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Date : 20170504


Dossiers : T-414-17 à T-419-17 et

T-422-17 à T-435-17

Référence : 2017 CF 449

Ottawa (Ontario), le 4 mai 2017

En présence de monsieur le juge Noël

ENTRE :

L'HONORABLE MICHEL GIROUARD

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

COMITÉ D'ENQUÊTE À L'ÉGARD DE L'HONORABLE MICHEL GIROUARD

mise en cause

LE CONSEIL CANADIEN DE LA MAGISTRATURE

mise en cause

L’HONORABLE STÉPHANIE VALLÉE

mise en cause

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   REMARQUES PRÉLIMINAIRES

[1]          Étant donné l’implication du juge en chef de la Cour fédérale comme membre du premier Comité d’enquête, j’assume, à titre de juge sénior de la Cour, ses responsabilités quant à la marche à suivre des présents dossiers ainsi qu’aux assignations à faire selon les circonstances. À ce titre, j’agis comme gestionnaire de l’instance. La décision du deuxième Comité d’enquête, qui est la source de 20 demandes de contrôle judiciaire, est en date du 5 avril 2017. La présente demande interlocutoire de suspension du processus d’enquête, qui doit débuter le 8 mai prochain, n’a été déposée que le 26 avril 2017, ce qui ne laissait que peu de temps à mener à terme la demande interlocutoire. Le 27 avril, je présidais une audience par conférence téléphonique avec les avocats du requérant et de l’intimé. Lors de cette audition, j’informais, qu’étant donné les courts délais et les complications à obtenir la disponibilité d’un autre juge (dont le juge Paul Rouleau de la Cour d’appel de l’Ontario, qui aura la tâche (s’il y a lieu), à titre de juge suppléant, de trancher ultérieurement les questions de fond soulevées par les demandes de contrôle judiciaire), que j’allais organiser mon horaire pour entendre cette affaire le 2 mai 2017, de façon à pouvoir rencontrer l’échéance du 8 mai, soit le début prévu de l’enquête. Suivant l’audition par téléconférence du 27 avril, j’ai signé une ordonnance précisant un échéancier pour le dépôt du dossier de réponse de la procureure générale du Canada, fixant l’audition et autorisant la signification des procédures par voie électronique.

II.                SURVOL

[2]          Le juge Girouard, le requérant, cherche, par demande interlocutoire, la suspension du processus d’enquête relative à sa personne ainsi qu’a réserver ses recours pour amender ses demandes de contrôle judiciaire selon le résultat de cette requête interlocutoire.

[3]          Les 20 demandes de contrôle judiciaire sous-jacentes à la demande interlocutoire de surseoir à l’enquête présentement devant la Cour concernent plusieurs décisions rendues par le Comité d’enquête du Conseil canadien de la magistrature, séance tenante, le 22 février 2017 avec motifs à suivre. Les motifs ont été rendus le 5 avril 2017.

[4]          Comme il sera élaboré dans les présents motifs, je tire les conclusions suivantes : en premier lieu, les 20 demandes de contrôle judiciaire à l’encontre des décisions préliminaires du second Comité d’enquête sont prématurées ; en deuxième lieu, le requérant ne rencontre pas le critère du préjudice irréparable ni le critère de la prépondérance des inconvénients tels qu’élaborés dans l’arrêt RJR Macdonald Inc c Canada (Procureur général) [RJR-MacDonald], [1994] 1 RCS 311. Ainsi, je refuse d’accueillir la demande de surseoir au processus d’enquête concernant le requérant et refuse la demande d’amender les demandes de contrôles judiciaires. En conséquence, je suspends les procédures dans les 20 dossiers de demande de contrôle judiciaire.

III.             FAITS

[5]          Les faits suivants sous-tendent la demande de sursis ; toutefois, pour de plus amples détails, l’intimé présente un historique clair des procédures ainsi que du mécanisme d’enquête sur la conduite judiciaire aux paragraphes 5 à 41 de ses « Prétentions écrites ».

[6]          Le juge Girouard est juge à la Cour supérieure du Québec depuis le 30 septembre 2010. À l’automne 2012, le Directeur des poursuites criminelles et pénales avise le juge en chef François Rolland de la Cour supérieure du Québec que le juge Girouard a été identifié par un trafiquant de drogue devenu informateur, par l’entremise de l’enquête « Écrevisse », comme ayant été son client il y a plusieurs années. Le Directeur informe aussi le juge en chef que la police est en possession d’un enregistrement vidéo qui semblerait montrer le juge Girouard achetant de la cocaïne d’un individu. Le 30 novembre 2012, le juge en chef Rolland écrit au Conseil canadien de la magistrature pour demander un examen sur la conduite du juge Girouard. Il est suspendu avec solde depuis janvier 2013.

[7]          De façon succincte, après l’examen d’une plainte et si déclarée recevable, le processus de plainte suit le parcours suivant : (1) un comité d’enquête est chargé d’entendre la preuve, de constater les faits et de tirer ses propres conclusions ; (2) le Conseil canadien de la magistrature examine les recommandations du comité d’enquête et en juge lui-même les faits de façon indépendante ; (3) le Conseil canadien de la magistrature fait part de sa recommandation de révoquer le juge ou non à la ministre de la Justice.

