F.T.R. 11, au paragraphe 18 : « [c]e serait une anomalie qu’un demandeur puisse éviter d’exercer un droit d’appel prévu par la loi et s’adresser directement aux tribunaux pour obtenir un contrôle judiciaire du simple fait qu’il a négligé de procéder à temps ».

[31]           Plutôt que de demander le contrôle judiciaire de la décision le renvoyant de la GRC, M. Sauvé a choisi d’intenter une action en dommages-intérêts. Cette action a été radiée par la protonotaire Tabib le 16 janvier 2013. M. Sauvé affirme qu’il a été avisé par la protonotaire Tabib que la voie à utiliser pour obtenir une réparation dans les affaires relatives à l’emploi est le contrôle judiciaire. Il n’a cependant déposé sa demande de contrôle judiciaire T-1101-13 qu’un peu plus de six mois plus tard, soit le 21 juin 2013.

[32]            Ainsi, même si M. Sauvé était en droit de demander directement à la Cour fédérale le contrôle de la décision le congédiant, il n’a pas entrepris ce recours en temps opportun puisque cette décision a été rendue en 2010 et que la demande T-1101-13 n’a été entreprise que le 21 juin 2013. De plus, comme il en sera question dans la prochaine section des présents motifs, M. Sauvé n’a pas démontré qu’il serait approprié d’accorder une prorogation de délai pour interjeter appel de la décision le congédiant.

IV.              T-145-15 : Décision du 19 mars 2014 refusant d’accorder une prorogation de délai pour interjeter appel de la décision de congédiement

[33]           Quoi qu’il ne s’agit pas d’une décision ayant été directement contestée dans les demandes T-145-15 et T-1103-13, les parties ont présenté des observations relatives à la lettre du 19 mars 2014 du surintendant John A. MacDonald refusant d’accorder à M. Sauvé une prorogation de délai pour interjeter appel de la décision du 26 mars 2010 le congédiant de la GRC. La lettre du 19 mars 2014 a été rédigée en réponse à une lettre du 4 février 2014 de l’ancienne avocate de M. Sauvé, qui demandait une prorogation de délai afin de permettre à M. Sauvé d’interjeter appel de la décision de congédiement.

[34]           Il a évidemment été question de cette lettre du 19 mars 2014 lors de la conférence de gestion de l’instance du 8 septembre 2016 tenue devant la protonotaire Tabib dans le cadre de la demande T-145-15. Les défendeurs ont retenu de cette discussion que les parties s’entendaient sur le fait que la décision contestée par la demande T-145-15 était en fait celle retrouvée dans la lettre du surintendant MacDonald du 19 mars 2014 et je ne comprends pas pourquoi M. Sauvé conteste cette conclusion.

[35]           La requête de prorogation de délai du 4 février 2014 semble avoir été motivée par la décision du 31 janvier 2014 du juge en chef Crampton, dans laquelle il notait que M. Sauvé n’avait pas épuisé tous les recours internes s’appliquant à la décision de congédiement et qu’il avait omis de demander une prorogation de délai pour interjeter appel en vertu du paragraphe 45.14 de la Loi sur la GRC (Sauvé c. Canada, 2014 CF 119 au paragraphe 33).

[36]           Dans sa lettre du 4 février 2014, l’avocate de M. Sauvé déclare que [traduction« M. Sauvé n’a eu connaissance de la décision [le congédiant] qu’un certain temps après que la décision écrite ait été rendue », mais ne précise pas quand M. Sauvé aurait eu connaissance de cette décision. L’avocate y ajoute que M. Sauvé souhaitait interjeter appel de la décision de congédiement, [traduction] « mais a omis de respecter le processus d’appel prévu à la partie IV de la Loi sur la GRC ». L’avocate affirme que M. Sauvé avait entrepris un appel de la décision le congédiant au moyen d’un contrôle judiciaire devant la Cour, mais que le juge en chef Crampton a noté dans sa décision du 31 janvier 2014 que M. Sauvé n’avait pas encore épuisée les autres voies de recours qui s’offraient à lui. L’avocate poursuit en affirmant [traduction] « [qu’]en raison de ces commentaires du juge en chef, M. Sauvé a sollicité une prorogation de délai pour interjeter appel de [la décision de congédiement] ».

