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Date : 20170628


Dossier : IMM-3387-16

Référence : 2017 CF 629

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 28 juin 2017

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

A.B., C.D. et E.F.

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’un examen des risques avant renvoi (ERAR) effectué par un agent d’immigration supérieur (l’agent) le 29 juin 2016 au terme duquel il a conclu que les demanderesses ne risquaient pas de faire l’objet de torture, de persécution, de menace de mort ou de peine ou de traitement cruel et inusité si elles étaient renvoyées au Nigéria, leur pays d’origine.

[2]               Comme je l’expliquerai plus en détail ci-dessous, cette demande est rejetée, car les arguments des demanderesses n’ont fait ressortir aucune erreur susceptible de révision dans la décision de l’agent. Sa décision était fondée sur l’insuffisance des éléments de preuve présentés par les demanderesses et non sur des conclusions déguisées sur la crédibilité de la demanderesse principale. Par conséquent, l’agent n’était pas tenu d’accorder, ou d’envisager d’accorder, une audience aux demanderesses, et on ne peut affirmer que sa décision était fondée sur une conclusion défavorable sur la crédibilité qui reposait sur l’absence d’éléments de preuve corroborants.

II.                Contexte

[3]               La demanderesse principale est une citoyenne du Nigéria. Les deux autres demanderesses sont ses filles mineures.

[4]               Lorsqu’elle était mineure, la demanderesse principale a subi une mutilation génitale féminine. Elle affirme avoir contracté le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) en raison des instruments utilisés pendant l’intervention. Elle allègue également qu’après la naissance de ses filles, des membres de la famille de son conjoint de fait l’ont informée qu’ils avaient l’intention d’exciser ses filles et que son conjoint était d’accord avec leur décision. Les demanderesses ont fui le Nigéria pour se réfugier au Canada le 5 avril 2013 et ont demandé le statut de réfugié en invoquant la crainte que le père des filles ou des membres de sa famille mutilent leurs organes génitaux.

[5]               Les demandes d’asile des demanderesses ont été rejetées le 30 décembre 2013 après que la Section de la protection des réfugiés (SPR) a conclu qu’elles n’avaient pas prouvé leur identité. Les demanderesses ont interjeté appel auprès de la Section d’appel des réfugiés (SAR) à laquelle elles ont fourni des pièces d’identité supplémentaires. Comme elles n’ont pas expliqué pourquoi elles n’avaient pas présenté ces éléments de preuve à la SPR, la SAR a refusé d’admettre ces nouveaux éléments de preuve et l’appel a été rejeté au motif que les demanderesses n’avaient pas prouvé leur identité. Une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la SAR a été rejetée par la Cour fédérale le 9 octobre 2014.

[6]               En mars 2015, les demanderesses ont présenté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, en alléguant l’intérêt supérieur des enfants ainsi que la stigmatisation et la discrimination liées au VIH. Cette demande a été rejetée le 19 août 2015. Le 12 décembre 2016, les demanderesses ont présenté leur demande d’ERAR, et le 8 juin 2016, elles ont présenté une deuxième demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Le 26 juillet 2016, la demanderesse principale a reçu la décision défavorable rendue quant à l’ERAR qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire. Au moment de l’audition de la demande de contrôle judiciaire, elle n’avait pas encore reçu de décision quant à sa deuxième demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

III.             Question préliminaire – Anonymisation de la décision

[7]               Avant l’audition de la présente demande, les demanderesses ont déposé une requête pour demander que la Cour rende anonyme sa décision en l’espèce en remplaçant leurs noms par A.B., C.D. et E.F. dans l’intitulé de la cause où elles sont identifiées par leur nom. La demanderesse principale est consciente que la décision renfermera des renseignements sur sa séropositivité et elle ne veut donc pas être identifiée par son nom dans la version publiée. Pour cette même raison, les demanderesses ont également demandé que leurs dates de naissance ne figurent pas dans la décision.

[8]               La requête des demanderesses a été ajournée pour être débattue pendant l’audition de la demande de contrôle judiciaire, et les parties ont accepté que la décision de la Cour à l’égard de la requête soit incluse dans la présente décision sur le bien-fondé de la demande elle-même. Le défendeur ne conteste pas la requête; il estime que les exigences énoncées aux articles 151 et 152 des Règles des Cours fédérales ne s’appliquent pas puisque la requête vise seulement à rendre la décision anonyme et non pas à la rendre confidentielle.

