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Date : 20170630


Dossiers : T-1478-16

T-1801-16

Référence : 2017 CF 642

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 juin 2017

En présence de monsieur le juge Campbell

Dossier : T-1478-16

ENTRE :

BINDER CAPITAL CORP

demanderesse

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

Dossier : T-1801-16

ET ENTRE :

BONNYBROOK PARK INDUSTRIAL DEVELOPMENT CO LTD

demanderesse

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Les présentes demandes concernent l’interprétation correcte de l’article 129 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (la « LIR »). Les caractéristiques essentielles de la disposition en cause sont les suivantes :

129 (1) Lorsque la déclaration de revenu d’une société en vertu de la présente partie pour une année d’imposition est faite dans les trois ans suivant la fin de l’année, le ministre :

129 (1) Where a return of a corporation’s income under this Part for a taxation year is made within 3 years after the end of the year, the Minister

a)   peut, lors de l’envoi de l’avis de cotisation pour l’année, rembourser, sans que demande en soit faite, une somme (appelée « remboursement au titre de dividendes » dans la présente loi) égale à la moins élevée des sommes suivantes :

(a)  may, on sending the notice of assessment for the year, refund without application an amount (in this Act referred to as its “dividend refund” for the year) equal to the lesser of

(i)   38 1/3 % de l’ensemble des dividendes imposables que la société a versés sur des actions de son capital-actions au cours de l’année et à un moment où elle était une société privée,

(i)   38 1/3% of all taxable dividends paid by the corporation on shares of its capital stock in the year and at a time when it was a private corporation, and

(ii)  son impôt en main remboursable au titre de dividendes, à la fin de l’année;

(ii)  its refundable dividend tax on hand at the end of the year; and

b)   doit effectuer le remboursement au titre de dividendes avec diligence après avoir envoyé l’avis de cotisation, si la société en fait la demande par écrit au cours de la période pendant laquelle le ministre pourrait établir, aux termes du paragraphe 152(4), une cotisation concernant l’impôt payable en vertu de la présente partie par la société pour l’année si ce paragraphe s’appliquait compte non tenu de son alinéa a).

(b)  shall, with all due dispatch, make the dividend refund after sending the notice of assessment if an application for it has been made in writing by the corporation within the period within which the Minister would be allowed under subsection 152(4) to assess tax payable under this Part by the corporation for the year if that subsection were read without reference to paragraph 152(4)(a).

[Non souligné dans l’original.]

[Emphasis Added]

[2]               En ce qui a trait à chaque demande en l’espèce, le ministre défendeur a appliqué l’article 129 pour déterminer qu’aucun remboursement ne pouvait être versé, car, dans chacun des cas, la déclaration requise n’avait pas été produite dans la période visée de trois ans.

[3]               Il est admis que la Cour canadienne de l’impôt a compétence sur les questions de droit découlant de la LIR, et que la Cour fédérale a compétence sur la conduite du ministre qui applique les articles de la LIR.

[4]               Les demanderesses soutiennent que le défaut du ministre d’accorder l’allègement demandé à partir de la date du dépôt, exigence prévue à l’article 129, relève de la conduite du ministre qui est déraisonnable et, par conséquent, que les décisions qu’il a rendues doivent être annulées. Le ministre fait valoir que, en droit, l’article 129 n’autorise pas qu’un tel allègement soit accordé au moyen des présentes demandes, parce que notre Cour n’a pas compétence pour se pencher sur l’interprétation correcte de l’article 129.  Pour les motifs exposés ci-après, je conclus en faveur de l’argument du ministre.

[5]               Bien que les circonstances factuelles soient différentes d’une demanderesse à l’autre, les questions de droit soulevées par les deux demanderesses sont les mêmes. Ce dernier fait permet qu’une décision soit rendue à l’égard des deux demandes en l’espèce, dans un seul ensemble de motifs.

I.                   Binder Capital Corp

[6]               John Binder est actionnaire de High Noon Holdings Inc. (« HNH »), laquelle est actionnaire de la demanderesse, Binder Capital Corporation (« BCC »). BCC est actionnaire d’Avmax Group Inc. (« AGI »), laquelle est actionnaire d’Avmax Aircraft Leasing Inc (« AAL »). John Binder est le président-directeur général d’AGI (avis d’opposition, dossier de la demande de Binder, aux pages 110 à 112).