[37]           Comme il a été mentionné, dans sa lettre du 19 mars 2014, le surintendant MacDonald a refusé d’accorder à M. Sauvé une prorogation de délai pour interjeter appel de la décision du commissaire de la GRC le congédiant. Dans les motifs accompagnant cette décision, le surintendant MacDonald a souligné qu’un appel d’une décision de congédiement doit être interjeté dans les 14 jours de la date où est rendue la décision portée en appel lorsqu’elle a été rendue en présence de l’appelant ou, dans les autres cas, de la date où cette partie a reçu avis de la décision ou de la date où l’appelant qui en a fait la demande a reçu la transcription visée au paragraphe 45.14 de la Loi sur la GRC. Considérant que M. Sauvé n’a pas demandé de transcription de l’audience disciplinaire tenue en 2010, il avait jusqu’au 22 avril 2010 pour interjeter appel de la décision de congédiement en fonction de la date à laquelle il a reçu signification de la décision.

[38]           Le surintendant MacDonald a observé qu’en vertu de l’alinéa 47.4(1) de la Loi sur la GRC, il avait la compétence d’autoriser la prorogation de délai pour interjeter un appel s’il était convaincu que [traduction] « les circonstances justifiaient cette prorogation ». Pour déterminer s’il devait exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur de M. Sauvé, le surintendant MacDonald a examiné les quatre critères décrits dans la décision Canada (Procureur général) c. Pentney, 2008 CF 96, [2008] ACF no 116. Ces critères sont essentiellement les mêmes que les facteurs établis dans l’arrêt Hennely abordés plus tôt dans ces motifs.

[39]           Le surintendant MacDonald a conclu que quatre années se sont écoulées entre le moment où M. Sauvé a reçu la signification de la décision de congédiement et sa demande de prorogation de délai et qu’il n’a pas démontré qu’il avait l’intention continue de faire appel de la décision du comité. Le surintendant MacDonald a également souligné que M. Sauvé [traduction] « s’était activement prévalu de divers recours judiciaires, sans toutefois faire valoir son droit d’interjeter appel de la décision du comité en application de la partie IV de la Loi ».  Le surintendant a poursuivi en concluant que [traduction] « [c]eci indique fortement que M. Sauvé a fait le choix d’entreprendre des recours judiciaires devant la Cour fédérale, y compris une demande en dommages-intérêts, plutôt que de suivre le processus prévu à la Loi faire appel d’une décision du comité au commissaire, ce qui n’ouvre pas droit à l’octroi de dommages-intérêts ».

[40]           Le surintendant MacDonald a également souligné que même si le dépôt de la demande T-1101-13 montrait une intention de faire appel de la décision de congédiement, il ne démontrait pas que cette intention avait été « continue » pendant les trois ans écoulés entre la décision du comité et le dépôt de la demande de contrôle judiciaire de M. Sauvé.

[41]           Le surintendant MacDonald a noté que M. Sauvé avait reçu la signification de la décision du comité le 8 avril 2010 et qu’il n’avait pas fourni une explication raisonnable de son retard pour entreprendre une demande de contrôle judiciaire. Il a également pris note de l’allégation de l’avocate de M. Sauvé selon qui ce dernier [traduction] « n’a eu connaissance de la décision qu’un certain temps après que la décision écrite ait été rendue » et que les avantages médicaux dont il bénéficiait n’ont été suspendus qu’en 2011.  Selon le surintendant MacDonald, ces déclarations suggéraient peut-être que M. Sauvé n’avait pas réalisé que le comité avait rendu une décision avant l’arrêt de ses avantages sociaux. Bien que selon le surintendant, la date de l’arrêt des avantages sociaux de M. Sauvé n’était pas pertinente, il a poursuivi en mentionnant que même si M. Sauvé n’avait pas eu connaissance de la décision le congédiant de la GRC avant 2011, ce dernier n’a pas expliqué la raison du délai écoulé entre 2011 et 2014 pour déposer sa demande de contrôle judiciaire.

