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Date : 20170622

Dossier : IMM-4829-16

Référence : 2017 CF 615

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 juin 2017

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

YUANYUAN ZHU

demanderesse

et

CANADA (MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET L’IMMIGRATION)

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire soumise par Yuanyuan Zhu d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés (la SAR) le 2 novembre 2016, dans laquelle elle rejetait sa demande d’asile. La SAR a déterminé que Mme Zhu n’était pas une véritable adepte de la Church of the Almighty God et que son récit de fuite au Canada manquait de crédibilité. Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SAR est raisonnable et je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

I.                    Contexte

[2]               Yuanyuan Zhu est une citoyenne de la République populaire de Chine. Selon son témoignage, en décembre 2014, un ami appelé Tao Tao lui a fait découvrir la Church of the Almighty God. Tao Tao lui a enseigné comment prier Dieu et, en mars 2015, Mme Zhu a commencé à assister aux services religieux au domicile de Tao Tao.

[3]               Le 27 septembre 2015, l’église a fait l’objet d’une perquisition par le Bureau chinois de la sécurité publique (BSP). Mme Zhu a fui et s’est cachée dans la maison d’un membre de sa famille. Le 8 décembre 2015, les parents de Mme Zhu l’ont avisée que le BSP s’était présenté à leur domicile muni d’une assignation à comparaître (assignation à comparaître du BSP). Mme Zhu a fait appel à un passeur pour fuir au Canada en janvier 2016. En février, Tao Tao a été arrêté.

[4]               Le 15 juillet 2016, la Section de la protection des réfugiés (SPR) a conclu que la demanderesse n’était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger. La SPR a estimé que les questions déterminantes étaient la crédibilité de Mme Zhu en tant que véritable adepte de la Church of the Almighty God et la crédibilité de sa fuite de la Chine.

[5]               Mme Zhu a interjeté appel de la décision défavorable de la SPR auprès de la SAR, qui a instruit un appel selon la preuve au dossier, aucune nouvelle preuve n’ayant été soumise. La SPR a rejeté la demande d’asile de Mme Zhu le 2 novembre 2016. La SAR a déterminé que Mme Zhu n’était pas une véritable adepte de la Church of the Almighty God et que son récit de fuite au Canada manquait de crédibilité.

A.                 Décision de la SPR

[6]               La SPR a relevé plusieurs incohérences dans le témoignage de Mme Zhu et déterminé qu’elle ne possédait même aucune connaissance de base sur sa religion. Elle n’avait lu aucun des documents publiés par son église, y compris le texte principal, et ne connaissait aucun des chants. Mme Zhu a également négligé de préciser que sa mère a subi un accident vasculaire cérébral et que son rétablissement subséquent a été sa principale motivation pour se joindre à cette église. La SPR a tiré des conclusions défavorables concernant la crédibilité en raison de ces incohérences et de ces omissions.

[7]               En outre, la SPR a émis des doutes quant à la capacité de Mme Zhu de quitter la Chine à l’aide de son propre passeport si elle était supposément recherchée par le BSP. Elle a témoigné qu’elle avait présenté son passeport aux officiels à l’aéroport de Shanghai, comme le confirme le timbre de sortie. La SPR a donc conclu que Mme Zhu n’était pas recherchée par le BSP, selon la prépondérance des probabilités, puisqu’elle n’aurait pas été autorisée à utiliser son propre passeport pour quitter le pays.

[8]               Finalement, la SPR a tenu compte de la demande sur place de Mme Zhu, puisqu’elle a assisté à des services religieux de la Church of Almighty God depuis son arrivée au Canada. Une lettre a été rédigée en soutien à la demande sur place de Mme Zhu, mais elle n’avait pas été notariée et l’auteur n’a pas été appelé à témoigner. La SPR a conclu que la participation de Mme Zhu aux activités de l’église au Canada n’aurait pas été portée à l’attention des autorités en Chine; sa demande sur place doit donc être rejetée. Sur la base de ces conclusions, la SPR a conclu que Mme Zhu n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger et a rejeté sa demande.

