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Date : 20170629


Dossier : T-550-16

Référence : 2017 CF 633

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 juin 2017

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

MEI (VICKY) WONG

demanderesse

et

TRAVAUX PUBLICS ET SERVICES GOUVERNEMENTAUX CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Commission canadienne des droits de la personne [la Commission] le 24 février 2016, dans laquelle la Commission a rejeté la plainte de discrimination déposée par la demanderesse aux termes de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 [la Loi]. L’article 7 prévoit que le fait de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu constitue un acte discriminatoire s’il est fondé sur un motif de distinction illicite. Le « sexe » (ou le « genre ») constitue un motif de distinction illicite.

[2]               La demanderesse, une ingénieure en mécanique à l’emploi du Bureau de la Région du Pacifique de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada [TPSGC], s’est plainte auprès de la Commission qu’elle était victime de discrimination fondée sur le sexe de la part de son employeur depuis son retour de son congé de maternité, en juin 2009. Plus précisément, elle soutient qu’à son retour, elle a été traitée différemment quant à la nature de ses responsabilités et de sa charge de travail, à ses possibilités d’avancement et aux mesures disciplinaires.

[3]               Après avoir enquêté sur l’affaire et tenté en vain de résoudre le différend par la conciliation, la Commission a déterminé que, en dépit de preuves démontrant que la demanderesse avait été traitée différemment, une explication raisonnable pour ce traitement, qui n’est pas un prétexte à la discrimination, avait été fournie par le défendeur. Par conséquent, la Commission a rejeté la plainte, étant convaincue qu’une enquête du Tribunal canadien des droits de la personne n’était pas justifiée aux termes du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi.

[4]               La demanderesse soutient que la décision de la Commission comporte trois lacunes. Premièrement, elle soutient qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale lorsque l’enquêtrice de la Commission a refusé d’interroger son supérieur, M. Ted Leung, ainsi que certains témoins qu’elle considérait comme pertinents au chapitre de la discrimination dont elle a été victime. Deuxièmement, elle fait valoir que la Commission avait commis une erreur de droit en appliquant incorrectement le critère de preuve prima facie de discrimination. Enfin, elle soutient que la Commission a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées.

II.                 Contexte

[5]               La demanderesse est ingénieure en mécanique. Elle s’est jointe au Groupe de génie mécanique de TPSGC, à Vancouver, en juin 2001. Elle a été embauchée au poste d’ingénieur en mécanique junior, niveau 3 [ENG-03]. La demanderesse était la seule ingénieure au sein du Groupe de génie mécanique. La demanderesse a été sous la supervision de M. Leung de 2001 à 2011, année où ce dernier est parti en congé de maladie. Au moment de son départ, M. Leung était directeur régional du Groupe de génie mécanique.

[6]               En juin 2006, la demanderesse a pris le premier de ses deux congés de maternité. À son retour, en juin 2007, elle a réintégré son poste d’ingénieur en mécanique junior, niveau 3, au sein du Groupe de génie mécanique. En juin 2008, elle a pris son deuxième congé de maternité, mais avant, elle a demandé une vérification interne de sa classification de poste puisqu’elle estimait exécuter des tâches et des responsabilités de niveau ENG-04 et jugeait que son poste devrait être reclassifié en conséquence. Cette demande a fini par être rejetée.

[7]               Lorsqu’elle est revenue au travail après son deuxième congé de maternité, en juin 2009, la demanderesse soutient que bien qu’elle ait réintégré son poste antérieur, des modifications importantes avaient été apportées à ses tâches et à ses responsabilités. Premièrement, elle soutient avoir été affectée à moins de projets. Plus particulièrement, elle fait valoir que M. Leung a refusé de lui réattribuer des projets sur lesquels elle travaillait avant son congé de maternité, y compris des projets de niveau ENG-04, pour lesquels elle avait besoin, selon les propos allégués de M. Leung, d’une [traduction] « mise à jour des connaissances ». Elle soutient également que M. Leung a attribué de nouveaux projets à deux employés occasionnels embauchés alors qu’elle était en congé, au lieu de les lui attribuer. Par conséquent, la demanderesse fait valoir qu’elle a reçu peu de travail et qu’elle peinait à atteindre les objectifs de taux facturable. En date du 14 septembre 2009, le taux de facturation de la demanderesse s’élevait à 16,57 %, comparativement à des taux de 37,2 %, 58,13 %, 62,54 %, 63,21 % et 73,57% pour les cinq ingénieurs de sexe masculin au sein du Groupe de génie mécanique.

[8]               Deuxièmement, la demanderesse soutient qu’elle a été soumise à une supervision qui n’existait pas avant son deuxième congé de maternité. Troisièmement, elle fait valoir que le défendeur lui a volontairement refusé des possibilités de travail et d’avancement professionnel en pourvoyant un poste ENG-04 devenu vacant par le biais de concours externes au lieu de la nommer à ce poste sans effectuer de recherches.

[9]               Enfin, la demanderesse soutient qu’en juillet 2009, elle a reçu une lettre de réprimande pour avoir refusé de se rendre à un site de Service correctionnel Canada [SCC] dans le cadre d’un mandat de conception à ce site. Elle affirme qu’elle n’a jamais fait l’objet de mesures disciplinaires par le passé et que cette mesure était injustifiée.