[7]               Le 16 avril 2015, BCC et HNH ont produit des déclarations de revenus pour l’année d’imposition 2010. Le ministre a établi la cotisation de HNH le 15 juin 2015, et celle de BCC deux jours plus tard. En ce qui a trait à la demande fondée sur l’article 129, selon l’avis de cotisation, BCC devait payer 944 771,88 $ en raison du remboursement refusé au titre de dividendes ainsi que des pénalités et des intérêts pour production tardive (avis d’opposition, dossier de la demande de Binder, à la page 87). BCC a signifié un avis d’opposition le 20 septembre 2015. Dans l’avis d’opposition, BCC a notamment demandé que le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire d’accorder un remboursement au titre de dividendes en vertu des paragraphes 220(2.1) et 220(3) de la LIR, malgré la limite de trois ans prévue à l’article 129. BCC s’est fondée sur ces circonstances atténuantes suivantes :

[traduction] En un an, M. Binder perd son épouse de façon tragique, il doit composer avec une profonde restructuration organisationnelle du groupe AGI, avec l’aide d’un directeur financier temporaire, ce qui a une incidence sur ses sociétés personnelles, il trouve ensuite un directeur financier permanent qui ne connaît pas les changements apportés à ses sociétés personnelles; il prend part à une réorganisation de ses sociétés personnelles qui doit être neutre sur le plan fiscal, à moins qu’une déclaration ne soit pas produite dans un délai de trois ans; il perd son comptable personnel qui dresse normalement les états financiers et produit les déclarations de revenus pour ses sociétés personnelles, et enfin, est entraîné dans des poursuites l’opposant à la famille de son épouse.

Cette série d’événements réunit toutes les conditions de l’omission de BCC de produire sa déclaration pour l’année d’imposition, dans le délai prescrit au paragraphe 129(1) de la Loi. Sauf circonstances atténuantes, la déclaration de BCC aurait été produite dans les délais prévus.

(Avis d’opposition, dossier de la demande de Binder, à la page 114)

[8]               L’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») a proposé de confirmer la cotisation et a refusé d’accorder un allègement administratif le 13 juillet 2016. La demanderesse a répondu à cette proposition le 5 août 2016. Le 9 août 2016, l’ARC, au nom du ministre, a confirmé la cotisation et a refusé d’accorder un allègement administratif. Cette décision fait l’objet des présentes demandes de contrôle judiciaire.

II.                Bonnybrook Park Industrial Development Co Ltd

[9]               Bonnybrook a demandé à déposer tardivement son formulaire T2 Déclaration de revenus des sociétés pour les années d’imposition 2003 à 2012 dans une demande d’allègement fiscal en vertu du Programme des divulgations volontaires (le « PDV »). Le 20 février 2015, le ministre a admis la production tardive des déclarations de Bonnybrook.

[10]           Le 13 mai 2015, le ministre a établi la cotisation de Bonnybrook pour les années 2003 à 2012, selon les renseignements fournis dans les déclarations de revenus, et a refusé de rembourser le montant de 220 729 $ au titre de dividendes pour les années d’imposition 2003 à 2011. Le ministre a accordé un remboursement au titre de dividendes de 22 785 $ pour l’année d’imposition 2012, mais il a imposé des pénalités en vertu du paragraphe 162(1) de la LIR pour omission de produire les déclarations pour les années 2003 et 2004 seulement, en raison de l’expiration du délai de prescription de 10 ans prévu pour le PDV.

[11]           Par lettre datée du 6 mai 2016, Bonnybrook a demandé que le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire en vertu des paragraphes 220(2.1) et 220(3) de la LIR de renoncer aux exigences relatives à la production et de proroger le délai exigé de production de ses déclarations de revenus pour les années 2003 à 2011, respectivement. Subsidiairement, Bonnybrook a demandé que le ministre renonce aux pénalités et aux intérêts existants pour production tardive, ou les annule, en vertu du paragraphe 220 (3.1) de la LIR. Bonnybrook a fait valoir que les déclarations avaient été produites tardivement pour les raisons suivantes :

[traduction] Le retard de la demanderesse à produire ses déclarations était attribuable à des circonstances atténuantes liées à sa directrice, Beverly Armbrust, qui était aux prises avec de graves problèmes de santé entre 2004 et 2012, problèmes ayant eu une incidence sur sa capacité de gérer sa situation financière personnelle et celle de la demanderesse.

