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Date: 20161109


Dossier : T-1967-10

Référence : 2016 CF 1249

Ottawa (Ontario), le 9 novembre 2016

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

DÉOGRATIAS NKUNZIMANA,

IRIKUJIJE BELLANCILLE,

EVELINE IRADUKUNDA,

MÉDIATRICE IRAKOZE,

ALYVERA IRAMBONA,

ERIC MUHIZI-IRAKOZE

demandeurs

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               Je suis saisie d’une requête de la défenderesse, que je qualifierais de sui generis, et qui a trait à un jugement final que j’ai rendu le 23 juillet 2014. J’accordais alors partiellement l’action des demandeurs et je rendais, contre Sa Majesté la Reine, les ordonnances suivantes :

LA COUR STATUE que 

1.         L’action des demandeurs est accueillie en partie ;

2.         La défenderesse est condamnée à payer au demandeur Déogratias Nkunzimana la somme de 10 000 $, avec les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec [CcQ] à compter du 22 novembre 2010 ;

3.         La défenderesse est condamnée à payer à la demanderesse Irikujije Bellancille la somme de 27 500 $, avec les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du CcQ à compter du 22 novembre 2010 ;

4.         La défenderesse est condamnée à payer à la demanderesse Eveline Iradukunda la somme de 27 500 $, avec les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du CcQ à compter du 22 novembre 2010 ;

5.         La défenderesse est condamnée à payer à la demanderesse Médiatrice Irakoze la somme de 27 500 $, avec les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du CcQ à compter du 22 novembre 2010 ;

6.         La défenderesse est condamnée à payer à la demanderesse Alyvera Irambona la somme de 27 500 $, avec les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du CcQ à compter du 22 novembre 2010 ;

7.         La défenderesse est condamnée à payer au demandeur Eric Muhizi-Irakoze la somme de 27 500 $, avec les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du CcQ à compter du 22 novembre 2010 ;

8.         Les dépens sont octroyés en faveur des demandeurs.

[2]               Le 14 janvier 2015, le procureur de la défenderesse, informé par le demandeur Nkunzimana que les demandeurs n’étaient plus représentés par procureur, faisait parvenir à ce dernier un chèque payable à son ordre, couvrant la totalité des sommes dues à tous les demandeurs, en capital, intérêts et frais, soit la somme de 187 890,20 $. Sans s’assurer que cette somme serait partagée en conformité avec le jugement rendu, le procureur de la défenderesse n’a obtenu qu’une quittance finale du demandeur Nkunzimana.

[3]               En mai 2016, le procureur de la défenderesse a été informé par une avocate mandatée par les demandeurs Médiatrice Irakoze, Alyvera Irambona et Eric Muhizi-Irakoze que ceux-ci n’ont jamais reçu les sommes qui leur sont dues aux termes du jugement.

[4]               Se fondant d’abord exclusivement sur l’alinéa 399(2)a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, la défenderesse a présenté à la Cour une requête visant à modifier les conclusions du jugement et à ordonner au demandeur Nkunzimana de payer les sommes dues aux autres demandeurs. La défenderesse invoquait comme fait nouveau survenu depuis le prononcé du jugement, le fait que M. Nkunzimana refusait de se conformer au jugement.

[5]               Au cours d’une conférence téléphonique tenue le 10 août 2016, je me suis montrée sceptique quant au fait que l’alinéa 399(2)a) pourrait s’appliquer à la présente situation puisqu’aucun fait nouveau, postérieur au prononcé du jugement, n’aurait été susceptible de m’inciter à prononcer une ordonnance autre que celles rendues, bien au contraire. J’ai donc invité la défenderesse à amender sa requête et à plutôt demander l’assistance de la Cour dans le cadre de l’exécution du jugement rendu, en se fondant sur les Règles des Cours fédérales applicables à l’exécution des jugements et sur les dispositions du CcQ qui permettent à un débiteur de répéter l’indu. J’ai également exprimé l’idée qu’il serait souhaitable que la défenderesse paie les sommes dues aux demandeurs qui ne devraient pas être impliqués dans ce nouveau litige, afin d’éviter qu’ils engagent des frais inutiles.