[10]           Le 13 décembre 2012, la demanderesse a déposé sa plainte auprès de la Commission, alléguant que les changements apportés à son environnement de travail et les événements survenus après son retour de congé de maternité, en juin 2009, étaient le résultat d’une discrimination fondée sur le sexe. Initialement, la Commission a refusé de se pencher sur la plainte au motif que la demanderesse pouvait recourir à des procédures de règlement des griefs avant de se tourner vers la Commission. Une fois le processus de grief achevé, la demanderesse a voulu que la Commission examine la plainte. Le 7 août 2013, la Commission a accepté de traiter la plainte de la demanderesse et, en vertu de l’autorité que lui confère le paragraphe 43(1) de la Loi, a confié le dossier à une enquêtrice [l’enquêtrice].

[11]           L’enquêtrice a mené son enquête au cours de l’année 2014, interrogeant la demanderesse et dix autres témoins en plus d’examiner la documentation soumise par les deux parties. Le 5 décembre 2014, elle a publié son rapport d’enquête [le rapport]. Elle a accepté la majeure partie de l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle avait été traitée différemment à son retour de congé de maternité. Toutefois, elle a conclu que les preuves étaient insuffisantes pour soutenir la conclusion que ce traitement différent était lié au sexe de la demanderesse.

[12]           Plus particulièrement, l’enquêtrice a conclu que le défendeur avait fourni un motif raisonnable pour expliquer le nombre de projets attribués à la demanderesse et qu’il ne s’agissait pas d’un prétexte à la discrimination fondée sur le sexe. Elle s’est fondée sur les éléments de preuve suivants :

a)             les projets réalisés pour SCC représentaient une grande partie des projets du Groupe de génie mécanique à cette période et la demanderesse ne pouvait y participer en raison d’une expérience traumatisante antérieure;

b)             les activités du Groupe de génie mécanique sont cycliques, ce qui signifie qu’il n’est pas inhabituel qu’il y ait moins de travail au cours des premiers mois de l’exercice financier, qui commence le 1er avril et se termine le 31 mars;

c)             des changements ont été apportés à la nature des travaux effectués par le Groupe de génie mécanique en ce sens que le groupe réalisait moins de travaux de conception à l’interne et consacrait plus de temps à la vérification des travaux de consultants, ce qui nécessitait une expertise de niveau plus élevé en génie et en supervision

(dossier de la demanderesse, p. 039, paragraphe 74).

[13]           L’enquêtrice est parvenue à une conclusion semblable quant au niveau de supervision auquel la demanderesse a été soumise après son deuxième congé de maternité. L’enquêtrice estime qu’il semble [traduction] « plus probable qu’improbable » que la supervision accrue à laquelle la demanderesse a été soumise à son retour au travail en juin 2009 [traduction« s’explique par le fait qu’elle a remis en question sa classification en demandant une vérification interne et qu’elle a ensuite déposé un grief, et que le défendeur désirait par la suite s’assurer que son travail était bien de niveau ENG-03, qui nécessite une supervision moindre que le niveau ENG-04 » (dossier de la demanderesse, p. 040, paragraphe 81).

[14]           En ce qui concerne l’allégation de la demanderesse selon laquelle on lui a refusé des possibilités d’avancement, l’enquêtrice a souligné que la demanderesse n’avait pas postulé pour le poste de niveau ENG-04 qui est devenu vacant en 2010-2011 et qu’en 2012, elle a refusé une offre de devenir ingénieur de niveau ENG-04 par intérim. Elle a également conclu que les éléments de preuve recueillis ne permettaient pas d’établir de lien entre les processus choisis par le défendeur pour pourvoir les postes ENG-04 et le fait que la demanderesse est une femme. Plus particulièrement, l’enquêtrice a déterminé que rien dans le commentaire formulé par M. Leung à la demanderesse lorsqu’elle a demandé son soutien pour être promue au poste de niveau ENG-04, en 2007, ne permettait d’établir un tel lien. Selon la demanderesse, M. Leung a répondu à sa demande en disant : [traduction] « il n’y aura rien de tout cela avant ma retraite » (dossier de la demanderesse, p. 036, paragraphe 51).

[15]           Enfin, l’enquêtrice n’a établi aucun lien entre le sexe de la demanderesse et la lettre de réprimande reçue en juillet 2009. Elle a souligné que la demanderesse avait reçu cette lettre parce qu’elle avait refusé de remplir un rapport sur un projet réalisé pour SCC au motif qu’elle jugeait que le technicien envoyé pour prendre les mesures ne possédait pas les compétences requises. La demanderesse a refusé de prendre les mesures elle-même en raison d’une expérience traumatisante antérieure, survenue en juillet 2007, après laquelle il avait été convenu qu’on ne l’enverrait plus aux installations de SCC. La demanderesse a présenté un grief pour s’opposer à cette lettre et la question a été soumise à une audience de grief le 26 avril 2010. La lettre de réprimande a été maintenue.

[16]           La demanderesse a dit à l’enquêtrice que cette mesure disciplinaire était discriminatoire puisque ses collègues masculins ne faisaient pas l’objet de mesures disciplinaires pour des gestes qu’elle percevait comme abusifs à l’égard de M. Leung, comme des jurons, des coups derrière la tête et des coups de pied sur sa chaise.