(Dossier de la demande de Bonnybrook, au paragraphe 4, à la page 369)

[12]           Il n’est pas contesté que Mme Ambrust était affligée de graves problèmes de santé qui ont donné lieu à de longs traitements, à la prise de médicaments et à une hospitalisation.

III.             Demande d’allègement

[13]           Ni l’une ni l’autre des demanderesses n’a produit ses déclarations de revenus au cours de la période de trois ans prévue au paragraphe 129(1). Elles ont donc demandé au ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu des paragraphes 220(2), 220(3) et 220(3.1) de la LIR de renoncer à l’exigence relative à la production de déclarations de revenus, de proroger le délai fixé pour produire une déclaration aux termes du paragraphe 129(1) et de renoncer aux pénalités et aux intérêts, respectivement :

(2.1) Le ministre peut renoncer à exiger qu’une personne produise un formulaire prescrit, un reçu ou autre document ou fournisse des renseignements prescrits, aux termes d’une disposition de la présente loi ou de son règlement d’application. La personne est néanmoins tenue de fournir le document ou les renseignements à la demande du ministre.

(2.1) Where any provision of this Act or a regulation requires a person to file a prescribed form, receipt or other document, or to provide prescribed information, the Minister may waive the requirement, but the person shall provide the document or information at the Minister’s request.

(3) Le ministre peut en tout temps proroger le délai fixé pour faire une déclaration en vertu de la présente loi.

(3) The Minister may at any time extend the time for making a return under this Act.

(3.1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou de l’exercice d’une société de personnes ou sur demande du contribuable ou de la société de personnes faite au plus tard ce jour-là, renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi pour cette année d’imposition ou cet exercice, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

(3.1) The Minister may, on or before the day that is ten calendar years after the end of a taxation year of a taxpayer (or in the case of a partnership, a fiscal period of the partnership) or on application by the taxpayer or partnership on or before that day, waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by the taxpayer or partnership in respect of that taxation year or fiscal period, and notwithstanding subsections 152(4) to (5), any assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made that is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

IV.             Décisions faisant l’objet du contrôle

[14]           Le ministre a rejeté les demandes des deux demanderesses.

[15]           Dans les deux décisions, le ministre a soutenu qu’en vertu du paragraphe 220(3) de la LIR, rien ne permet de proroger la période de trois ans prévue au paragraphe 129(1). Dans les deux décisions, le ministre a également refusé de renoncer aux pénalités et aux intérêts, tel que le demandaient les demanderesses. En ce qui concerne BCC, le ministre a simplement déclaré que les pénalités et les intérêts avaient été établis correctement; pour ce qui est de Bonnybrook, le ministre a indiqué que la demanderesse n’avait pas présenté de demande d’allègement fiscal au cours des dix dernières années, tel que cela est requis (voir ci-dessous). Voici les points essentiels de chaque décision.

A.                Binder Capital Corp

[16]           Par lettre datée du 9 août 2016, le ministre a mentionné que la déclaration de revenus de BCC pour l’année 2010 n’avait pas été produite au cours de la période de trois ans prévue au paragraphe 129(1) pour pouvoir émettre un remboursement au titre de dividendes. La lettre citait la décision en matière d’impôt sur le revenu 2011-0426331E5(E) :

[traduction] En ce qui concerne la question de l’allègement administratif, dans la décision en matière d’impôt sur le revenu 2011-0426331E5(E), il est mentionné : « même si le paragraphe 220(3) de la Loi prévoit que le ministre a le pouvoir discrétionnaire de proroger le délai fixé pour faire une déclaration de revenus, ce pouvoir discrétionnaire ne s’étend pas au délai de production prévu au paragraphe 129(1) de la Loi ». Il est également précisé que le « paragraphe 220(3) ne modifie ni n’influence la question de savoir si une société a, sur le plan des faits, produit sa déclaration de revenus dans le délai prescrit par la Loi. En outre, aucune disposition de l’article 129 ne permet au ministre de proroger le délai. Par conséquent, le fait d’accorder une prorogation du délai fixé pour faire une déclaration aux termes du paragraphe 220(3) de la Loi n’a pas pour effet de proroger la période de trois ans prévue au paragraphe 129(1). »

(Avis de confirmation, dossier de la demande de Binder, aux pages 120 et 121)

[17]           La lettre se termine ainsi :

[traduction] Comme la déclaration pour l’année d’imposition 2010 a été produite au-delà de la période de trois ans, vous n’êtes pas admissible à recevoir un remboursement au titre de dividendes aux termes du paragraphe 129(1) de la Loi. De plus, le paragraphe 220(3) de la Loi ne permet pas une prorogation du délai de production d’une déclaration prévu au paragraphe 129(1) de la Loi. La pénalité imposée a été établie correctement en vertu du paragraphe 162(1) de la Loi; la déclaration n’a pas été produite dans un délai de six mois à compter de la fin de son année d’imposition, comme l’exige le paragraphe 150(1) de la Loi.

