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Date : 20170704


Dossier : IMM-4467-16

Référence : 2017 CF 626

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 juillet 2017

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

MIN CHUN ZHU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

et

ANCIENNE AVOCATE

Intervenante

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 26 septembre 2016 par la Section d’appel de l’immigration (« SAI ») de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (« CISR »), rejetant l’appel interjeté par le demandeur, pour des motifs d’ordre humanitaire, à l’encontre de la mesure d’exclusion prise contre lui.

[2]               La demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs qui suivent.

Contexte

[3]               Le demandeur est un citoyen de la Chine âgé de 42 ans. Il y travaillait dans une usine comme cadre débutant. En ou vers 2002, il a rencontré Mme Mei Zhen Dong (« Mme Dong ») avec qui il a eu des rapports sexuels occasionnels. Le demandeur et Mme Dong ont tous deux eu d’autres relations. En juin 2008, la sœur de Mme Dong a téléphoné au demandeur pour l’aviser que celle-ci était en train de donner naissance à un enfant et lui demander de se rendre à l’hôpital de Foshan, à Guandong. Le demandeur déclare qu’à ce moment, il ignorait s’il était le père de l’enfant, mais qu’il s’est tout de même rendu à l’hôpital et a fourni son identité de sorte que son nom soit inscrit sur l’acte de naissance de l’enfant.

[4]               Le demandeur est devenu résident permanent du Canada le 9 décembre 2008 dans le cadre du Programme Candidats immigrants pour la Saskatchewan. Le ou vers le 5 février 2010, le demandeur est retourné en Chine pour une visite. Le 23 février 2010, pendant son séjour, il a épousé Mme Dong. Le 23 mars 2010, le demandeur a demandé un test d’ADN et le résultat, en date du 15 avril 2010, a confirmé qu’il est le père biologique de Yingyi Zhu, la fille de Mme Dong. Le 19 septembre 2014, un rapport a été produit en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (« LIPR »), indiquant que le demandeur était interdit de territoire, conformément à l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, pour avoir fait une fausse déclaration sur un fait important qui pourrait entraîner une erreur dans l’application de la LIPR en omettant de déclarer aux agents d’immigration, au moment de son arrivée, qu’il avait un enfant né en Chine avant de venir au Canada. Une enquête sur l’interdiction de territoire a été menée et, dans une décision datée du 13 mai 2015, la Section de l’immigration (« SI ») de la CISR a rendu une mesure d’exclusion contre le demandeur.

[5]               Le demandeur a interjeté appel auprès de la SAI. Sans contester la conclusion de la SI sur les fausses déclarations, il a demandé à la SAI d’exercer son pouvoir discrétionnaire et d’admettre son appel pour des motifs d’ordre humanitaire en vertu des paragraphes 67(1), 68(1) et 69(1) de la LIPR. Le demandeur était représenté par une avocate (« ancienne avocate ») et l’audience devant la SAI a eu lieu le 22 juillet 2016. La SAI a conclu que les motifs d’ordre humanitaire étaient insuffisants pour justifier la mesure de redressement demandée et a rejeté l’appel dans sa décision du 26 septembre 2016, qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire. Le 5 décembre 2016, le demandeur a déposé une demande de réouverture de l’appel sur preuve de manquement à un principe de justice naturelle en raison de l’incompétence de son ancienne avocate, en vertu de l’article 71 de la LIPR. La SAI a rejeté la demande de réouverture le 13 janvier 2017.

[6]               Le 8 novembre 2016, le demandeur a envoyé à son ancienne avocate une lettre résumant ses préoccupations quant à sa représentation juridique pendant l’appel devant la SAI. Son ancienne avocate a répondu aux allégations dans des lettres datées du 17 novembre 2016 (datée par erreur du 17 juillet 2016) et du 28 novembre 2016. L’ancienne avocate a également présenté à la Cour une lettre datée du 23 février 2017. Ensuite, conformément au protocole procédural de la Cour fédérale  Concernant les allégations formulées contre les avocats ou contre d’autres représentants autorisés au cours des instances de la Cour fédérale en matière de citoyenneté, d’immigration et de personnes à protéger, elle a déposé une requête en vue d’être autorisée à intervenir. La requête a été accueillie le 28 avril 2017 par une ordonnance de la Cour.

[7]               Le 16 juin 2017, l’ancienne avocate a déposé par écrit une requête en vertu de l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (« Règles »), demandant une ordonnance selon l’article 151 des Règles afin que certains documents qui seront déposés dans le cadre de cette demande soient considérés comme étant confidentiels, plus particulièrement que le nom de l’ancienne avocate et autres renseignements personnels ou permettant de l’identifier soient exclus de toute décision publiée.

Décision faisant l’objet du contrôle

[8]               Comme il a été mentionné, le demandeur n’a pas contesté la validité juridique de la mesure d’exclusion devant la SAI, mais lui a demandé d’exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré en vertu des paragraphes 67(1), 68(1) et 69(1) de la LIPR et d’admettre son appel pour des motifs d’ordre humanitaire.

[9]               Lors de l’audience, le demandeur a témoigné en personne; la SAI a conclu que son témoignage portait à confusion et était vague. Par exemple, les éléments de preuve selon lesquels le petit ami de Mme Dong, qui résidait à Hong Kong à deux ou trois heures d’autobus au moment de la naissance de l’enfant, était au courant de la grossesse, n’étaient pas clairs. De plus, le demandeur n’a pas expliqué pourquoi, outre le fait que la sœur de Mme Dong lui avait demandé de le faire, il a accepté que son nom soit inscrit au registre des naissances de l’hôpital à titre de père de l’enfant. Outre sa volonté de savoir, il n’a pas expliqué non plus pourquoi il avait demandé un test d’ADN après son mariage. La SAI n’a pas jugé le témoignage du demandeur fiable. Elle a conclu qu’il n’avait pas fourni une preuve claire et pertinente pour la persuader qu’il n’avait pas l’intention de tromper les agents d’immigration et que les fausses déclarations étaient graves et ne constituaient pas une erreur innocente de sa part.

[10]           La SAI a reconnu les remords exprimés par le demandeur, mais a conclu qu’il avait de la difficulté à expliquer les conséquences de ses actes autres que la séparation de sa femme et de son enfant. Il n’a pas démontré qu’il comprenait les implications pour la société canadienne. La SAI a admis, comme facteur d’ordre humanitaire positif, l’établissement du demandeur au Canada au cours des huit dernières années, y compris ses antécédents de travail, la prise en charge d’un prêt hypothécaire sur un immeuble de placement détenu par sa tante et la rénovation de celui-ci et son témoignage quant à son étroite relation avec sa tante. Elle a émis cette conclusion positive même si le demandeur a omis de fournir des renseignements sur la qualité de sa relation avec les trois filles de sa tante, ses cousines.

