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Date : 20170511


Dossier : T-381-14

Référence : 2017 CF 416

Ottawa (Ontario), le 11 mai 2017

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

CONTREVENANT NO. 10

Appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Intimé

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS

(Jugement et Motifs confidentiels émis le 27 avril 2017)

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Je suis saisie d’un appel logé en vertu de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, LC 2000, c 17 [la Loi], par lequel le Contrevenant no. 10 demande de modifier, infirmer ou annuler une décision rendue le 10 janvier 2014 par la sous-directrice du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada [CANAFE]. Cette dernière a conclu que l’appelant avait commis trois violations à la Loi et lui a imposé une pénalité administrative totale de |||||||||||||| $.

[2]               Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que les conclusions de la sous-directrice relatives à la perpétration des violations sont raisonnables et qu’elles ne devraient pas être annulées. Cependant, le processus décisionnel ayant mené à l’imposition des pénalités administratives manque de justification, de transparence et d’intelligibilité, de sorte que les pénalités imposées sont déraisonnables et devraient faire l’objet d’une nouvelle évaluation par le CANAFE.

II.                Faits

A.                Le cadre procédural

[3]               Le CANAFE a été constitué en vertu de l’article 41 de la Loi et a pour objectif de faciliter la détection et la prévention du recyclage des produits de la criminalité et du financement des activités terroristes. À cette fin, le CANAFE recueille et analyse des renseignements concernant les entités énumérées dans la Loi et qui effectuent des opérations de nature financière. La Loi leur impose certaines obligations et le CANAFE est chargé de veiller à ce qu’elles s’y conforment.

[4]               Ces entités déclarantes, parmi lesquelles figure l’appelant, sont énumérées à l’article 5 de la Loi. Elles doivent mettre en place certains mécanismes et programmes pour la tenue et la conservation de documents, la vérification d’identités et la déclaration d’opérations douteuses (Partie I de la Loi). L’article 62 prévoit que le CANAFE peut procéder à des contrôles d’application de la Loi et examiner les documents et activités des entités visées.

[5]               En vertu du paragraphe 73.13(2) de la Loi, le CANAFE peut, s’il a des motifs raisonnables de croire qu’une violation a été commise, dresser un procès-verbal dans lequel sont présentés les faits reprochés à l’entité et la pénalité que le CANAFE entend lui imposer. L’entité examinée peut ensuite présenter des observations au directeur à l’égard des faits allégués et pénalités projetées.

[6]               Si des observations sont présentées, le directeur du CANAFE détermine, selon la prépondérance des probabilités, s’il y a eu violation à la Loi. Le cas échéant, il détermine s’il y a lieu d’imposer une pénalité et il en fixe le montant.

B.                 Le contexte factuel

[7]               Le contrevenant no. 10 est |||||||||||||||| au sens des règlements et de |||||||||||||||||||| de la Loi.

[8]               Dans une lettre du 15 mars 2012, le CANAFE l’informe que ses établissements feront l’objet d’un examen de conformité dans le but de vérifier si le programme en place respecte les exigences législatives en matière de déclaration, de tenue de documents et de vérification de l’identité des clients.

[9]               La lettre précise que l’examen aura lieu dans les |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| de l’appelant entre le 1er et 11 mai 2012, et qu’il portera sur la période allant du 1er juillet au 31 décembre 2011.

[10]           Suite à l’examen, le CANAFE procède à une entrevue de clôture, durant laquelle les lacunes identifiées au cours de l’examen sont expliquées à l’appelant et celui-ci a l’occasion de poser des questions et d’exprimer ses commentaires.

[11]           Les résultats de l’examen sont communiqués à l’appelant par lettre du 16 novembre 2012. On y identifie quatre lacunes.

[12]           En janvier 2013, l’appelant écrit au CANAFE dans le but de solliciter de l’information supplémentaire et des clarifications à l’égard de deux des quatre lacunes identifiées dans la lettre de résultats de l’examen. Le CANAFE lui fournit les clarifications demandées.

[13]           En février 2013, l’appelant soumet au CANAFE ses représentations à l’égard des quatre lacunes identifiées, accompagnées de documents justificatifs et d’un plan d’action relatif à chacune des lacunes. Cet envoi contient 59 pages.