[17]           L’enquêtrice a conclu que la mésentente entre la demanderesse et M. Leung quant à la pertinence de demander à une autre personne de terminer les dessins devant figurer dans le rapport de la demanderesse semblait être à l’origine des mesures disciplinaires, et non le sexe de la demanderesse. Elle a aussi conclu que le motif des mesures disciplinaires imposées à la demanderesse (c.-à-d. l’insubordination) différait suffisamment des comportements allégués des autres employés à l’égard de M. Leung pour conclure à un traitement différentiel lié au sexe de la demanderesse (dossier de la demanderesse, p. 037, paragraphe 59).

[18]           Dans les paragraphes de conclusion du rapport, l’enquêtrice a indiqué que M. Leung n’était pas disponible pour une entrevue dans le cadre de cette enquête, mais que malgré ce fait, elle était convaincue que d’autres éléments de preuve pertinents soutenaient ses conclusions (dossier de la demanderesse, p. 041, paragraphe 87). Au début du rapport, l’enquêtrice a indiqué que les deux parties avaient confirmé que M. Leung [traduction] « était parti en congé de maladie pour une maladie grave en 2011 et qu’il n’était pas revenu au travail » (dossier de la demanderesse, p. 029, paragraphe 3).

[19]           En janvier 2015, les deux parties ont répondu par écrit aux conclusions du rapport. Le 10 mars 2015, la Commission a nommé un conciliateur conformément à l’article 47 de la Loi. Au cours du processus de conciliation, la demanderesse a reçu une offre de règlement de la part du défendeur. Cette offre a été refusée par la demanderesse au motif qu’elle ne l’indemnisait pas suffisamment compte tenu de la discrimination importante qu’elle a prétendument subie au cours des années et de la perte financière découlant du refus du défendeur de la rémunérer à un niveau ENG-04.

[20]           Le 24 février 2016, le processus de conciliation s’étant avéré infructueux, la Commission, se fondant sur les conclusions et les recommandations du rapport, a rejeté la demande de la demanderesse, concluant qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre l’enquête compte tenu des circonstances.

[21]           Comme il a été mentionné au début des présents motifs, la demanderesse soutient que la décision de la Commission doit être annulée au motif que la Commission a manqué à l’obligation d’équité procédurale à son égard lorsque l’enquêtrice a refusé d’interroger certains témoins, dont M. Leung, a appliqué incorrectement le critère de preuve prima facie de discrimination et a tiré plusieurs conclusions de fait erronées.

[22]           Le défendeur reconnaît que la demanderesse a eu quelques problèmes et différends en milieu de travail au cours des dernières années. Toutefois, il fait valoir que les éléments de preuve présentés à la Commission ne permettent pas de conclure que ces problèmes sont liés au sexe de la demanderesse ou à son retour au travail après son congé de maternité.

III.               Questions en litige et norme de contrôle

[23]           Le dossier en l’espèce soulève trois questions, à savoir :

1)             Le devoir d’équité procédurale envers la demanderesse a-t-il été respecté?

2)             La Commission a-t-elle appliqué le bon critère juridique dans sa décision de rejeter la plainte de la demanderesse?

3)             Les conclusions de la Commission étaient-elles raisonnables?

[24]           Les allégations de la demanderesse selon lesquelles la Commission a manqué à son devoir d’équité procédurale doivent être examinées selon la norme de la décision correcte (Tutty c. Canada (Procureur général), 2011 CF 57, au paragraphe 14 [Tutty]; Établissement de Mission c. Khela,, 2014 CSC 24, [2014] 1 RCS 502, au paragraphe 79; Joshi c. Banque Canadienne Impériale de Commerce, 2014 CF 552, au paragraphe 55; Guerrier c. Banque Canadienne Impériale de Commerce, 2013 CF 937, au paragraphe 7).

[25]           La question de savoir si la Commission a appliqué le bon critère juridique pour déterminer si l’enquête devrait se poursuivre ou non doit également être examinée selon la norme de la décision correcte (Walsh c. Canada (Procureur général), 2015 CF 230, au paragraphe 20).

[26]           En ce qui concerne la troisième question, la norme de contrôle applicable est la norme de la décision raisonnable (Ritchie c. Canada (Procureur général), 2016 CF 527, au paragraphe 28 [Ritchie]; Tutty, au paragraphe 14, Dupuis c. Canada (Procureur général), 2010 CF 511, aux paragraphes 9 et 10; Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 47 [Sketchley]). Il est de jurisprudence constante que la norme de la décision raisonnable comporte un degré élevé de retenue (Ritchie, au paragraphe 28; Rabah c. Canada (Procureur général), 2001 CFPI 1234, au paragraphe 9). Ainsi, la Cour ne doit intervenir que si les conclusions de la Commission n’appartiennent pas aux issues possibles acceptables (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]). Dans des cas comme celui qui nous occupe, où la Commission a simplement avisé les parties de sa conclusion, le rapport de l’enquêtrice est censé constituer les motifs de la décision de la Commission (Sketchley, au paragraphe 37).

[27]           Avant que je commence l’analyse, il est important de garder à l’esprit que lors de l’examen d’une décision rejetant une plainte au motif que la tenue d’une enquête plus approfondie n’est pas justifiée, la Cour ne doit pas perdre de vue le rôle de la Commission en vertu de l’article 44 de la Loi, qui est décrit depuis longtemps comme une fonction d’examen préalable (Cooper c. Canada (Commission de la personne), [1996] 3 RSC 854, au paragraphe 53, [1996] ACS no 115 (QL)). Ce rôle, dans un cas donné, consiste à déterminer si une enquête du Tribunal canadien des droits de la personne est justifiée compte tenu des circonstances de l’affaire, et non à [traduction] « déterminer si la plainte est fondée » (Cooper, précité, aux paragraphes 52 et 53; Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission des droits de la personne), [1989] 2 RCS 879, aux pages 898-899, [1989] ACS no 103; Herbert c. Canada (Procureur général), 2008 CF 969, au paragraphe 16 [Hebert]).

