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Date : 20170621


Dossier : T-120-17

Référence : 2017 CF 613

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 juin 2017

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

DAVID ROBINSON

demandeur

et

AGENCE PARCS CANADA

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, David Robinson, est un ancien fonctionnaire fédéral qui allègue avoir été congédié sans cause par la défenderesse, Agence Parcs Canada. Dans sa déclaration déposée le 24 janvier 2017, il demande notamment ce qui suit :

a.                   l’augmentation rétroactive de son salaire de novembre 2014 à la date de sa retraite, correspondant à un poste de niveau ENG-06 ainsi que l’augmentation correspondante de sa pension;

b.                  des dommages-intérêts équivalant à 24 mois de salaire;

c.                   la perte ou la diminution de sa capacité de gain ultérieure;

d.                  des dommages-intérêts pour ingérence délictuelle à l’égard d’un contrat d’emploi;

e.                   des dommages-intérêts pour fausse déclaration faite par négligence;

f.                   des dommages-intérêts généraux de 50 000 $;

g.                  des dommages-intérêts équivalent à la perte de 8 ans de prime au bilinguisme;

h.                  des dommages-intérêts punitifs et majorés.

[2]               Parcs Canada a déposé une requête sollicitant une ordonnance radiant la déclaration de M. Robinson dans son intégralité, sans autorisation de la modifier et rejetant son action en vertu de l’article 221 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 pour défaut de compétence et au motif que la demande constitue un recours abusif aux procédures de la Cour.

I.                   Contexte

[3]               M. Robinson a été embauché comme fonctionnaire fédéral le 4 juillet 1986 et a commencé à travailler à un poste de cadre supérieur à Parcs Canada le 3 juillet 2007. Puisqu’il était gestionnaire, il faisait partie de la catégorie des employés exclus et n’était pas représenté par un syndicat. Les modalités de son emploi étaient régies par des contrats écrits et verbaux, une politique, des lois et des règlements, y compris la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, L.C. 2003, ch. 22, art. 22 [LRTFP] et la Loi sur l’Agence Parcs Canada, L.C. 1998, ch. 31 [LAPC]. Une de ses conditions d’emploi était qu’il suive une formation linguistique en français, ce qu’il a accompli entre les mois de février et de décembre 2008. Toutefois, l’Agence l’a rappelé avant la fin de sa formation pour travailler. Malgré ses demandes de formation linguistique, M. Robinson affirme que Parcs Canada ne lui a pas donné l’occasion de faire évaluer ses aptitudes en français avant de juger qu’il ne maîtrisait pas le français. Selon M. Robinson, le défaut de Parcs Canada de lui offrir une formation linguistique en français a eu des conséquences sur son emploi puisqu’il s’est vu refuser la prime au bilinguisme offerte à d’autres employés.

[4]               M. Robinson soutient que le 1er décembre 2014, il a été nommé sans condition à un poste de niveau ENG-06, alors qu’il occupait auparavant un poste de niveau ENG-05. À ce poste, M. Robinson gérait des projets relatifs au patrimoine national et au tourisme, et son supérieur immédiat était M. Kalvin Mercer. M. Robinson affirme que M. Mercer l’a avisé qu’il serait rémunéré pour la charge de travail supplémentaire associée à une classification plus élevée et que tout problème relatif à ses aptitudes linguistiques serait réglé. M. Robinson affirme qu’il n’a été rémunéré ni pour cette charge de travail supplémentaire ni pour ses nouvelles responsabilités découlant d’un niveau de classification plus élevé. M. Robinson allègue que le 19 décembre 2014, M. Mercer a confirmé le titre privilégié pour son nouveau poste, soit [traduction] « Ingénieur principal, patrimoine et tourisme » et l’a avisé que sa nomination avait été confirmée par le directeur général de Parcs Canada. Il fait également valoir que sa superviseure, Davina Brown, l’a félicité pour avoir obtenu l’approbation du directeur général pour son nouveau rôle.

[5]               Le 23 décembre 2014, M. Robinson affirme que M. Mercer l’a avisé que le processus nécessitait qu’il agisse à titre intérimaire pour le poste de niveau ENG-06, sans concours et selon le principe du mérite individuel. Le 24 décembre 2014, M. Mercer a confirmé à M. Robinson que les ressources humaines l’avaient inscrit au poste de niveau ENG-06 dans leurs modèles et organigrammes organisationnels. M. Robinson allègue que le 14 janvier 2015, Mme Brown l’a avisé que le Comité exécutif de gestion avait décidé de passer outre les observations de M. Mercier relativement aux processus de nomination et de pourvoir le nouveau poste au moyen d’un concours. M. Robinson ajoute que le 18 janvier 2015, on lui a dit qu’il ne pouvait plus être nommé au poste de niveau ENG-06 et qu’il devait postuler pour le poste en passant un concours.