[8]          En novembre 2015, le premier Comité d’enquête conclut qu’il n’est pas en mesure de trouver, selon la prépondérance des probabilités, que l’allégation contre le juge Girouard est prouvée. Toutefois, la majorité du Comité d’enquête détermine qu’il a manqué de franchise, d’honnêteté et d’intégrité lors de son témoignage. Le Comité d’enquête estime que le juge Girouard s’est placé en situation d’incompatibilité avec sa charge judiciaire et que son témoignage compromet l’intégrité du système judiciaire. Ainsi, la majorité de ce premier Comité d’enquête recommande la révocation du juge Girouard.

[9]          Le 20 avril 2016, suite à son examen des recommandations du Comité d’enquête, le Conseil canadien de la magistrature recommande à la ministre de la Justice que le juge Girouard ne soit pas révoqué de ses fonctions judiciaires.

[10]      Le 14 juin 2016, la ministre de la Justice du Canada et la procureure générale du Québec requièrent que le Conseil canadien de la magistrature initie, en application de l’article 63(1) de la Loi sur les juges, une nouvelle enquête relative aux conclusions de la majorité du Comité d’enquête l’ayant mené à recommander la destitution du juge Girouard. Suite à cette lettre, le Conseil canadien de la magistrature constitue un nouveau comité d’enquête. Celui-ci prépare un avis d’allégation qui inclut la plainte des ministres ainsi que celle d’une autre personne. À la fin février 2017, le juge Girouard présente au Comité d’enquête des moyens préliminaires et une demande d’arrêt des procédures. Ces moyens et cette demande sont refusés le 22 février 2017 et les motifs sont rendus le 5 avril 2017. Le 21 mars 2017, le Comité d’enquête annonce que l’enquête débutera le 8 mai 2017, qu’elle s’étalera sur la semaine et au besoin la semaine suivante.

[11]      Ce sont ces décisions préliminaires qui font l’objet des 20 demandes de contrôle judiciaire dans le présent dossier. Le requérant demande ainsi à la Cour de repousser les procédures d’enquête du 8 mai 2017.

[12]      L’intimé a, selon moi, catégorisé les moyens préliminaires et les décisions du Comité d’enquête faisant l’objet des demandes de contrôle judiciaire de façon utile aux paragraphes 42 à 61 de ses « Prétentions écrites » :

  1. « Demande de déclaration de nullité de la demande conjointe ministérielle pour la tenue d’une enquête et moyens fondés sur la préclusion.
  2. Les moyens visant la compétence du Comité d’enquête au-delà de la demande d’enquête ministérielle.
  3. Les moyens visant la nature et la fonction de l’enquête menée par le Comité d’enquête.
  4. Les moyens fondés sur la crainte raisonnable de partialité structurelle ou institutionnelle qui porterait atteinte à l’indépendance judiciaire.
  5. Les moyens visant la constitutionnalité des dispositions règlementaires habilitantes et le processus d’enquête.
  6. Les demandes de mesures de gestion d’instance. »

[13]      Dans mon ordonnance du 27 avril 2017, j’ai demandé aux avocats du juge Girouard de déposer une requête en consolidation en vertu de la Règle 105 des Règles des Cours fédérales en tenant compte de cette catégorisation. Avant d’identifier les questions en litige, voyons sommairement les arguments des parties.

IV.             SOMMAIRE DES ARGUMENTS

A.                Arguments du requérant

(1)               Prématurité

[14]      Ce n’est que lors de la plaidoirie orale que le requérant a soutenu que la décision du Conseil canadien de la magistrature de ne pas retenir les allégations contre le juge Girouard constitue un jugement final équivalant à celui d’une cour supérieure. Ainsi, le requérant maintient qu’il respecte l’esprit et la lettre du principe de non-intervention tel qu’établi dans Powell Canada (Agence des services frontaliers) c CB Powell Limited [Powell], 2010 CAF 61, puisque la procédure administrative est effectivement achevée.

[15]      Selon les procédures appropriées, les ministres auraient dû demander le contrôle judiciaire de cette décision et non une « enquête sur une enquête » s’écartant de la procédure établie par la Loi sur les juges, LRC 1985, c J-1, ainsi que des principes d’enquête sur la conduite judiciaire détaillés dans Ruffo c Conseil de la magistrature [Ruffo], [1995] 4 RCS 267. De plus, cette requête est unique en son genre puisque le requérant est d’avis que les ministres s’ingèrent dans le processus disciplinaire.

[16]      En plus, oralement, le requérant soumet que les décisions du Comité d’enquête de février 2017 sont finales et que de ce fait, elles se distinguent de décisions interlocutoires.

[17]      Le requérant avance aussi que, puisque la composition du banc est contestée, une décision sur l’habilité du banc à procéder doit absolument être rendue avant le début de l’enquête.

(2)               Test RJR-MacDonald

[18]      Le requérant soutient que sa demande de réparation interlocutoire d’un contrôle judiciaire répond aux critères ventilés dans l’arrêt RJR-MacDonald, précité.