[28]           En exerçant ce rôle, la Commission se voit confier un large pouvoir discrétionnaire (Halifax (Regional Municipality) c. Nouvelle-Écosse (Commission des droits de la personne), 2012 CSC 10, aux paragraphes 21 et 25, [2012] 1 RCS 364) qui, comme on l’a déjà décrit, lui confère un « un degré remarquable de latitude » (Walsh c. Canada (Procureur général), 2015 CF 230, au paragraphe 19, citant Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, [1999] 1 CF 113 (CA), au paragraphe 38).

IV.              Analyse

A.                 Aucun manquement à l’équité procédurale

[29]           Il est maintenant solidement établi que pour être équitable sur le plan procédural, l’enquête menant à une décision prise en vertu de l’article 44 de la Loi doit être à la fois neutre et exhaustive (Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 CF 574, au paragraphe 50 [Slattery]). En ce qui concerne l’exhaustivité de l’enquête, la Cour, dans Slattery, a observé que ce n’est que [traduction] « lorsque des omissions déraisonnables se sont produites, par exemple lorsqu’un enquêteur n’a pas examiné une preuve manifestement importante, qu’un contrôle judiciaire s’impose ». L’élément de preuve est « manifestement important » dans le contexte où le critère « exige qu’il soit évident pour n’importe quelle personne rationnelle que la preuve qui, selon le demandeur, aurait dû être examinée durant l’enquête était importante compte tenu des éléments allégués dans la plainte » (Gosal c. Canada (Procureur général), 2011 CF 570, au paragraphe 54 [Gosal], citant Beauregard c. Société canadienne des postes, 2005 CF 1383, au paragraphe 21).

[30]           L’argument principal de la demanderesse à cet égard est l’omission alléguée de l’enquêtrice d’interroger M. Leung. Elle affirme que sans avoir interrogé M. Leung, l’enquêtrice ne peut avoir déterminé adéquatement les facteurs de motivation et les motifs réels expliquant pourquoi elle a été traitée différemment. Elle soutient que la présente situation ne diffère pas de celles dans Sanderson c. Canada (Procureur général), 2006 CF 447 [Sanderson], et dans Gravelle c. Canada (Procureur général), 2006 CF 251 [Gravelle], où la Cour a conclu que l’omission de la part de l’enquêteur de la Commission d’interroger des témoins clés, c’est-à-dire des personnes qui étaient les « principaux participants » aux événements ayant donné lieu à la plainte, avait fait en sorte que l’enquête n’avait pas atteint le degré de rigueur requis.

[31]           En l’espèce, il ne fait aucun doute que M. Leung a été l’un des « principaux participants » dans les événements qui ont mené à la plainte de la demanderesse (ce que le défendeur ne nie pas), mais il est tout aussi clair, à mon avis, que les circonstances qui expliquent pourquoi M. Leung n’a pas été interrogé diffèrent considérablement de celles qui ont amené les enquêteurs à ne pas interroger les témoins clés dans Sanderson et Gravelle. En effet, contrairement aux circonstances dans Sanderson et Gravelle, les éléments de preuve au dossier montrent qu’en raison d’une maladie grave, M. Leung n’était simplement pas disponible pour être interrogé par l’enquêtrice pendant toute la durée de l’enquête. Les parties semblaient avoir convenu implicitement qu’il en était ainsi lorsque l’enquêtrice a noté, au début du rapport, que [traduction] « les deux parties confirment que M. Leung est parti en congé de maladie pour une maladie grave en 2011 et qu’il n’était pas revenu au travail ».

[32]           Ceci, à mon avis, est étayé par le fait que la demanderesse n’a pas soulevé la question de la nécessité d’interroger M. Leung au cours de l’enquête lorsqu’elle a répondu au rapport en janvier 2015. Elle a plutôt demandé [traduction] « d’avoir la possibilité de présenter des éléments de preuve et de contre-interroger les directeurs qui ont tenté d’expliquer les mauvais traitements qu’elle a subis » (dossier certifié du tribunal, à la page 56). Autrement dit, elle n’a pas demandé que l’enquêtrice interroge M. Leung à ce moment-là.

[33]           Ceci est corroboré par le formulaire de plainte de la demanderesse, daté du 13 décembre 2012, dans lequel elle a indiqué que M. Leung était en congé de maladie et le resterait jusqu’à sa retraite. Il est raisonnable de supposer que la demanderesse a reconnu implicitement que M. Leung ne serait pas disponible pour une entrevue avec l’enquêtrice et que c’est ce qui explique pourquoi elle s’est concentrée sur les autres directeurs dans sa réponse au rapport.