[14]           Le 12 septembre 2013, le CANAFE émet un procès-verbal identifiant trois violations, la première des quatre lacunes n’ayant pas donné lieu à un constat de violation. Le procès-verbal propose également des pénalités administratives totales de |||||||||||||| $. On accorde à l’appelant un délai de 30 jours pour présenter de nouvelles observations à l’égard des trois violations identifiées.

[15]           L’appelant écrit au CANAFE et soumet que le niveau de détails fournis à ce jour n’est pas suffisant pour lui permettre de « comprendre le fondement de la décision ». Il lui demande d’obtenir des documents additionnels ainsi qu’une prolongation de délai pour présenter ses observations au directeur.

[16]           Le CANAFE refuse, en totalité, la demande de l’appelant et lui rappelle qu’il a été informé à maintes reprises des lacunes identifiées et qu’il a en sa possession tous les renseignements nécessaires pour présenter, dans le délai imparti, ses observations à l’égard des violations identifiées et des pénalités proposées.

[17]           L’appelant soumet donc ses observations écrites et de nombreux documents additionnels à la sous-directrice du CANAFE. C’est la décision qui s’ensuit qui fait l’objet du présent appel.

III.             Décision sous étude

[18]           Après avoir examiné l’ensemble du dossier et des observations de l’appelant, la sous-directrice conclut, selon la balance des probabilités, que l’appelant a commis les violations décrites au procès-verbal. En conséquence, elle lui impose les pénalités administratives totales de |||||||||||||| $. Les trois violations sont :

-          Le défaut d’établir le mécanisme d’examen règlementaire et de conserver les documents à l’appui, en contravention du paragraphe 9.6(1) de la Loi et l’alinéa 71(1)e) du Règlement sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, DORS/2002-184 [le Règlement] (violation n° 1);

-          Le défaut de déclarer une opération douteuse, en contravention de l’article 7 de la Loi (violation n° 2);

-          Le défaut d’avoir déclaré, de la manière prescrite, des opérations relatives à ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||, en contravention des paragraphes 9(1) de la Loi |||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||| (violation n° 3).

IV.             Questions en litige et norme de contrôle

[19]           Je suis d’avis que le présent appel soulève trois questions que je formulerai ainsi :

A.                La décision de la sous-directrice a-t-elle été prise en violation des principes d’équité procédurale?

B.                 La sous-directrice a-t-elle erré en concluant que l’appelant a commis trois violations à la Loi, compte tenu de la défense de diligence raisonnable ou de prise de précautions plaidée par l’appelant?

C.                 La sous-directrice a-t-elle erré en imposant les pénalités administratives totales de |||||||| $?

[20]           La norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79).

[21]           La norme de contrôle applicable à une décision prise par la sous-directrice en application de la Loi est celle de la décision raisonnable. Un appel logé à l’encontre d’une décision du CANAFE est d’ailleurs traité par cette Cour comme une demande de contrôle judiciaire d’une telle décision (Homelife/Experience Realty Inc c Canada (Finances), 2014 CF 657 au para 31; Max Realty Solutions Ltd c Canada (Procureur général), 2014 CF 656 au para 31 [Max Realty 2014]; Max Realty Solutions c Canada (Centre d’analyse des opérations et déclarations financières), 2016 CF 620 au para 4; Kabul Farms Inc c Canada, 2015 CF 628 au para 28, conf par Canada v Kabul Farms Inc, 2016 FCA 143 au para 7 [Kabul Farms FCA]).

[22]           Lorsque la norme de la décision raisonnable s’applique, le rôle de cette Cour est de déterminer si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47). Si le processus suivi cadre bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, cette Cour ne pourra substituer aux conclusions de la sous-directrice, les conclusions qui seraient à son avis préférables (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59; Max Realty 2014, ci-dessus au para 32).

V.                Analyse

A.                La décision de la sous-directrice a-t-elle été prise en violation des principes d’équité procédurale?

[23]           L’appelant soumet que le processus décisionnel suivi en l’espèce est défaillant et inadéquat puisque la sous-directrice n’avait pas l’indépendance requise et qu’il n’a pas bénéficié d’une divulgation complète de la preuve.

[24]           L’appelant soumet que puisque le régime concerne la perpétration d’infractions criminelles graves (le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes), la publicité entourant l’émission d’un constat de violation à l’encontre d’entités non impliquées dans de telles activités criminelles risque d’entacher indument leur réputation. Cela requiert, selon l’appelant, un degré élevé d’équité procédurale et une norme rigoureuse de communication de la preuve. L’appelant n’aurait pas bénéficié d’une divulgation complète des informations utilisées par la sous-directrice et il n’aurait donc pas eu l’occasion de comprendre le fondement des lacunes, violations et pénalités.