[9]               Je suis convaincu que les décisions invoquées par les demanderesses (E.F. c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 842; S.K. c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 788; A.B. c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 640) appuient le pouvoir de la Cour de rendre anonyme l’intitulé d’une décision qui contient des renseignements très personnels ou des renseignements qui mettraient une partie en danger. L’affidavit déposé à l’appui de la requête par la demanderesse principale établit que sa séropositivité est un renseignement personnel qu’elle ne divulgue pas publiquement. Par conséquent, le jugement figurant à la fin des présents motifs indique que l’intitulé de la cause doit être modifié comme l’ont demandé les demanderesses. Puisque les dates de naissance des demanderesses ne sont pas importantes eu égard aux questions en litige dans la présente demande, la présente décision n’en fait pas mention et il n’y a pas lieu d’accorder d’autre réparation relativement à cet élément de la requête des demanderesses.

IV.             Questions en litige et norme de contrôle

[10]           Les demanderesses soumettent à la Cour les questions suivantes aux fins d’examen :

A.                L’agent a-t-il tiré des conclusions déguisées sur la crédibilité et a-t-il manqué à l’équité procédurale en refusant d’accorder une audience?

B.                 L’agent a-t-il commis une erreur en exigeant des éléments de preuve corroborants?

[11]           À titre préliminaire, la Cour doit également aborder la question de la norme de contrôle.

[12]           Les parties conviennent que la deuxième question en litige doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable. La Cour donne raison aux parties puisque cette question porte sur l’appréciation de la preuve par l’agent (voir Haq c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 370, au paragraphe 15; Nguyen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 59, au paragraphe 4).

[13]           Cependant, les parties ne s’entendent pas sur la norme qui s’applique à la première question en litige. Selon les demanderesses, il s’agit d’une question d’équité procédurale susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Zmari c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 132, aux paragraphes 10 à 13; Khabati c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1147, au paragraphe 14). Le défendeur soutient plutôt que la norme applicable à la décision d’un agent d’ERAR de tenir ou non une audience est celle de la décision raisonnable (Ikeji c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1422, au paragraphe 20 [Ikeji]; Sanchez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 737, au paragraphe 4; Ibrahim c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 837, au paragraphe 6, citant Bicuku c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 339, aux paragraphes 16 à 20; Ponniah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 386, au paragraphe 24; et Mosavat c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 647, aux paragraphes 7 à 10).

[14]           Aucune des parties n’a affirmé qu’il existe un fondement conceptuel sur lequel s’appuyer pour concilier les divergences dans la jurisprudence. Le choix de la norme de contrôle à appliquer semble plutôt dépendre de la façon dont la Cour décrit dans un cas d’espèce la question de savoir si une audience aurait dû être accordée. Si la Cour détermine qu’il s’agit d’une question d’équité procédurale, la norme de la décision correcte doit être appliquée, mais s’il s’agit d’une question d’interprétation de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), la norme de la décision raisonnable doit plutôt être appliquée.

[15]           Je suis d’avis qu’il convient d’appliquer la norme de la décision raisonnable lorsque la question en litige est de savoir si un agent d’ERAR aurait dû accorder une audience, car la décision sur cette question repose sur l’interprétation et l’application de la loi qui s’applique aux agents. L’alinéa 113b) de la LIPR dispose qu’une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires, et l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002/227 (RIPR) indique que les facteurs applicables sont les suivants.

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

 

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

 

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

 

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

[16]           En l’espèce, les arguments portaient sur le premier de ces facteurs, à savoir s’il existe des éléments de preuve qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la demanderesse principale et, plus particulièrement, si le raisonnement de l’agent, qui repose sur l’insuffisance des éléments de preuve, peut être plus justement qualifié de conclusion déguisée sur la crédibilité. Au paragraphe 20 de la décision Ikeji, la juge Strickland a énoncé que la norme de la décision raisonnable s’applique aux questions se rapportant à des conclusions voilées en matière de crédibilité, tout en signalant que bien que la jurisprudence soit divisée quant à la norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’ERAR de tenir ou non une audience, elle conclut que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique. La juge Strickland en est arrivée à cette conclusion parce qu’un agent tient compte des exigences prévues à l’alinéa 113b) de la LIPR et des facteurs énoncés à l’article 167 du RIPR pour rendre une telle décision, ce qui est une question de fait et de droit.