[6]               M. Robinson affirme que le 16 février 2015, Mme Brown l’a informé qu’il pourrait retourner à son ancien poste de niveau ENG-05, mais qu’il a ensuite été avisé que ce poste n’était plus disponible. Le demandeur soutient qu’après avoir été avisé que son ancien poste avait été éliminé, on lui a offert un poste inférieur de classification ENG-05. Ce poste comportait beaucoup moins de tâches, moins d’autorité et de responsabilités, un rôle de supervision moins important auprès du personnel, sans bureau privé et le travail n’était pas intéressant. M. Robinson déclare que le 22 avril 2015, il a postulé pour le poste de niveau ENG-06 ainsi que pour un autre poste de ce niveau en se soumettant à un processus de concours. Il n’a pas été convoqué à une entrevue pour le poste dans le contexte du processus de concours et a été avisé qu’il avait été jugé non qualifié pour le poste, car il ne satisfaisait pas aux exigences linguistiques. L’autre poste de niveau ENG-06 a finalement été pourvu sans concours. M. Robinson a été une fois de plus avisé qu’il ne satisfaisait pas aux exigences linguistiques pour le poste.

Du mois de janvier 2015 au mois d’octobre 2015, M. Robinson allègue qu’il a connu isolement et exclusion dans son milieu de travail et que sa santé mentale et physique, en plus de sa réputation, en ont pâti. Selon M. Robinson, l’effet cumulatif du licenciement sans motif de son poste de niveau ENG-06, de l’élimination de son ancien poste de niveau ENG-05, de la diminution de ses responsabilités par rapport à son ancien poste de niveau ENG-05 et de sa réputation ternie ont eu des conséquences négatives sur sa santé mentale, l’obligeant à partir en congé de maladie le 24 novembre 2015. M. Robinson soutient qu’en raison de la dégradation des conditions, des fausses déclarations et de l’absence de bonne foi de l’Agence, il a avisé Mme Brown qu’il ne pouvait pas retourner au travail. Dans une lettre datée du 15 octobre 2016, il a remis sa démission, entrée en vigueur le 25 janvier 2017.

[7]               M. Robinson a déposé son grief découlant des évènements allégués dans sa déclaration seulement après qu’il a entrepris des démarches pour prendre sa retraite. Le grief qu’il a déposé le 23 décembre 2016 en vertu de la LRTFP est essentiellement fondé sur les mêmes allégations et évènements que ceux de sa déclaration. Le 20 janvier 2017, l’avocate de M. Robinson a présenté des observations en son nom à la première étape de l’audition du grief; le 10 février 2017, M. Robinson a été avisé que son grief avait été rejeté. Avec le consentement de Parcs Canada, M. Robinson a fait suspendre l’audience du deuxième et dernier palier de son grief en attendant le résultat de sa requête.

II.                Questions en litige

[8]               Selon le demandeur, sa requête soulève deux questions en litige : premièrement, la Cour devrait-elle exercer son pouvoir discrétionnaire résiduel d’entendre les demandes de M. Robinson? Et deuxièmement, sa déclaration ne révèle-t-elle aucune cause d’action valable, de sorte qu’elle devrait être rejetée? Selon la défenderesse, la seule question à trancher est de savoir si la Cour devrait rejeter la demande pour cause d’absence de compétence et la soumettre au processus interne établi dans la LRTFP et dans la LAPC, et par conséquent refuser d’exercer la compétence résiduelle qu’elle peut avoir pour statuer sur les demandes, tel que cela est énoncé dans la déclaration.

[9]               À mon avis, la question déterminante est de savoir si le paragraphe 236(3) de la LRTFP s’applique au regard des allégations formulées dans la déclaration.