[25]           Il ajoute qu’en l’espèce, la sous-directrice n’a pas personnellement examiné le dossier de l’appelant, mais qu’elle a plutôt adopté aveuglément la recommandation de l’agente principale, révisions et appels, Mme Julie Éthier.

[26]           Avec égard, je ne partage pas l’avis de l’appelant.

[27]           La nature et la portée de l’obligation d’agir équitablement varient en fonction des circonstances de chaque affaire, du régime législatif applicable, de la nature des intérêts en cause et des questions à trancher (2747-3174 Québec Inc c Québec (Régie des permis d’alcool), [1996] 3 RCS 919 au para 22). Certains facteurs entrent en ligne de compte dans la détermination des exigences d’équité procédurale, dont : 1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir; 2) la nature du régime législatif et les termes de la loi en vertu duquel l’organisme en question agit; 3) l’importance de la décision pour les personnes visées; 4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; et 5) le respect des choix de procédure que l’organisme administratif a lui-même faits, particulièrement lorsque la loi lui en confie le soin (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux para 21-28).

[28]           Dans le cas qui nous occupe, la Loi fait une nette distinction entre les infractions de nature pénale et les violations administratives, lesquelles s’excluent mutuellement (art 73.12 de la Loi). Il est prévu au paragraphe 72.23(1) de la Loi que « les violations ne sont pas des infractions ». De ce fait, la procédure en violation est administrative et non pénale. Je suis d’avis qu’à l’égard de cette seconde catégorie, les garanties procédurales qui s’imposent sont moindres puisque la décision n’implique pas que l’appelant aurait commis ou encore facilité la perpétration d’une infraction pénale ou criminelle. En ce sens, les faits allégués ne sont pas susceptibles d’avoir les répercussions que prétend l’appelant sur sa réputation.

[29]           De plus, le processus suivi s’apparente à un processus réglementaire administratif plutôt qu’à un processus judiciaire et la Loi prévoit un appel devant cette Cour. Même si cet appel s’apparente davantage à une demande de contrôle judiciaire, il s’agit néanmoins de facteurs qui militent en faveur d’une obligation d’équité procédurale de moindre ampleur.

[30]           Par ailleurs, les conséquences économiques sur une personne morale, qui résultent de la décision d’un organisme de réglementation, n’ont pas le même impact que peut avoir une décision sur la réputation d’un particulier. En ce sens, « les personnes morales n’ont pas droit au même degré d’équité procédurale que les particuliers » (Banque Internationale de Commerce Mega (Canada) c Canada (Procureur général), 2012 CF 407 au para 35).

[31]           Cependant, puisque la Loi impose une pénalité maximale relativement importante, je qualifierais l’obligation d’équité procédurale de moyenne dans les circonstances (Kabul Farms FCA).

[32]           Je ne suis pas d’avis que l’appelant ait réussi à démontrer que la sous-directrice aurait manqué d’indépendance dans le processus d’examen de son dossier.

[33]           Il est bien reconnu en droit administratif qu’un décideur peut confier certaines tâches à ses subalternes, en autant qu’il se réserve la faculté de décider du sort de l’administré.

[34]           L’appelant invoque le fait que l’analyse et les recommandations de Mme Éthier constituent l’essentiel des motifs de la décision de la sous-directrice et que cette dernière n’a même pas jugé bon de cocher qu’elle acceptait les recommandations, à l’endroit réservé à cette fin, avant de signer le rapport. Cela démontre, selon l’appelant, un manque d’indépendance.

[35]           Je ne crois pas que ce fait, à lui seul, démontre que la sous-directrice n’aurait pas fait un examen indépendant du dossier afin de déterminer de la responsabilité de l’appelant. Dans sa décision, la sous-directrice précise ce qui suit :

J’ai examiné soigneusement le dossier à la lumière des observations que vous avez présentées et j’estime selon la prépondérance des probabilités que [le contrevenant no. 10] a commis les violations décrites au procès-verbal.

[36]           Et elle précise pourquoi elle retient les recommandations qu’on lui a soumises. Il n’y a rien qui me permette de conclure qu’elle ne s’est pas penchée personnellement sur le dossier de l’appelant ou que les conclusions retenues ne seraient pas les siennes.

