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Date : 20170630

Dossier : IMM-4297-16

Référence : 2017 CF 643

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 juin 2017

En présence de monsieur le juge en chef

ENTRE :

BILAL HAMDAN, HIAM HAZIME DE HAMDAN ET YASMIN HAMDAN HAZIME, FATME HAMDAN HAZIME, AMINA AMNE HAMDAN HAZIME, GHADIR HAMDAN HAZIME, REPRÉSENTÉS PAR LEUR TUTEUR À L’INSTANCE, HIAM HAZIME DE HAMDAN

demandeurs

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Les demandeurs sont quatre enfants d’âge mineur et leurs parents. La demanderesse principale est la mère des enfants, Hiam Hazime de Hamdan. Ils sont tous citoyens du Venezuela et musulmans d’origine arabe. À leur arrivée au Canada, en juillet 2016, ils ont fait une demande d’asile en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

[2]               Leur demande d’asile s’appuyait principalement sur le fait qu’en retournant au Venezuela, ils couraient un risque substantiel de subir une discrimination grave en raison de leur religion musulmane et de leur origine ethnique arabe et d’être victimes de criminels qui les ont déjà visés dans le passé, alors qu’ils vivaient à Juan Griego. Ils ont également déclaré qu’ils courraient le risque d’être victimes de criminels en général, notamment des groupes d’autodéfense et des gangs qui ciblent les minorités religieuses, en particulier les musulmans d’origine arabe.

[3]               La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé leur demande d’asile en affirmant qu’ils avaient une autre possibilité de refuge intérieur (PRI) à Maracaibo, au Venezuela. La SPR a décrit Maracaibo comme étant [traduction] « située de l’autre côté du pays, à des centaines de kilomètres de » Juan Griego.

II.                Questions en litige

[4]               Les demandeurs soulèvent deux questions principales dans le cadre de la présente demande.

[5]               Premièrement, ils affirment que la conclusion de la SPR selon laquelle ils disposent d’une possibilité de refuge intérieur viable à Maracaibo est erronée sur le plan des faits et du droit. Sur le plan des faits, les demandeurs allèguent que la SPR a omis de tenir compte de la discrimination grave à laquelle ils s’attendent à être exposés à Maracaibo. Ils allèguent également que la SPR a omis de considérer un élément de preuve hautement pertinent indiquant qu’il n’y a pas de population musulmane à Maracaibo. En outre, ils soutiennent que la SPR a commis une erreur de droit au moment de traiter le second volet du critère concernant la possibilité de refuge intérieur en mentionnant que la violence criminelle généralisée au Venezuela ne constituait pas un facteur à prendre en compte, même si une [traduction« criminalité de cette nature allait possiblement représenter un grave risque pour les demandeurs à Maracaibo ».

[6]               L’équité de leur audience devant la SPR est la deuxième question principale que soulèvent les demandeurs par rapport à la présente demande. Ils prétendent qu’elle a été compromise en raison de l’aide inefficace qu’ils ont reçue de la part de leur ancien consultant en immigration (le consultant).

[7]               La demande sera rejetée pour les motifs suivants.

III.             Norme de contrôle

[8]               Le traitement des faits par la SPR selon le critère de possibilité de refuge intérieur dans le cas des demandeurs doit être examiné en fonction de la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 51 à 54 [Dunsmuir]). En ce qui concerne la compréhension du critère de possibilité de refuge intérieur en tant que tel, je suis un peu sensible à la position des demandeurs selon laquelle l’interprétation d’un critère juridique finement perfectionné par la jurisprudence par la SPR devrait être révisée selon la norme de la décision correcte (voir Ruszo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004). Toutefois, cette position ne correspond pas aux enseignements de la Cour suprême au cours des dernières années (voir, p. ex., Commission scolaire de Laval c. Syndicat de l’enseignement de la région de Laval, 2016 CSC 8, au paragraphe 34). Cet aspect n’est pas déterminant en l’espèce, car j’ai établi que l’erreur qu’aurait commise la SPR relativement à la compréhension du critère de possibilité de refuge intérieur n’était pas importante.