[19]      En ce qui a trait au premier volet, soit qu’il existe une question sérieuse sur le fond, le requérant plaide essentiellement que certaines questions d’équité procédurale liées au processus suivi par le Conseil canadien de la magistrature ainsi que par les ministres de la Justice méritent l’intervention interlocutoire de la Cour puisque certains de ses droits sont touchés. Le requérant avance aussi que ces procédures sont attentatoires à des principes plus larges tels que les droits fondamentaux ainsi qu’à l’indépendance judiciaire.

[20]      Par rapport au deuxième volet, soit que le juge Girouard subisse un préjudice irréparable si la demande interlocutoire est refusée, le requérant fait valoir que l’entièreté du processus auquel il fait face est une injustice grave. À cet effet, il avance que les procédures sont attentatoires à sa réputation et que certains de ses droits ont été brimés, comme résumé ci-dessus.

[21]      Le requérant allègue notamment que la nomination du deuxième comité n’a pas été faite de façon impartiale puisque deux des membres ont siégé au Comité d’examen de la première plainte et ont recommandé qu’elle soit enquêtée. Il avance que ce manque aux garanties procédurales contrevient à l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec.

[22]      En ce qui concerne le troisième volet, soit que la prépondérance des inconvénients penche en faveur du juge Girouard, le requérant propose que le retardement de l’enquête ne constitue pas un inconvénient pour l’intimé puisqu’elle se poursuivra à une date ultérieure. Ainsi, cela fait pencher la balance en sa faveur puisque les conséquences sur lui pourraient être graves et irréparables. En plus, il avance que l’intérêt public commande que les ministres doivent respecter le processus de discipline judiciaire établi par la loi ainsi que les principes d’indépendance judiciaire sous-jacents.

B.                 Réponse de l’intimé

(1)               Prématurité

[23]      Sur la question de la prématurité des demandes, l’intimé avance que les demandes de contrôle judiciaire sont prématurées puisque le processus d’enquête auquel le juge Girouard est assujetti n’est pas terminé et qu’il n’existe aucune circonstance exceptionnelle permettant à la Cour de se lancer dans l’analyse des trois volets du test RJR-MacDonald. Les préoccupations soulevées par le requérant, qu’elles soient liées à l’équité procédurale, à l’impartialité ainsi qu’à une question constitutionnelle, ne répondent pas au critère strict des circonstances exceptionnelles clairement établi dans Powell, précité.

[24]      En réponse à l’argument du requérant comme quoi la décision du Conseil canadien de la magistrature est finale, l’intimé avance que la décision Halifax (Regional Municipality) c Nouvelle-Écosse (Human Rights Commission) [Halifax], 2012 CSC 10, au para 36, établit que même lorsqu’une décision finale porte sur le sujet de la compétence, les parties doivent attendre l’issu du processus administratif complet. On précise aussi que les décisions du Comité d’enquête sont en grande partie interlocutoires car elles pourront être amendées selon la preuve et l’évolution de l’enquête. L’enquête n’étant pas terminée, le processus administratif n’est pas épuisé et le principe de non-intervention de Powell s’applique. L’intimé renchérit que les appréhensions du requérant sont prématurées et hypothétiques puisqu’il est possible que ni le nouveau Comité d’enquête ni subséquemment le Conseil canadien de la magistrature ne recommande sa révocation.

(2)               Test RJR-MacDonald

[25]      Malgré qu’il ne conteste explicitement que le deuxième et troisième volet du test RJR-MacDonald, l’intimé avance tout de même que ni la requête en sursis ni les demandes de contrôle judiciaire sous-jacentes ne présentent de questions sérieuses assez précises pour permettre à la Cour d’effectuer un examen préliminaire adéquat.

[26]      En ce qui a trait au volet du préjudice irréparable, l’intimé rappelle que le fardeau de preuve repose sur le requérant d’étayer de façon convaincante le dommage qu’il subira. Il avance que ce dernier n’a pas démontré qu’il subira un préjudice irréparable si le Comité d’enquête procède à son enquête à la date prévue.

[27]      L’intimé soutient que, dans certaines circonstances, une atteinte à la réputation peut être un préjudice valide, notamment comme dans Douglas c Canada (Procureur général) [Douglas], 2014 CF 1115, aux paragraphes 25 et 28. Toutefois, tel n’est pas le cas en espèce puisque les procédures disciplinaires contre le juge Girouard sont publiques depuis plusieurs années. Ce sont plutôt les décisions Newbould v Canada (Attorney General) [Newbould], 2017 FC 326, (avis d’appel déposé le 31 mars 2017), et Camp c Canada (Procureure générale) [Camp], 2017 CF 240, où les allégations d’atteinte à la réputation n’ont pas été retenues, qui sont analogues à l’affaire présentement devant la Cour.

[28]      L’intimé renchérit en plaidant qu’il est dans l’intérêt public que soient accessibles les procédures d’enquêtes judiciaires afin que les Canadiens sachent que les juges faisant l’objet d’une enquête continuent à exercer leurs fonctions ou non. Finalement, l’intimé suggère que la non-intervention dans le processus d’enquête par la Cour respecte le régime législatif d’enquête mis en place par le législateur.

V.                QUESTIONS EN LITIGE

[29]      Afin de trancher cette affaire, la Cour doit répondre à deux questions :

  1. Les demandes de contrôle judiciaire sont-elles prématurées étant donné les procédures pendantes?
  2. Les trois critères ventilés dans l’arrêt RJR-MacDonald relatifs au sursis interlocutoire de procédures sont-ils rencontrés?