[37]           Je suis d’avis que la simple délégation de tâches, telles la préparation d’un résumé de la preuve recueillie, l’évaluation des faits pertinents, et la formulation d’une recommandation, n’est pas suffisante pour démontrer un manque d’indépendance.

[38]           Quant à la divulgation de la preuve, je suis d’avis qu’elle était également suffisante.

[39]           L’appelant soumet qu’à l’égard de la violation n° 2, le CANAFE a fait défaut de divulguer l’ensemble des faits sur lesquels la sous-directrice s’est basée pour rendre sa décision. On ne lui aurait pas fourni les détails de l’opération douteuse |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||, ce qui l’aurait empêché de se défendre adéquatement.

[40]           D’abord, lors de l’entrevue de clôture d’examen, les lacunes alors identifiées ont été expliquées à l’appelant qui a pu clarifier certains points, poser des questions et formuler ses commentaires. À cette occasion, la violation n° 2 est discutée et |||||||||||||||||||||||||| est identifié comme étant le sujet de la déclaration d’opération douteuse manquante. Les faits reprochés à l’appelant sont étayés et l’on indique que l’appelant est « au courant qu’un client est soupçonné de participer à des activités illicites », |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||. Le CANAFE énumère les sources sur lesquelles il s’appuie, soit la couverture médiatique associant le client à une enquête de la Gendarmerie royale du Canada et |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| indiquant qu’il a coopéré avec les forces policières dans le cadre d’une enquête portant sur ce client.

[41]           À la suite de l’entrevue de clôture, l’appelant a reçu une lettre datée du 16 novembre 2012 étayant les résultats de l’examen. Dans cette lettre, les faits à l’appui de la violation n° 2 sont à nouveau divulgués.

[42]           Le 7 janvier 2013, l’appelant a sollicité de l’information supplémentaire et des clarifications à l’égard des lacunes identifiées dans la lettre des résultats de l’examen. À cette lettre, le CANAFE a répondu en expliquant les faits sur lesquels ses conclusions sont basées.

[43]           L’appelant a ensuite fourni sa réponse écrite au CANAFE, laquelle contient ses représentations adressant les quatre lacunes, ainsi qu’une importante documentation et des plans d’action pour chaque lacune. À la lecture de la réponse de l’appelant, il est clair qu’il a eu l’occasion de fournir une réponse pleine et entière relativement aux lacunes identifiées par le CANAFE.

[44]           Pour ce qui est de la violation n° 2 et de l’opération douteuse concernant le client identifié par le CANAFE, l’appelant a eu l’occasion de présenter des arguments à l’encontre de la preuve recueillie, ce qu’il a fait.

[45]           Je ne vois donc pas comment un processus qui a offert à l’appelant plusieurs opportunités d’être informé des allégations soulevées contre lui, de poser des questions à leur égard et de faire des représentations, aurait pu violer son droit à l’équité procédurale. Je suis donc d’avis que la divulgation était suffisante en l’espèce.

B.                 La sous-directrice a-t-elle erré en concluant que l’appelant a commis trois violations à la Loi, compte tenu de la défense de diligence raisonnable ou de prise de précautions plaidée par l’appelant?

[46]           L’appelant soumet qu’il a fait preuve d’une diligence raisonnable dans l’exécution de ses obligations de déclaration, de tenue de dossiers, |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| et d’évaluation et d’atténuation des risques. Il allègue donc que les conclusions de la sous-directrice concernant l’inobservation de la Loi et du Règlement sont non fondées et déraisonnables.

[47]           En ce qui concerne la violation n° 1, l’appelant soumet qu’un programme de conformité était en place et que malgré que certains aspects du processus n’étaient pas entièrement documentés, l’appelant a formulé un plan d’action, a posteriori, afin d’assurer la documentation de tous les mécanismes d’examen et de révision futurs.

[48]           Pour ce qui est de la violation n° 2, l’appelant soutient que la responsabilité de déclarer les opérations douteuses était confiée à |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||.

[49]           Finalement, en ce qui a trait à la violation n° 3, l’appelant soumet qu’il a mis en place des mesures conçues spécifiquement pour s’assurer |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||, le tout doublé d’un mécanisme de surveillance et de vérifications.

[50]           L’appelant plaide donc qu’il a été diligent dans ses efforts de se conformer aux obligations que lui impose la Loi. Dans ce contexte, les conclusions de la sous-directrice ne sont pas raisonnables et sa décision devrait être annulée.