B.                 Décision de la SAR

[9]               La SAR n’a pas décelé d’erreurs dans les conclusions défavorables de la SPR relativement à la crédibilité. Mme Zhu n’est pas parvenue à démontrer qu’elle était une véritable adepte de la Church of Almighty God. La SAR a souligné que le niveau d’instruction de Mme Zhu et la durée alléguée de sa pratique devraient lui permettre de répondre aux questions les plus élémentaires sur sa religion, ce qu’elle n’est pas parvenue à faire.

[10]           La SAR a également souligné le fait que le gouvernement chinois exploite un réseau informatique national appelé « projet bouclier d’or », qui fait appel à des mécanismes de suivi et de contrôle élaborés, dont la technologie de reconnaissance faciale et l’accès à des renseignements sur les fugitifs par les autorités présentes aux points de sortie et d’entrée des aéroports internationaux. Par conséquent, la SAR souscrit à la conclusion de la SPR que le récit de Mme Zhu, selon lequel elle était recherchée par le BSP et a échappé à tous les contrôles de sécurité à l’aéroport international de Shanghai, manque de crédibilité. Lorsqu’on lui a demandé de fournir des détails sur le moyen utilisé par son passeur pour l’aider à naviguer dans l’aéroport, elle a d’abord dit qu’il ne voulait pas lui révéler la méthode utilisée pour faciliter sa sortie, avant d’ajouter qu’il avait soudoyé les agents des douanes. La SAR a reconnu qu’il était possible de soudoyer un agent, mais a conclu que Mme Zhu n’a pas réussi à convaincre la SPR ou la SAR que son passeur a réussi à lui faire passer tous les points de vérification dans un aéroport international. La SAR a observé que son témoignage était vague et peu détaillé, ce qui, a en bout de ligne, a miné sa crédibilité.

[11]           La SAR a examiné la preuve documentaire produite par Mme Zhu et a déterminé qu’elle était peu utile pour confirmer ses allégations. À l’examen de l’assignation à comparaître du BSP et de l’avis de congédiement de son employeur, la SAR a observé l’absence totale de caractéristiques de sécurité. La SPR avait rejeté ces documents sur la base que Mme Zhu a été en mesure de quitter la Chine à l’aide de son propre passeport et qu’elle ne possédait aucune connaissance sur sa religion. La SAR a effectué sa propre analyse de ces documents et a conclu que l’assignation à comparaître du BSP était incompatible avec les allégations de Mme Zhu puisque si ces allégations étaient vraies, le BSP aurait plutôt eu recours à une assignation à comparaître coercitive ou un mandat d’arrestation à défaut de comparaître. Ces conclusions, combinées aux autres conclusions négatives concernant la crédibilité, ont mené la SAR à conclure que Mme Zhu n’était pas recherchée par le BSP.

[12]           Finalement, la SAR a examiné la demande sur place de Mme Zhu. Elle a intégré les conclusions de la SPR à ce sujet et n’a décelé aucune erreur dans ces conclusions. En outre, à l’examen de l’enregistrement audio, la SAR noté que les éléments de preuve n’étaient pas suffisants pour conclure que les autorités chinoises étaient au fait des activités religieuses de Mme Zhu au Canada. La SAR a donc rejeté l’appel de Mme Zhu.

II.                 Questions en litige

  1. La SAR a-t-elle tiré des conclusions déraisonnables sur la crédibilité?
  2. La conclusion concernant la demande sur place était-elle déraisonnable?

III.               Norme de contrôle

[13]           La norme de contrôle de la décision de la SAR est la norme de la décision raisonnable. Le caractère raisonnable d’une décision tient à sa justification, à sa transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. NouveauBrunswick, 2008 CSC 9; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12).

IV.              Analyse

[14]           Mme Zhu affirme que sa sortie de la Chine était la question déterminante soumise à la SAR et que ses conclusions étaient hypothétiques, trompeuses et intrinsèquement incohérentes. Selon Mme Zhu, la SAR n’a pas tenu compte du fait qu’elle a eu recours aux services d’un passeur dans le but d’accomplir ce qu’elle ne pouvait faire elle-même, c’est-à-dire contourner les mesures de sécurité dans l’aéroport. La conclusion de la SAR est donc incompatible avec les conclusions de la SPR selon lesquelles la corruption est systématique en Chine et les agents peuvent être soudoyés.