VI.             ANALYSE

A.                La prématurité et le principe de non-intervention

[30]      En premier lieu, il est important de brièvement rappeler les principes associés à la prématurité d’un recours interlocutoire lorsqu’un cadre législatif et réglementaire prévoit un processus de discipline judiciaire par un Comité d’enquête mis sur pied par le Conseil canadien de la magistrature. (Voir la Loi sur les juges, LRC 1985, c J-1, le Règlement administratif du Conseil canadien de la magistrature sur les enquêtes (2015), DORS/2015-203, le Manuel de pratique et de procédures des Comités d’enquête du Conseil canadien de la magistrature.)

[31]      La décision Groupe Archambault inc. c CMRRA/SODRAC inc. [Groupe Archambault], 2005 CAF 330, au paragraphe 7, rendue par la Cour d’appel fédérale, rappelle à ce sujet un principe important :

[7]        Si le contrôle judiciaire d’une décision interlocutoire est rarement justifié, l’octroi d’un sursis advenant la conclusion de la révision le serait encore moins. Avant d’aborder les conditions pour l’émission d’un sursis interlocutoire, la Cour doit se satisfaire que les circonstances justifient son intervention. [...]

[32]      De plus, la règle générale, clairement énoncée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Powell, au paragraphe 30, est qu’une partie ne peut « s’adresser aux tribunaux qu’après avoir épuisé toutes les voies de recours utiles qui lui sont ouvertes en vertu du processus administratif. » Il s’agit du principe de non-intervention, qui est aussi connu sous plusieurs autres noms, comme l’explique la Cour d’appel au paragraphe 31 de cette même décision :

[31]      La doctrine et la jurisprudence en droit administratif utilisent diverses appellations pour désigner ce principe : la doctrine de l’épuisement des recours, la doctrine des autres voies de recours adéquates, la doctrine interdisant le fractionnement ou la division des procédures administratives, le principe interdisant le contrôle judiciaire interlocutoire et l’objection contre le contrôle judiciaire prématuré. Toutes ces formules expriment la même idée : à défaut de circonstances exceptionnelles, les parties ne peuvent s’adresser aux tribunaux tant que le processus administratif suit son cours. Il s’ensuit qu’à défaut de circonstances exceptionnelles, ceux qui sont insatisfaits de quelque aspect du déroulement de la procédure administrative doivent exercer tous les recours efficaces qui leur sont ouverts dans le cadre de cette procédure. Ce n’est que lorsque le processus administratif a atteint son terme ou que le processus administratif n’ouvre aucun recours efficace qu’il est possible de soumettre l’affaire aux tribunaux. En d’autres termes, à défaut de circonstances exceptionnelles, les tribunaux ne peuvent intervenir dans un processus administratif tant que celui‑ci n’a pas été mené à terme ou tant que les recours efficaces qui sont ouverts ne sont pas épuisés.

[Je souligne]

[33]      L’arrêt Powell confirme que le principe de non-intervention est presque absolu. Une exception au principe ne peut être accordée que si des circonstances exceptionnelles la justifient. Pour ce faire, la Cour d’appel fédérale décrit la norme permettant d’atteindre le seuil des « circonstances exceptionnelles » et donne plusieurs exemples de situations qui n’atteignent pas ce seuil au paragraphe 33 :

[33]      Partout au Canada, les cours de justice ont reconnu et appliqué rigoureusement le principe général de non-ingérence dans les procédures administratives, comme l’illustre la portée étroite de l’exception relative aux « circonstances exceptionnelles ». […] Qu’il suffise de dire qu’il ressort des précédents que très peu de circonstances peuvent être qualifiées d’« exceptionnelles » et que le critère minimal permettant de qualifier des circonstances d’exceptionnelles est élevé […]. Les meilleurs exemples de circonstances exceptionnelles se trouvent dans les très rares décisions récentes dans lesquelles les tribunaux ont accordé un bref de prohibition ou une injonction contre des décideurs administratifs avant le début de la procédure ou au cours de celle-ci. Les préoccupations soulevées au sujet de l’équité procédurale ou de l’existence d’un parti pris, de l’existence d’une question juridique ou constitutionnelle importante ou du fait que les toutes les parties ont accepté un recours anticipé aux tribunaux ne constituent pas des circonstances exceptionnelles permettant aux parties de contourner le processus administratif dès lors que ce processus permet de soulever des questions et prévoit des réparations efficaces [….].

[Je souligne.]

[34]      La Cour d’appel indique aussi dans l’arrêt Powell, aux paragraphes 39 à 46, que l’existence d’une question liée à la compétence du tribunal administratif ne constitue pas en soi une « circonstance exceptionnelle » permettant d’introduire une demande de contrôle judiciaire avant que le processus administratif ne soit complété.

[35]      La Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Groupe Archambault, au paragraphe 10, confirme que l’analyse d’une demande de sursis est composée de deux étapes. En premier lieu, la Cour doit déterminer si les questions sont prématurées. En deuxième lieu, assumant que la première question le permet, la Cour doit analyser si les conditions à satisfaire pour l’octroi d’un sursis interlocutoire, soit de l’existence de « circonstances exceptionnelles », telles qu’énoncées dans l’arrêt RJR MacDonald, sont remplies.