[9]               La question soulevée par les demandeurs relativement à la compétence du consultant est une question d’équité procédurale susceptible de révision selon la norme de la décision correcte (Dunsmuir, précité, aux paragraphes 79 et 87; et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43).

IV.             Analyse

A.                Critère à deux volets pour une possibilité de refuge intérieur

[10]           Le critère de possibilité de refuge intérieur comporte deux volets.

[11]           Premièrement, dans le contexte de l’article 96 de la LIPR, la SPR doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y a pas de risque sérieux de persécution pour le demandeur dans la région du pays où il existe une possibilité de refuge intérieur (Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589, au paragraphe 593 (FCA) [Thirunavukkarasu]). Selon le critère correspondant dans le contexte de l’article 97, la SPR doit être convaincue que le demandeur ne sera pas exposé à un danger décrit à l’alinéa 97(1)a) ou à un risque décrit à l’alinéa 97(1)b).

[12]           Deuxièmement, aux fins des articles 96 et 97 de la LIPR, la SPR doit établir qu’en toutes les circonstances, y compris les circonstances propres au demandeur, les conditions dans la région du pays où il existe une possibilité de refuge intérieur font en sorte qu’il ne serait pas objectivement déraisonnable pour le demandeur d’y trouver refuge avant de chercher refuge au Canada (Thirunavukkarasu, précité, au paragraphe 597). À cet égard, lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui est déraisonnable, la barre est [traduction] « très haute » et « nécessite rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité du demandeur s’il devait voyager ou se relocaliser temporairement » dans la région où il existe une possibilité de refuge intérieur (Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164, au paragraphe 15 (CAF) [Ranganathan]). Autrement dit, il faudrait démontrer que le demandeur « s’exposerait à un grand danger physique ou […] subirait des épreuves indues pour se rendre » à la possibilité de refuge intérieur (Thirunavukkarasu, précité, au paragraphe 598) pour déterminer objectivement un caractère déraisonnable en l’espèce. En outre, le demandeur doit présenter « une preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions » pour que sa demande d’asile au Canada soit acceptée (Ranganathan, précité, au paragraphe 15).

 

B.                 La SPR a-t-elle fait une évaluation déraisonnable des faits?

[13]           Les demandeurs allèguent que leur demande d’asile reposait sur deux motifs distincts, à savoir i) leur crainte de persécution par des groupes criminels et ii) leur crainte de subir de la discrimination fondée sur leur origine ethnique arabe visible et leur croyance musulmane, en particulier dans le cas de la demanderesse principale, qui porte un hijab. Ils prétendent que la SPR a commis une erreur dans son évaluation du premier volet du critère applicable à l’analyse de la possibilité de refuge intérieur en tenant compte uniquement du premier de ces motifs.

[14]           Toutefois, une lecture objective des formulaires Fondement de la demande des demandeurs et de la transcription de l’audience devant la SPR n’appuie pas l’affirmation selon laquelle leurs demandes étaient fondées sur les deux motifs distincts décrits ci-dessus.

[15]           Les formulaires Fondement de la demande de chacun des demandeurs, qui étaient pratiquement identiques à cet égard, portaient presque entièrement sur leur crainte d’être victimes de violence de la part de criminels qui les ont volés à Juan Griego et de la part « de groupes d’autodéfense et de gangs » en général, qui cibleraient les minorités religieuses et tout particulièrement celles d’origine arabe. Je reconnais que les formulaires Fondements de la demande mentionnaient également que ces gangs [traduction] « accusent les Arabes de terroristes et demandent à ce qu’ils soient déportés dans leurs pays d’origine ». Toutefois, il n’était pas déraisonnable de la part de la SPR d’omettre d’interpréter cet énoncé en particulier des formulaires Fondements de la demande comme fondement d’une demande de protection distincte axée sur la crainte de discrimination ou d’omettre d’approfondir la question.