III.             Arguments des parties

[10]           La défenderesse fait valoir que le demandeur est un fonctionnaire aux fins de la partie 2 de la LRTFP qui traite des griefs ainsi qu’aux fins de la LAPC. Tout recours dont il souhaite se prévaloir à l’égard des questions liées à l’emploi est, selon la défenderesse, régi par la LRTFP et plus précisément par les articles 206, 207, 208, 209, 210, 211, 214, 225, 226 et 236. Selon la défenderesse, les dispositions de la LRTFP et de son règlement, les modalités et conditions d’emploi du demandeur, l’article 13 de la LAPC, les politiques d’embauche et les politiques de lutte contre le harcèlement de Parcs Canada constituent un cadre légal et administratif complet et exclusif régissant le règlement des litiges relatifs à l’emploi faisant intervenir Parcs Canada. À son avis, permettre au demandeur de recourir aux tribunaux pour trancher les questions régies par la loi, les modalités et conditions d’emplois et les politiques applicables contrecarrerait ce cadre législatif et administratif. La défenderesse allègue que la demande du demandeur devrait être rejetée pour absence de compétence et abus des procédures de la Cour. Elle soutient que même si la Cour avait compétence, elle devrait refuser d’exercer son pouvoir résiduel et radier la déclaration.

[11]           Le demandeur fait valoir que pour rejeter une demande en vertu de l’article 221 des Règles, la défenderesse doit démontrer que la déclaration ne soulève aucune cause d’action valable. Selon le demandeur, il est prématuré de rejeter l’action à cette étape puisque la défenderesse n’a pas encore répondu à l’ensemble de ses demandes de divulgation. Il ajoute que sa demande est liée à son licenciement, mais que les motifs invoqués ne sont pas liés à un manquement disciplinaire ou à une inconduite, de sorte que la Cour devrait conserver sa compétence au sens du paragraphe 236(3) de la LRTFP. Le demandeur allègue qu’il s’est prévalu des recours qui s’offraient à lui sur son lieu de travail, lorsqu’il s’est vu retirer sa promotion et qu’on lui a dit à plusieurs reprises que tous ses problèmes seraient résolus et qu’il obtiendrait réparation. Il affirme que ce processus a eu un impact si délétère sur sa santé mentale qu’au moment où il est devenu manifeste que les promesses de la défenderesse de résoudre ses problèmes ne mèneraient à rien, sa santé était devenue si mauvaise qu’il était incapable de se prévaloir de tout recours en vertu de la LRTFP. Selon le demandeur, un grief en vertu de la LRTFP ne constitue pas son seul moyen d’obtenir réparation.

IV.             Analyse

[12]           La demande du demandeur soulevée dans sa déclaration peut être résumée ainsi :

1.                  Le 1er décembre 2014, la défenderesse l’a nommé sans condition à un poste de niveau ENG-06, mais ne l’a jamais rémunéré pour cette classification supérieure.

2.                  La défenderesse ne lui a jamais offert de formation linguistique et lui a ensuite refusé la prime au bilinguisme.

3.                  La défenderesse l’a plus tard avisé qu’il devrait se passer un concours pour l’obtention du poste de niveau ENG-06 et il a été injustement écarté d’un concours pour un second poste de niveau ENG-06.

4.                  Après avoir tenté sans succès d’obtenir le poste de niveau ENG-06, il a été avisé par la défenderesse que son ancien poste de niveau ENG-05 avait été aboli et un poste inférieur de niveau ENG-05 lui a été offert.

5.                  Il a été congédié sans cause puisque l’ensemble des évènements précédents constituent un congédiement déguisé ou un congédiement direct sans cause.

[13]           Toutes les demandes du demandeur décrites précédemment sont des questions pouvant faire l’objet d’un grief aux termes de l’alinéa 208(1)b) de la LRTFP puisque ces mesures ou évènements allégués sont survenus « par suite de tout fait portant atteinte à ses conditions d’emploi ». Il s’agit d’une disposition vaste qui englobe et comprend manifestement les demandes du demandeur à propos de sa nomination au poste de niveau ENG-06, sa rétrogradation subséquente à un poste inférieur de niveau ENG-05, le refus de lui offrir une formation linguistique et le refus de lui accorder une prime au bilinguisme.