[11]           La SAI a également conclu que le renvoi du demandeur du Canada aurait probablement une incidence sur sa tante. Toutefois, sa tante a trois de ses enfants au Canada et aucun élément de preuve n’indique qu’ils n’aideraient pas leur mère si le demandeur n’était pas disponible. Pour la même raison, la SAI a accordé peu de poids à l’impact émotionnel que son renvoi aurait sur sa tante. La SAI a conclu que le demandeur bénéficie de l’appui de sa tante et de ses cousines au Canada et renvoie aux lettres de soutien des cousines, mais mentionne que ces lettres portaient davantage sur la relation que le demandeur a nouée avec leur mère. La SAI a conclu que les lettres de sa famille et de ses anciens collègues constituaient un facteur positif dans cet appel.

[12]           En ce qui concerne les difficultés auxquelles serait confronté le demandeur s’il retournait en Chine, la SAI a établi qu’elles ne seraient guère plus que de nature économique et comprendraient peut-être l’abandon de certains de ses rêves et projets d’avenir. La SAI a tenu compte du fait qu’il a grandi en Chine et que, même s’il ne pourra pas reprendre son ancien emploi à l’usine, les éléments de preuve présentés indiquent qu’à sa connaissance, il n’existe aucune autre raison qui l’empêcherait de trouver un emploi en Chine. Bien qu’il estime que son revenu serait inférieur, il n’a pas présenté d’élément de preuve documentaire indiquant que son niveau de vie allait baisser ou baisser suffisamment pour lui causer un préjudice indu. Sa mère, son frère, sa femme et ses enfants habitent en Chine. Tout bien pesé, la SAI a conclu que le fait de retrouver sa famille et d’habiter et de travailler en Chine comme il l’a fait pendant la majeure partie de sa vie allait contrebalancer les difficultés émotionnelles ou économiques auxquelles il serait confronté.

[13]           Par ailleurs, la SAI a également considéré l’intérêt supérieur de la fille de huit ans du demandeur, qui vit en Chine, et a conclu que l’enfant bénéficierait raisonnablement du fait que ses parents soient réunis en Chine et de la présence de son père dans sa vie quotidienne. La SAI a reconnu le témoignage du demandeur selon lequel la naissance de sa fille n’a pas été déclarée auprès du gouvernement chinois, elle ne peut pas fréquenter une école publique et le demandeur doit payer des frais pour qu’elle fréquente une autre école (1 200 $ par année), mais a conclu que le demandeur n’a pas présenté d’élément de preuve clair expliquant pourquoi sa fille ne peut pas fréquenter une école publique puisque sa naissance a été déclarée à l’hôpital et qu’il y a été inscrit en tant que père. De plus, si la naissance n’a pu être déclarée à l’époque parce que le demandeur et Mme Dong n’étaient pas mariés, ils se sont mariés par la suite. Il n’existe aucun élément de preuve documentaire pour corroborer que l’enfant ne pourrait pas être déclarée à l’heure actuelle, et le demandeur a témoigné qu’il pourrait avoir à payer une amende de 10 000 $ CA pour qu’elle puisse fréquenter une école publique. Il n’a évoqué aucune raison expliquant pourquoi il n’aurait pu économiser de l’argent à cette fin. La SAI a accordé peu de poids au témoignage du demandeur quant à la raison pour laquelle sa fille doit rester dans son école actuelle, car il prêtait à confusion et n’a pas été corroboré. Elle a conclu qu’il était dans l’intérêt supérieur de l’enfant que son père soit réuni avec elle et sa mère en Chine, car on ne pouvait pas s’attendre raisonnablement à ce qu’il puisse parrainer la venue de sa fille au Canada.

[14]           À la lumière des circonstances, la SAI a conclu qu’il n’existait pas suffisamment de facteurs d’ordre humanitaire pour justifier la prise de mesures spéciales, a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire et a rejeté l’appel.

Questions en litige et norme de contrôle

[15]           La présente demande soulève une seule question, à savoir si la décision de la SAI devrait être annulée pour des motifs d’équité procédurale en raison de l’incompétence de l’avocate.

[16]           Les parties font valoir, et je suis d’accord, que les allégations d’incompétence ou de négligence mettent en cause des questions d’équité procédurale. Par conséquent, la question doit être examinée selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43; Mcintyre c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1351, au paragraphe 16 [Mcintyre]; Ghauri c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 548, au paragraphe 22). La Cour qui révise une décision selon la norme de la décision correcte « n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 50 [Dunsmuir]).

Position des parties

Position du demandeur

[17]           Le demandeur fait valoir que les avocats doivent faire preuve de soin, d’habiletés et de connaissances raisonnables (Nagy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 640, au paragraphe 25; Guadron c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1092 [Guadron ]). Lorsque l’incompétence ou la négligence du représentant ressort de la preuve de façon suffisamment claire et précise, elle est en soi préjudiciable au requérant et elle justifie l’annulation de la décision, même si le tribunal n’a pas agi de mauvaise foi ni omis de faire quoi que ce soit (Shirwa c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 2 CF 51, au paragraphe 12 [Shirwa]).

[18]           Le demandeur reconnaît qu’il lui revient de prouver l’incompétence de son avocate (Yang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 269, au paragraphe 18 [Yang]) et qu’il lui incombait de démontrer pourquoi il ne devrait pas être renvoyé du Canada devant la SAI (Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] D.S.A.I. no 4 (Comm. d’appel de l’immigration), au paragraphe 14 [Ribic]). Le demandeur allègue que la SAI a émis des commentaires sur le manque d’éléments de preuve présentés pendant l’appel et renvoie à huit extraits de la décision de la SAI à cet égard. Selon le demandeur, la raison principale pour laquelle la SAI a rejeté cet appel est le peu d’éléments de preuve présentés (Kim c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 687; McIntyre), attribuable au fait que son ancienne avocate ne s’était pas bien préparée et qu’elle n’avait pas bien préparé le demandeur en vue de l’audience. Il énumère des exemples du manque de préparation allégué, notamment l’omission de son ancienne avocate de déposer des éléments de preuve documentaire corroborants à l’appui de questions cruciales, par exemple des documents portant sur la culture des travailleurs en usine, le niveau de vie et la situation économique en Chine, les enfants non déclarés, l’importance d’un certificat des autorités de planification de la famille et les conséquences des naissances non autorisées en Chine.