[34]           Je crois que cette inférence est confirmée par les observations de la demanderesse dans le cadre du processus de conciliation tenu en 2015. Ainsi, le 28 septembre 2015, dans une lettre adressée au conciliateur, la demanderesse a affirmé que M. Leung s’était pleinement rétabli, comme le prouve sa présence récente lors de deux fêtes de départ à la retraite organisées par le défendeur, une en juillet 2015 et l’autre en septembre 2015, et sa participation aux forums d’affaires du défendeur. C’est seulement à ce moment qu’elle a demandé [traduction« d’avoir la possibilité de présenter des éléments de preuve et de contre-interroger M. Leung et les autres directeurs qui ont tenté d’expliquer les mauvais traitements qu’elle a subis » Il est clair que la demanderesse a décidé de ne plus simplement cibler [traduction« les autres directeurs qui ont tenté d’expliquer les mauvais traitements qu’elle a subis » en janvier 2015, mais d’inclure précisément M. Leung en septembre 2015, lorsqu’elle s’est rendu compte qu’il était rétabli.

[35]           Toutefois, il n’en demeure pas moins que jusqu’en septembre 2015, elle n’a soumis aucun élément de preuve démontrant que M. Leung était rétabli et disponible pour une entrevue. Par conséquent, je ne crois pas que l’enquêtrice a omis de respecter le critère de rigueur établi dans Slattery en concluant, à la lumière des éléments de preuve dont elle disposait, que M. Leung n’était pas disponible pour être interrogé au cours de l’enquête puisqu’il était en congé de maladie en raison de graves problèmes de santé. En d’autres termes, on ne peut pas reprocher à l’enquêtrice de ne pas avoir interrogé M. Leung.

[36]           En outre, il incombait à la demanderesse de soumettre des arguments selon lesquels M. Leung était rétabli et était disponible pour une entrevue avant que la Commission rende sa décision le 24 février 2016. Bien qu’elle ait soulevé la question dans ses observations au conciliateur, dont le rôle consistait à tenter d’arriver à un accord relativement à la plainte, et non à aider la Commission à déterminer si l’enquête devait se poursuivre, elle ne l’a pas portée à l’attention de la Commission lorsque le processus de conciliation a échoué.

[37]           Il faut garder à l’esprit que pour déterminer si un enquêteur a omis d’examiner une preuve manifestement importante, la Cour « doit se placer au moment de l’enquête et tenir compte des renseignements fournis à l’enquêteur par le plaignant » (Gosal, au paragraphe 54). Comme le défendeur le souligne à juste titre, l’enquêtrice, tel que l’exige la jurisprudence de la Cour, a fourni une justification raisonnable pour ne pas interroger M. Leung (Utility Transport International Inc c. Kingsley, 2009 CF 270, au paragraphe 44). Dans ce contexte, elle s’est fiée à d’autres éléments de preuve manifestement importants recueillis auprès de dix autres employés de TPSGC qui, malgré l’absence de témoignage de M. Leung, soutenaient, selon elle, les conclusions tirées dans le rapport.

[38]           Je conclus donc que ni la Commission ni l’enquêtrice n’ont manqué à l’obligation d’équité procédurale à l’égard de la demanderesse au motif que M. Leung n’a pas été interrogé à l’étape de l’enquête de la plainte de la demanderesse.

[39]           La demanderesse soutient également que l’enquête manquait de rigueur puisque l’enquêtrice n’a interrogé que deux de ses sept témoins. Je ne peux être en accord avec cette affirmation puisque je ne suis pas convaincu que la demanderesse a démontré que ces témoins auraient fourni des « preuves manifestement importantes ». Le rapport indique plutôt que la demanderesse elle-même a affirmé à l’enquêtrice que tous ses témoins fourniraient des éléments de preuve similaires.

[40]           Il est de jurisprudence constante qu’une enquête ne sera pas considérée comme manquant de rigueur au motif que l’enquêteur n’a pas interrogé chacun des témoins suggérés par les parties (Slattery, au paragraphe 70). L’exigence d’exhaustivité des enquêtes doit également être envisagée à la lumière des réalités administratives et financières de la Commission, ce qui signifie, entre autres choses, que les enquêtes n’ont pas à être parfaites. Comme l’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Tahmourpour c.Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 113 :

[39]      Tout contrôle judiciaire d’une procédure de la Commission doit reconnaître que l’organisme est maître de son processus et doit lui laisser beaucoup de latitude dans la façon dont il mène ses enquêtes. Une enquête portant sur une plainte concernant les droits de la personne ne doit pas être astreinte à une norme de perfection. Il n’est pas nécessaire de remuer ciel et terre. Les ressources de la Commission sont limitées et son volume de travail est élevé. Celle-ci doit alors tenir compte des intérêts en jeu : ceux des plaignants à l’égard d’une enquête la plus complète possible et l’intérêt de la Commission à assurer l’efficacité du système sur le plan administratif. [Renvoi omis]

[41]           Mais, plus important encore, comme l’a souligné le défendeur, pour que la Cour intervienne, la demanderesse doit avoir établi que le rapport présentait des lacunes fondamentales auxquelles elle n’aurait pas pu remédier par ses observations en réponse (Eadie c. MTS. Inc., 2015 CAF 173, au paragraphe 90). Dans Slattery, la Cour a souligné que la Commission doit être maître de son processus et qu’elle ne doit intervenir dans la façon dont la Commission mène ses enquêtes que si l’enquête est [traduction] « clairement déficiente » :