[36]      Tout récemment, dans l’arrêt Camp, au paragraphe 13, suite à un survol de jurisprudence pertinente, le juge Robertson confirme qu’il est désormais bien établi en droit que les « décisions interlocutoires des décideurs administratifs ne peuvent pas faire l’objet d’un contrôle judiciaire avant qu’une décision administrative ne soit rendue ».

[37]      Je suis d’accord avec les principes établis par la Cour d’appel fédérale dans les arrêts Groupe Archambault et Powell ainsi qu’avec le juge Robertson dans Camp.

[38]      Pour faire exception à ces principes, le requérant doit démontrer des circonstances exceptionnelles. J’ai bien lu la demande, les mémoires, les affidavits, l’affidavit amendé du juge Girouard, et les pièces déposées ; je ne peux y retrouver des faits pouvant équivaloir à des circonstances exceptionnelles. Comme la jurisprudence l’exige, le critère minimal pouvant associer des faits à des circonstances exceptionnelles est « élevé ». Le requérant soulève dans ses arguments des questions d’équité procédurale, de possibilités de partis pris de la part de certains membres du Comité d’enquête à cause de leur implication antérieure, ainsi que des questionnements constitutionnels quant à la législation, la procédure d’enquête, l’absence d’avocat indépendant, etc. […]. Ces questions ne sont pas, selon la jurisprudence, des circonstances exceptionnelles.

[39]      Il est notoire que dans ses soumissions écrites, le requérant n’a pas vraiment abordé cet aspect de prématurité ni le principe de non-intervention des tribunaux. Ce n’est que lors des plaidoiries que celui-ci en a discuté.

[40]      Le requérant a prétendu que la décision du Conseil canadien de la magistrature était finale, et qu’à ce titre, elle se distingue d’une décision interlocutoire. En plus, le requérant a plaidé que les décisions avec motifs du Comité d’enquête étaient finales et non interlocutoires. Dans les deux cas, ceci n’est pas une raison pour justifier l’intervention de la Cour. Que la décision soit finale ou interlocutoire, le principe de non-intervention prime. (Voir l’arrêt Halifax au paragraphe 36.) Il faut aussi ajouter que les décisions du Comité d’enquête ne sont pas finales dans son ensemble. Plusieurs décisions parmi les 20 demandes assujetties à une demande de contrôle judiciaire pourront être amendées et ajustées, selon le déroulement de l’enquête. De toute façon, à ce stade-ci, il n’y a pas lieu de commenter plus amplement. Le requérant pourra, au besoin, soumettre ses arguments lors de l’audition sur le fond.

[41]      J’ajoute ici que je suis d’accord avec les prétentions de l’intimé comme quoi les appréhensions du requérant sont hypothétiques et vise à éviter une décision défavorable. Effectivement, si le nouveau Comité d’enquête ou, subséquemment, le Conseil canadien de la magistrature tranche en faveur du juge Girouard en ne recommandant pas sa révocation, l’objet des contrôles judiciaires n’existera plus et ne sera qu’hypothétique. Ce facteur pèse en faveur d’une conclusion comme quoi les appréhensions du requérant sont hypothétiques. Le juge Mosley, dans l’arrêt Douglas, au paragraphe 39, souligne que, selon lui, une demande de contrôle judiciaire visant à éviter une décision défavorable sur le fond est manifestement prématurée. Je suis d’accord. Comme on le voit ci-haut, le requérant pourra, par le cadre du processus disciplinaire, utiliser d’autres recours, je pense entre autres, comme exemple, à la possibilité de présenter des représentations écrites au Conseil canadien de la magistrature, au besoin. Il pourra soulever ses préoccupations et le Conseil canadien de la magistrature décidera. Comme le présent dossier le démontre, le Conseil canadien de la magistrature ne suit pas automatiquement les recommandations d’un comité d’enquête.

[42]      Tel que vu ci-haut, la jurisprudence se rapportant à la prématurité et l’exception des circonstances exceptionnelles est claire : les questions de partialité, de compétence, d’équité procédurale, et constitutionnelles ne doivent pas être posées dans un vide factuel, sans preuve déterminante au soutien ; elles ne justifient pas une intervention judiciaire. Le paragraphe 33 de l’arrêt Powell est sans ambiguïté :

[33]      […] Les préoccupations soulevées au sujet de l’équité procédurale ou de l’existence d’un parti pris, de l’existence d’une question juridique ou constitutionnelle importante ou du fait que les toutes les parties ont accepté un recours anticipé aux tribunaux ne constituent pas des circonstances exceptionnelles permettant aux parties de contourner le processus administratif dès lors que ce processus permet de soulever des questions et prévoit des réparations efficaces [….].

[43]      Les exemples d’application du principe à des circonstances spécifiques, citées par l’intimé au paragraphe 75, sont aussi utiles : les affaires Camp, Douglas et Newbould confirment que les faits en espèce n’établissent pas l’existence de circonstances exceptionnelles permettant de passer à la deuxième étape de l’analyse, soit de déterminer si un sursis devrait être accordé ou non en appliquant le test énoncé dans RJR-MacDonald.