[42]           Le surintendant a également fait remarquer que l’avocate n’a déterminé aucun motif en fonction duquel l’appel pourrait être accueilli; par conséquent, M. Sauvé n’a pas été en mesure de démontrer que son appel avait un quelconque fondement.

[43]           Dans les circonstances, le surintendant MacDonald a été convaincu que même si une prorogation de délai ne causait aucun préjudice à la GRC, ce critère est éclipsé par les autres, qui militent indubitablement contre l’autorisation de la prorogation de délai.

[44]           En notant la nécessité que les recours disciplinaires de la GRC soient définitifs, le surintendant MacDonald a conclu que même s’il devait retenir que M. Sauvé avait l’intention continue de faire appel, l’absence d’explication raisonnable du long délai encouru avant d’entreprendre des procédures et son incapacité à démontrer le fondement d’un appel potentiel militaient fortement contre l’autorisation d’une prorogation de délai. Il a également conclu que [traduction] « [l]a justice ne serait pas rendue entre les parties si cet appel devait être autorisé à aller de l’avant après tout ce temps, en l’absence d’une justification valide de la grande tardiveté du recours ou de la démonstration des chances de succès de cette demande en appel ».

[45]           Avant d’examiner le fondement de la contestation par M. Sauvé de la décision du surintendant MacDonald, je voudrais d’abord souligner que M. Sauvé n’a pas entrepris sa demande de contrôle judiciaire de cette décision en temps opportun. La décision du surintendant MacDonald est datée du 19 mars 2014 et il n’y a rien devant moi qui indiquerait que M. Sauvé n’a pas eu connaissance de cette décision peu de temps après. M. Sauvé admet d’ailleurs au paragraphe 42 de son affidavit du 26 octobre 2016 que la décision du surintendant MacDonald était une décision définitive.

[46]           Plutôt que d’entreprendre le contrôle judiciaire de la décision du surintendant MacDonald du 29 mars 2016 en temps opportun, il ressort de l’affidavit du 28 octobre 2016 de M. Sauvé que son avocate a plutôt demandé au surintendant MacDonald de revoir sa décision. Ce dernier a rejeté cette demande dans une décision datée du 29 juillet 2014.

[47]           La lettre du 19 mars 2014 a été remise après que la demande T-1101-13 ait été déposée; il est donc manifeste que cette demande n’avait pas pour objectif de contester la décision du surintendant MacDonald.  Dans la mesure où M. Sauvé souhaitait contester cette décision par la demande T-145-15, cette demande n’a pas été entreprise avant le 2 février 2015, soit près d’un an après la première décision du surintendant MacDonald (et plus de six mois après sa décision refusant de revoir sa décision du 29 mars 2014). La demande de contrôle judiciaire T-145-15 est donc manifestement hors délai et M. Sauvé n’a pas donné d’explication raisonnable du retard encouru pour solliciter le contrôle de la décision du 29 mars 2014 du surintendant MacDonald. Il n’a pas non plus démontré qu’il avait l’intention continue de poursuivre cette affaire, intention qui lui aurait donné droit à une prorogation de délai pour lui permettre d’aller de l’avant avec cette affaire.  Sur ce seul motif, la demande T-145-15, dans la mesure où elle vise la décision du 29 mars 2014 du surintendant MacDonald, doit être rejetée.

[48]           M. Sauvé n’a pas non plus démontré que sa contestation de la décision du 19 mars 2014 du surintendant MacDonald lui refusant une prorogation de délai pour lui permettre d’interjeter appel de la décision de congédiement et sa contestation du refus de revoir cette décision sont fondées.

[49]           La décision d’accorder ou de refuser une prorogation de délai est de nature discrétionnaire et doit donc faire l’objet d’un contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable (Elhatton c. Canada (Procureur général), 2013 CF 71, [2013] ACF no 58, citant Gill c Canada (Procureur général), 2007 CAF 305, [2007] ACF no 1241).