70        [traduction] Le fait que l’enquêtrice n’ait pas interrogé chaque témoin présenté par la demanderesse et le fait que la conclusion tirée par l’enquêtrice n’ait pas porté sur chacun des incidents de discrimination allégués ne constituent pas en soi des erreurs fatales, notamment lorsque la demanderesse a eu la possibilité de combler les lacunes laissées par l’enquêtrice dans ses observations subséquentes. En l’absence de règlements pour orienter sa démarche, l’enquêteur, tout comme la CCDP, doit être maître de son processus et le contrôle judiciaire d’une enquête prétendument déficiente n’est justifié que lorsque l’enquête est clairement déficiente. En l’espèce, j’estime que l’enquêtrice n’a omis aucun des aspects fondamentaux de la plainte de la demanderesse, telle qu’elle était libellée, et qu’il n’y avait aucun autre point mineur, mais quand même pertinent, qui n’a pas été examiné adéquatement, mais aurait pu être examiné dans les observations complémentaires de la demanderesse.

[42]           Comme le mentionne le défendeur, la demanderesse n’a pas précisé quels renseignements précis les témoins qui n’ont pas été interrogés auraient pu fournir et n’a pas indiqué non plus qu’elle ne pouvait obtenir des éléments de preuve elle-même pour combler les lacunes dans ses propres observations. Par conséquent, je ne crois pas que la décision de l’enquêtrice de n’interroger que deux des sept témoins de la demanderesse, en l’absence d’arguments indiquant la nature [traduction] « manifestement importante » de ces dépositions des témoins, ou l’incapacité de la demanderesse de fournir ces éléments de preuve dans ses observations complémentaires constitue un manquement à l’équité procédurale.

B.                 Critère d’examen de discrimination prima facie

[43]           La demanderesse soutient que l’enquêtrice n’a pas appliqué le critère d’examen de discrimination prima facie. Elle fait valoir que tout ce qui lui a été demandé était d’établir des éléments de preuve qui, s’ils étaient acceptés, suffiraient à justifier une conclusion de discrimination; par conséquent, les observations de la demanderesse en réponse au rapport n’auraient pas dû être prises en compte.

[44]           Comme je l’ai indiqué dans l’arrêt Abi-Mansour c. Canada (Agence du revenu), 2015 CF 883, cette affirmation ne peut, à mon avis, être maintenue dans le contexte de l’exercice, par la Commission, de sa fonction d’examen préalable :

[38]      Premièrement, le demandeur affirme que l’enquêteur a appliqué le mauvais critère pour établir si la plainte avait donné lieu à une preuve prima facie de discrimination. En particulier, le demandeur affirme que l’enquêteur n’aurait pas dû examiner les éléments de preuve produits par l’ARC avant de décider de recommander ou non que sa plainte soit rejetée.

[39]      Cet argument ne saurait tenir. Comme je l’ai déjà dit, la Commission a une fonction d’examen préalable. Son rôle consiste à décider si une enquête plus poussée au sujet d’une plainte est justifiée ou non, compte tenu de la preuve qui lui a été présentée par les deux parties  La fonction de la Commission, à ce stade, consiste à mener une enquête, et non à établir une preuve prima facie de discrimination, ce qui est le rôle du Tribunal canadien des droits de la personne, comme en témoigne l’arrêt Lincoln c. Bay Ferries ltd, 2004 CAF 204, de la Cour d’appel fédérale, un arrêt que le demandeur invoque au soutien de sa prétention.

[45]           Encore une fois, le rôle de la Commission, lorsqu’elle exerce sa fonction d’examen préalable, consiste à déterminer si une enquête du Tribunal des droits de la personne est justifiée compte tenu des circonstances de la plainte. L’élément central de ce rôle consiste à évaluer si [traduction] « la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l’étape suivante », et non à [traduction] « déterminer si la plainte est fondée », ce qui relève du Tribunal des droits de la personne (Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3RCS 854, aux paragraphes 52 et 53; Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission des droits de la personne), [1989] 2 RCS 879, aux paragraphes 898 et 899. En l’espèce, la question en litige devant la Cour consiste à déterminer si la décision de la Commission de ne pas passer à la prochaine étape, c’est-à-dire de ne pas renvoyer la plainte de la demanderesse devant le Tribunal des droits de la personne pour un examen plus approfondi, était raisonnable à la lumière de tous les éléments de preuve présentés.

[46]           Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la décision de la Commission était raisonnable compte tenu de toutes les circonstances en l’espèce.

C.                 La décision de la Commission est raisonnable

[47]           La demanderesse soutient que, sans tenir compte du fait que certains témoins clés n’ont pas été interrogés, la Commission a conclu à tort que le défendeur avait fourni une explication raisonnable au traitement différent qu’elle avait reçu, qui n’était pas un prétexte à la discrimination. Plus précisément, elle fait valoir que l’acceptation des explications du défendeur a donné lieu à au moins quatre conclusions de fait erronées, soit :

a)             qu’elle n’effectuait pas des tâches de niveau ENG-04 avant son deuxième congé de maternité;

b)             que les projets réalisés pour SCC représentaient une grande partie des projets du Groupe de génie mécanique à cette période et qu’elle était incapable d’y participer;

c)             que la nature des activités du Groupe de génie mécanique est cyclique, ce qui signifie qu’il n’est pas inhabituel qu’il y ait moins de travail au cours des premiers mois de l’exercice financier;

d)             que des changements ont été apportés à la nature des travaux effectués par le Groupe de génie mécanique en ce sens que le groupe a commencé à faire réaliser des projets à l’externe, ce qui nécessitait une supervision accrue par des ingénieurs de niveau plus élevé.

