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Date : 20170621


Dossier : IMM-5109-16

Référence : 2017 CF 611

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 juin 2017

En présence de monsieur le juge Harrington

ENTRE :

LINDA ERUNWON GARRICK

demanderesse

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Si Mme Garrick est, comme elle le dit, bisexuelle et que la police nigériane le sait, elle risquerait fort d’être persécutée si elle devait retourner au Nigéria, car l’homosexualité est un crime dans ce pays. Toutefois, le commissaire de la Section de la protection des réfugiés qui a entendu son affaire ne l’a pas crue; il n’a pas cru qu’elle était bisexuelle ni qu’elle craignait vraiment de retourner au Nigéria. Selon lui, la demanderesse aurait inventé cette histoire pour obtenir un statut de réfugié au Canada. Cette décision fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

[2]               En 1995, Mme Garrick, qui était alors âgée de 13 ans, a commencé à prendre conscience qu’elle aimait les filles. Pendant plusieurs années, elle a eu des relations hétérosexuelles et homosexuelles.

[3]               Elle a commencé à fréquenter un groupe appelé les « Sunshine Sisters », formé de lesbiennes « dans le placard ». Elle a obtenu un visa et les a accompagnées lors d’un voyage aux États-Unis d’octobre 2014 à avril 2015.

[4]               Pendant son séjour aux États-Unis, elle a rencontré une femme prénommée Queen, une citoyenne canadienne qui rendait visite à de la famille. Elles étaient attirées l’une par l’autre, mais le visa de Mme Garrick arrivait à échéance et elle devait rentrer au Nigéria.

[5]               Elles ont entretenu une relation à distance, par téléphone. Queen encourageait Mme Garrick à lui rendre visite. Cette dernière n’avait pas de visa canadien, mais elle a pu se rendre de nouveau aux États-Unis. Queen a payé son déplacement et elles ont passé quelque temps ensemble.

[6]               En mai 2016, alors qu’elle était toujours aux États-Unis, Mme Garrick a reçu un appel d’une ancienne compagne nigériane, Maureen, qui l’informait qu’une autre ancienne compagne nigériane, Adesuwa, avait été arrêtée lors d’une relation homosexuelle et qu’elle avait été forcée de donner le nom de ses anciennes partenaires.

[7]               Queen l’a alors encouragée à venir au Canada. Mme Garrick s’est présentée à la frontière où elle a fait une demande d’asile. Cependant, il semble que Queen ait mis fin à leur relation et qu’elle soit maintenant mariée.

[8]               Mme Garrick pouvait demander l’asile au Canada en vertu d’une exception à l’Entente entre le Canada et les États-Unis sur les tiers pays sûrs parce que des membres de sa famille habitent au Canada (alinéa 101(1)e) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) et de l’article 159.5 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR)).

[9]               Cela étant dit, comme elle était arrivée au Canada en passant par les États-Unis, elle n’a pas le droit d’interjeter appel devant la Section d’appel des réfugiés (paragraphe 102(1) et alinéa 110(2)d), ainsi que les articles 159.1 et 159.3 du RIPR). Son seul recours était donc de présenter une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, en application du paragraphe 72(1) de la LIPR.

I.                   Analyse

[10]           La question en litige n’est pas d’établir si Mme Garrick est bisexuelle. Il s’agit plutôt d’établir s’il était raisonnable pour le commissaire de décider qu’elle ne l’était pas et, dans tous les cas, s’il était raisonnable de croire qu’elle n’avait pas vraiment peur de retourner au Nigéria. Pour ce faire, je m’appuierai sur la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190).

[11]           Concernant l’orientation sexuelle de Mme Garrick, le commissaire commence son analyse avec Queen. Cette dernière n’a pas été appelée à témoigner, même si elle habitait apparemment à Brampton, en Ontario. Aucun élément preuve n’a été présenté pour étayer le fait qu’elle aurait payé le déplacement de Mme Garrick aux États-Unis.

[12]           Il était loisible au commissaire de conclure qu’il n’avait jamais rien eu entre Mme Garrick et Queen, voire même que cette dernière n’avait jamais existé.

[13]           S’il a été établi que Mme Garrick n’était pas crédible, il aurait aussi pu être établie n’avait pas satisfait au critère du fardeau de la preuve, selon la prépondérance des probabilités (F. H. c. McDougall, 2008 CSC 53, [2008] 3 RCS 41; voir également Parshottam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CAF 355 ou Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Zeng, 2010 CAF 118).