[14]           Selon la jurisprudence, les tribunaux n’ont pas compétence sur les questions pouvant faire l’objet d’un grief en vertu de l’article 208 de la LRTFP. La loi interdit à un fonctionnaire assujetti à la LRTFP, même à un ancien fonctionnaire comme le demandeur en l’espèce, d’intenter une action relativement à toute action ou omission faisant naître un litige en lien avec ses modalités ou conditions d’emploi en vertu du paragraphe 236(1). Ce paragraphe dispose que « le droit de recours du fonctionnaire par voie de grief relativement à tout différend lié à ses conditions d’emploi remplace ses droits d’action en justice relativement aux faits — actions ou omissions — à l’origine du différend. »

[15]           Dans l’arrêt Bron v Canada (Attorney General), 2010 ONCA 71, 315 DLR (4th) 46 [arrêt Bron], la Cour d’appel de l’Ontario a expliqué de quelle façon le paragraphe 236(1) exclut explicitement la compétence de la Cour : [traduction]

[29]      Le législateur peut, sous réserve des restrictions imposées par la constitution qui ne sont pas soulevées en l’espèce, accorder la compétence exclusive de trancher certains litiges à des tribunaux autres que les cours. Le langage utilisé pour octroyer cette compétence doit être clair (arrêt Pleau, à la page 381). L’article 236 est clair et sans équivoque. Dans la mesure de l’exception prévue au paragraphe 236(3) qui ne s’applique pas en l’espèce, le paragraphe 236(1) dispose que le droit de recours par voie de grief relativement à tout différend lié aux conditions d’emploi remplace les droits d’action en justice relativement aux faits à l’origine du différend. Le paragraphe 236(2) prévoit expressément que le processus exclusif de grief décrit au paragraphe 236(1) s’applique, que le fonctionnaire présente ou non un grief et « qu’il soit possible ou non de soumettre le grief à l’arbitrage ». La conséquence découlant du libellé des paragraphes 236(1) et 236(2) est qu’une cour ne possède plus de pouvoir discrétionnaire résiduel pour entendre une demande pouvant faire l’objet d’un grief en vertu de la loi, en raison de l’impossibilité pour le fonctionnaire d’avoir recours à un jugement par un tiers (voir l’arrêt Van Duyvenbode v. Canada, [2007] O.J. No. 2716 (S.C.), au paragraphe 17, confirmé sans référence à ce stade par l’arrêt 2009 ONCA 11; la décision Hagel c. Canada (Procureur général), [2009] A.C.F. no 417, 2009 CF 329, au paragraphe 26, confirmé sans référence à ce stade par l’arrêt 2009 CAF 364). Bien qu’il soit possible qu’un pouvoir discrétionnaire résiduel existe si le processus de grief ne peut offrir de réparation appropriée, cela n’a pas été soutenu en l’espèce (voir Vaughan, au paragraphe 30). En supposant que tel est le cas, les litiges pouvant faire l’objet d’un grief en vertu de la loi doivent être tranchés au moyen du processus de grief.

[…]

[33]      Tout comme le juge de la requête (au paragraphe 36), je conclus que l’article 236 de la Loi sur les relations de travail exclut explicitement la compétence de la Cour pour les demandes pouvant faire l’objet d’un grief en vertu de l’article 208 de la Loi. Je n’ai pas retrouvé dans mon examen de la demande de l’appelant d’allégations d’inconduites qui auraient été perpétrées par les intimés avant le 1er avril 2005, date à laquelle la Loi sur les relations de travail est entrée en vigueur. L’article 236 s’applique à l’ensemble de la conduite sous-tendant la demande de l’appelant. Le juge de la requête a déclaré à juste titre que cet article exclut les demandes de la compétence de la Cour supérieure.

[16]           La Cour d’appel fédérale a également confirmé que l’article 236 exclut la compétence de la cour, soulignant dans l’arrêt Amos c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 38, [2012] 4 RCF 67, au paragraphe 9, que « [l]’article 236 soustrait à la compétence de la Cour les différends liés à l’emploi ». La Cour n’a donc pas compétence pour entendre les demandes du demandeur pouvant faire l’objet d’un grief en vertu de l’alinéa 208(1)b) de la LRTFP.

[17]           À mon avis, les prétentions du demandeur selon lesquelles il a été nommé à un poste sans jamais recevoir de rémunération adéquate, qu’il a ensuite été démis de ce poste pour se retrouver à un poste de niveau inférieur de niveau ENG-05, qu’il n’a pas reçu de formation linguistique et qu’il s’est vu refuser la prime au bilinguisme, ne relèvent pas de la compétence de la Cour, car elles peuvent faire l’objet d’un grief en vertu de l’alinéa 208(1)b) de la LRTFP.