(Avis de confirmation, dossier de la demande de Binder, à la page 121)

B.                 Bonnybrook Park Industrial Development Co Ltd

[18]           Par lettre datée du 12 octobre 2016, le ministre a mentionné ce qui suit :

[traduction] Nous avons examiné attentivement votre demande par rapport aux lignes directrices établies dans la circulaire d’information 07-1et de la loi applicable. Nous avons déterminé qu’il ne s’agit pas d’un cas qui nous permettrait d’accorder un allègement des pénalités et des intérêts qui ont déjà été levés dans le cadre du Programme des divulgations volontaires (PDV). Nous ne sommes également pas en mesure de renoncer à l’exigence relative à la production des déclarations aux fins du remboursement au titre des dividendes.

[…]

Les déclarations de revenus de la société pour les années d’imposition 2003 à 2012 ont été produites dans le cadre du Programme des divulgations volontaires (PDV). Le PDV a approuvé les déclarations T2 pour les années d’imposition 2005 à 2012; par conséquent, aucune pénalité n’a été appliquée à ces déclarations. Pour les années d’imposition 2003 et 2004, les déclarations de revenus de la société avaient été produites au-delà du délai de prescription de 10 ans et n’ont pas été admises dans le cadre du PDV; par conséquent, des pénalités pour production tardive ont été appliquées à ces déclarations.

[…]

Les dispositions d’allègement à l’intention des contribuables ont un délai de prescription en ce qui a trait à l’exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel de renoncer aux pénalités et aux intérêts. Le contribuable dispose de 10 ans à partir de la fin de l’année civile au cours de laquelle a pris fin l’année d’imposition ou l’exercice en question pour présenter une demande d’allègement à l’ARC. Le contribuable peut demander un allègement conformément aux dispositions du paragraphe 220(3.1) qui confère au ministre le pouvoir discrétionnaire d’annuler la totalité ou une partie des pénalités et des intérêts payables par ailleurs par le contribuable, ou d’y renoncer en vertu de la Loi. La demande doit être présentée avant l’expiration du délai de 10 ans.

[…]

En vertu du paragraphe 220(3), vous avez demandé au ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire de renoncer à l’exigence relative à la production des déclarations de revenus dans les trois ans aux fins du remboursement au titre des dividendes, ou de proroger ce délai. Le paragraphe 220(3) est ainsi libellé : « Le ministre peut en tout temps proroger le délai fixé pour faire une déclaration en vertu de la présente loi ». Les obligations de produire les déclarations et de rembourser les paiements en trop sont régies par deux articles différents de la Loi. Le paragraphe 150(1) de la Loi établit les exigences relatives aux déclarations de revenus et aux délais de production pour les contribuables, et le paragraphe 164(1) de la Loi établit les règles régissant les remboursements à titre de paiement en trop. Nous sommes d’avis que le paragraphe 220(3) ne s’applique qu’aux dispositions du paragraphe 150(1) et non à celles du paragraphe 164(1). » (Dossier de la demande de Bonnybrook, aux pages 365 et 366)

V.                Thèses des parties

[19]           Les demanderesses soutiennent que la décision du ministre est déraisonnable, en raison du fait que le pouvoir discrétionnaire du ministre d’accorder un allègement en ce qui concerne le délai de trois ans prévu au paragraphe 129(1) n’est assujetti à aucune limite :

29.       [traduction] Comme le prévoit le paragraphe 220(2.1), la loi confère au ministre le pouvoir de renoncer à l’exigence relative à la production des déclarations prévue au paragraphe 129(1) de façon à ce qu’il puisse effectuer le remboursement au titre de dividendes.

30.       Le paragraphe 220(2.1) énonce de façon générale que « [l]e ministre peut renoncer à exiger qu’une personne produise un formulaire prescrit, [...] aux termes d’une disposition de la présente loi ou de son règlement d’application ».