[15]           Mme Zhu a également ajouté que la SAR a procédé à un examen déraisonnable et trompeur de la jurisprudence de la Cour fédérale. Elle a conclu à tort que les faits invoqués dans Sun c. Canada (Citoyenneté et  Immigration), 2015 CF 387 et Ren c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1402, étaient maintenant désuets. Sans égard au temps écoulé entre ces décisions, les mêmes principes légaux s’appliquent à ces affaires et en l’espèce. Essentiellement, il est indûment spéculatif de supposer qu’un demandeur ne pourrait quitter la Chine au moyen de son propre passeport avec l’aide d’un passeur.

[16]           Mme Zhu soutient que la SAR n’a pas pris en compte la récente décision dans Yang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 543 [Yang], qui comprenait un cartable national de documentation mis à jour. Cette omission indique que la SAR a choisi de ne pas tenir compte d’une jurisprudence qui contredirait ses propres conclusions. Dans Yang, précité, la Cour a conclu qu’il était déraisonnable que la demande de statut de réfugié du demandeur soit refusée en raison d’une conclusion négative quant à la crédibilité fondée sur le fait que le demandeur est sorti clandestinement de la Chine à l’aide de son propre passeport. Selon Mme Zhu, la SAR a fait fi de cette décision indéniablement pertinente. Mme Zhu fait valoir que depuis la décision de la SAR, une autre décision rendue par la Cour fédérale renforce sa position (Yao c. Canada, 2016 CF 927 [Yao]).

[17]           Mme Zhu affirme également que la SAR a déraisonnablement rejeté l’assignation à comparaître émis par le BSP à son endroit et que la SAR a émis une hypothèse selon laquelle un mandat d’arrestation ou une assignation coercitive aurait dû être délivré sans fondement probatoire. La SAR n’a pas non plus pris en compte le fait que Mme Zhu pourrait ne pas être au courant qu’un mandat d’arrestation a été émis à son endroit. Selon Mme Zhu, l’existence d’un mandat d’arrestation ne signifie pas nécessairement qu’elle ou les membres de sa famille en auraient été avisés. Les dispositions de la Loi sur les procédures pénales de la Chine, citée par la SAR, ne soutiennent pas sa conclusion qu’un mandat d’arrestation ou une assignation coercitive aurait dû être délivré à Mme Zhu. En fait, une assignation à comparaître de la sécurité publique, comme celle émise contre Mme Zhu, est précisément visée par la Loi sur les punitions administratives de la sécurité publique de la Chine, ce qui signifie que l’assignation coercive est un choix discrétionnaire. Par conséquent, Mme Zhu fait valoir que le rejet par la SAR de l’assignation à comparaître du BSP n’était pas étayé par la preuve.

[18]           En outre, Mme Zhu souligne que la SAR a omis de mener sa propre analyse de l’avis de congédiement émis par l’employeur et l’avis d’arrestation de son ami, Tao Tao. Selon elle, ces documents étaient d’une importance critique, clairement pertinents quant à la question soumise à la SAR et en contradiction avec ses conclusions. Il était donc déraisonnable que la SAR omette ces éléments de preuve.

[19]           Finalement, Mme Zhu fait valoir que l’évaluation par la SAR de sa demande sur place a été entachée par ses autres conclusions négatives quant à la crédibilité. Puisque la SAR avait déjà déterminé son manque de crédibilité, elle a déraisonnablement rejeté sa demande sans aucune considération.

[20]           Il est étonnant que Mme Zhu ne conteste pas la question déterminante pour la SAR. Plus particulièrement, Mme Zhu ne conteste pas la conclusion de la SAR selon laquelle elle n’est pas une véritable adepte de la Church of the Almighty God. Les conclusions concernant la crédibilité qui ne sont pas contestées sont présumées véridiques (Liu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 207, aux paragraphes 28 à 30). Cette conclusion non contestée a été déterminante pour la demande. Si elle n’est pas membre de la Church of the Almighty God, les autorités chinoises n’auraient eu aucune raison de la rechercher et elle n’aurait pas eu à éviter d’être repérée aux douanes.