[18]           Pour ce qui est des plaintes et demandes du demandeur visant le processus de dotation des deux postes de niveau ENG-06, elles ne relèvent pas non plus de la compétence de la Cour au regard du paragraphe 208(2) de la LRTFP et de la Politique sur la dotation de l’Agence Parcs Canada [Politique sur la dotation] établie en vertu de l’alinéa 13(1)b) de la LAPC, qui autorise le directeur général de Parcs Canada à établir des procédures et des politiques de dotations, y compris les politiques relatives aux licenciements autres que ceux étant motivés. Le paragraphe 208(2) de la LRTFP dispose que : « Le fonctionnaire ne peut présenter de grief individuel si un recours administratif de réparation lui est ouvert sous le régime d’une autre loi fédérale, à l’exception de la Loi canadienne sur les droits de la personne ». La Politique sur la dotation prévoit l’utilisation de processus de règlement des différends avant d’accéder à des processus plus officiels d’examen devant une tierce partie indépendant. Le processus de grief établi en vertu de la Politique sur la dotation permet à une personne ayant participé à un concours ouvert de déposer une plainte relative à toute question touchant le processus de dotation.

[19]           Quoique les griefs déposés aux termes des Politiques sur la dotation ne soient pas soumis à la LRTFP et que le dépôt d’un recours devant la Cour par le demandeur n’est pas prescrit, la Cour doit refuser d’exercer toute compétence qu’elle pourrait avoir pour entendre les demandes du demandeur à l’égard du processus de dotation. J’en arrive à cette conclusion pour deux principaux motifs. Premièrement, le demandeur ne s’est pas prévalu du processus administratif pour obtenir réparation. Deuxièmement, dans l’arrêt Vaughan c. Canada, [2005] 1 RCS 146, 2005 CSC 11, au paragraphe 39, [arrêt Vaughan], la Cour suprême du Canada a clairement énoncé que les tribunaux ne doivent pas interférer avec les processus de règlement des différends créés par la loi :

« [...] lorsque le législateur a clairement établi un régime complet pour le règlement des différends en matière de relations de travail, comme c’est le cas en l’espèce, les tribunaux ne devraient pas mettre en péril le mécanisme exhaustif de règlement des différends que contient la loi en permettant l’accès systématique aux tribunaux. Même si l’absence d’un arbitre indépendant peut, dans certaines circonstances, se répercuter sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire résiduel du tribunal (comme dans les cas de dénonciateurs), la règle générale de la retenue dans les instances découlant des relations de travail devrait prévaloir. »

A.                Le paragraphe 236(3) de la LRTFP s’applique-t-il aux allégations figurant dans la déclaration?

[20]           Les deux parties citent et se fondent sur l’arrêt Vaughan de la Cour suprême du Canada, une décision où la Cour suprême a établi que bien que la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (maintenant abrogée) [LRTFP] n’écarte pas la compétence des tribunaux pour les questions pouvant faire l’objet de grief en vertu de celle-ci, les cours peuvent refuser d’exercer leur compétence afin d’éviter de mettre en péril le régime complet du législateur traitant des litiges en matière de relations de travail. Toutefois, la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique a depuis été abrogée et remplacée par la LRTFP et il a été jugé dans les décisions ultérieures que l’arrêt Vaughan devait être interprété à la lumière de la nouvelle loi. Par exemple, dans l’arrêt Bron, la Cour d’appel de l’Ontario a souligné que l’arrêt Vaughan concernait une loi qui n’avait pas de disposition semblable à l’article 236 de la LRTFP : [traduction]

[28]      Le principe établi dans l’arrêt Vaughan selon lequel la Cour supérieure conservait un pouvoir discrétionnaire résiduel pour entendre une demande fondée sur une plainte susceptible de grief découlait du libellé utilisé par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la loi en vigueur pendant la période pertinente. Le fait que l’appelant invoque l’arrêt Vaughan indique que la modification du paysage législatif et plus précisément l’entrée en vigueur de l’article 236 de la LRTFP n’a pas d’incidence sur le principe central de l’arrêt Vaughan. Je suis d’avis que cette modification a une incidence.

[21]           Dans l’arrêt Procureur général du Canada, au nom de Service correctionnel du Canada, c. Robichaud et MacKinnon, 2013 NBCA 3, 398 NBR (2d) 259, au paragraphe 3, [arrêt Robichaud], la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a fait remarquer avec justesse que l’article 236 « est la réponse directe du législateur fédéral aux principes de common law qui ont été énoncés dans cet arrêt et qui avaient précédemment été appliqués [dans l’arrêt Vaughan] ».