31.       La demanderesse fait valoir que le paragraphe 129(1) [une disposition de la Loi] exige qu’une société [une personne (voir le paragraphe 248(1) de la Loi] produise une déclaration de revenus [un formulaire prescrit (voir l’alinéa 150(1)a)]. Cela signifie que la disposition relève clairement du paragraphe 220(2.1).

32.       Une fois que le ministre renonce à l’exigence relative à la production d’une déclaration aux termes du paragraphe 129(1), la demanderesse est dispensée de respecter la période de trois ans, et plus rien n’empêche le ministre d’effectuer un remboursement au titre de dividendes.

33.       Comme le prévoit le paragraphe 220(3), la loi confère également au ministre le pouvoir de proroger le délai de production d’une déclaration de façon à ce qu’il puisse effectuer le remboursement au titre de dividendes.

34. Le paragraphe 220(3) énonce sans réserve que « [l]e ministre peut en tout temps proroger le délai fixé pour faire une déclaration en vertu de la présente loi ». [Non souligné dans l’original].

35.       La demanderesse soutient que le paragraphe 129(1) comprend une obligation de produire une déclaration de revenus dans les trois ans, lequel délai peut être prorogé en vertu du paragraphe 220(3). Une fois le pouvoir discrétionnaire exercé, le préambule du paragraphe 129(1) peut donc se lire comme suit :

129 (1) Lorsque la déclaration de revenu d’une société en vertu de la présente partie pour une année d’imposition est faite dans les [x] ans suivant la fin de l’année […]

36.       Si le nombre d’années [x] est 5, représentant une prorogation de deux ans à compter des trois années initiales, la déclaration de la demanderesse respectera donc l’exigence relative à la production d’une déclaration et il n’y aura donc aucun obstacle à ce qu’un remboursement au titre de dividendes lui soit accordé. »

(Dossier de la demande de Binder, aux pages 160 et 161; répété presque textuellement dans le dossier de la demande de Bonnybrook, aux pages 377 et 378)

[20]           Le ministre conteste la thèse des demanderesses selon laquelle les paragraphes 220(2.1) et 220(3) s’appliquent au paragraphe 129(1). Quant au pouvoir de notre Cour de trancher le litige, l’argument principal du ministre est le suivant :

[traduction] Les questions soulevées [par les demanderesses] relèvent de la compétence de la Cour canadienne de l’impôt et non de celle de notre Cour puisque les [demanderesses cherchent] à contester l’exactitude d’une cotisation et l’interprétation du ministre d’un article de la Loi de l’impôt sur le revenu.

(Dossier de la défenderesse Binder, au paragraphe 27 des pages 277 et 278; dossier de la défenderesse Bonnybrook, au paragraphe 33 de la page 311)

[21]           La prudence est de mise lors de l’examen d’un argument du ministre. Comme l’a mentionnée la Cour suprême dans l’arrêt Canada c. Addison & Leyen Ltd., 2007 CSC 33, au paragraphe 11 :

Dans de telles circonstances, les tribunaux de révision ne doivent ouvrir la voie aux recours en contrôle judiciaire qu’avec beaucoup de circonspection. Il y a lieu de protéger l’intégrité et l’efficacité du système de cotisation et d’appel en matière fiscale.  Le Parlement a édifié une structure complexe pour assurer le traitement d’une multitude de revendications se rapportant au fisc, et cette structure s’appuie sur un tribunal spécialisé et indépendant, la Cour canadienne de l’impôt. On ne saurait permettre que le contrôle judiciaire serve à créer une nouvelle forme de procédure connexe destinée à contourner le système d’appel établi par le Parlement en matière fiscale ainsi que la compétence de la Cour de l’impôt. Dans ce contexte, le contrôle judiciaire devrait demeurer un recours de dernier ressort.

[22]           Je suis d’avis que, pour examiner l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre en vertu de l’article 129, il est d’abord nécessaire d’établir que ce pouvoir discrétionnaire du ministre s’applique à l’article 129. J’estime que la question d’établir si le pouvoir discrétionnaire du ministre s’applique à l’article 129 est une question de compétence et concerne l’interprétation de la LIR, et notre Cour n’a pas la compétence de trancher cette question. Je conclus également, comme l’a fait valoir le ministre, que la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt 1057513 Ontario Inc. c. Canada, 2015 CAF 207 (arrêt 105) étaye cette conclusion.

