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Date : 20170613


Dossier : IMM-4862-16

Référence : 2017 CF 587

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 juin 2017

En présence de monsieur le juge Harrington

ENTRE :

REZARTI UJKAJ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Certains parleront de justice naturelle, d’autres, d’équité procédurale ou de primauté du droit. Peu importe le terme utilisé, dans notre pays, une personne dont les droits pourraient être atteints par une décision d’une cour ou d’un tribunal administratif doit avoir la possibilité de défendre sa cause ou de présenter une défense. M. Ujkaj, un résident permanent du Canada, fait l’objet d’une ordonnance de renvoi vers l’Albanie après avoir été reconnu coupable de grande criminalité au Canada. Cette ordonnance fait l’objet d’une condition suspensive en raison du fait que M. Ujkaj est également un réfugié. L’article 115 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) énonce les principes du non-refoulement :

Un réfugié ne sera pas renvoyé dans un pays où il risque de faire l’objet de persécution, de torture ou d’une peine cruelle ou inusitée à moins, en cas de grande criminalité, que le ministre juge qu’il constitue un danger pour le public au Canada.

Aucun avis de danger n’a été émis à ce jour.

[2]               La plainte de M. Ujkaj porte sur le fait que l’ordonnance de renvoi a été émise avant qu’il ait la possibilité de rencontrer son avocat et de lui donner des instructions relativement à l’audience relative à l’interdiction de territoire. La demande de report soumise par son avocat a été refusée.

[3]               Un agent a rédigé un rapport d’interdiction de territoire conformément à l’article 44 de la LIPR au motif qu’il a été reconnu coupable, en novembre 2015, de voies de fait graves en contravention de l’article 268 du Code criminel, et qu’il a été reconnu coupable à nouveau, en avril 2016, de possession d’une substance contrôlée dans le but d’en faire le trafic, à savoir de la cocaïne et du MDMA, dans les deux cas en contravention du paragraphe 5(2) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

[4]               Le représentant du ministre a jugé que le rapport était fondé et a renvoyé l’affaire à la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada aux fins d’enquête sur l’interdiction de territoire.

[5]               M. Ujkaj, qui était alors incarcéré au pénitencier de Collins Bay, à Kingston, a reçu, le 15 septembre 2016, un avis de se présenter devant la Section de l’immigration à Collins Bay le 14 octobre dans le cadre d’une enquête sur l’interdiction de territoire. Les faits qui lui étaient reprochés lui avaient déjà été divulgués le ou vers le 8 août 2016.

[6]               Ce n’est que le 7 octobre 2016 que M. Ujkaj a retenu les services d’un avocat de Toronto. L’avocat a indiqué qu’il n’était pas disponible le 14 octobre et a demandé un report en proposant différentes dates en novembre, dont le 9 et le 10. La Section de l’immigration a consenti à cette demande et fixé la date de l’audience au 9 novembre. Toutefois, l’avocat a ensuite indiqué qu’il n’était plus disponible ce jour-là. L’audience a donc été reportée au 10 novembre. L’avocat a expliqué qu’il ne souhaitait pas que l’audience ait lieu ce jour-là, puisqu’il n’avait pas encore rencontré son client en personne. Sa demande pour un autre report a été refusée.  L’avocat a comparu par téléphone lors de l’audience et continué à se plaindre. D’autres renseignements ont été divulgués lors de l’audience et l’avocat n’a eu que 30 minutes pour en prendre connaissance.

Analyse

[7]               La position la plus favorable de M. Ujkaj est qu’on lui a refusé les principes de la justice naturelle. Comme le juge Le Dain l’a indiqué dans l’arrêt Cardinal c. Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 RCS 643, aux pages 660 et 661 :