[14]           La mère, le frère et la sœur de Mme Garrick ont remis des lettres de soutien. Aucun poids n’a été accordé à ces lettres au motif qu’elles étaient intéressées. Il s’agit là d’une qualification erronée, mais le fait est qu’elles n’ajoutaient rien à l’histoire, la famille de Mme Garrick ignorant quelle était l’orientation sexuelle de cette dernière jusqu’à tout récemment. Un élément de preuve provenant d’un membre de la famille ne peut être écarté d’emblée pour la seule raison qu’il est peut-être intéressé. Un demandeur d’asile doit en effet pouvoir exposer son cas (voir Islam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1246, au paragraphe 25 et les autres affaires citées).

[15]           Dans le même ordre d’idées, les lettres d’organismes liés à la communauté LGBTA ne suffisent pas à définir l’orientation sexuelle de la demanderesse.

[16]           Toutefois, c’est le zèle dont faire preuve le commissaire dans son analyse des événements qui rend sa décision déraisonnable.

[17]           Un demandeur d’asile est réputé dire la vérité (Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CAF); voir également Kisana c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 29). Le commissaire connaissait l’affaire Maldonado, puisqu’il l’a citée dans sa décision. Il faut expliquer pourquoi l’on ne croit pas un demandeur (Punniamoorthy c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’Immigration), (1994) 113 DLR (4e) 663, aux paragraphes 10 et 17 (CAF)). En l’espèce, les raisons données sont tout simplement inacceptables (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708).

[18]           On dit que Maureen était une collègue de classe, mais aucun élément de preuve montrant qu’elle et Mme Garrick avaient fréquenté la même école n’a été produit. Comment Mme Garrick pouvait-elle prouver qu’elles étaient allées à la même école autrement qu’en produisant une lettre de Maureen? Aurait-elle dû prévoir la demande et demander à Maureen d’obtenir ses dossiers scolaires? Si la situation au Nigéria est la même qu’ici, Mme Garrick n’aurait assurément pas pu obtenir un tel document elle-même. Une photocopie de la carte d’identité de Maureen a été produite. On a reproché à Mme Garrick de ne pas avoir fait authentifier le document par un tiers fiable et indépendant. De plus, le document original n’a pas été produit lors de l’audience. Le commissaire n’était donc pas convaincu que la pièce d’identité était authentique et qu’elle représentait véritablement Maureen.

[19]           À ce sujet, tout ce que je dirai c’est que personne ayant toute sa tête ne donnerait l’original de sa carte d’identité. S’il est possible que la copie soit fausse, un document censé avoir été délivré par une autorité étrangère est présumé valide (voir Masongo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 39, au paragraphe 12 et autres affaires citées). Il ne suffit pas de dire, comme l’a fait le commissaire, qu’il est facile de se procurer des documents contrefaits au Nigéria. C’est peut-être le cas, mais cela ne prouve en rien que le document en l’espèce était lui-même un faux (Cheema c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 224, au paragraphe 7).

[20]           Concernant Adesuwa, une photographie a été produite. Le commissaire a indiqué que la demanderesse et une autre femme figuraient sur la photo, mais que cette dernière n’était pas datée, et qu’Adesuwa n’avait été identifiée par un notaire public. Rien n’indiquait par ailleurs que la photo avait été prise au Nigéria. Or, si Mme Garrick a menti lors de son audience, elle pouvait tout aussi bien mentir devant un notaire public.

[21]           Je ne peux que conclure que le commissaire était d’avis que Mme Garrick devait exposer son cas au-delà du doute raisonnable. Il s’agit d’une erreur de droit. Ce n’est pas là le fardeau dont elle devait s’acquitter. Il n’y a tout simplement aucun moyen de savoir qu’elle aurait été l’issue de l’audience si le fardeau de la preuve avait été correctement appliqué. Par conséquent, la décision est déraisonnable et doit être annulée.


JUGEMENT dans l’affaire IMM-5109-16

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire pour les présents motifs. La question est portée devant un autre commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada pour une nouvelle détermination. La Cour d’appel n’a aucune question à certifier.

« Sean Harrington »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5109-16

INTITULÉ :

LINDA ERUNWON GARRICK c. LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 juin 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :

Le 21 juin 2017

COMPARUTIONS :

Ashley Fisch

Pour la demanderesse

Marcia Pritzker Schmitt

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kaminker & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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