[16]           Parallèlement, les éléments de preuve présentés par la demanderesse principale pendant l’audience portaient exclusivement sur sa crainte et celle de sa famille d’être victimes de violence contre les personnes visiblement musulmanes ou d’origine ethnique arabe. Dans sa réponse à plusieurs questions de la part de la SPR sur la nature de ses craintes, elle a répondu qu’elle et sa famille étaient « en danger », que les membres de gangs et les criminels allaient vouloir l’« attaquer » si elle portait son voile et qu’elle était effrayée, car elle avait déjà été victime de « plusieurs agressions » après avoir été reconnue comme une Arabe ou une musulmane. Quand on lui a demandé s’il existait d’autres raisons pour lesquelles elle et sa famille ne pourraient pas vivre à Maracaibom, elle a confirmé deux fois qu’elle et sa famille craignaient la violence contre les musulmans. Quand on lui a demandé de nouveau s’il existait d’autres raisons pour lesquelles ils ne pourraient pas vivre à Maracaibo, elle a répondu « non ». Les questions subséquentes du conseiller portaient exclusivement sur le risque de violence auquel étaient confrontés les demandeurs au Venezuela, et la demanderesse principale a confirmé de nouveau qu’elle avait peur, car elle porte « le costume musulman » et « a l’apparence d’une Arabe ».

[17]           Je reconnais qu’à un certain moment pendant ses échanges avec le conseiller, la demanderesse principale a fait la déclaration suivante : [traduction] « Je ne sais pas si vous comprenez la situation, mais il n’y a rien là-bas. Elle a ajouté : [traduction] « quand je fais la file pour acheter quelque chose, ils me disent de sortir et de partir.  Ils me disent que je suis Arabe et de m’en aller ». Toutefois, cette déclaration a été présentée dans le contexte d’un échange concernant sa crainte d’être victime d’attaques au Venezuela. Il n’était pas déraisonnable de la part de la SPR d’avoir omis d’interpréter cette déclaration comme une demande de protection distincte axée sur la crainte de discrimination soutenue ou d’avoir alors omis d’approfondir la question.

[18]           Je reconnais également que la demanderesse principale a subséquemment signalé qu’il y avait aussi de la discrimination à l’école de ses enfants, où les élèves les appellent des « Turcs » et leur disent de « partir ». Toutefois, la question de la discrimination à l’école des enfants a été expressément abordée par la SPR dans sa décision.

[19]           Par conséquent, je conclus qu’il n’était pas déraisonnable de la part de la SPR d’omettre d’approfondir la question du risque de discrimination dont les demandeurs allèguent maintenant qu’ils seront victimes s’ils doivent déménager à Maracaibo dans son traitement du premier volet du critère applicable à l’analyse de la possibilité de refuge intérieur.

[20]           J’examinerai maintenant la déclaration des demandeurs selon laquelle la SPR a omis de tenir compte du fait qu’ils allaient essentiellement être les seuls musulmans arabes à Maracaibo dans son évaluation du deuxième volet du critère applicable à l’analyse de la possibilité de refuge intérieur.

[21]           À mon avis, il s’agit d’un facteur dont la SPR aurait dû tenir compte dans son évaluation du deuxième volet du critère applicable à l’analyse de la possibilité de refuge intérieur. Toutefois, ce facteur a peu d’importance à moins de satisfaire les conditions très élevées de ce volet du critère (Ranganathan, précité, au paragraphe 18). Autrement dit, comme dans le cas de l’absence d’amis ou de membres de la famille dans une région où il existe une possibilité de refuge intérieur, une simple déclaration d’un demandeur selon laquelle il n’y a pas d’autres membres de son groupe religieux dans la région où il existe une possibilité de refuge intérieur ne suffit pas. S’il est objectivement raisonnable que le demandeur vive dans cette région, sans crainte de persécution ou de risque présenté à l’article 97 de la LIPR, il existe alors une possibilité de refuge intérieur et la demanderesse n’a pas le droit d’obtenir l’asile au Canada (Thirunavukkarasu, précité, au paragraphe 598).