[44]      Ainsi, je suis d’avis que la demande de sursis de l’enquête sur la conduite du requérant doit être refusée à cette étape. Les demandes interlocutoires de contrôle judiciaire présentées par le requérant sont prématurées ; la procédure d’enquête doit suivre son cours et aboutir ultérieurement à sa finalité. Au besoin, s’il y a lieu, les demandes de contrôle judiciaire pourront être déterminées.

[45]      Je tiens à souligner un principe connexe important. Malgré le fait qu’un processus disciplinaire est long, il suit tout de même un cadre législatif établi, selon l’application de la primauté du droit. Il est inapproprié de court-circuiter un processus pour toute raison, politique ou non, avant que la personne visée par les procédures disciplinaires ait complètement épuisé ses recours administratifs et judiciaires. Ainsi, le principe de non-intervention s’applique tant aux cours de justice, qu’à la personne visée par les procédures, qu’aux autres parties prenant part, de quelque façon que ce soit, à l’administration de cette même procédure. Donc, l’on viole ce principe si l’on tente d’accélérer le résultat d’une procédure disciplinaire avant que l’ultime délai d’appel soit écoulé.

[46]      En principe, l’analyse de la Cour pourrait s’arrêter ici, mais, par souci d’exhaustivité et de rendre justice dans l’intérêt de la justice et celui des parties, j’analyserai brièvement les trois étapes du test RJR-MacDonald portant sur l’existence de circonstances exceptionnelles permettant à la Cour d’accorder un sursis.

B.                 Test à appliquer selon RJR MacDonald

[47]      À titre de rappel, afin de déterminer si elle devrait accorder une requête en sursis, la Cour doit être d’avis que les critères du test conjonctif énoncés au paragraphe 48 de l’arrêt RJR-MacDonald sont remplis. Elle doit se satisfaire que :

  1. Une étude préliminaire du fond du litige établit qu’il y a une question sérieuse à juger ;
  2. Le requérant subirait un préjudice irréparable si sa demande était rejetée ;
  3. La prépondérance des inconvénients penche en faveur du requérant en attendant une décision sur le fond.

[48]      Pour réussir, le requérant doit satisfaire la Cour que les faits mis en preuve permettent que les trois (3) critères soient rencontrés.

(1)               Question sérieuse

[49]      En ce qui a trait au premier critère, soit de l’existence d’une question sérieuse à juger, la Cour suprême fait remarquer, dans l’arrêt RJR-MacDonald au paragraphe 55, que le seuil pour l’établissement d’une question sérieuse est relativement bas :

[55]      Une fois convaincu qu’une réclamation n’est ni futile ni vexatoire, le juge de la requête devrait examiner les deuxième et troisième critères, même s’il est d’avis que le demandeur sera probablement débouté au procès. Il n’est en général ni nécessaire ni souhaitable de faire un examen prolongé du fond de l’affaire.

[50]      Ayant lu les reproches faits à l’égard des motifs de la décision du Comité d’enquête du 22 février 2017, je tiens pour acquis que le critère de la question sérieuse est satisfait sans plus.

(2)               Préjudice irréparable

[51]      Le deuxième critère du test RJR-MacDonald requiert la preuve, selon la prépondérance des probabilités, que le requérant subirait un préjudice irréparable si sa requête pour sursoir à l’enquête n’est pas accordée. Il en a le fardeau. Au paragraphe 59 de l’arrêt RJR-MacDonald, la Cour suprême spécifie que le préjudice irréparable est un préjudice qui ne peut pas être quantifié du point de vue monétaire et qui ne peut être remédié par des dommages-intérêts.

[52]           La Cour d’appel fédérale ajoute à ce sujet, aux paragraphes 6 et 7 de Canada (Procureur général) c United States Steel Corp, 2010 CAF 200 :

[6]     L’arrêt RJR a fait valoir que la question principale concernant le préjudice irréparable consiste à déterminer « si le refus du redressement pourrait être si défavorable à l’intérêt du requérant que le préjudice ne pourrait pas faire l’objet d’une réparation, en cas de divergence entre la décision sur le fond et l’issue de la demande interlocutoire » : page 341. Le préjudice irréparable a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu’à son étendue. Il doit s’agir d’un préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue pécuniaire ou auquel il ne peut être remédié : page 341.

[7]     Selon la jurisprudence de notre Cour, la partie qui cherche à obtenir la suspension de l’instance doit présenter une preuve claire qui ne repose pas sur des conjectures démontrant qu’un préjudice irréparable sera subi si la requête en suspension n’est pas accordée. Il ne suffit pas de démontrer qu’un préjudice irréparable « pourrait » se produire. Le préjudice irréparable invoqué ne peut se fonder sur de simples affirmations : Syntex Inc. c. Novopharm Ltd., no A39989, 8 mai 1991 (C.A.F.), autorisation d’appel refusée [1991] 3 R.C.S. xi, Centre Ice Ltd. c. Ligue nationale de Hockey, no A69693, 24 janvier 1994 (C.A.F.), Procureur général du Canada c. Commissaire à l’information du Canada, 2001 CAF 25 (CanLII).