[19]           Le demandeur prétend que son ancienne avocate a fait preuve d’incompétence en le représentant des façons suivantes :

i)                    Elle a omis de bien se préparer en vue de l’appel.

ii)                   Elle a omis d’examiner les documents pertinents à l’appel.

iii)                 Elle n’avait pas ou peu de connaissances sur l’appel du demandeur et les conditions qui le concernent en Chine.

iv)                 Elle a omis de le préparer en vue de l’appel.

v)                  Elle a omis de communiquer avec le demandeur et sa cousine, Mme Yu, de manière efficace et opportune.

vi)                 Elle a omis d’aviser le demandeur du critère juridique qu’il allait devoir satisfaire pour que l’appel soit accueilli.

vii)               Elle a omis de conseiller le demandeur quant aux éléments de preuve qui devaient être présentés lors de l’appel.

viii)              Elle a omis d’obtenir et de déposer des éléments de preuve documentaire corroborants avant et pendant l’audience.

ix)                 Elle a omis de citer des témoins pour soutenir le demandeur lors de l’audience. Les affidavits de ses cousines, Debbie Louis et Susan Wan, déposés à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, confirment qu’elles sont prêtes à témoigner de leur relation étroite avec le demandeur devant la SAI. Toutefois, elles ne savaient pas qu’elles pouvaient témoigner lors de l’audience.

x)                  L’avocate a omis de demander un ajournement pour permettre au demandeur d’examiner les documents manquants dont il n’avait pas été question précédemment et qui étaient hautement pertinents en ce qui a trait à l’appel, à savoir les pages 65 à 79 du dossier de la SI.

[20]           Le demandeur prétend qu’il a établi, selon la prépondérance des probabilités, que son ancienne avocate l’a représenté avec incompétence et négligence, ce qui a entraîné un manquement au principe de justice naturelle puisque le demandeur n’a pas eu d’audience significative devant la SAI, ce qui a mené au rejet de son appel et à son renvoi du Canada. Il existe une probabilité raisonnable que, n’eût été l’incompétence et la négligence alléguées de son ancienne avocate, le résultat de l’audience aurait été différent (Gomez Bedoya c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 505; El Kaissi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1234, au paragraphe 21; Rodrigues c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 77 [Rodrigues]).

[21]           Selon le demandeur, il y a également lieu de mentionner qu’il manque des documents essentiels à cet appel dans le dossier certifié du tribunal (« DCT »), notamment des documents sur les enfants nés hors mariage, les enfants non déclarés et la culture des travailleurs d’usine en Chine.

[22]           Par ailleurs, bien que son ancienne avocate ait eu l’occasion de répondre aux allégations, ses réponses étaient inexactes et trompeuses et cherchaient à rejeter le blâme sur le demandeur.

Position du défendeur

[23]           Le défendeur ne prend pas position à savoir si la conduite de l’ancienne avocate du demandeur équivaut à de l’incompétence. Toutefois, même si c’est le cas, le défendeur prétend que le demandeur n’a pas établi une probabilité raisonnable que le résultat de l’audience devant la SAI aurait été différent n’eût été cette incompétence. Le demandeur n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour remettre en cause la conclusion de la SAI concernant l’insuffisance de motifs humanitaires.

[24]           Bien que les facteurs Ribic n’y soient pas expressément cités, la décision de la SAI indique qu’ils ont été pris en compte pour déterminer s’il existait des motifs d’ordre humanitaire pour justifier la prise de mesures spéciales. Plus précisément, il s’agit de la gravité des fausses déclarations qui ont mené à la mesure de renvoi et des circonstances l’entourant; des remords exprimés par le demandeur; du temps passé au Canada et des conséquences qu’aurait le renvoi sur la famille; du soutien dont bénéficie le demandeur dans sa famille et la communauté; de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché par la décision; et du degré de difficultés que subirait le demandeur en raison de son renvoi du Canada, y compris les conditions dans le pays de renvoi.

[25]           En ce qui concerne la préparation du demandeur pour témoigner, il n’existe aucun élément de preuve sur les renseignements supplémentaires qu’il aurait pu présenter dans son témoignage qui aurait permis d’établir les facteurs Ribic. La SAI a accepté les remords du demandeur et le fait que sa tante subirait des difficultés s’il était renvoyé, qu’il est établi au Canada et qu’il subirait des difficultés financières en Chine. La décision de la SAI était fondée sur une pondération de ces éléments par rapport aux facteurs négatifs, et non sur un manque d’éléments de preuve dans le témoignage du demandeur.

[26]           En ce qui concerne les pages manquantes dans le dossier de la SAI, il s’agit de parties des formulaires d’immigration du demandeur, de l’acte de naissance de sa fille, de la lettre d’observations de son ancienne avocate et de la transcription d’une entrevue menée par un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada. Le défendeur fait valoir que ces documents concernent la question des fausses déclarations du demandeur, qui n’ont pas été remises en cause devant la SAI. Par conséquent, il n’aurait pas été utile d’ajourner l’audience ou de permettre au demandeur de passer en revue les documents pour établir les facteurs Ribic.

[27]           En ce qui concerne le témoignage de la tante et des cousines du demandeur, le défendeur soutient qu’il n’y a pas lieu de conclure que des témoignages verbaux auraient changé le cours des événements dans la situation du demandeur. La SAI a tenu compte de leurs lettres de soutien, qui présentaient de façon assez détaillée l’importance du demandeur pour sa famille au Canada, en particulier pour sa tante.

[28]           Finalement, en ce qui concerne l’omission alléguée de présenter davantage de documentation au sujet de la culture des travailleurs d’usine, le niveau de vie et la situation économique, les enfants non déclarés, l’importance des certificats pour les autorités de planification de la famille et les conséquences des naissances non autorisées en Chine, le défendeur reconnaît que la SAI a indiqué que l’explication du demandeur des raisons pour lesquelles sa fille ne pouvait pas fréquenter l’école publique portait à confusion et que les éléments de preuve documentaire en ce sens étaient insuffisants. Par ailleurs, le demandeur a présenté dans sa demande des documents qui corroborent la nécessité de la déclaration auprès des autorités de planification de la famille pour avoir accès à l’école publique et la possibilité d’avoir à payer une amende pour les naissances non autorisées avant de pouvoir les déclarer. Toutefois, la SAI a conclu que, même si une amende était imposée, le demandeur possédait de l’actif au Canada pour couvrir les frais et qu’il était dans l’intérêt supérieur de l’enfant de retrouver son père en Chine plutôt que de permettre à ce dernier de rester au Canada, où il ne peut parrainer sa venue. Par conséquent, même si la documentation avait été présentée, elle n’aurait pas permis de renverser la conclusion de la SAI à cet égard. L’intérêt supérieur de l’enfant a été examiné de manière appropriée.