[22]           Comme l’ont reconnu les demandeurs, [traduction] « il n’y avait pratiquement pas de documentation au sujet des musulmans dans le Cartable national de documentation de la SPR ». Compte tenu des circonstances et en l’absence d’arguments des demandeurs expliquant en quoi l’absence d’Arabes ou d’autres musulmans à Maracaibo satisfait les conditions très élevées du deuxième volet du critère applicable à l’analyse de la possibilité de refuge intérieur, l’omission de la SPR de discuter explicitement de cette question n’a pas fait en sorte que son évaluation générale de l’existence d’une possibilité de refuge intérieur à Maracaibo était déraisonnable. Si l’absence totale ou quasi totale d’autres musulmans à Maracaibo était véritablement une préoccupation importante pour la demanderesse principale ou les autres membres de sa famille immédiate, on se serait attendu à ce qu’un ou plusieurs d’entre eux soulèvent la question devant la SPR (Ranganathan, précité, aux paragraphes 10 et 11).

C.                  Allégation de mauvaise compréhension de l’analyse de la possibilité de refuge intérieur  de la part de la SPR

[23]           Les demandeurs prétendent que la SPR a commis une erreur de droit en refusant explicitement de tenir compte des risques criminels généralisés qui existent selon eux à Maracaibo. La SPR a adopté cette position après avoir reconnu que [traduction] « les documents sur la situation dans le pays indiquent que le Venezuela affiche un taux élevé de violence criminelle systématique et généralisée et que les crimes de cette nature poseraient un grave risque pour les demandeurs à Maracaibo ». La SPR explique avoir adopté cette position parce que le [traduction] « Canada n’offre pas de protection contre les risques criminels systématiques et généralisés en vertu de l’article 96 ou du paragraphe 97(1) de la LIPR ».

[24]           Je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que les risques criminels généralisés à Maracaibo constituaient un facteur pertinent dont la SPR aurait dû tenir compte, du moins dans le contexte de la demande de protection des demandeurs en vertu de l’article 96 de la LIPR. En ce qui concerne l’article 97, les risques généraux auxquels sont également confrontées les personnes se trouvant dans un pays ou étant originaires d’un pays sont explicitement exclus, conformément au sous-alinéa 97(1)b)(ii). Par conséquent, il serait anormal que de tels risques puissent néanmoins être utilisés comme argument par un demandeur pour faire valoir qu’il serait objectivement déraisonnable de l’enjoindre à déménager dans une région où il existe une possibilité de refuge intérieur au sens du deuxième volet du critère applicable à l’analyse de la possibilité de refuge intérieur. Cette distinction entre les articles 96 et 97 n’est pas déterminante en l’espèce, car les demandeurs ont demandé l’asile en vertu de l’article 96 et de l’article 97.

[25]           Néanmoins, comme dans le cas de l’absence ou de la quasi-absence d’autres musulmans à Maracaibo, il s’agit d’un facteur qui aurait eu relativement peu d’importance à moins que des preuves de criminalité généralisée à Maracaibo qui satisfont les exigences requises pour établir qu’il serait objectivement déraisonnable d’enjoindre les demandeurs à y vivre soient présentées devant la SPR (Ranganathan, précité, au paragraphe 18 et Thirunavukkarasu, précité, au paragraphe 598). Autrement dit, les demandeurs auraient dû présenter des éléments de preuve dans le dossier certifié du tribunal (DCT) ou verbalement pour démontrer qu’ils [traduction] « s’exposeraient à un grand danger physique ou […] subiraient des épreuves indues » s’ils étaient enjoints à vivre à Maracaibo.

[26]           Malheureusement pour les demandeurs, aucun élément de preuve de cette nature n’a été présenté à la SPR concernant le taux de criminalité généralisée à Maracaibo. Je ne vois pas en quoi la phrase de la décision de la SPR citée au paragraphe 23 ci-dessus semble indiquer le contraire. La SPR a simplement mentionné la violence criminelle systématique et généralisée au Venezuela dont il est question dans la documentation sur la situation dans le pays du DCT et a ensuite observé que des crimes de cette nature pourraient poser un risque grave pour les demandeurs à Maracaibo.