[53]      Le juge Mosley indique clairement, dans la décision Douglas, au paragraphe 25, que le préjudice irréparable « ne peut reposer sur des hypothèses concernant l’issue ou l’effet éventuel d’une décision administrative [...] ». La juge Mactavish, dans Canada (Procureur général) c Amnesty International Canada, 2009 CF 426, au paragraphe 29, renchérit qu’« il incombe à la partie qui demande le sursis de présenter des preuves claires et non hypothétiques démontrant qu’un préjudice irréparable sera causé si leur requête est rejetée […]. »

[54]      L’affidavit du juge Girouard, au paragraphe 22 est succinct quant aux faits associés au préjudice car il se limite à énumérer des questions de droit reliées au processus d’enquête, au principe d’inamovibilité des juges et de partialité du processus d’enquête, à des questions constitutionnelles, et au fait qu’il a déjà subi une enquête et le non-respect de certaines normes d’équité procédurale. Ce n’est pas ce que la jurisprudence requiert; il faut plus que des arguments de droit. Toutefois, bien que peu développé, je retiens, pour discussion, sa préoccupation quant à sa réputation. Je constate que lors des plaidoiries, l’un des procureurs du requérant a mentionné qu’il n’y avait pas encore de préjudice à celle-ci, mais qu’il existait un « risque sérieux ». À nouveau, je note que ceci n’est pas suffisant. Un risque sous-entend la possibilité qu’il n’y ait pas de préjudice à la réputation du juge Girouard.

[55]      La réputation associée à chacun d’entre nous est capitale. Toutefois, lorsque l’on est assujetti, comme ce fut le cas du juge Girouard, à une procédure d’enquête, soit un processus légal, il va de soi que la preuve faite peut assombrir la réputation d’une personne. Ce fut le cas du juge Girouard lors du déroulement de la première enquête et de la couverture médiatique qui en a découlée. Ceci fait partie du domaine public (voir le paragraphe 22(d) de l’affidavit amendé du juge Girouard).

[56]      Les ministres de la Justice du Canada et du Québec ont relaté, dans leur lettre de plainte, des allégations contre le juge Girouard qui font aussi partie du domaine public.

[57]      Le juge Girouard craint à nouveau pour sa réputation. Toutefois, il aura droit à l’équité procédurale que le Comité d’enquête fera respecter. Il pourra présenter de la preuve, contre-interroger les témoins, etc. Bref, il aura l’occasion de se faire entendre et de riposter à toute preuve qui pourrait ternir sa réputation. Il est même dans l’intérêt de celui-ci qu’il y ait un forum public pour corriger les impressions du passé, les allégations des ministres de la Justice et toute autre preuve pouvant aller à l’encontre de sa réputation. Un processus d’enquête n’est pas à sens unique, il joue aussi, selon les faits, en faveur de la personne contre qui la plainte est déposée. Ultimement, il se peut que tout au contraire, la réputation du juge soit réhabilitée, lui permettant ainsi d’assumer ses tâches comme juge de la Cour supérieure du Québec avec honneur et dignité, et ce tant dans son intérêt que dans l’intérêt de la justice.

[58]      L’affaire Douglas n’est pas d’utilité pour le juge Girouard. Le juge Mosley a accordé le sursis d’une décision interlocutoire qui permettait aux membres d’un Comité d’enquête de voir des photographies très personnelles de la juge Douglas. Toutefois, l’effet de sa décision portait sur l’admissibilité d’une pièce ; il n’a pas suspendu le déroulement de l’enquête. Je souligne que dans Douglas, le juge Mosley accorde la demande interlocutoire puisque la demanderesse ne disposait d’aucun autre recours pour éviter un préjudice irréparable. Je note aussi que le résultat de la demande interlocutoire ne devenait pas hypothétique, peu importe l’issue de la décision sur le fond.

[59]      Le requérant ne peut pas, sur la base d’un préjudice hypothétique, indéfini et imprécis, prétendre subir un préjudice tel que défini par la jurisprudence. Si l’on s’en tient à la preuve telle que soumise, le requérant demande à la Cour d’interrompre le processus d’enquête, car, s’il continue, sa réputation sera ternie. Ceci n’est pas le préjudice requis pour satisfaire le deuxième critère. Le préjudice doit être réel, non compensable et non récupérable monétairement. Le requérant demande l’interruption de l’enquête puisqu’il veut que ses vingt (20) demandes de contrôle judiciaire soient entendues avant que l’enquête ait lieu. Ceci n’équivaut pas à un préjudice. Il s’agit d’une tentative de changer le cours des procédures pour donner priorité à sa préférence. À ce sujet, tel que relaté ci-haut, ceci va à l’encontre des arguments de prématurité où il est clairement dit que la procédure administrative doit en arriver à sa finalité avant que les demandes de contrôle judiciaire, si requises, soient entendues et décidées.