[22]           Il faut faire appel à l’arrêt Vaughan avec prudence puisque la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique ne comprenait pas de disposition semblable à l’article 236 de la LRTFP qui dispose que :

Différend lié à l’emploi

Disputes relating to employment

236 (1) Le droit de recours du fonctionnaire par voie de grief relativement à tout différend lié à ses conditions d’emploi remplace ses droits d’action en justice relativement aux faits — actions ou omissions — à l’origine du différend.

236 (1) The right of an employee to seek redress by way of grievance for any dispute relating to his or her terms or conditions of employment is in lieu of any right of action that the employee may have in relation to any act or omission giving rise to the dispute.

Application

Application

(2) Le paragraphe (1) s’applique que le fonctionnaire se prévale ou non de son droit de présenter un grief et qu’il soit possible ou non de soumettre le grief à l’arbitrage.

(2) Subsection (1) applies whether or not the employee avails himself or herself of the right to present a grievance in any particular case and whether or not the grievance could be referred to adjudication.

Exception

Exception

(3) Le paragraphe (1) ne s’applique pas au fonctionnaire d’un organisme distinct qui n’a pas été désigné au titre du paragraphe 209(3) si le différend porte sur le licenciement du fonctionnaire pour toute raison autre qu’un manquement à la discipline ou une inconduite.

(3) Subsection (1) does not apply in respect of an employee of a separate agency that has not been designated under subsection 209(3) if the dispute relates to his or her termination of employment for any reason that does not relate to a breach of discipline or misconduct.

[23]           Les parties font valoir en fonction des principes énoncés dans l’arrêt Vaughan que la Cour conserve un pouvoir discrétionnaire résiduel dans les dossiers appropriés pour intervenir et exercer sa compétence pour entendre des litiges en matière de relations de travail, même en tenant compte du cadre législatif et administratif complet mis en place pour trancher ces litiges. Le demandeur soutient que son licenciement n’est pas lié à un manquement disciplinaire ou à une inconduite puisqu’il s’agissait plutôt d’un licenciement non disciplinaire ou déguisé, l’affaire est donc visée par le paragraphe 236(3). Par conséquent, au regard de l’arrêt Vaughan, la Cour ne devrait pas radier sa déclaration et devrait se déclarer compétente pour entendre la demande. Au contraire, la défenderesse soutient que même si le droit d’intenter un recours est fondé sur le paragraphe 236(3), la Cour peut, à sa discrétion, refuser d’exercer sa compétence d’entendre une demande liée à une cessation d’emploi et les principes établis dans l’arrêt Vaughan doivent guider la Cour pour déterminer si elle devrait faire preuve de retenue envers le régime complet créé par le législateur et refuser d’exercer sa compétence.

[24]           Dans l’arrêt Robichaud, la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a mentionné (au paragraphe 12) que « le par. 236(3) envisage des situations dans lesquelles le fonctionnaire qui fait l’objet d’un congédiement motivé (pour mauvais rendement, par exemple) aura le droit d’engager une poursuite pour congédiement injustifié, à la condition que cette personne appartienne à la catégorie restreinte mentionnée au par. 236(3). » Dans la décision Haroun c. Canada (Conseil national de recherches), 2015 CF 1168, 263 ACWS (3d) 5 [décision Haroun]. La Cour a conclu que le paragraphe 236(3) permet à un ancien employé du Conseil national de recherche (qui, comme Parcs Canada, est une agence distincte non désignée au paragraphe 209(3)), ayant été licencié pour des motifs non disciplinaires, d’intenter une action civile pour congédiement abusif. Dans la décision Haroun, la Cour a noté ce qui suit :

[9]        [...] l’objet du paragraphe 236(3) est de préserver le droit d’action en common law des fonctionnaires d’organismes distincts non désignés en cas de licenciement pour un motif lié au rendement. Compte tenu du libellé clair utilisé et des graves conséquences d’un licenciement, le législateur n’a pas pu vouloir que les fonctionnaires comme M. Haroun aient pour seule possibilité de recourir à une procédure interne restrictive de règlement de grief sans aucun droit à un arbitrage indépendant. D’ailleurs, il n’y a aucune raison de croire que le législateur ait voulu priver les fonctionnaires d’organismes distincts du droit à l’examen indépendant sur le fond de leur licenciement pour un motif lié au rendement.