[48]           La demanderesse affirme que l’enquêtrice a tiré ces conclusions sans avoir dûment considéré ses éléments de preuve. Toutefois, je note qu’outre cette affirmation, la demanderesse a fourni peu de détails, voire aucun, en ce qui concerne les erreurs commises par l’enquêtrice à cet égard.

[49]           Il est important de garder à l’esprit qu’à ce stade de l’analyse, le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire ne consiste pas à réévaluer les éléments de preuve soumis au décideur, mais plutôt à déterminer si les conclusions du décideur appartiennent aux issues possibles acceptables (Dunsmuir, au paragraphe 47). Je crois que c’est le cas ici.

[50]           D’abord, concernant le niveau de tâches de la demanderesse, il était raisonnable, à mon avis, que l’enquêtrice tienne compte des résultats de la vérification interne demandée par la demanderesse avant son départ pour son deuxième congé de maternité, et qu’elle accorde une certaine importance à ces résultats. Comme il a été mentionné précédemment, cette vérification a mené à la conclusion que la demanderesse n’exécutait pas de tâches de niveau ENG-04 avant son départ pour son deuxième congé de maternité, bien que l’enquêtrice ait également noté que la demanderesse exécutait certaines tâches à ce niveau sur une base intérimaire. L’enquêtrice a également noté que le syndicat de la demanderesse n’avait pas déposé de grief contre la vérification, ce qui, comme l’indique le défendeur, vient soutenir les résultats de la vérification.

[51]           Par conséquent, je ne vois aucune raison d’intervenir en ce qui a trait aux conclusions de l’enquêtrice selon lesquelles la demanderesse n’est pas parvenue à prouver qu’elle avait subi un traitement différent en raison de son sexe relativement au niveau des tâches accomplies, puisque la vérification interne que l’enquêtrice avait le droit d’invoquer a clairement établi que la demanderesse exécutait des tâches de niveau ENG-03 avant son deuxième congé de maternité.

[52]           Deuxièmement, en ce qui concerne la conclusion de l’enquêtrice sur la majeure partie des projets de SCC exécutés par le Groupe de génie mécanique et la réticence de la demanderesse à participer à ces projets, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que le dossier comporte bon nombre d’éléments de preuve soutenant cette conclusion. L’enquêtrice disposait d’éléments de preuve obtenus auprès du directeur régional du Groupe de génie mécanique et démontrant que de 2011 à 2014, entre 70 et 80 % des projets attribués au groupe concernaient SCC. En outre, il est difficile d’accorder beaucoup d’importance à l’affirmation de la demanderesse selon laquelle les projets de SCC ne représentaient pas une partie importante de la charge de travail du Groupe, compte tenu du fait qu’elle a soumis à l’enquêtrice un courriel daté du 8 juin 2009 dans lequel elle écrivait : [traduction] « Je crois comprendre qu’à l’heure actuelle, la charge de travail de notre groupe de génie mécanisme est faible. Les projets des SCC sont les seuls projets disponibles. Je regrette de ne pouvoir vous aider dans le cadre de ces projets ».

[53]           Par conséquent, il était raisonnable pour l’enquêtrice de se fier au témoignage du directeur régional intérimaire quant à la question des projets de SCC et de déduire, à la lecture de ce courriel, que la demanderesse n’était pas disponible pour travailler à ces projets. Comme nous l’avons indiqué précédemment, l’enquêtrice disposait d’éléments de preuve démontrant que la demanderesse avait vécu une expérience traumatisante en juillet 2007 au cours d’une visite à une installation de SCC dans le cadre de son travail, après quoi il avait été convenu qu’elle n’effectuerait plus de visites de ces installations.

[54]           Troisièmement, en ce qui concerne la nature cyclique des travaux de TPSGC, l’enquêtrice disposait d’éléments de preuve démontrant qu’il y a souvent des retards de démarrage des projets au début de chaque exercice financier, qui commence le 1er avril et se termine le 31 mars, au moment où les ministères mettent la dernière main aux questions budgétaires. Un collègue de la demanderesse au sein du Groupe de génie mécanique, M. Patrick Berard, a confirmé qu’il y avait généralement un ralentissement de l’activité entre avril et juillet et que le volume augmentait de nouveau en août et en septembre lorsque le financement est versé par le gouvernement fédéral.

[55]           La demanderesse n’a soumis aucun élément de preuve démontrant que la conclusion de l’enquêtrice, selon laquelle son travail est de nature cyclique, est non fondée. Au contraire, je ne peux que remarquer le fait (et en tirer une conclusion défavorable) que dans ses observations en réponse au rapport, la demanderesse partageait l’avis de M. Preepital Paul, le directeur régional du groupe d’architecture et de génie de TPSGC pour les exercices 2010 et 2011, selon lequel [traduction] « l’année commence lentement et peu de travail est accompli au cours du premier trimestre, ce qui fait que les taux facturables des employés peuvent être faibles » (dossier de la demanderesse, page 165, au paragraphe 68).

[56]           Encore une fois, je ne vois aucune raison d’intervenir relativement aux conclusions de l’enquêtrice concernant la nature cyclique du travail de la demanderesse et de ses collègues.

