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Date : 20170615


Dossier : IMM-5201-16

Référence : 2017 CF 589

Ottawa (Ontario), le 15 juin 2017

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

ABDOULAYE BARADJI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Dans cette demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, le demandeur recherche que la décision soit infirmée. Il appert de la lecture de son mémoire des faits et du droit que le demandeur se plaindrait non seulement de la décision prise de rejeter sa demande de réfugié ou de personne à être protégée, mais aussi du fait que la SPR a conclu, en vertu du paragraphe 107(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [la LIPR] que la demande est absente d’un minimum de fondement. Le paragraphe 107(2) se lit de la façon suivante :

Preuve

No credible basis

(2) Si elle estime, en cas de rejet, qu’il n’a été présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu fonder une décision favorable, la section doit faire état dans sa décision de l’absence de minimum de fondement de la demande.

(2) If the Refugee Protection Division is of the opinion, in rejecting a claim, that there was no credible or trustworthy evidence on which it could have made a favourable decision, it shall state in its reasons for the decision that there is no credible basis for the claim.

[2]               Cette détermination a son importance puisqu’elle empêchait le demandeur de se pourvoir devant la Division d’appel de la SPR. C’est ainsi que la demande de contrôle judiciaire devant cette Cour était ouverte au demandeur.

[3]               Essentiellement, la SPR n’a pas cru le demandeur, répertoriant une quantité impressionnante de contradictions, d’incohérences et de déclarations non plausibles.

I.                   Norme de contrôle

[4]               La norme de contrôle d’une décision administrative sur le fond est la norme de la raisonnabilité. De fait, peu de questions donnent ouverture à la norme de la décision correcte; d’ailleurs, la Cour suprême du Canada a décrété qu’il existe une présomption à l’effet que les questions de faits et les questions de droit font l’objet d’une norme de la décision raisonnable, à moins bien sûr qu’il s’agisse d’une question de droit telle que répertoriée dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir] (para 58-61). En l’espèce, il n’est pas contesté que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable.

[5]               Il en résulte cependant des conséquences significatives sur le fardeau dont doit se décharger un justiciable qui se plaint d’une décision administrative dont le contrôle se fait selon la norme de la décision raisonnable. En effet, au fameux paragraphe 47 de la décision Dunsmuir, la Cour statue que la déférence à l’endroit de la décision du tribunal administratif doit présider, car la raisonnabilité a des apanages bien délimités. Je cite au texte la Cour suprême, au paragraphe 47 :

[47] La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[6]               Le fardeau du demandeur est donc d’établir que les conclusions auxquelles en est venue la SPR ne sont pas l’une des issues possibles acceptables par rapport aux faits et au droit. De même, il pourrait être démontré que la raisonnabilité n’a pas été atteinte du fait que la décision pêche par son absence de justification, de transparence ou d’intelligibilité dans le processus décisionnel. Or, cette démonstration n’a pas été faite par le demandeur. Tout au plus, il tente d’offrir des explications à certaines des contradictions et incohérences qui pourraient faire en sorte qu’il pourrait y avoir une autre issue possible et acceptable. Ce n’est pas le test auquel le demandeur est convié lorsqu’il attaque une décision administrative pour défaut de raisonnabilité. Il faut plutôt démontrer que la décision n’est pas l’une de ces issues possibles acceptables.

II.                Les faits

[7]               Les faits de cette affaire, quoiqu’extraordinaires, sont relativement simples. Le demandeur, un citoyen du Mali, serait orphelin de père et de mère. Alors âgé de 8 ans, en 1990, il aurait été recueilli à un orphelinat, présumément situé au Mali, par une personne de citoyenneté syrienne. Cette personne l’aurait amené en Syrie. Il y est demeuré durant les 22 années suivantes.

[8]               Alors que les troubles en Syrie ont commencé en 2011, les personnes qui avaient recueilli le demandeur en 1990 ont fui vers la Turquie. Le demandeur, qui n’aurait jamais acquis la citoyenneté syrienne, se serait vu bloquer l’entrée en Turquie. Le demandeur aurait alors près de 30 ans.

[9]               Il aura donc choisi de retourner au Mali, probablement au début de 2012. À son arrivée au Mali, il prétend avoir été arrêté à l’aéroport et questionné sur sa présence en Syrie. Il aurait été détenu pendant une semaine et son passeport aurait été confisqué. À sa libération, il se serait réfugié auprès d’un Imam qui l’a alors hébergé pendant 6 mois.

[10]           Sa vie au Mali aurait été rendue pénible parce qu’il aurait été arrêté, notamment à plusieurs reprises à des postes de contrôle routiers, et qu’il se considérait, à toute fin utile, comme étant une cible qui faisait l’objet de surveillance.