[50]           M. Sauvé doit donc démontrer que la décision du 29 mars 2014 du surintendant MacDonald refusant de lui accorder une prorogation de délai pour faire appel de la décision de congédiement de 2010 n’avait pas la justification, la transparence et l’intelligibilité requise et que cette décision n’appartenait pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

[51]           L’avocate de M. Sauvé n’a fourni aucun renseignement au surintendant MacDonald sur les fondements possibles qu’aurait un appel interjeté par M. Sauvé à l’égard de la décision de congédiement. Par conséquent, la conclusion du surintendant MacDonald selon laquelle M. Sauvé n’a pas été en mesure de démontrer le bien-fondé de sa demande dans le cadre d’un appel était tout à fait raisonnable considérant le dossier qu’il avait entre les mains.

[52]           Citant la décision de la Cour d’appel fédérale Thériault c. Gendarmerie royale du Canada, [2006] 4 RCF 69, [2006] ACF no 169, M. Sauvé a plaidé devant moi que la loi interdisait à la GRC de tenir une audience disciplinaire en vertu du paragraphe 43(8) de la Loi sur la GRC qui, au moment des faits, énonçait que « [l]’officier compétent ne peut convoquer une audience en vertu du présent article relativement à une contravention au code de déontologie censément commise par un membre plus d’une année après que la contravention et l’identité de ce membre ont été portées à sa connaissance ».

[53]           C’est sur ce fondement que M. Sauvé a sollicité une ordonnance suspendant le recours disciplinaire intenté contre lui. Dans une ordonnance du 12 juin 2009, la juge Hansen a rejeté la requête de M. Sauvé, affirmant que si une audience disciplinaire était tenue, il pourrait soulever cette objection devant le comité d’arbitrage disciplinaire. L’audience disciplinaire a eu lieu en 2010 et, comme il a été mentionné, M. Sauvé a décidé de ne pas s’y présenter. Il semble donc que son objection n’a jamais été présentée au comité d’arbitrage disciplinaire.

[54]           Toutefois, même si je devais retenir la prétention de M. Sauvé selon qui le recours disciplinaire intenté à son encontre était hors délai, cet argument n’a pas été présenté au surintendant MacDonald avant qu’il rende sa décision du 29 mars 2014. On ne peut donc pas dire que la conclusion du surintendant selon laquelle le demandeur n’a pas démontré le bien-fondé de sa demande était déraisonnable. M. Sauvé ne m’a pas non plus convaincue qu’il y avait quelque chose de déraisonnable dans la conclusion du surintendant MacDonald selon laquelle le demandeur n’a pas démontré une intention continue de faire appel de la décision de congédiement ni offert d’explication raisonnable de son retard.

[55]           Dans ces circonstances, M. Sauvé n’a pas démontré que la décision du surintendant MacDonald du 29 mars 2014 refusant de lui accorder une prorogation pour faire appel de la décision le congédiant était déraisonnable. La demande T-145-15 est par conséquent rejetée.


Jugement dans les dossiers T-1101-13 et T-145-15

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT : les demandes de contrôle judiciaire T-1101-13 et T-145-15 sont rejetées avec dépens alloués aux défendeurs d’un montant de 2 500 $ pour chacune des demandes, comprenant les débours. Une copie du présent jugement sera versée dans chacun des dossiers.

« Anne L. Mactavish »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T-1101-13 et T-145-15

DOSSIER :

T-1101-13

 

INTITULÉ :

GARY SAUVÉ c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET MONECO SOBECO

 

ET DOSSIER :

T-145-15

 

INTITULÉ :

GARY SAUVÉ c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA ET MONECO SOBECO

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 avril 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 5 mai 2017

 

COMPARUTIONS :

Gary Sauvé

 

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Abigail Martinez

 

Pour les intimés

 

Personne

 

Pour la partie au recours

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour les intimés

 

 

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