[29]           En résumé, le défendeur fait valoir que le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait puisque les éléments de preuve ne sont pas suffisants pour démontrer que les facteurs Ribic auraient été évalués et pondérés d’une manière différente n’eût été la conduite de l’ancienne avocate du demandeur.

Position de l’ancienne avocate (intervenante)

[30]           L’ancienne avocate affirme que dans l’arrêt R. c. G.D.B., 2000 CSC 22 [G.D.B.], la Cour suprême du Canada a établi que deux critères doivent être satisfaits pour qu’une allégation d’incompétence de l’avocat soit accueillie. Premièrement, les actes ou omissions allégués du représentant doivent relever de l’incompétence et, deuxièmement, une erreur judiciaire doit en avoir résulté. Il y a également une forte présomption que la conduite de l’avocate se situait à l’intérieur de l’éventail de l’assistance professionnelle raisonnable, et il incombe au demandeur de prouver qu’il en est autrement (G.D.B., au paragraphe 27; voir également Memari c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1196, au paragraphe 36 [Memari] : Teganya c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 336, au paragraphe 30). Étant donné qu’elles ont des conséquences considérables sur la réputation et la pratique de l’avocat concerné, les allégations d’incompétence doivent avoir lieu uniquement dans les cas les plus clairs. Il n’appartient pas à la Cour, au stade du contrôle judiciaire, d’évaluer chaque action et décision d’un avocat en ce qui a trait à un dossier. L’endroit approprié pour une évaluation complète de la compétence professionnelle d’un avocat doit être l’organisme de réglementation de la profession qui, notablement en l’espèce, n’a pas reçu le mandat d’examiner la conduite de l’ancienne avocate. En outre, si une demande peut faire l’objet d’une décision selon d’autres motifs, il vaut mieux éviter une évaluation ou des commentaires sur la conduite de l’avocat (G.D.B., au paragraphe 29, citant Strickland v. Washington (1984), 104 S Ct 2052, 466 US 668, 80 L Ed 2d 674 [US Sup Ct]). Par conséquent, la Cour doit examiner la conduite professionnelle de l’ancienne avocate uniquement s’il est réaliste de croire que le critère de manquement à la justice naturelle peut être satisfait. En l’espèce, aucune des questions soulevées par le demandeur ne nécessite une évaluation de la conduite de l’ancienne avocate, car aucune erreur judiciaire n’en a résulté selon la prépondérance des probabilités.

[31]           L’ancienne avocate déclare que les affirmations du demandeur peuvent essentiellement être résumées par deux allégations qui pourraient mener à une erreur judiciaire. La première est l’omission alléguée de soutenir le demandeur dans son récit selon lequel il n’était pas au courant de la naissance de sa fille jusqu’à ce qu’il obtienne les résultats du test d’ADN. La deuxième est l’omission alléguée de présenter les motifs d’ordre humanitaire, notamment la situation actuelle en Chine et les témoignages de vive voix des membres de la famille.

[32]           L’ancienne avocate affirme que le récit du demandeur concernant sa connaissance du lien biologique l’unissant à sa fille avant le test d’ADN n’a pas été cohérent tout au long de ses procédures d’immigration et donne des exemples qui, selon elle, étayent ses affirmations. L’ancienne avocate est d’avis que l’avocat actuel du demandeur semble avoir comme stratégie de retourner devant la SAI pour présenter son récit fictif avec des [traduction] « documents corroborants » et un témoin [traduction] « bien préparé ».

[33]           L’ancienne avocate affirme que les éléments de preuve sur les [traduction] « enfants au noir » (enfants non autorisés) et l’accès aux écoles publiques seraient sans doute pertinents aux deux fins et que, dans les deux scénarios, on ne peut conclure qu’un préjudice a été subi en raison de l’omission de les présenter. Dans un premier temps, il s’agirait de démontrer que le demandeur s’est inscrit comme père de l’enfant sur son acte de naissance pour faire une faveur à Mme Dong et que l’élément de preuve documentaire portant sur les enfants non autorisés appuie la crédibilité de cette explication. Toutefois, le demandeur ne présente aucun élément de preuve documentaire pour appuyer l’affirmation de son avocat actuel, à savoir que la [traduction« culture des travailleurs d’usine en Chine » corroborerait son récit selon lequel de telles faveurs sont pratique courante et, en tout état de cause, cela n’explique pas la coïncidence exceptionnelle que l’enfant en question est sa propre fille.

[34]           La deuxième raison pour laquelle cette preuve documentaire pourrait être pertinente serait pour montrer que l’intérêt supérieur de l’enfant serait compromis. Toutefois, la preuve documentaire présentée par l’avocat actuel du demandeur est trompeuse, car elle est antérieure aux changements considérables apportés à la politique de l’enfant unique de la Chine et au hukou. Les conditions qui étaient en vigueur au pays au moment de l’audience du demandeur devant la SAI ne correspondent pas aux documents qu’il présente maintenant à la Cour. L’ancienne avocate aurait agi de façon contraire à l’éthique si elle avait présenté de tels éléments de preuve à la SAI. À cet égard, l’ancienne avocate attire l’attention de la Cour sur l’affidavit de Mme Gonzalez Nino (« affidavit Gonzalez ») déposé par le défendeur concernant les politiques de planification familiale actuelles de la Chine.

Analyse

Question préliminaire : ordonnance de confidentialité

[35]           Par l’intermédiaire d’une requête par écrit présentée le 15 juin 2017 conformément à l’article 369 des Règles, l’ancienne avocate a demandé à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 151 des Règles et d’exclure le nom de l’ancienne avocate de cette décision. Elle a également demandé à ce que tout renseignement personnel ou permettant de l’identifier soit exclu de la décision. L’ancienne avocate affirme que la publication du nom d’un avocat dans une décision traitant d’une allégation d’incompétence professionnelle, peu importe l’issue, portera atteinte à sa réputation professionnelle, qui est essentielle à sa capacité de pratiquer le droit. Par ailleurs, l’organisme de réglementation de la profession concerné, la Law Society of Saskatchewan, constitue la tribune appropriée pour trancher les questions d’incompétence, et il s’agit de la pratique des barreaux à l’échelle du Canada de ne pas publier les noms des avocats en l’absence de jugement à leur encontre. En l’espèce, compte tenu du préjudice important que subirait l’ancienne avocate, les avantages d’exclure son nom l’emportent sur tout effet préjudiciable (Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41 [Sierra Club]).