[6]               Par sa requête amendée, fondée sur les articles 3, 4, 359, 399(2)a), et 423 des Règles des Cours fédérales, sur les articles 1491 et 1554 du Code civil du Québec et sur l’article 657 du Code de procédure civile, RLRQ c C-25.01 , la défenderesse demande à la Cour de :

Déclarer que le Receveur général du Canada a payé une somme de 187 890,20 $ en date du 14 janvier 2015, à Déogratias Nkunzimana, ce qui représente la somme totale de dommages-intérêts octroyés par la Cour à l’ensemble des demandeurs;

Déclarer que Irikujije Bellancille, Eveline Iradukunda, Médiatrice Irakoze, Alyvera Irambona et Eric Muhizi-Irakoze, avaient en date du 14 janvier 2015, chacun droit au paiement d’une somme 34 339,59 $, ce qui représente la somme de 27 500 $ octroyée par la Cour, plus les intérêts et l’indemnité additionnelle à compter du 22 novembre 2010 jusqu’à la date du paiement, soit le 14 janvier 2015 (34 339,59 $);

Déclarer que Déogratias Nkunzimana avait droit, en date du 14 janvier 2015, au paiement d’une somme de 10 000 $ en dommages plus les intérêts et l’indemnité additionnelle (12 487,12 $);

Ordonner à Déogratias Nkunzimana de payer la somme de 171 697,95 $, ce qui représente la part des dommages-intérêts que la Cour a ordonné aux enfants (34 339,59 $ x5) à la représentante du Procureur général du Canada, dans les cinq (5) jours suivant l’ordonnance de cette Cour.

[7]               Par une directive émise le 27 septembre 2016, j’ai fixé l’audition de cette requête au 27 octobre 2016, en rappelant à la défenderesse qu’il serait souhaitable que les demandeurs Irikujije Bellancille, Eveline Iradukunda, Médiatrice Irakoze, Alyvera Irambona et Eric Muhizi-Irakoze aient alors reçu les sommes qui leur sont dues, afin d’éviter d’engager des frais additionnels.

[8]               Lors de l’audition de la requête, le demandeur était présent et représenté par son avocate, alors que les demandeurs Médiatrice Irakoze, Alyvera Irambona et Eric Muhizi-Irakoze étaient présents par voie de vidéoconférence à partir de Québec et représentés par leur avocate.

[9]               La veille de l’audition, j’ai reçu des quittances de la part de Irikujije Bellancille et Eveline Iradukunda, par lesquelles elles ratifient le paiement de 34 339,59 $ fait par la défenderesse à Déogratias Nkunzimana et ce, conformément à l’article 1557 du Code civil du Québec, lequel prévoit que :

1557. Le paiement doit être fait au créancier ou à une personne autorisée à le recevoir pour lui.

S’il est fait à un tiers, il est valable si le créancier le ratifie; à défaut de ratification, il ne vaut que dans la mesure où le créancier en a profité.

[10]           Je prends donc acte de la ratification par Irikujije Bellancille et Eveline Iradukunda du paiement de la part de la somme versée à Déogratias Nkunzimana qui leur a été accordée par le jugement du 23 juillet 2014, dont quittance en faveur de la défenderesse.

[11]           Ceci dit, après avoir entendu les représentations de toutes les parties, je suis toujours d’opinion que l’alinéa 399(2)a) des Règles des Cours fédérales ne s’applique pas en l’instance et que ma compétence pour agir et pour assister la défenderesse dans l’exécution du jugement de la Cour trouve plutôt son fondement dans l’article 423 des Règles des Cours fédérales, qui prévoit que :

423. Toute question concernant l’exécution forcée d’une ordonnance relève de la Cour fédérale.

[12]           Les règles 3 et 4 des Règles des Cours Fédérales m’invitent à rechercher une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible et qui, en cas de silence des Règles, renvoie la Cour à la pratique de la Cour supérieure la plus pertinente en l’espèce, soit la Cour supérieure du Québec dans le cas qui nous occupe.

[13]           Si l’article 423 des Règles n’était pas suffisamment précis pour me permettre de rendre la présente ordonnance, ce dont je doute, je pourrais donc également m’inspirer du nouveau Code de procédure civile qui prévoit que :

657. Le tribunal peut, après le jugement, rendre toute ordonnance propre à faciliter l’exécution, volontaire ou forcée, de la manière la plus conforme aux intérêts des parties et la plus avantageuse pour elles.