[60]      Donc, la preuve du préjudice irréparable n’est pas faite. Quant à celui à sa réputation, encore là, la preuve est succincte. Les arguments de droit énoncés à l’appui du préjudice à sa réputation ne suffisent pas. On ne m’a pas démontré qu’il subit, ou subira un préjudice irréparable à sa réputation. Au contraire, il se peut que le processus d’enquête rehausse sa réputation, car il aura l’occasion de remettre en question les allégations, de les réfuter et de contre-interroger les témoins.

a)                  Prépondérance des inconvénients

[61]      La prépondérance des inconvénients s’analyse essentiellement au cas par cas, selon les parties. En général, ce sont les intérêts personnels du requérant qui sont soupesés contre ceux de l’intimé, soit celui de l’intérêt public à bénéficier d’un système judiciaire favorisant la bonne administration de la justice. L’arrêt RJR-MacDonald donne quelques pistes :

« Dans l’arrêt Metropolitan Stores, le juge Beetz décrit, à la p. 129, le troisième critère applicable à une demande de redressement interlocutoire comme un critère qui consiste « à déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse une injonction interlocutoire en attendant une décision sur le fond ». Compte tenu des exigences minimales relativement peu élevées du premier critère et des difficultés d’application du critère du préjudice irréparable dans des cas relevant de la Charte, c’est à ce stade que seront décidées de nombreuses procédures interlocutoires. »

[Soulignement original]

[62]      Le requérant suggère que les questions de droit qu’il soulève tel l’indépendance judiciaire suffisent à associer l’intérêt public à sa cause plutôt qu’à celle de l’intimé.

[63]      Par ailleurs, l’intimé plaide que l’intérêt public dans le présent cas favorise la non-intervention dans le processus décisionnel des tribunaux. Il réfère la Cour à l’arrêt Halifax, au paragraphe 36, qui précise qu’une intervention judiciaire hâtive « nuit à l’efficacité des recours par la multiplication des procédures administratives et judiciaires et elle risque de compromettre un régime législatif complet que le législateur a soigneusement conçu ».

[64]      Dans le présent cas, le requérant demande l’interruption de l’enquête qui doit commencer lundi prochain, le 8 mai 2017, de façon à faire place à l’audition de vingt (20) demandes de contrôle judiciaire qui aura lieu dans les mois à venir. Est-ce que cela joue en faveur de ce qu’il prétend être l’intérêt public qu’il représente ? Ceci s’apparente plus à un intérêt personnel qu’un intérêt public.

[65]      Selon moi, l’enquête découlant des allégations mentionnées à l’avis d’allégations doit suivre son cours comme le prévoient la législation et la réglementation. Ceci m’apparait être l’intérêt public à favoriser. Les allégations associées au juge Girouard doivent être soumises au test de la vérité où celles-ci pourront être contestées. L’intérêt public demande que ces allégations soient vérifiées à ce moment-ci. J’ajouterai qu’il est dans l’intérêt du juge Girouard que l’enquête ait lieu à brève échéance. Lorsque le processus disciplinaire aura acquis sa finalité, les parties, selon le résultat, pourront avoir recours au système judiciaire. Il se pourrait que les allégations ne passent pas le test de la vérité. Ainsi, le juge Girouard pourra se désister de ses demandes de contrôle judiciaire. Dans le cas contraire, il pourra poursuivre sa démarche judiciaire. Interpréter l’intérêt public ainsi n’enlève aucun droit au requérant. Au contraire, tous ses droits et recours persistent y incluant ceux devant le Comité d’enquête.

VII.          CONCLUSION

[66]      En conséquence, la demande de suspendre le début des auditions du Comité d’enquête ne peut être accordée tant pour raisons de prématurité que le fait que deux (2) des trois (3) critères de l’arrêt RJR-Macdonald ne sont pas rencontrés.


JUGEMENT

POUR TOUS CES MOTIFS, LA COUR STATUE ET ORDONNE CE QUI SUIT :

  1. Rejette la requête de surseoir à l’enquête du Comité d’enquête du Conseil canadien de la magistrature;
  2. Suspend les procédures dans les vingt (20) demandes de contrôle judicaire.
  3. Dépens à suivre.

« Simon Noël »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-414-17 à T-419-17 et T-422-17 à T-435-17

INTITULÉ :

L'HONORABLE MICHEL GIROUARD c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET AL

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE PAR VIDÉOCONFÉRENCE:

LE 2 MAI 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SIMON NOËL

DATE DES MOTIFS :

LE 4 MAI 2017

COMPARUTIONS :

Me Louis Masson

Me Bénédicte Dupuis

Me Gérald R. Tremblay

POUR LE DEMANDEUR

Me Claude Joyal

Me Sara Gauthier

POUR LE DÉFENDEUR

Me Robert DeBlois

Me Pierre Gingras

POUR LE CONSEIL CANADIEN DE LA MAGISTRATURE

Me Marc-André Gravel

Me Elie Tremblay

POUR LE COMITÉ D’ENQUÊTE À l’ÉGARD DE L’HONORABLE MICHEL GIROUARD – MISE EN CAUSE

Me Jean-Yves Bernard

POUR L’HONORABLE STÉPHANIE VALLÉE – MIS EN CAUSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Joli-Cœur Lacasse

Québec (Québec)

EN BLANC

Me Gérald R. Tremblay Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

Gravel Bernier Vaillancourt

Avocats

Québec (Québec)

POUR LE COMITÉ D’ENQUÊTE À L’ÉGARD DE L’HONORABLE MICHEL GIROUARD – MISE EN CAUSE

Me Jean-Yves Bernard

Ministère de la Justice

Montréal (Québec)

POUR L’HONORABLE STÉPHANIE VALLÉE – MISE EN CAUSE

 

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