[36]           Étant donné que la requête a été déposée par l’ancienne avocate au cours de l’après-midi précédant la présente audience, on a empêché le demandeur et le défendeur de déposer et de présenter des observations écrites en réponse dans les quatre jours suivant la présentation de cette requête, comme le permet le paragraphe 369(3) des Règles. Par conséquent, j’ai ordonné que ces parties aient la permission de donner suite à la requête d’ordonnance de confidentialité lors de l’audience devant moi.

[37]           Lors de l’audience, les avocats du demandeur et du défendeur n’ont pas pris position relativement à la requête. L’avocat de l’ancienne avocate a précisé qu’il ne cherchait pas à sceller les dossiers de la Cour ni à empêcher le public d’avoir accès à l’audience. La requête porte uniquement sur l’inscription du nom de l’ancienne avocate dans la décision publiée de cette Cour. Il a observé que le demandeur n’a pas déposé de plainte à la Law Society of Saskatchewan et que les tiers peuvent obtenir les décisions de cette Cour sur Internet et les publier. Ainsi, même si cette Cour ne parvient pas à une conclusion d’inconduite professionnelle, il y aura atteinte à la réputation de l’ancienne avocate en raison de l’allégation qui serait diffusée dans la décision.

[38]           À mon avis, on peut n’établir que le simple fait d’alléguer l’incompétence aura des conséquences négatives sur la réputation professionnelle de l’ancienne avocate et si les éléments de preuve limités de préjudice potentiel contenus dans l’affidavit déposé par l’ancienne avocate montrent que les effets préjudiciables de publier le nom de l’ancienne avocate l’emportent sur l’aspect d’intérêt public des débats judiciaires ouverts (paragraphe 151(2) des Règles; Sierra Club, au paragraphe 53). Toutefois, dans cette situation particulière, le demandeur n’a pas déposé de plainte à la Law Society of Saskatchewan et, pour les raisons ci-dessous, je n’ai formulé aucune conclusion quant à la présence ou non d’incompétence. En outre, je note que la demande de confidentialité de l’ancienne avocate se limite à l’exclusion des renseignements permettant de l’identifier pour les raisons suivantes. Le dossier présenté à la Cour est accessible au public. Compte tenu de l’ensemble de la situation et de la nature de la requête, j’autoriserai que le nom et l’identité de l’ancienne avocate soient retirés de l’intitulé de la cause et de cette décision (voir également Sierra Club, aux paragraphes 79, 86 et 87).

La décision de la SAI devrait-elle être annulée pour des motifs d’équité procédurale en raison de l’incompétence de l’avocate?

[39]           Dans l’arrêt Galyas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 250, le juge Russell a décrit le critère pour traiter les allégations d’assistance inefficace ou inadéquate de l’avocat :

[84]      Il est généralement reconnu que si un demandeur souhaite établir un manquement à l’équité procédurale sur ce point, il doit :

a. corroborer l’allégation en avisant l’ancien conseil et en lui donnant la possibilité de répondre;

b. établir que les actes ou les omissions de l’ancien conseil relevaient de l’incompétence, indépendamment de l’avantage de l’analyse et de la sagesse rétrospectives;

c. établir que le résultat aurait été différent n’eût été l’incompétence.

Voir, par exemple, Memari, précitée, Nizar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 557, et Brown c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1305.

(Voir également Badihi v. Canada (Citizenship and Immigration), 2017 FC 64, aux paragraphes 17-18; et Guadron, au paragraphe 18).

[40]           Il doit être établi que, premièrement, les actes ou omissions allégués du représentant relèvent de l’incompétence et, deuxièmement, qu’une erreur judiciaire en a résulté (G.D.B., au paragraphe 26). Il incombe au demandeur de prouver à la fois le volet de la compétence et du préjudice du critère pour démontrer un manquement à l’équité procédurale (Guadron, au paragraphe 17). L’incompétence de l’ancien avocat doit être assez précise et clairement étayée par les éléments de preuve (Shirwa, au paragraphe 12; Memari, au paragraphe 36).

[41]           Comme l’a mentionné le juge Mosley dans la décision Jeffrey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 605 [Jeffrey]) :

[9] […] La partie qui invoque l’incompétence doit établir qu’elle a subi un préjudice important et que ce préjudice découle des actions ou omissions du conseil incompétent. Il faut démontrer qu’il est raisonnablement probable que, n’eût été les erreurs commises par le conseil par manque de professionnalisme, l’issue de l’instance aurait été différente

(Voir également Calderon, au paragraphe 11.)

[42]            Il y a également une forte présomption que la conduite de l’avocate se situait à l’intérieur de l’éventail de l’assistance professionnelle raisonnable (G.D.B., au paragraphe 27; Yang, au paragraphe 18). L’incompétence entraînera un manquement à l’équité procédurale seulement dans des « circonstances exceptionnelles » (Shirwa, au paragraphe 13; Memari, au paragraphe 36; Pathinathar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1225, au paragraphe 38; Nizar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 557, au paragraphe 24).

[43]           Cela dit, dans l’arrêt G.D.B., la Cour suprême du Canada a également déclaré ce qui suit :

[29] Dans les cas où il est clair qu’aucun préjudice n’a été causé, il n’est généralement pas souhaitable que les cours d’appel s’arrêtent à l’examen du travail de l’avocat. L’objet d’une allégation de représentation non effective n’est pas d’attribuer une note au travail ou à la conduite professionnelle de l’avocat. Ce dernier aspect est laissé à l’appréciation de l’organisme d’autoréglementation de la profession. S’il convient de trancher une question de représentation non effective pour cause d’absence de préjudice, c’est ce qu’il faut faire (Strickland c. Washington, 466 US 668 [1984], au paragraphe 697).

[44]           À mon avis, le facteur déterminant en l’espèce est que le demandeur n’a pas établi que le résultat de cet appel aurait été différent, n’eût été l’incompétence de son ancienne avocate. Autrement dit, le volet « appréciation du préjudice » du critère n’a pas été satisfait. Par conséquent, la Cour n’a pas à déterminer si la conduite de l’ancienne avocate équivalait ou non à de l’incompétence (G.D.B., au paragraphe 29).