[14]           Compte tenu du libellé des conclusions du jugement rendu le 23 juillet 2014, il est évident qu’une partie du paiement fait au demandeur Nkunzimana par la demanderesse a été faite par erreur et il n’était pas, pour la défenderesse, un paiement libératoire. Il n’a jamais libéré la défenderesse de l’obligation de payer la somme due aux demandeurs Médiatrice Irakoze, Alyvera Irambona et Eric Muhizi-Irakoze, en capital, intérêts et indemnité additionnelle. Cette portion du paiement a été faite par erreur et la défenderesse est bien fondée d’en demander le remboursement au demandeur Nkunzimana.

[15]           Ce dernier a déposé un affidavit par lequel il fait valoir que cet argent lui revenait, qu’en début d’instance il était le seul demandeur et que son avocat de l’époque lui a recommandé d’ajouter ses nièces et neveux. Il ajoute qu’il poursuit d’ailleurs cet avocat en responsabilité professionnelle devant la Cour supérieure, en lien avec ce dossier.

[16]           Or, si le demandeur Nkunzimana était insatisfait de mon jugement, il avait le loisir de s’adresser à la Cour d’appel fédérale. Il ne l’a pas fait. L’indemnisation versée à ses nièces et neveux visait à compenser les dommages subis par ces derniers. S’ils n’avaient pas été demandeurs dans le présent dossier, le demandeur Nkunzimana n’aurait pas davantage eu droit à ces sommes. Dans le meilleur des scénarios pour le demandeur, il aurait eu droit aux dommages qui lui ont été accordés par le jugement, et dans le pire des scénarios, son action aurait été rejetée avec dépens.

[17]           Je vais donc accueillir partiellement la requête de la défenderesse en répétition de l’indu et ordonner au demandeur Déogratias Nkunzimana de lui rembourser la somme de 103 018,77 $, soit le montant des dommages et intérêts accordés aux demandeurs Médiatrice Irakoze, Alyvera Irambona et Eric Muhizi-Irakoze par le jugement du 23 juillet 2014, avec les intérêts et l’indemnité additionnelle à compter du 14 janvier 2015.

[18]           Le 31 octobre 2016, j’étais informée qu’au lendemain de l’audition de la requête, le sous-ministre de la justice avait finalement approuvé le paiement des sommes dues à Médiatrice Irakoze, Alyvera Irambona et Eric Muhizi-Irakoze. Cela ne les a malheureusement pas dispensés d’être présents et représentés dans le cadre de l’audition de la requête, et ce, malgré les mises en garde de la Cour. Ils auront donc droit à leurs dépens contre la défenderesse.


ORDONNANCE

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

1.      Ordonne à Déogratias Nkunzimana de payer à la Procureure générale du Canada, dans les cinq (5) jours de la présente ordonnance, la somme de 103 018,77 $ avec les intérêts et l’indemnité additionnelle prévue par la loi à compter du 14 janvier 2015;

2.      Condamne Déogratias Nkunzimana aux dépens en faveur de la défenderesse, pour un montant forfaitaire de 2 500 $, incluant toute taxe et tout déboursé;

3.      Condamne la défenderesse aux dépens en faveur de Médiatrice Irakoze, Alyvera Irambona et Eric Muhizi-Irakoze, pour un seul montant de 5 000 $, incluant toute taxe et tout déboursé.

« Jocelyne Gagné »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1967-10

INTITULÉ :

DÉOGRATIAS NKUNZIMANA, IRIKUJIJE BELLANCILLE, EVELINE IRADUKUNDA, MÉDIATRICE IRAKOZE, ALYVERA IRAMBONA, ERIC MUHIZI-IRAKOZE c SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 octobre 2016

ORDONNANCE ET motifs :

LA JUGE GAGNÉ

DATE DES MOTIFS :

LE 8 novembre 2016

COMPARUTIONS :

Mélanie Asselin

Pour le demandeur

DÉOGRATIAS NKUNZIMANA

Valérie Gagné-Dorval

Pour les demandeurs

MÉDIATRICE IRAKOZE,

ALYVERA IRAMBONA,

ERIC MUHIZI-IRAKOZE

Geneviève Bourbonnais

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mélanie Asselin

Avocate

Québec (Québec)

Pour le demandeur

DÉOGRATIAS NKUNZIMANA

Gosselin Daigle Ouellette & Associés

Avocats

Québec (Québec)

Pour les demandeurs

MÉDIATRICE IRAKOZE,

ALYVERA IRAMBONA,

ERIC MUHIZI-IRAKOZE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour la défenderesse

 

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