[17]           Je souscris à cette analyse et je considère qu’elle s’applique particulièrement à la présente espèce, où la position des demanderesses sur la question de la tenue d’une audience repose sur l’argument selon lequel l’agent a tiré une conclusion déguisée sur la crédibilité. J’appliquerai donc la norme de la décision raisonnable aux deux questions en litige dans la présente demande. Je tiens cependant à signaler que mes conclusions, que je présenterai plus loin, demeureront inchangées même si la norme de la décision correcte est appliquée à la question de la tenue d’une audience.

V.                Analyse

[18]           Même si j’ai décrit ci-dessus la façon dont les demanderesses ont formulé les questions sur lesquelles la Cour doit se prononcer, je conclus, après avoir entendu les observations orales des parties, que ces questions peuvent se résumer à la question de savoir si l’agent a tiré une conclusion déguisée sur la crédibilité en rendant la décision de rejeter la demande d’ERAR des demanderesses.

[19]           Les demanderesses soutiennent que l’agent a incorrectement formulé des conclusions sur la crédibilité comme s’il s’agissait de conclusions d’insuffisance de la preuve et que l’agent aurait donc dû leur accorder une audience (voir Liban c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1252 [Liban], au paragraphe 14). Elles affirment que leur demande d’audience, appuyée par leurs observations relativement à leur demande d’ERAR, était particulièrement convaincante et soulevait d’autres questions se rapportant à l’équité, car elles n’ont pas bénéficié d’une audience sur leur demande d’asile qui reposait sur leurs allégations de risque (voir Abusaninah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 234 [Abusasinah], au paragraphe 57). Je retiens l’analyse effectuée dans la décision Abusasinah, qui indique que le fait qu’un demandeur n’a pas bénéficié d’une audience sur sa demande d’asile peut avoir une incidence sur le caractère raisonnable de la décision discrétionnaire de tenir ou non une audience relative à la demande d’ERAR. Cependant, comme l’indique la décision Abusasinah, une audience ne peut être tenue que si une question de crédibilité a été soulevée. Dans ce cas, l’alinéa 113b) de la LIPR et l’article 167 du RIPR s’appliquent.

[20]           Les demanderesses soutiennent également que l’agent a commis une erreur seulement parce qu’il n’a pas examiné leur demande d’audience et n’a pas expliqué pourquoi il la rejetait (voir Checkroun c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 984, au paragraphe 72 [Chekroun]; Whudne c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1033). Toutefois, dans la jurisprudence sur laquelle se fondent les demanderesses pour appuyer leur position, la Cour a examiné des décisions relatives à l’ERAR dans lesquelles un agent a tiré des conclusions sur la crédibilité sans tenir une audience. Encore une fois, puisqu’une audience ne peut être tenue que si les facteurs énoncés à l’article 167 du RIPR s’appliquent, je conclus que la question de savoir si l’agent a commis une erreur en n’expliquant pas pourquoi il n’accordait pas d’audience dépend de la réponse à la question de savoir si l’agent a tiré des conclusions sur la crédibilité.

[21]           Enfin, les demanderesses affirment que l’agent a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable sur la crédibilité fondée sur l’absence d’éléments de preuve corroborants. Elles invoquent la décision Ortega Ayala c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 611, aux paragraphes 20 et 21, qui indique qu’un décideur ne peut pas conclure qu’un demandeur manque de crédibilité parce qu’il n’a pas produit d’éléments de preuve corroborants.

[22]           Par conséquent, la question à trancher, après avoir examiné l’ensemble des arguments des demanderesses, est de savoir si la décision de l’agent est fondée sur une conclusion déguisée sur la crédibilité comme l’ont affirmé les demanderesses.

[23]           Les arguments des demanderesses reposent sur les deux derniers paragraphes de l’analyse de l’agent sur le risque de mutilation génitale féminine. Ces paragraphes, où l’identité des demanderesses a été rendue anonyme, se lisent comme suit :

[traduction] Je remarque l’absence de renseignements au sujet de l’ancien conjoint de fait de [A.B.], comme son nom et son lieu de résidence. Je remarque également que [A.B.] affirme qu’elle a été informée qu’on les recherchait, mais qu’aucun renseignement n’a été fourni sur la personne qui a transmis cette information à [A.B.] ou sur la façon dont cette information lui a été transmise (p. ex., par courriel, en personne). De plus, je constate que trois années se sont écoulées depuis l’arrivée des demanderesses au Canada. [A.B.] n’a pas non plus soumis des documents objectivement vérifiables qui établissaient que son ancien conjoint de fait, ou sa famille et les anciens, avait continué de les rechercher après que les demanderesses ont quitté le Nigéria. Ces documents pourraient comprendre des affidavits faits sous serment par des personnes qui connaissent personnellement les demanderesses ou tout autre élément de preuve qui établit que [C.D. et E.F.] sont toujours exposées à un risque de la part de leur famille élargie.