[25]           Depuis l’arrêt Vaughan, le législateur, en adoptant le paragraphe 236(3) de la LRTFP, a admis que certains fonctionnaires pourraient exercer un recours devant les tribunaux, à condition que « le différend porte sur le licenciement du fonctionnaire pour toute raison autre qu’un manquement à la discipline ou une inconduite ». Bien que le demandeur allègue que la cessation de son emploi n’est pas liée à un manquement à la discipline ou à une inconduite, la Cour doit néanmoins établir la nature essentielle du litige dans son contexte factuel et du libellé du régime législatif mis en place pour le règlement des litiges touchant les relations de travail (voir l’arrêt Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 RCS 929, 125 DLR (4th) 583, aux paragraphe 56, 57 et 63, ainsi que l’arrêt Vaughan, au paragraphe 39).

[26]           En l’espèce, la demande du demandeur selon laquelle les différents évènements survenus au cours de son emploi au sein de Parcs Canada ont, par leur cumul, engendré un congédiement déguisé ou un congédiement abusif direct, est une tentative indirecte de contester diverses décisions et différents évènements pouvant faire l’objet d’un grief en vertu de la LRTFP ou de la Politique sur la dotation de Parcs Canada. À mon avis, toutes les demandes du demandeur sont liées à des évènements ou à des questions touchant à son emploi auprès de la défenderesse et les voies de recours administratives et législatives pour obtenir une réparation s’offrant au demandeur en l’espèce seraient compromises si la déclaration n’était pas radiée et que le demandeur était autorisé à présenter ses demandes devant la Cour. En effet, la deuxième étape du processus de grief du demandeur a été suspendue dans l’attente de la conclusion de la présente requête. Ce processus de grief devrait pouvoir se poursuivre jusqu’à ce qu’une décision finale soit rendue. Il n’est pas allégué en l’espèce que le processus de grief ne pourrait offrir de réparation appropriée pour traiter les plaintes du demandeur.

[27]           Avant de conclure, il est pertinent de souligner que le demandeur fait fausse route en se fondant sur la décision Haroun. Dans cette affaire, M. Haroun avait été engagé pour un contrat de deux ans au sein du Conseil national de recherche, une agence distincte non désignée semblable à Parcs Canada. Toutefois, il a été mis fin à son emploi 14 mois avant la fin de son contrat, pour des motifs liés au rendement. Par conséquent, M. Haroun (contrairement au demandeur en l’espèce qui a démissionné et pris sa retraite) n’avait aucun recours pour obtenir un arbitrage indépendant au moyen d’un processus de grief. Son droit à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP était restreint aux mesures disciplinaires entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire. Monsieur Haroun a malgré tout déposé un grief contestant son licenciement, qui a été rejeté. Il donc déposé une déclaration. Dans une requête visant à faire trancher une question de droit préliminaire afin d’établir si le recours de M. Haroun pouvait aller de l’avant, la Cour a observé que les licenciements fondés sur des motifs de rendement d’employés d’agences distinctes non désignées font partie des seuls types de licenciement dans la fonction publique ne pouvant pas être soumis à l’arbitrage d’un tiers à la fin du processus de grief. En l’absence de recours aux tribunaux en vertu du paragraphe 236(3), la Cour a mentionné dans la décision Haroun que ces fonctionnaires n’auraient aucun droit à un arbitrage indépendant sur le fond de leur licenciement. C’est pourquoi la Cour a autorisé M. Haroun à poursuivre sa demande par voie d’action aux termes du paragraphe 236(3). En l’espèce, le demandeur a démissionné et pris sa retraite, sans prendre part de façon significative au régime de règlement des différends en milieu de travail qui s’offrait à lui au moment de la survenance des évènements allégués. S’il l’avait fait, la défenderesse aurait eu l’occasion de répondre à la contestation et de mettre en place les mesures correctives nécessaires prévues par le régime.