[51]           À l’instar de l’intimé, je ne crois pas que l’appelant ait démontré qu’il a pris toutes les précautions voulues pour s’assurer du respect des exigences de la Loi.

[52]           Dans R c Sault Ste Marie, [1978] 2 RCS 1299 à la page 1326, la Cour suprême du Canada formule ainsi la défense de diligence raisonnable :

La défense sera recevable si l’accusé croyait pour des motifs raisonnables à un état de faits inexistant qui, s’il avait existé, aurait rendu l’acte ou l’omission innocent, ou si l’accusé a pris toutes les précautions raisonnables pour éviter l’évènement en question.

[53]           Le fardeau d’établir ce moyen de défense est lourd et il repose sur les épaules de la partie qui l’invoque. La partie « doit établir qu’elle a pris toutes les mesures raisonnables pour s’assurer de l’exactitude de ses déclarations. C’est un fardeau difficile à rencontrer » (Cata International Inc c Canada (Ministre du Revenu national), 2004 CF 663 au para 22).

[54]           Dans Bureau du surintendant des faillites c MacLeod, 2011 CAF 4, la Cour d’appel fédérale élabore sur la teneur de cette défense et sur les critères qui s’appliquaient à l’appelant :

L’appelant devait établir que toutes les précautions raisonnables ont été prises pour éviter de commettre les violations précises qui lui sont reprochées (MacLeod, ci-dessus au para 37);

La preuve de diligence raisonnable devait être faite de façon spécifique pour chacune des trois violations en cause plutôt que de porter sur la conduite d’ensemble de l’appelant (MacLeod, ci-dessus au para 33);

Le fait que les violations reprochées portaient sur un faible pourcentage du total des activités de l’appelant n’est pas pertinent (MacLeod, ci-dessus au para 31);

Les erreurs de bonne foi et l’absence de faute intentionnelle n’équivalent pas à de la diligence raisonnable (MacLeod, ci-dessus au para 34);

Le fait que les violations résultent d’erreurs administratives commises par certains employés de l’appelant n’est pas pertinent (MacLeod, ci-dessus au para 35); et

L’absence de préjudice causé à des tiers n’est pas pertinent (MacLeod, ci-dessus au para 36).

[55]           Ces critères s’appliquent mutatis mutandis à l’appelant et ils n’ont pas été rencontrés.

[56]           À l’égard de la violation n° 1, l’appelant concède ne pas avoir complètement documenté son dernier examen de conformité. Il y a eu violation à la Loi même si une bonne partie du processus est documenté et même si l’appelant a mis en place un plan d’action pour l’avenir.

[57]           Comme l’indique la Cour d’appel fédérale dans MacLeod, il ne suffit pas d’alléguer avoir respecté la majorité des exigences, la diligence raisonnable doit être établie relativement à l’infraction précise en cause (MacLeod, ci-dessus au para 33). Le respect de la Loi au sens large ne sera pas suffisant pour démontrer que l’appelant a pris des mesures raisonnables pour éviter de commettre la violation qui lui est reprochée (R v Raham, 2010 ONCA 206, citée dans MacLeod, ci-dessus au para 33). Par conséquent, je suis d’avis que la sous-directrice a raisonnablement conclu que l’appelant avait commis la violation n° 1.

[58]           J’en arrive à la même conclusion en ce qui concerne la violation n° 2.

[59]           Le client identifié par le CANAFE est, semble-t-il, |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||.

[60]           Dans le cadre de ses observations, l’appelant a fait valoir qu’avant le 31 août 2011, il ignorait que ce client était |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||. Dans sa décision, la sous-directrice invoque le fait que ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||, ce client aurait dû faire l’objet d’une déclaration d’opération douteuse |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||.

[61]           J’en conviens avec l’appelant, il y a tout lieu de se demander ce que le CANAFE a fait, au cours de toutes ces années, des |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||.

[62]           Je ne crois pas cependant que ce fait dispensait l’appelant de transmettre une ou plusieurs déclarations d’opérations douteuses à l’égard de ce même client. Je ne crois pas non plus qu’il était déraisonnable pour la sous-directrice de conclure qu’en plus de déclarations d’opérations importantes, ce client aurait dû faire l’objet d’une déclaration d’opération douteuse |||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||.

[63]           Finalement, en ce qui a trait à la violation n° 3, l’appelant reconnait qu’à l’égard de |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||.