Compte tenu de l’absence de renseignements sur l’intérêt que le père de [C.D. et E.F.] continue de porter à ses filles, et étant donné que la mutilation génitale féminine est illégale au Nigéria, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que la preuve est insuffisante pour démontrer que les demanderesses sont exposées à un risque personnalisé de subir une mutilation génitale féminine au Nigéria.

[Non souligné dans le mémoire des faits et du droit des demanderesses]

[24]           Les demanderesses ont cité de nombreuses décisions (voir Liban, au paragraphe 14; Terenteva c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1431, au paragraphe 45) pour appuyer la proposition selon laquelle la conclusion d’un décideur qui soutient que les éléments de preuve ne sont pas suffisants pour appuyer une affirmation peut en fait constituer une conclusion défavorable sur la crédibilité. Cependant, comme l’a indiqué l’avocate des demanderesses pendant l’audition de la présente demande, la question de savoir si une conclusion quant à l’insuffisance de la preuve constitue en fait une conclusion déguisée sur la crédibilité repose particulièrement sur des faits. En l’espèce, la conclusion de l’agent est présentée comme une conclusion sur l’insuffisance de la preuve et, comme je l’expliquerai ci-après, l’examen de l’analyse de l’agent et du dossier ne me permet pas de conclure qu’il s’agit en fait d’une conclusion sur la crédibilité.

[25]           Les paragraphes de la décision de l’agent qui ont été cités précédemment démontrent que l’agent n’était pas convaincu que le père des demanderesses mineures voulait encore soumettre ses filles à une mutilation génitale féminine, puisque trois années s’étaient écoulées depuis l’arrivée des demanderesses au Canada. Les demanderesses soutiennent que, pour tirer cette conclusion, l’agent ne doit pas avoir prêté foi à la preuve présentée par la demanderesse principale selon laquelle ses filles continuent d’être exposées à ce risque.

[26]           Les demanderesses font également remarquer que les documents sur la situation au pays examinés par l’agent appuient cette conclusion, et que l’agent a effectivement conclu que, même si la mutilation génitale féminine est illégale au Nigéria, il s’agit encore d’une pratique largement répandue en raison des croyances culturelles traditionnelles et que les agents d’exécution de la loi interviennent rarement. L’agent a appuyé en partie la conclusion selon laquelle les éléments de preuve ne suffisaient pas à démontrer un risque personnalisé de mutilation génitale féminine sur le fait que cette pratique est illégale au Nigéria. Les demanderesses soutiennent que ce raisonnement est contradictoire et qu’il renforce leur position selon laquelle l’agent a tiré une conclusion déguisée quant au manque de crédibilité de la demanderesse principale.

[27]           Le problème est que la position des demanderesses repose sur les faits présentés par la demanderesse principale dans les affidavits qu’elle a déposés sous serment à l’appui de la demande d’ERAR et que ces faits ne se rapportent pas au point sur lequel l’agent s’est appuyé pour rendre sa décision, c’est-à-dire l’intérêt que porterait encore l’ancien conjoint de la demanderesse principale à ses filles trois ans après qu’elles ont quitté le Nigéria.

[28]           Dans l’affidavit détaillé le plus récent déposé à l’appui de la demande d’ERAR, la demanderesse principale affirmait que la mutilation génitale féminine est une tradition culturelle au Nigéria, que des membres de la famille de son ancien conjoint l’avaient informée en février 2013 qu’ils avaient l’intention d’exciser ses filles, que son ancien conjoint était d’accord avec les intentions de sa famille parce qu’il est un homme de tradition, et que les demanderesses ont quitté le Nigéria en avril 2013 pour ces raisons. Elle affirmait également que les autorités de l’immigration les avaient placées en détention pendant trois mois après leur arrivée au Canada et qu’elle avait par la suite appelé sa mère, qui lui avait dit que son ancien conjoint s’était rendu chez elle et qu’il les recherchait. Or, aucun de ces éléments de preuve ne concerne la période à laquelle l’agent s’est reporté dans les paragraphes contestés de la décision, soit les trois années après que les demanderesses ont quitté le Nigéria.