[45]           Bien que le demandeur ait évoqué un certain nombre d’actes ou d’omissions qu’il estime démontrer l’incompétence de son ancienne avocate, à mon avis, en gardant à l’esprit que le demandeur n’a pas remis en question la conclusion de fausses déclarations de la SI, mais a demandé à la SAI d’exercer son pouvoir discrétionnaire et d’accueillir son appel pour des motifs d’ordre humanitaire, la plus importante de ses allégations concerne l’omission de son ancienne avocate de présenter des éléments de preuve corroborants. Toutefois, il ressort clairement des raisons et de l’analyse de la SAI qu’un manque d’éléments de preuve corroborants n’a pas été déterminant dans sa conclusion selon laquelle les motifs d’ordre humanitaire étaient insuffisants pour accueillir l’appel.

[46]           À cet égard, les deux facteurs principaux soulevés par le demandeur étaient étroitement liés à sa famille au Canada et aux conséquences financières que son retour en Chine aurait sur lui et sa fille.

[47]           En ce qui concerne le premier facteur, la SAI a reconnu des facteurs positifs dans l’appel du demandeur et les a évalués en fonction du reste de sa preuve. Il ne semble pas que le témoignage de tout membre de la famille ou que tout élément de preuve corroborant supplémentaire aurait modifié les conclusions de la SAI. Par exemple, même si la SAI a indiqué que le demandeur avait omis de fournir des renseignements sur la qualité de sa relation avec ses cousines au Canada, elle a poursuivi et conclu que le demandeur avait démontré qu’il s’était établi au Canada dans une mesure qui constituait un facteur positif en l’espèce. La SAI a également conclu que le soutien qu’il a reçu de la part de sa famille et de ses collègues au Canada, de même que son rôle dans la vie de sa tante, constituaient des facteurs positifs. La SAI a déterminé que sa tante ne dépend pas de lui financièrement, mais qu’elle compte sur lui pour lui tenir compagnie et pour l’aider à effectuer des tâches et des réparations, et qu’il l’a déjà aidée à son restaurant avant qu’il soit vendu. Elle a conclu que le renvoi du demandeur aurait probablement une incidence sur sa tante. Toutefois, elle a trois de ses enfants au Canada et aucun élément de preuve n’indique qu’ils n’aideraient pas leur mère si le demandeur n’était pas disponible. De plus, même si son renvoi aurait un impact émotionnel sur sa tante, la SAI a affirmé qu’elle y accordait peu de poids en raison de la présence de ses trois filles et de leurs conjoints au Canada.

[48]           À l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire, de nouveaux affidavits ont été déposés par les cousines du demandeur. Dans ces documents, les cousines déclarent essentiellement que la famille est proche et répètent qu’elles appuient le demandeur et qu’il a aidé leur mère. Bien que les affidavits évoquent que le demandeur entretient avec leur mère une relation [traduction] « culturelle » qu’elles, ses filles, ne peuvent lui offrir, ils n’indiquent pas qu’elles n’aideront pas leur mère si le demandeur est renvoyé, un élément de preuve dont la SAI a souligné l’absence.

[49]           À mon avis, compte tenu des raisons de la SAI, la décision n’était pas fondée sur le manque d’éléments de preuve démontrant la relation étroite qu’entretenait le demandeur avec ses cousines. De plus, le contenu des nouveaux affidavits ne me persuade pas que l’issue de l’instance aurait été différente si les cousines ou la tante avaient été appelées à témoigner.

[50]           J’aimerais également souligner que, dans les réponses aux questions envoyées au demandeur par l’ancienne avocate avant l’audience devant la SAI (dont une copie non caviardée m’a été présentée lors de l’audience), le demandeur déclare qu’il habitait auparavant avec sa tante et qu’il avait acheté sa maison plus tard. Cependant, dans un affidavit du 28 avril 2017, Susan Wan déclare que le demandeur habite avec sa mère et lui permet de vivre de manière indépendante. C’est peut-être le cas, mais il ne s’agit pas des renseignements qu’a fournis le demandeur à l’ancienne avocate avant l’audience, et un changement de situation subséquent à l’audience ne peut avoir une incidence sur une décision déjà rendue.

[51]           En ce qui concerne le deuxième facteur, la SAI a évoqué un manque d’éléments de preuve documentaire sur les conditions dans le pays, en particulier l’omission du demandeur de présenter des éléments de preuve documentaire indiquant que son niveau de vie allait baisser ou baisser suffisamment pour lui causer un préjudice indu. Le dossier montre clairement que l’ancienne avocate du demandeur n’a présenté aucune preuve documentaire à cet égard.

[52]           Néanmoins, et fait important, cette absence de preuve documentaire n’était pas indispensable au raisonnement de la SAI et aucun préjudice n’en a résulté. La SAI a fait référence au témoignage du demandeur selon lequel il ne pourrait pas reprendre son ancien emploi à son retour en Chine, mais déclare qu’il a aussi admis qu’à sa connaissance, aucune autre raison ne l’empêcherait d’y trouver un emploi. Un examen de la transcription de l’audience permet de confirmer que le demandeur a témoigné que son ancien employeur en Chine n’allait pas accepter de reprendre des employés qui sont partis, qu’il allait être difficile pour lui de trouver un emploi et que son salaire n’allait pas être très élevé, possiblement de 400 à 600 $ CA. Il a également témoigné qu’il est apte à travailler, qu’aucune disposition juridique ne l’empêche de travailler ou d’étudier en Chine et qu’il parle la langue du pays. Toutefois, les raisons de la SAI montrent qu’un plus grand poids a été accordé à la situation du demandeur en Chine, sa mère, son frère, sa femme et son enfant résidant là-bas, et qu’en raison de son omission de déclarer sa fille comme enfant à charge, celle-ci allait probablement être exclue de la catégorie du regroupement familial en lien avec lui. Tout bien pesé, la SAI a conclu que le fait de retrouver sa famille et d’habiter et de travailler en Chine comme il l’a fait pendant la majeure partie de sa vie allait contrebalancer les difficultés émotionnelles ou économiques du renvoi.