[23]           Dans l’arrêt 105, le juge Bocock de la Cour canadienne de l’impôt a tiré la conclusion suivante sur l’interprétation des lois :

[…] le défaut de produire une déclaration dans les trois ans suivant la fin de l’année d’imposition au cours de laquelle le dividende a été versé était fatal au droit de l’appelante de recevoir le remboursement au titre de dividendes pour cette année.

(Arrêt 105, au paragraphe 1)

[24]           Le juge Webb, au nom de la Cour d’appel fédérale, était d’accord avec le juge Bocock :

Toutefois, dans un cas comme dans l’autre, la déclaration de la société pour l’année particulière à l’égard de laquelle le remboursement est demandé doit être produite dans les trois années qui suivent la fin de l’année en question. Si la déclaration n’est pas produite dans ce délai de trois ans, l’alinéa a) et l’alinéa b) ne s’appliquent pas. Puisque l’appelante n’a pas produit de déclaration de revenus pour les années d’imposition allant de 1997 à 2004 dans les trois ans suivant la fin de ces années, les alinéas 129(1)a) et b) ne sont pas applicables et le ministre n’a ni l’obligation ni le pouvoir, aux termes du paragraphe 129(1) de la Loi, d’effectuer le remboursement au titre de dividendes pour les années en question.

En l’espèce, l’appelante a repris pour l’essentiel les arguments qu’elle avait présentés devant le juge de la Cour de l’impôt. Nous ne sommes pas convaincus, selon les principes applicables d’interprétation des lois, que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en concluant que l’obligation de produire une déclaration de revenus dans les trois ans suivant la fin de l’année au cours de laquelle le dividende est versé, aux termes du paragraphe 129(1) de la Loi, est une condition à laquelle l’appelante devait satisfaire pour avoir droit au remboursement au titre de dividendes prévu par cette disposition.

(arrêt 105, aux paragraphes 4 et 5)

[25]           Je suis d’avis que la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt 105 est un précédent faisant autorité. Il appartient donc à la Cour de l’impôt de se prononcer sur l’interprétation de l’article 129.


JUGEMENT DANS LES DOSSIERS T-1478-16 ET T-1801-16

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  Les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées.

2.                  Conformément à l’article 302 des Règles de la Cour fédérale, la Cour rend les ordonnances suivantes :

En ce concerne Binder Capital Corp :

La demande qui se rapporte à l’annulation des pénalités et des intérêts payables par ailleurs en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition se terminant le 30 septembre 2010 est accueillie, sur consentement, et l’affaire est renvoyée au ministre pour qu’un autre représentant effectue un nouvel examen.

En ce concerne Bonnybrook Park Industrial Development Co Ltd :

 La demande qui se rapporte à l’annulation des intérêts payables par ailleurs en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition se terminant entre le 31 décembre 2005 et le 31 décembre 2012 est accueillie, sur consentement, et l’affaire est renvoyée au ministre pour qu’un autre représentant effectue un nouvel examen. En effectuant un nouvel examen, le défendeur et la demanderesse conviennent que l’examen comprendra les intérêts qui se sont accumulés à partir de l’année se terminant le 31 décembre 2005, même s’ils sont liés aux cotisations d’impôt découlant des années d’imposition se terminant entre le 31 décembre 2003 et le 31 décembre 2004.

La question des dépens sera adjugée après la présentation d’arguments supplémentaires de la part des avocats.

« Douglas R. Campbell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossiers :

T-1478-16 ET T-1801-16

 

DOSSIER :

T-1478-16

 

INTITULÉ :

BINDER CAPITAL CORP c. LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

ET DOSSIER :

T-1801-16

 

INTITULÉ :

BONNYBROOK PARK INDUSTRIAL DEVELOPMENT CO LTD c. LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 mai 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 30 juin 2017

 

COMPARUTIONS :

Thag Trieu

 

Pour les demanderesses

BINDER CAPITAL CORP ET

BONNYBROOK PARK INDUSTRIAL DEVELOPMENT CO LTD

 

Craig Maw

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

KPMG cabinet juridique s.r.l./S.E.N.C.R.L.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demanderesses

BINDER CAPITAL CORP ET

BONNYBROOK PARK INDUSTRIAL 

DEVELOPMENT CO LTD

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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