[29]           Dans ces paragraphes de la décision, l’agent fait remarquer que la demanderesse principale a affirmé qu’on l’avait informée que les demanderesses étaient recherchées, mais qu’elle n’a fourni aucun renseignement sur la personne qui lui a transmis cette information ou sur la façon dont cette information lui a été transmise. Les demanderesses contestent cette déclaration de l’agent et font référence à la conversation téléphonique entre la demanderesse principale et sa mère dont il est fait mention dans l’affidavit de la demanderesse principale. Cependant, bien qu’elle n’ait pas indiqué dans son affidavit à quel moment cette conversation a eu lieu, comme je l’ai mentionné ci-dessus, la demanderesse principale a précisé qu’elle a eu cette conversation après avoir été libérée au début du mois de juillet 2013, et il ne s’agit pas de la période prise en considération par l’agent.

[30]           L’agent semble plutôt avoir tenu compte de l’affirmation des demanderesses selon laquelle elles étaient encore recherchées. Au début de l’analyse du risque que les demanderesses subissent une mutilation génitale féminine, l’agent fait référence à la déclaration de la demanderesse principale selon laquelle on l’avait informée que les membres de la famille de son ancien conjoint de fait continuaient de les rechercher elle et ses filles et qu’ils [traduction] « affirmaient qu’elle avait déshonoré leur famille et la communauté et que la seule solution serait qu’elle ramène ses filles au pays pour les faire exciser ». Cette citation provient des observations écrites déposées à l’appui de la demande d’ERAR et se trouve dans la rubrique [traduction] « Nouveaux faits après l’audition de la demande d’asile ». L’audience des demanderesses devant la SPR a eu lieu le 10 décembre 2013. Les demanderesses ont donc déclaré dans leur demande d’ERAR que la demanderesse principale avait récemment été informée que ses filles et elle étaient encore recherchées par son ancien conjoint et sa famille. Or, comme l’a fait remarquer l’agent, aucun renseignement n’a été fourni sur la personne qui lui a transmis cette information ou sur la façon dont cette information lui a été transmise.

[31]           En fait, le dossier dont disposait l’agent ne semble contenir aucun élément de preuve, et même aucun élément de preuve provenant de la demanderesse principale, qui appuie cette affirmation tirée des observations écrites. Dans son affidavit, la demanderesse principale affirme qu’elle a peur de ce qui arrivera à ses filles si elles sont obligées de retourner au Nigéria et qu’elle croit que la famille de son ancien conjoint continuera d’insister pour les exciser. Cependant, il s’agit d’un témoignage sur les peurs et les croyances de la demanderesse principale et non d’un témoignage sur les communications ou les renseignements indiquant que ses filles et elle sont encore recherchées.

[32]           Même si l’agent s’est fondé sur la déclaration selon laquelle la demanderesse principale avait été informée que ses filles et elle étaient recherchées et que cette déclaration était liée à la conversation que la demanderesse principale avait eue avec sa mère après avoir été libérée par les autorités de l’immigration, le défendeur souligne que la demanderesse principale n’avait pas eu personnellement connaissance des communications ou de la visite de son ancien conjoint ou des membres de sa famille. Dans les paragraphes de la décision qui sont contestés, l’agent note l’absence de preuve démontrant que d’autres personnes avaient eu personnellement connaissance de ces éléments.

[33]           Par conséquent, la décision de l’agent ou le dossier de la demande d’ERAR ne contient aucun élément qui pourrait m’amener à conclure que l’agent n’a pas cru certains des éléments de preuve présentés par les demanderesses. Comme l’indiquent expressément les motifs invoqués par l’agent, la décision de ce dernier était fondée sur sa conclusion concernant l’absence d’éléments de preuve permettant de conclure qu’il y avait un risque pour l’avenir.

[34]           Puisque j’ai conclu que la décision de l’agent n’était pas fondée sur des conclusions déguisées sur la crédibilité, les arguments avancés par les demanderesses dans la présente demande de contrôle judiciaire ne sont pas recevables et je dois rejeter la demande. Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification, et aucune question n’est mentionnée.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  L’intitulé de la présente demande est modifié comme suit :

A.B., C.D. et E.F.

 

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

2.                  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

3.                  Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3387-16

INTITULÉ :

A.B., C.D. et E.F. c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 février 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Southcott

DATE DES MOTIFS :

Le 28 juin 2017

COMPARUTIONS :

Meagan Johnston

Pour les demanderesses

David Joseph

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

HIV and AIDS Legal Clinic Ontario

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demanderesses

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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