[64]           L’appelant plaide qu’il avait mis en place des mesures conçues spécifiquement pour s’assurer que ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||. Dans sa lettre/plan d’action du 15 février 2013, l’appelant allègue qu’un fort pourcentage des déclarations analysées étaient conformes et que les quelques déclarations déficientes résultaient d’inadvertances ou d’erreurs humaines de la part de certains employés. Or, cette justification ne saurait rencontrer le haut standard pour établir une défense de diligence raisonnable.

[65]           Je suis donc d’avis qu’il était loisible à la sous-directrice de conclure en l’existence de cette violation.

C.                 La sous-directrice a-t-elle erré en imposant les pénalités administratives totales de |||||||| $?

[66]           L’appelant plaide essentiellement que la pénalité administrative imposée en l’espèce était non fondée et arbitraire. Il souligne que la méthodologie utilisée par le CANAFE pour la détermination des pénalités a été sévèrement critiquée dans plusieurs décisions de cette Cour et, récemment, par la Cour d’appel fédérale dans Kabul Farms FCA. La décision de la sous-directrice présente, selon l’appelant, les mêmes lacunes.

[67]           Plus particulièrement, l’appelant soumet que l’ensemble de la démarche n’était pas suffisamment justifiée et que les explications de la sous-directrice étaient sommaires et vagues.

[68]           En raison de ces lacunes, il est impossible de déterminer comment la sous-directrice est parvenue au montant des pénalités imposées, tout comme il est impossible de comprendre d’où viennent les pourcentages d’augmentation et de réduction appliqués.

[69]           L’intimé plaide quant à lui que le processus suivi en l’instance devrait être évalué à la lumière des motifs donnés par la sous-directrice et non en fonction de la position exprimée par la Cour d’appel fédérale dans Kabul Farms FCA, puisque la décision du CANAFE sous étude dans cet arrêt a été rendue près de trois ans avant la décision présentement sous étude. Pour le reste, l’intimé reprend les pourcentages de réduction et d’augmentation appliqués par la sous-directrice sans trop expliquer la logique qui les sous-tendent.

[70]           Je partage l’opinion de l’appelant sur cette question et je ne vois pas comment la décision sous étude pourrait être distinguée de celle sévèrement critiquée dans Kabul Farm FCA.

[71]           Les critères que la sous-directrice devait considérer afin d’évaluer de l’opportunité d’imposer des pénalités à chacune des violations constatées et, le cas échéant, le montant de ces pénalités, sont prévus à l’article 73.11 de la Loi et au Règlement sur les pénalités administratives – recyclage des produits de la criminalité et financement des activités terroristes, DORS/2007-292 [le Règlement sur les pénalités administratives].

[72]           D’abord, le montant de toute pénalité est déterminé en tenant compte de son caractère non punitif. La pénalité est destinée à encourager l’observation de la Loi et elle est fonction de la gravité du tort causé et de tout autre critère prévu par règlement. Le Règlement sur les pénalités administratives impose de tenir compte des antécédents de conformité, il énumère les violations qui sont considérées comme mineures, graves ou très graves et il fixe les pénalités maximales pouvant être imposées pour chaque violation à la Loi.

[73]           À l’égard de chacune des violations constatées par la sous-directrice, celle-ci prend comme point de départ de son calcul de la pénalité à imposer à l’appelant, la pénalité maximale fixée par le Règlement sur les pénalités administratives. Or, tout ce que l’on sait, c’est que la violation n° 1 est, selon le barème, considérée grave, la violation n° 2 très grave et la violation n° 3 mineure.

[74]           Pour la violation n° 1, bien qu’elle tient compte du fait que la majeure partie de la vérification faite par l’appelant était documentée et que l’appelant avait mis en place un plan d’action pour l’avenir, la sous-directrice impose une pénalité de |||||||||||| $ (sur un maximum de 100 000 $). Il n’y a aucune façon de comprendre le raisonnement suivi autrement qu’en considérant que le point de départ est uniquement le maximum réglementaire.

[75]           Pour ce qui est de la violation n° 2, la sous-directrice indique que « l’objectif général de la pénalité, qui est d’encourager l’observation de la loi doit être lié à l’exigence du caractère non punitif de la pénalité également exprimé à l’article 73.11 ». Pourtant elle conclut que le plan d’action mis en place par l’appelant après l’examen par le CANAFE ne peut être considéré pour les fins de déterminer la pénalité à imposer. Cela me semble hautement contradictoire. Elle conclut également qu’elle n’a pas à expliquer ou individualiser la notion de tort causé par la violation et, sans plus d’explication, elle impose la pénalité réglementaire maximale de |||||||||||||| $.