[28]           Il convient également de mentionner que la présente affaire est semblable à la décision Robichaud, dans laquelle deux fonctionnaires ont poursuivi leur employeur, Services correctionnels Canada, pour congédiement déguisé après que leur employeur a refusé de mener une enquête officielle sur le bien-fondé d’une plainte formulée par d’autres employés et accusant les fonctionnaires de harcèlement et d’inconduite, parce que la plainte ne satisfaisait pas aux exigences de la politique pertinente. Aucun des fonctionnaires n’a tenté de déposer un grief relativement au défaut de leur employeur de mener une enquête officielle sur les allégations portée contre eux dans le but de démontrer leur innocence ou leur culpabilité. En réponse aux poursuites, l’employeur a déposé une requête en vue d’obtenir une ordonnance rejetant ou suspendant les actions au motif que la cour n’avait pas compétence pour juger les actions. Le juge saisi de la requête a rejeté la requête de l’employeur, mais la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick l’a ensuite accueillie et a annulé l’ordonnance du juge saisi de la requête, affirmant ce qui suit :

[16]      [...] il importe de se rappeler que le par. 236(1) dispose que si un fonctionnaire peut présenter un grief, ce fonctionnaire ne peut engager une poursuite, même s’il choisit de ne pas présenter de grief et même si le grief n’est pas de ceux qu’il est possible de soumettre à l’arbitrage indépendant. Par conséquent, on ne saurait prétendre qu’une procédure de règlement des griefs qui ne prévoit pas un arbitrage indépendant ne prévoit pas un recours approprié. Le paragraphe 236(1) élimine expressément cet argument. En même temps, il est tout aussi clair qu’un grief ne sera jamais égal au droit de poursuivre lorsque la mesure réparatoire sollicitée consiste en des « dommages‑intérêts ». En fin de compte, il importe de se rendre compte que les parties n’ont pas à aller en cour pour présenter des preuves sur ce qui constitue ou non un recours approprié.

V.                Conclusion

[29]           La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, [2011] 3 SCR 45 a rappelé le critère applicable à une requête en radiation :

[17]      [...] l’action ne sera rejetée que s’il est évident et manifeste, dans l’hypothèse où les faits allégués seraient avérés, que la déclaration ne révèle aucune cause d’action raisonnable : Succession Odhavji c. Woodhouse, 2003 CSC 69, [2003] 3 R.C.S. 263, par. 15; Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, p. 980. Autrement dit, la demande doit n’avoir aucune possibilité raisonnable d’être accueillie. Sinon, il faut lui laisser suivre son cours [renvoi omis].

[30]           À mon avis, pour les motifs énoncés, il est évident et manifeste que la déclaration du demandeur ne révèle aucune cause d’action raisonnable. La demande n’a pas non plus de chance raisonnable d’être accueillie de telle sorte qu’elle devrait être autorisée à suivre son cours jusqu’à l’instruction. Les circonstances de l’affaire n’indiquent pas que les recours offert au demandeur par la LRTFP et la Politique sur la dotation sont inadéquats au point de justifier l’exercice par la Cour de tout pouvoir discrétionnaire résiduel qu’elle peut avoir pour autoriser la demande à être instruite. La déclaration est donc radiée dans son intégralité sans autorisation de la modifier et l’action du demandeur est rejetée.

[31]           La défenderesse a droit aux dépens de la présente requête, y compris les débours et les taxes applicables, d’un montant dont conviendront les parties. Si les parties sont incapables de convenir du montant de ces dépens, débours et des taxes applicables dans un délai de 20 jours suivant la date de la présente ordonnance, l’une ou l’autre des parties sera libre de demander une taxation des dépens en conformité avec les Règles des Cours fédérales.


Ordonnance dans l’affaire T-120-17

LA COUR ORDONNE, pour les motifs énoncés, ce qui suit :

1.                  la requête de la défenderesse visant à obtenir une ordonnance radiant la déclaration du demandeur dans son intégralité, sans permission de la modifier et radiant son action en vertu de l’article 221 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, est accueillie;

2.                  la déclaration du demandeur est donc radiée dans son intégralité sans autorisation de la modifier et l’action du demandeur est rejetée en application de l’article 221;

3.                  la défenderesse a droit aux dépens de la présente requête, y compris les débours et les taxes applicables, d’un montant dont conviendront les parties. Si les parties sont incapables de convenir du montant de ces dépens, débours et des taxes applicables dans un délai de 20 jours suivant la date de la présente ordonnance, l’une ou l’autre des parties sera libre de demander une taxation des dépens en conformité avec les Règles des Cours fédérales.

« Keith M. Boswell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-120-17

 

INTITULÉ :

DAVID ROBINSON c. AGENCE PARCS CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 mai 2017

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 21 juin 2017

 

COMPARUTIONS :

Myrna L. Gillis, c.r.

 

Pour le DEMANDEUR

 

Kathleen McManus

 

Pour la DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gillis & Associates

Avocats

Bedford (Nouvelle-Écosse)

 

Pour le DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

Pour la DÉFENDERESSE

 

 

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