[53]           Je noterais également qu’il incombait au demandeur, en alléguant que l’absence de tels éléments de preuve documentaire constituait une négligence professionnelle menant à une audience inéquitable et injuste sur le plan procédural, de présenter de la documentation étayant clairement sa position et comblant en fait cette lacune (McKenzie c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 719, aux paragraphes 61 à 63; Teganya c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 336, aux paragraphes 32 et 37). J’ai passé en revue la preuve jointe à l’affidavit du demandeur présenté pour appuyer sa demande de contrôle judiciaire à cet égard. Elle est très limitée et compte trois articles. La source du premier document, non daté, n’est pas claire et l’avocat actuel du demandeur a seulement pu porter à l’attention de la Cour les coordonnées du rédacteur à cet égard. L’article parle de la fin de la main-d’œuvre bon marché en Chine, du fait que la plupart des travailleurs gagnant le salaire minimum ont peu à la fin du mois, des mises à pied prévues dans les secteurs de l’exploitation du charbon et du fer et de l’acier, des mises à pied antérieures de travailleurs du secteur privé dans les secteurs manufacturiers et de la construction et du fait que les travailleurs plus âgés et possédant moins de compétences sont les plus touchés. Par ailleurs, une mention d’événements survenus en juillet 2016 dans l’article laisse présumer qu’il a été publié après l’audience devant la SAI. Le deuxième article de trois pages, publié en ligne par « War on Want » en date du 19 mars 2012, présente une comparaison générale des salaires des travailleurs d’usine, du coût de la vie et des conditions par rapport aux travailleurs des États-Unis. Le dernier document semble extrait du Huffpost Business (non daté). Il est décrit comme un [traduction] « résumé graphique » et est intitulé « Are Workers Better Off in China, Germany or the US? ». Dans l’ensemble, et malgré les efforts de l’avocat actuel pour établir un lien entre ces articles et la situation du demandeur, je ne suis pas convaincue que ces documents, s’ils avaient été présentés par l’ancienne avocate, auraient été utiles pour établir que les difficultés économiques qu’il subirait s’il retournait en Chine l’emportent sur les autres facteurs.

[54]           De même, j’ai également passé en revue la preuve présentée par le demandeur concernant la planification de la famille en Chine et les enfants non autorisés ou [traduction] « enfants au noir » et cherché à déterminer s’il était possible que cette preuve ait une incidence importante sur la conclusion de la SAI concernant l’intérêt supérieur de l’enfant. Ayant procédé à cette analyse, je conclus que la preuve ne permet pas d’établir que la fille du demandeur n’aurait pas accès à l’éducation publique parce que le demandeur ne possède pas de certificat des autorités de planification de la famille, comme il l’a allégué.

[55]           La SAI a indiqué que, dans son témoignage, le demandeur a affirmé que sa fille n’était pas autorisée à fréquenter une école financée par les fonds publics parce que sa naissance n’avait pas été déclarée auprès du gouvernement chinois, mais qu’il n’avait pas présenté d’éléments de preuve clairs à cet égard ni aucune preuve documentaire pour corroborer ses allégations. Dans l’affidavit qu’il a déposé à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur a déclaré que son ancienne avocate n’avait déposé aucune preuve documentaire pour appuyer son témoignage concernant l’acte de naissance émis par l’hôpital et le certificat émis par les autorités de planification de la famille. Si une telle preuve avait été déposée, la SAI aurait compris qu’il tentait de donner des explications au sujet des deux certificats et des naissances non autorisées.

[56]           Toutefois, la preuve documentaire déposée par le demandeur à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire n’apporte pas de clarifications à cet égard. Elle porte surtout sur la situation difficile des enfants qui n’ont pas de certificat de résidence, connu sous le nom de hukou, et qui ne peuvent fréquenter l’école, recevoir des soins de santé ou du soutien de l’État, voyager en train et en avion ou se marier. Comme le reconnaît le demandeur dans son affidavit, sa fille est inscrite à un hukou, dont un exemplaire émis en 2010 a été présenté.

[57]           Ainsi, bien que le demandeur prétende que sa fille n’a pas accès à l’école publique parce qu’il doit d’abord verser une amende d’environ 10 000 $ CA et obtenir un certificat auprès des autorités de planification de la famille, les éléments de preuve documentaire qu’il a présentés n’indiquent pas qu’un enfant déjà inscrit à un hukou n’aurait pas accès à l’éducation publique ou à tout avantage connexe jusqu’à ce qu’une amende soit payée ou jusqu’à ce qu’un certificat des autorités de planification de la famille ait été obtenu. La preuve présentée indique plutôt que des amendes (ou des frais de soutien social) sont imposées et que le non-paiement est utilisé pour suspendre l’inscription au hukou, en particulier dans le cas d’enfants nés en contravention avec l’ancienne politique d’« enfant unique » de la Chine, mais aussi d’enfants nés en hors mariage. La preuve ne traite pas de circonstances comme en l’espèce, lorsque les parents se marient subséquemment et qu’un seul enfant est issu du mariage. La preuve n’indique pas qu’il existe un lien entre un certificat de planification de la famille, le paiement des amendes et le droit à l’éducation publique comme l’allèguent le demandeur et sa femme dans la lettre qu’elle a déposée à l’appui de la demande de contrôle judiciaire.

[58]           De plus, comme l’a souligné l’ancienne avocate, l’affidavit Gonzalez, déposé par le défendeur, contient des documents reflétant l’état actuel de la loi dans cette région. Cet élément de preuve montre que le lien entre le hukou et les amendes a été annulé et qu’une politique permettant la naissance de deux enfants est entrée en vigueur en janvier 2016. Par ailleurs, selon un article daté du 4 janvier 2016, un document émis par le General Office of the State Council annonce que les restrictions illégales des droits des citoyens à un hukou seront annulées, que chaque citoyen sera inscrit dans le système de déclaration de résidence permanente conformément à la loi, que les citoyens non inscrits comprennent ceux qui n’ont pas d’acte de naissance, ceux qui sont nés hors mariage ou ceux qui détiennent des papiers d’inscription auparavant non valides et que le hukou est un droit de base lié au bien-être collectif et à d’autres droits. Dans l’ensemble, la preuve déposée par le demandeur et la preuve documentaire plus récente présentée par le défendeur n’appuient pas l’allégation du demandeur selon laquelle sa fille n’aura pas accès à l’éducation publique, même si elle a été inscrite au hukou. J’ajouterais toutefois que, même si la preuve porte à croire que les enfants nés en dehors de la politique d’enfant unique ou qui sont autrement non autorisés peuvent maintenant s’inscrire au hukou sans avoir à payer une amende, une source indique qu’une amende devra ultimement être payée dans certaines provinces.