[27]           Dans tous les cas, je ne considère pas que le taux de violence criminelle systématique et généralisée au Venezuela décrit dans la documentation sur la situation dans le pays et par la demanderesse principale répond aux conditions « très élevées » du deuxième volet du critère applicable à l’analyse de la possibilité de refuge intérieur, comme il est indiqué dans la jurisprudence précitée.

[28]           Les demandeurs mentionnent que, selon la documentation présentée à la SPR, les taux de meurtres au Venezuela en 2015 étaient estimés à 90 par 100 000 résidents. Toutefois, ce taux correspond à un risque de moins de 0,001 % pour la population générale. À mon avis, même en supposant que ce risque est le même à Maracaibo, il n’est pas suffisant pour exclure une possibilité de refuge intérieur dans le cadre du deuxième volet de l’analyse du critère applicable à la possibilité de refuge intérieur.

[29]           Les demandeurs mentionnent que d’autres renseignements présentés à la SPR indiquent que les [traduction] « enlèvements demeurent une industrie criminelle importante au Venezuela ». Toutefois, aucune statistique n’est fournie et les demandeurs n’ont pas mentionné ce risque une seule fois dans leurs formulaires Fondements de la demande ou les autres renseignements présentés à la SPR, verbalement ou par écrit.

[30]           En résumé, compte tenu des circonstances de l’espèce, je conclus que l’erreur de la SPR d’omettre de tenir compte de la violence criminelle généralisée à Maracaibo n’était pas importante, car aucun renseignement indiquant que le taux de violence criminelle généralisée répondant aux conditions « très élevées » établies dans la jurisprudence précitée dans le contexte du deuxième volet du critère applicable à l’analyse de la possibilité de refuge intérieur n’a été présenté à la SPR.

[31]           Il convient de souligner que les demandes des demandeurs devant la SPR étaient fondées uniquement sur i) les risques allégués de violence contre les personnes visiblement d’origine arabe ou musulmanes; et ii) la discrimination contre leurs enfants à l’école, encore une fois en raison de leur origine arabe ou de leur confession musulmane visible. À cet égard, chacun des demandeurs a déclaré dans le formulaire Fondements de la demande que les [traduction« Vénézuéliens d’origine arabe sont des cibles de choix ». La SPR a évalué ces risques en particulier et a conclu qu’ [traduction] « en fait, il n’y a rien ou presque rien dans les documents sur la situation au Venezuela […] qui indique qu’il y existe un niveau [sic] de violence contre les musulmans tel que les demandeurs courent un risque sérieux d’être victimes du même genre d’attaques contre les musulmans perpétrées par des criminels de Maracaibo ou que la discrimination contre les musulmans est si importante dans les écoles du Venezuela que les demandeurs mineurs courraient un risque sérieux d’en être victimes dans les écoles de Maracaibo ». La SPR a également conclu qu’il [traduction] « n’y a pas de possibilité sérieuse que les criminels qui ont attaqué les demandeurs à Juan Griego les poursuivent jusqu’à Maracaibo ». Compte tenu des éléments de preuve présentés à la SPR, ces conclusions appartenaient pleinement « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

[32]           Il appartenait aux demandeurs de présenter des éléments de preuve clairs et convaincants afin que la SPR puisse conclure, selon la prépondérance des probabilités, que la barre très haute requise pour démontrer qu’il serait objectivement déraisonnable pour eux de vivre à Maracaibo avait été atteinte. En l’espèce, il était raisonnablement loisible à la SPR de conclure que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés de ce fardeau.

D.                Allégation sur l’incompétence de l’ancien conseiller en immigration des demandeurs

[33]           Les demandeurs prétendent que leurs droits à l’équité procédurale ont été violés, car le consultant a omis de :

                                i.            poser à la demanderesse principale des questions pertinentes pour déterminer s’il était objectivement raisonnable pour elle de vivre à Maracaibo;

                              ii.            demander au conjoint de la demanderesse principale de témoigner pour établir qu’une possibilité de refuge intérieur à Maracaibo était objectivement déraisonnable;

                            iii.            tenir compte du critère à deux volets pour l’analyse d’une possibilité de refuge intérieur; ou mentionner tout témoignage ou élément de preuve documentaire;

                            iv.            présenter des arguments expliquant les raisons pour lesquelles la possibilité de refuge intérieur proposée n’était pas viable; et

                              v.            demander la possibilité de présenter des observations après l’audience concernant la question de la possibilité de refuge intérieur à Maracaibo.