L’omission d’accorder une audition équitable, qui est de l’essence même de l’obligation d’agir avec équité, ne peut jamais être considérée en elle‑même sans « importance suffisante » à moins que ce ne soit à cause de son effet perçu [page 661] sur le résultat ou, en d’autres mots, à cause du tort réel qu’elle a causé. Si c’est là la façon correcte de voir les implications de l’analyse adoptée par la majorité de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique sur la question d’équité dans la procédure en l’espèce, j’estime nécessaire d’affirmer que la négation du droit à une audition équitable doit toujours rendre une décision invalide, que la cour qui exerce le contrôle considère ou non que l’audition aurait vraisemblablement amené une décision différente. Il faut considérer le droit à une audition équitable comme un droit distinct et absolu qui trouve sa justification essentielle dans le sens de la justice en matière de procédure à laquelle toute personne touchée par une décision administrative a droit. Il n’appartient pas aux tribunaux de refuser ce droit et ce sens de la justice en fonction d’hypothèses sur ce qu’aurait pu être le résultat de l’audition. [Non souligné dans l’original.]

[8]               Toutefois, il existe des cas où le manque d’équité procédurale ne peut rien changer (voir Mobil Oil Canada Ltd c. Office Canada─Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 RCS 202; Cha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 126; Gennai c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 8; et Correia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 782).

[9]               De quelle défense a-t-on privé M. Ujkaj? L’audience portait uniquement sur à son statut (citoyen, résident permanent ou visiteur) et son dossier criminel. Une fois ces faits établis, la Section de l’immigration se devait d’émettre une ordonnance de renvoi en vertu de l’article 45 de la LIPR, ce qu’elle a fait.

[10]           Si M. Ujkaj s’était vu refuser la possibilité de présenter une défense, il aurait eu la possibilité de présenter cette défense devant la Cour. Bien que le principe général veuille qu’un contrôle judiciaire soit tranché sur le fondement des renseignements que le décideur avait en sa possession au moment où il a rendu la décision, il existe des exceptions dont une est liée aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale (Bernard c. Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263; et Chin Quee v. Teamsters Local #938, 2017 FCA 62).

[11]           L’avocat a fait valoir qu’il serait purement spéculatif de suggérer en quoi la défense possible aurait consisté. Tout au plus, il affirme qu’il aurait pu retenir les services d’un avocat spécialisé en droit criminel qui aurait pu contester les déclarations de culpabilité, mais il ne l’a pas fait. La Cour ne pouvait envisager une contestation indirecte des déclarations de culpabilité (Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 RCS 77). Si les déclarations de culpabilité avaient été contestées, on aurait pu, au mieux, demander un sursis.

[12]           Aucun argument n’a été présenté pour contester le statut de résident permanent de M. Ujkaj. Aucun argument d’erreur sur la personne n’a été présenté. En fait, aucun argument n’a été présenté.  Comme l’a déclaré le juge Phelan dans l’arrêt Correia, précité, au paragraphe 36 :

Il s’agit de l’un de ces cas rares dans lesquels il y a eu un manquement à la procédure en matière d’équité, mais dans lesquels la réparation ne devrait pas être l’annulation de la décision. Le demandeur a été incapable d’avancer les faits pertinents qui auraient pu être soumis au représentant afin de modifier de quelque façon la décision de déférer le rapport. Il ne sert à rien de répéter le processus pour arriver au même résultat. Il est injuste pour les deux parties qu’il soit ordonné une répétition du processus de renvoi. Agir ainsi ne ferait que permettre que la forme l’emporte sur le contenu.

[13]           Quoi qu’il en soit, aucun manquement au principe de justice naturelle ou à l’équité procédurale n’a été observé. Des renseignements ont été divulgués à M. Ujkaj qui, en retour, ne les a pas transmis à son avocat. L’avocat a eu plus d’un mois pour se déplacer de Toronto à Kingston afin de mener une entrevue adéquate.

[14]           L’avocat a remis en question la pertinence même de tenir une audience relative à l’interdiction de territoire. Bien qu’en l’espèce, l’audience aurait été très limitée, il existe d’autres cas où l’audience pourrait être très complexe, comme un rapport rédigé dans le contexte de l’inadmissibilité pour des raisons médicales.


JUGEMENT

Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. La Cour d’appel fédérale n’a aucune question à certifier.

« Sean Harrington »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4862-16

INTITULÉ :

REZARTI UJKAJ c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 juin 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :

Le 13 juin 2017

COMPARUTIONS :

Robert Gertler

Pour le demandeur

Tamrat Gebeyehu

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gertler Law Office

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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