[21]           Puisque cette conclusion n’est pas contestée, j’estime que la conclusion de la SAR était raisonnable et que ses conclusions quant à la crédibilité pourront résister au contrôle judiciaire.

[22]           Mme Zhu invoque la jurisprudence pour contester l’analyse effectuée par la SAR de ses allégations sur son départ de la Chine. Toutefois, la jurisprudence ne constitue pas un élément de preuve, qui était l’élément manquant. Ce n’est pas le mandat de la Cour de substituer sa propre décision à celle de la SAR ou de réévaluer les éléments de preuve présentés à la SAR. En outre, la jurisprudence invoquée par Mme Zhu porte sur différentes conclusions factuelles qui ne rendent pas déraisonnable l’analyse des faits par la SAR. L’affaire Yao invoquée ne soutient pas sa position puisqu’elle porte sur la question à savoir si une personne pourrait obtenir et utiliser un passeport frauduleux pour quitter la Chine, et non si une personne peut quitter en présentant son passeport légitime.

[23]           En outre, les erreurs commises par des commissions ne sont pas toutes susceptibles de révision. L’erreur doit aller au cœur de la décision (Castillo Mendoza c. Canada (Citioyenneté et Immigration), 2010 CF 648, au paragraphe 24). La SAR a raisonnablement conclu que les éléments de preuve documentaire soumis par Mme Zhu ne présentaient pas de caractéristiques de sécurité. Il est également raisonnable de conclure que le BSP aurait émis une assignation à comparaître coercitive dans une situation comme celle décrite par Mme Zhu. Puisqu’il n’y a aucune preuve qu’une telle assignation à comparaître a été émise, la crédibilité de Mme Zhu a été minée davantage. Bien que la SAR n’ait pas discuté de l’arrestation présumée de Tao Tao, qui a prétendument fait connaître la Church of the Almighty God à Mme Zhu, cet argument n’est pas suffisant pour rendre la décision de la SAR  déraisonnable. Puisque la SAR a conclu que Mme Zhu n’était pas membre de la Church of the Almighty God, il est raisonnable qu’elle n’ait pas vu la nécessité de discuter de sa relation avec Tao Tao ou de tirer des conclusions à ce sujet.

[24]           La même logique s’applique à la dissection microscopique effectuée par Mme Zhu de la différence entre les membres de la sécurité de l’aéroport et le personnel de la compagnie aérienne, dans laquelle elle prétendait que la SAR se trompait sur les deux ou quatre niveaux de sécurité à l’aéroport. Toutefois, même si la SAR avait commis une erreur concernant les caractéristiques de sécurité de l’aéroport de Shanghai, cette erreur ne serait pas susceptible de révision et ne minerait pas son évaluation de la crédibilité, puisque la SAR a conclu qu’elle n’était pas membre de la Church of the Almighty God ni recherchée par les autorités chinoises.

[25]           En outre, il est parfaitement acceptable que des préoccupations relatives à la crédibilité se rapportant à l’authenticité initiale d’une demande aient une influence sur la demande sur place du demandeur (Jiang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1067, aux paragraphes 28 à 30). Puisque Mme Zhu n’a présenté aucune preuve que son profil de risque attirerait l’attention des autorités chinoises, elle n’a pas réussi à établir une demande de statut de réfugié sur place. Sans aucune preuve fiable démontrant que les autorités chinoises sont au fait de ses activités, sa demande doit être rejetée.

[26]           Pour tous les motifs susmentionnés, je conclus que la décision de la SAR était raisonnable et je rejette la demande.

[27]           Aucune question n’a été soumise pour être certifiée et aucune n’est à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4829-16

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.         La présente demande est rejetée.

2.         Aucune question n’est certifiée.

« Glennys L. McVeigh »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4829-16

 

INTITULÉ :

ZHU c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 mai 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 22 juin 2017

 

COMPARUTIONS :

Michael Korman

Pour le demanderesse

Christopher Ezrin

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Otis & Korman

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour le demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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