[34]           Par ailleurs, les demandeurs mentionnent que les arguments présentés par le consultant qui auraient pu être interprétés comme étant pertinents à la question de la possibilité de refuge intérieur étaient nettement inexacts, en grande partie inintelligibles et partiellement erronés.

[35]           Compte tenu de ce qui précède, les demandeurs soutiennent que le consultant a fait preuve d’incompétence et de négligence. En outre, ils prétendent avoir manifestement subi un préjudice en raison des divers manquements mentionnés ci-dessus.

[36]           Dans l’arrêt R c. G.D.B., 2000 CSC 22, au paragraphe 26 [G.D.B.], la Cour suprême du Canada déclare que, pour qu’un tel appel soit accueilli, « il faut démontrer, dans un premier temps, que les actes ou les omissions de l’avocat relevaient de l’incompétence, et, dans un deuxième temps, qu’une erreur judiciaire en a résulté ». La Cour a ajouté ce qui suit :

27        L’incompétence est appréciée au moyen de la norme du caractère raisonnable. Le point de départ de l’analyse est la forte présomption que la conduite de l’avocat se situe à l’intérieur du large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable. Il incombe à l’appelant de démontrer que les actes ou omissions reprochés à l’avocat ne découlaient pas de l’exercice d’un jugement professionnel raisonnable. La sagesse rétrospective n’a pas sa place dans cette appréciation.

28        Les erreurs judiciaires peuvent prendre plusieurs formes dans ce contexte. Dans certains cas, le travail de l’avocat peut avoir compromis l’équité procédurale, alors que dans d’autres, c’est la fiabilité de l’issue du procès qui peut avoir été compromise.

29        Dans les cas où il est clair qu’aucun préjudice n’a été causé, il n’est généralement pas souhaitable que les cours d’appel s’arrêtent à l’examen du travail de l’avocat. L’objet d’une allégation de représentation non effective n’est pas d’attribuer une note au travail ou à la conduite professionnelle de l’avocat. Ce dernier aspect est laissé à l’appréciation de l’organisme d’autoréglementation de la profession.

[37]           Bien que l’affaire G.D.B. ci-dessus fût criminelle, les principes énoncés ont été appliqués à des questions découlant de l’application de la LIPR (voir, p. ex., Memari c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1196, au paragraphe 34).

[38]           Toutefois, dans les recours exercés en vertu de la LIPR, la prétendue incompétence de l’avocat ne constituera un manquement au principe de justice naturelle seulement dans des circonstances « extraordinaires » (Huynh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1993], 65 FTR 11, au paragraphe 15 [1re inst.]). Quant au volet « appréciation du préjudice », la Cour doit être convaincue qu’une erreur judiciaire en a résulté. Conformément à la nature extraordinaire de l’appel, la question de l’examen du travail doit être exceptionnelle et la question de l’erreur judiciaire doit prendre la forme d’un manquement à l’équité procédurale, la fiabilité de l’issue du procès ayant été compromise, ou toute autre forme évidente.

[39]           À mon avis, le critère de l’incompétence en ce qui a trait à l’examen du travail n’a pas été satisfait compte tenu des circonstances de l’espèce. En résumé, bien qu’il soit évident que le travail du consultant était loin d’être à la hauteur des attentes que les demandeurs ou quiconque dans sa position auraient raisonnablement entretenues, il n’a pas répondu au critère rigoureux pour établir l’incompétence.