[59]           Quoi qu’il en soit, la SAI a fait référence à la déclaration du demandeur selon laquelle une amende de 10 000 $ CA allait devoir être payée afin que l’enfant puisse fréquenter une école publique. La SAI a déclaré que le demandeur aurait dû anticiper ce renvoi du Canada après l’audience devant la SI en mai 2015 et qu’il s’était contenté de déclarer qu’il ne pouvait pas payer l’amende sans expliquer pourquoi il n’avait pas décidé d’épargner en priorité afin de l’acquitter. Comme l’a précédemment observé la SAI, le demandeur a déclaré qu’il avait 10 000 $ CA de dettes de carte de crédit et qu’il possédait un compte d’épargne-retraite enregistré. La preuve documentaire déposée par l’ancienne avocate montre que le demandeur a envoyé environ 24 550 $ CA en Chine entre septembre 2014 et avril 2016, qu’il avait un prêt hypothécaire s’élevant à 97 152 $ sur sa maison en date du 27 mars 2012 et que, selon les documents officiels, l’évaluation foncière de sa maison s’élevait à 73 700 $ en 2016. Bien que, dans son affidavit à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur prétend que sa maison n’a pas de valeur nette, qu’il a contracté un prêt hypothécaire qui dépasse la valeur de sa maison, que le marché immobilier a tellement chuté que, même s’il parvenait à vendre, il pourrait ne pas être en mesure de rembourser le prêt hypothécaire et que sa voiture a subi un bris mécanique il y a quelques mois et qu’il ne peut se permettre de la faire réparer, il n’a présenté aucun élément de preuve étayant ces allégations ou ses difficultés financières et ne soulève pas les actes ou omissions de l’ancienne avocate à cet égard. Essentiellement, sa plainte concerne la conclusion de la SAI.

[60]           Toutefois, le demandeur s’oppose au manque de preuve documentaire déposée par l’ancienne avocate à l’appui de la [traduction] « culture des travailleurs d’usine » en Chine. À son avis, une telle preuve aurait étayé sa position devant la SI et la SAI selon laquelle il avait eu uniquement des rapports sexuels occasionnels avec Mme Dong avant son arrivée au Canada, que de tels rapports sont fréquents entre les travailleurs d’usine et qu’il était également pratique courante d’offrir l’identification d’une personne à la demande d’un autre travailleur d’usine, d’où son étonnement lorsqu’il a appris qu’il était le père de l’enfant de Mme Dong après son arrivée au Canada. Toutefois, le demandeur n’a déposé aucune preuve documentaire à cet égard dans sa demande de contrôle judiciaire. Il a également allégué que son ancienne avocate ne l’avait pas préparé adéquatement à répondre aux questions de la SAI, notamment au sujet des raisons pour lesquelles le petit ami de longue date de Mme Dong, qui vivait à Hong Kong selon le demandeur et que ce dernier supposait être le père de l’enfant, n’a pas assisté à la naissance ni offert son identification sur l’acte de naissance de l’hôpital. Devant la SAI, le demandeur a témoigné qu’il existait une différence entre Hong Kong et la Chine continentale et que cette différence avait d’une façon ou d’une autre empêché le petit ami de Mme Dong d’assister à la naissance.

[61]           Il est vrai que son témoignage à cet égard n’est pas clair et que l’ancienne avocate n’a pas tenté d’apporter des clarifications. Toutefois, la preuve documentaire déposée à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire portait uniquement sur l’entrée de ressortissants étrangers à Hong Kong, une région administrative particulière de la Chine. Aucun renseignement n’a été fourni quant aux restrictions imposées aux anciens résidents de la Chine continentale qui vivent maintenant à Hong Kong et qui retournent en Chine continentale pour une visite.

[62]           Bref, bien que la SAI ait conclu que le demandeur n’avait pas fourni de preuve claire et pertinente pour la convaincre qu’il n’avait pas l’intention de tromper les agents d’immigration et que les fausses déclarations étaient graves et ne constituaient pas une erreur innocente de sa part, je ne peux pas conclure que le résultat aurait été différent, n’eût été les actes ou omissions de son ancienne avocate (voir Yang, au paragraphe 26) en m’appuyant sur les documents déposés par le demandeur dans sa demande de contrôle judiciaire. J’ai également passé en revue les transcriptions de l’audience devant la SI, qui n’est pas en cause dans la présente instance et pendant laquelle le demandeur était représenté par quelqu’un d’autre, mais je note que son témoignage lors de cette audience manquait également de clarté.

[63]           Bien que le demandeur ait formulé d’autres allégations d’incompétence en ce qui a trait à l’ensemble de la preuve et aux raisons fournies par la SAI, j’ai conclu qu’il n’avait pas démontré l’existence d’une probabilité raisonnable que, n’eût été l’incompétence et la négligence alléguées de son ancienne avocate, le résultat de l’audience aurait été différent (voir Jeffrey, au paragraphe 9) ou, autrement dit, qu’une erreur judiciaire a résulté de l’incompétence de l’avocate, privant le demandeur d’une audience significative devant la SAI et entraînant le rejet de son appel (Rodrigues, au paragraphe 39). La SAI n’a simplement pas accepté ses explications qui, même si le demandeur avait été plus clair dans son témoignage, n’auraient pas modifié les préoccupations et les faits sous-jacents. Comme l’a indiqué le défendeur, les éléments de preuve ne sont pas suffisants pour démontrer que les facteurs Ribic auraient été évalués et pondérés d’une manière différente, n’eût été la conduite de l’ancienne avocate du demandeur.

[64]           Par conséquent, il n’est pas nécessaire que je détermine si la conduite de l’ancienne avocate équivalait ou non à de l’incompétence. J’ajouterais toutefois que la conduite de l’ancienne avocate n’était pas exemplaire, quelle que soit la mesure adéquate, en ce qui concerne ses échanges avec le demandeur ou les documents qu’elle a déposés en réponse aux allégations de négligence professionnelle.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucune question de portée générale n’est proposée par les parties et aucune n’est soulevée.

3.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Cecily Y. Strickland »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4467-16

INTITULÉ :

MIN CHUN ZHU c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 juin 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

DATE DES MOTIFS :

Le 4 juillet 2017

COMPARUTIONS :

Sharon Se Jung An

Pour le demandeur

Don Klaassen

Pour le défendeur

Peter Edelmann

Pour l’intervenante

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Miller Thomson LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

Pour le défendeur

Edelmann & Co. Law Offices

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour l’intervenante

 

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