[57]           Enfin, en ce qui concerne l’allégation de la demanderesse selon laquelle l’enquêtrice a commis une erreur en concluant que des changements ont été apportés à la nature des travaux effectués par le Groupe de génie mécanique et que ces travaux (réalisés à l’externe) nécessitaient un niveau plus élevé d’ingénierie, et donc un niveau de supervision plus élevé, je ne peux que remarquer qu’elle n’a soumis aucun élément de preuve soutenant cette affirmation. Puisque l’enquêtrice a fourni des éléments de preuve soutenant raisonnablement cette conclusion, je ne vois aucune raison d’intervenir.

[58]           Encore une fois, il ressort clairement du dossier que la demanderesse a eu certains problèmes et différends en milieu de travail au cours des dernières années avec ses superviseurs et directeurs, particulièrement depuis son retour de son deuxième congé de maternité en juin 2009. Toutefois, lorsqu’il est question de déterminer si ces événements sont survenus en raison de pratiques discriminatoires, il est important de faire la distinction entre des éléments de preuves fondés sur des faits primaires et des éléments de preuve fondés sur des opinions et des convictions personnelles (Varma v Canada Post Corp, 1995 CarswellNat 2383, au paragraphe 13).

[59]           En l’espèce, je suis d’accord avec l’évaluation du défendeur selon laquelle il était raisonnable pour l’enquêtrice, et pour la Commission par la suite, de conclure que la défenderesse n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour soutenir sa conviction d’avoir été victime de discrimination fondée sur le sexe. De fait, des éléments de preuve au dossier indiquent que la demanderesse a reconnu qu’il pouvait y avoir d’autres raisons à son traitement différent au travail, la principale étant des représailles de la part de la direction en raison de sa demande de vérification interne et du dépôt de son grief.

[60]           Les extraits suivants du dossier de la demanderesse, qui sont reproduits au paragraphe 56 de ses observations écrites devant la Cour, sont très révélateurs à cet égard :
[traduction]

o     « Elle croyait qu’il y avait deux explications possibles au traitement que lui a réservé M. Leung, à savoir son deuxième congé de maternité ou sa demande de vérification interne et son grief. » (page 147 du [dossier de la demanderesse])

o     « M. Leung a exercé des représailles contre moi parce que j’ai demandé une promotion au niveau ENG-04. » (page 155 du [dossier de la demanderesse])

o     « J’ai déposé un grief, M. Leung était contrarié par mon grief et par ma demande de vérification interne et, par conséquent, il a pris des mesures pour refuser de me donner du travail, notamment des tâches de niveau ENG-04 que j’exécutais auparavant, ainsi que des avantages sociaux. » (page 156 du [dossier de la demanderesse])

o     « Il a exercé des représailles contre moi parce que j’ai dit que je devrais être employée au niveau ENG-04 et recevoir une rémunération à ce niveau. » (page 163 du [dossier de la demanderesse])

o     « M. Leung a été très insistant lorsqu’il m’a demandé de me consacrer uniquement à ce projet pendant ma période d’invalidité, alors qu’il y avait d’autres ingénieurs de sexe masculin (dont des employés occasionnels) qui pouvaient également travailler à ce projet. » (page 164 du [dossier de la demanderesse])

o     « Il semble plus probable qu’improbable que le refus de M. Leung à ce moment s’explique par le fait qu’il s’agissait d’un niveau de travail supérieur et qu’il ne voulait confirmer ces faits, puisqu’ils seraient en contradiction avec la vérification interne. » (page 164 du [dossier de la demanderesse])

o     « Il est clair que ses actions étaient des mesures de représailles et que son objectif était de m’imposer des sanctions disciplinaires. » (page 164 du [dossier de la demanderesse])

o     « M. Leung m’a délibérément écartée de projets en raison de ma demande de vérification interne. » (page 166 du [dossier de la demanderesse])

o     « Il est clair que M. Leung est contrarié par mon grief et ma demande de vérification interne et, par conséquent, il a pris des mesures pour refuser de me donner du travail, notamment des tâches de niveau ENG-04, ainsi que des avantages sociaux. » (page 167 du [dossier de la demanderesse])

o     « En raison de la vérification interne et du grief, il est clair que M. Leung a exercé des mesures de représailles contre moi… » (page 167 du [dossier de la demanderesse])

[61]           L’imposition de représailles en milieu de travail constitue sans contredit une pratique indésirable et répréhensible, mais elle ne constitue pas nécessairement une pratique discriminatoire au sens de la loi. À la lumière des éléments de preuve recueillis par l’enquêtrice, il était raisonnable pour la Commission de conclure que le traitement différent auquel la demanderesse a eu droit n’était pas attribuable à une discrimination fondée sur le sexe. Autrement dit, cette conclusion appartient, à mon avis, aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[62]           Pour l’ensemble de ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Compte tenu de l’issue de la présente instance, des dépens d’un montant de 2 240 $, plus les débours raisonnables, sont accordés au défendeur, comme il a été convenu par les parties.


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire avec dépens payables au défendeur et fixés à 2 240 $, plus les débours raisonnables.

« René LeBlanc »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-550-16

 

INTITULÉ :

MEI (VICKY) WONG c. TRAVAUX PUBLICS ET SERVICES GOUVERNEMENTAUX CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 janvier 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

Le 29 juin 2017

 

COMPARUTIONS :

Charles B. Coutts

 

Pour la demanderesse

 

Nathan Murray

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Coutts Pulver Crawford LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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