[76]           La fixation de la pénalité associée à la violation n° 3, pourtant considérée comme mineure, est toute aussi surprenante. La sous-directrice indique que puisque cette violation a néanmoins été prédéterminée comme ayant un impact considérable, la pénalité a « été ajustée au niveau le plus bas qui représente 50% de la pénalité maximale ». D’où vient ce minimum? La Cour n’en a pas la moindre idée. Chose certaine, il ne vient ni de la Loi, ni du Règlement sur les pénalités administratives. Il ne peut venir que d’un guide ou barème secret, interne au CANAFE. À tout évènement, il s’agit là d’un critère totalement étranger à la Loi et au Règlement sur les pénalités administratives.

[77]           En aucun cas la sous-directrice n’a-t-elle évalué la possibilité de ne pas accorder de pénalité administrative, ce qu’elle avait pourtant la discrétion de faire.

[78]           Par ailleurs, il est impossible de savoir ce qui a justifié l’ajustement des montants de pénalité en raison de l’impact de la non-conformité, l’augmentation de la pénalité totale pour tenir compte des antécédents de conformité et la réduction au montant de pénalité total pour tenir compte de la capacité de payer de l’appelant. Comme l’indique le juge David Stratas dans Kabul Farms FCA, au paragraphe 32, « for all we know [those] percentages might have been plucked out of the air or adopted for reasons extraneous to the legislation » [TRADUCTION] « pour autant que nous sachions, [ces] pourcentages pourraient reposer sur des estimations approximatives ou avoir été adoptés pour des raisons étrangères à la législation ».

[79]           Le montant total établi pour les pénalités calculées par la sous-directrice s’élevait à |||||||||||||| $. Cette somme a été augmentée de 5 % pour tenir compte des antécédents de conformité de l’appelant, puis réduite de 10 % en raison de sa capacité de payer. La décision n’indique aucunement comment la sous-directrice a choisi ces pourcentages d’augmentation et de réduction, ou quels facteurs ou critères ont été considérés. Il est donc impossible de déterminer si un processus décisionnel intelligible, transparent et justifiable a précédé l’imposition des pénalités.

[80]           Pour ces motifs, je suis d’avis que l’imposition d’une pénalité administrative de |||||||||||||| $ pour les trois violations identifiées était déraisonnable dans les circonstances.

VI.             Conclusion

[81]           L’appel est donc accueilli en partie et la pénalité imposée par la sous-directrice est annulée essentiellement pour les mêmes motifs que ceux exprimés par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Kabul Farms FCA. Le dossier sera retourné à la sous-directrice du CANAFE pour qu’elle réévalue l’opportunité d’imposer à l’appelant une pénalité administrative pour chacune des violations constatées et, le cas échéant, pour qu’elle en fixe le quantum conformément à la Loi et au Règlement sur les pénalités administratives.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      L’appel de l’appelant est accueilli en partie;

2.      La pénalité administrative de |||||||||||||| $ imposée à l’appelant par le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada est annulée;

3.      Le dossier est retourné à la sous-directrice du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada pour qu’elle détermine de l’opportunité d’imposer à l’appelant une pénalité administrative pour chacune des violations constatées et, le cas échéant, pour qu’elle en fixe le quantum conformément à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, LC 2000, c 17 et au Règlement sur les pénalités administratives – recyclage des produits de la criminalité et financement des activités terroristes, DORS/2007-292;

4.      Les parties ont convenu d’assumer leurs propres frais de sorte qu’aucuns frais ne sont accordés.

« Jocelyne Gagné »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-381-14

INTITULÉ :

CONTREVENANT NO. 10 c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 mars 2017

JUGEMENT ET MOTIFS:

LA JUGE GAGNÉ

JUGEMENT ET MOTIFS CONFIDENTIELS ÉMIS :

LE 27 avril 2017

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS ÉMIS :

LE 11 MAI 2017

COMPARUTIONS :

Doug Mitchell

Emma Lambert

Pour l'appelant

Benoit de Champlain

Pour l'intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Irving Mitchell Kalichman

Avocats

Montréal (Québec)

Pour l'appelant

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour l'intimé

 

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