[40]           Vers la fin de la courte audience devant la SPR, le consultant a posé plusieurs questions à la demanderesse principale. Ces questions ont permis à la demanderesse principale de confirmer qu’elle craignait d’être victime des voleurs qui les avaient attaqués, elle et son mari, à Juan Griego et qu’elle croyait qu’ils allaient tuer ses filles si la famille retournait au Venezuela. Les questions ont également permis à la demanderesse principale d’expliquer qu’elle craignait d’être attaquée parce qu’elle porte « le costume musulman » et a l’apparence d’une Arabe.

[41]           Le consultant a également abordé la façon dont la plainte de la demanderesse principale a été traitée par la police et la question de savoir si elle croyait que la police ou les autorités vénézuéliennes allaient lui fournir une protection si elle retournait au Venezuela.

[42]           En outre, le consultant a abordé la question générale à savoir si la demanderesse principale croyait que le Venezuela est un endroit sûr pour elle et ses enfants ainsi que la question de la discrimination dont ses enfants ont été victimes à l’école.

[43]           Quand on l’a invité à traiter en particulier de la question d’une possibilité de refuge intérieur à Maracaibo, le consultant a déclaré que le Venezuela fait partie des pays les plus dangereux du monde et qu’il y a de la discrimination partout, « principalement contre les musulmans ». Je conclus que la SPR a compris que cela signifiait « principalement de la part d’antimusulmans ». Le consultant a ensuite déclaré que ces observations étaient corroborées par le dossier présenté à la SPR. Il a ajouté que  [traduction] « le gouvernement n’est pas présent pour protéger ses citoyens » [sic]. Dans sa conclusion, il a répété : [traduction] « il est très dangereux pour ma cliente et ses enfants de retourner au Venezuela ».

[44]           Je conclus que, malgré les lacunes relevées par les demandeurs, le consultant a effectivement traité les principaux aspects de leur demande d’asile et les raisons pour lesquelles ils craignaient de retourner au Venezuela. Dans sa réponse à la demande de soumissions de la SPR sur la question d’une possibilité de refuge intérieur à Maracaibo, il a explicitement déclaré que le pays en général est très dangereux et qu’il y a de la discrimination partout, en particulier contre les musulmans, selon ce qu’aurait compris la SPR.

[45]           Compte tenu de ma conclusion ci-dessous, il n’est pas nécessaire de remédier au volet « appréciation du préjudice » du critère. Toutefois, je répéterai simplement que rien n’indiquait dans la documentation sur la situation dans le pays ou ailleurs dans le dossier présenté à la SPR que le consultant aurait pu démonter qu’il serait objectivement déraisonnable pour les demandeurs de vivre à Maracaibo s’il avait fait un meilleur travail. Cela dit, je reconnais que les demandeurs sont d’avis que le consultant aurait dû présenter des éléments de preuve supplémentaires, notamment par l’intermédiaire de la demanderesse principale et de son conjoint.

V.                Conclusion

[46]           Pour les motifs énoncés ci-dessous, la demande est rejetée.

Comme l’ont reconnu le conseiller des demandeurs et le ministre, une question grave de portée générale ne se pose pas en l’espèce. À mon avis, l’issue de cette demande repose largement sur l’application des lois bien établies en ce qui concerne les questions de fait en cause.


JUGEMENT

IMM-4297-16

LA COUR rejette la présente demande.

« Paul S. Crampton »

Juge en chef


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

IMM-4297-16

 

INTITULÉ :

BILAL HAMDAN, HIAM HAZIME DE HAMDAN ET YASMIN HAMDAN HAZIME, FATME HAMDAN HAZIME, AMINA AMNE HAMDAN HAZIME, GHADIR HAMDAN HAZIME, REPRÉSENTÉS PAR LEUR TUTEUR À L’INSTANCE, HIAM HAZIME DE HAMDAN C. LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 juin 2017

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE EN CHEF CRAMPTON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 30 juin 2017

COMPARUTIONS :

Katherine Ramsey

POUR LES DEMANDEURS

 

Nicole Paduraru

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Katherine Ramsey

POUR LES DEMANDEURS

 

Sous-procureur général

Ministère de la Justice

Bureau régional de l’Ontario

130, rue King Ouest

Bureau 3400, C.P. 36

Toronto (Ontario)  M5X 1K6

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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