[11]           Le demandeur s’est marié en 2013 et de cette union sont nés deux enfants. Ce serait en mars 2016 que le demandeur aurait fait l’objet d’une dernière recherche par les autorités maliennes qui se seraient présentées à sa demeure et auraient demandé à ce qu’il se présente au poste de police. Si on comprend le témoignage du demandeur, il prétend qu’il était une personne d’intérêt pour les autorités de son pays parce qu’il serait soupçonné d’être un terroriste. À son retour au Mali, il n’était plus en mesure de s’exprimer en français ou dans une des langues utilisées au Mali, et ses seules références seraient arabes et islamiques. À la suite de cette visite en mars 2016, il s’est réfugié chez un ami entre le 20 mars et le 10 avril. Il se serait alors procuré un passeport sous un nom d’emprunt. Du Mali, il aurait transité en Côte d’Ivoire en voiture, et il est arrivé au Canada via Bruxelles. Le dossier ne révèle pas comment le demandeur s’est retrouvé à Bruxelles à partir de la Côte d’Ivoire. De fait, le dossier est court à bien des égards. À son arrivée au Canada, le demandeur a revendiqué l’asile.

III.             La décision dont contrôle judiciaire est demandé

[12]           Dans sa décision rédigée avec soin, la SPR a répertorié un grand nombre de difficultés avec la version donnée par le demandeur à l’audience. En fait, la position qu’a adoptée le demandeur dans cette affaire est que certaines des difficultés répertoriées par la SPR peuvent recevoir une interprétation différente de celle qui a été retenue. De plus, les contradictions enregistrées entre la formule de fondement de la demande d’asile et la version donnée à l’audience par le demandeur peuvent être expliquées, nous dit le demandeur, par des problèmes rencontrés quant à la traduction de ce document de l’arabe parlé par le demandeur et sa version française.

IV.             Analyse

A.                Décision raisonnable

[13]           Ni l’une ni l’autre de ces tentatives d’explication ne saurait tenir la route. La prétention que des difficultés d’interprétation auraient été à la base des contradictions et incohérences apparaît comme étant une explication ex post facto. De toute manière, beaucoup des éléments entre le fondement de la demande d’asile, dont il était responsable et qui a été complétée sans intervention du gouvernement, et le témoignage correspondent. Les erreurs de traduction ne peuvent venir uniquement là où le demandeur se contredit ou est incohérent, mais pas dans le reste de la traduction. Si le demandeur avait des difficultés lors de la traduction, il aurait dû les soulever pour que cette prétention puisse avoir quelque crédibilité. Mieux encore, il avait l’option d’utiliser un autre traducteur.

[14]           Qui plus est, comme le note le défendeur, la preuve documentaire présentée par ce demandeur était particulièrement défectueuse. Il n’est pas anodin que :

(a)          Son passeport et son acte de mariage mentionnaient deux lieux de résidence différents où le demandeur affirme n’avoir jamais vécu.

(b)         Son passeport, son acte de mariage et les actes de naissances [sic] de ses filles mentionnaient que le demandeur occupait des emplois différents alors que ces informations étaient toutes fausses selon le demandeur.

(c)          L’acte de mariage mentionnait le mauvais lieu de mariage, sans que le demandeur puisse expliquer cette erreur.

(d)         Le demandeur était incapable de donner le nom des deux témoins à son mariage et la seule personne qu’il a identifié [sic] comme témoin n’était pas inscrite à ce titre dans l’acte de mariage.

(e)          Le demandeur n’a pu expliquer les divergences de date de ses entrées et ses sorties du Mali et les dates des étampes contenues dans son passeport

Mémoire supplémentaire du défendeur, para 8

[15]           Dit autrement, la traduction n’a pas été démontrée comme étant défectueuse et il s’agit plutôt là, fort probablement, d’une explication ex post facto. En fait, même la preuve documentaire n’avait aucune cohérence.

[16]           Quant aux contradictions et incohérences à l’audience, le demandeur a cherché à en expliquer quelques-unes. Or, aucune de ces explications ne permet d’argumenter avec succès que les conclusions de la SPR sont déraisonnables, au sens de l’arrêt Dunsmuir.

[17]           Il serait fastidieux de relever toutes les questions qui se sont présentées à la SPR, certaines faisant l’objet d’une tentative d’explication par le demandeur alors que d’autres ne sont tout simplement pas expliquées. À titre illustratif, je reproduis quelques paragraphes de la décision :

[24]      Le tribunal est aussi sans preuve de la date de retour du demandeur au Mali. Le demandeur a déposé en preuve sa carte d’étudiant à l’institut Al Fath. Cette dernière a été émise le 20 février 2012 alors que le demandeur a déclaré qu’étant donné l’instabilité du pays en 2011, les examens finaux de l’année scolaire 2011-2012 ont eu lieu en décembre 2011 afin que les élèves puissent rentrer chez eux, notamment pour les étrangers. Ainsi, le demandeur est rentré au Mali en janvier 2012. Le tribunal s’explique mal, dans ces conditions, pourquoi l’institut Al Fath émettrait des cartes d’étudiants une fois les examens finaux effectués et l’école, pour ainsi dire, fermée. Le demandeur déclare également ne pas savoir pourquoi cette date est mentionnée sur sa carte d’étudiant. Le tribunal lui a alors demandé comment il a obtenu cette carte. Il indique l’avoir obtenue l’été, puis invité à préciser il répond qu’il s’agit de l’été 2010 ou 2011. Ceci ne fait aucun sens. Finalement, dans son formulaire Annexe A, le demandeur aurait indiqué à l’agent d’immigration que de septembre 1999 à août 2011, il aurait étudié à Damas dans une école secondaire dont il ne connaitrait pas le nom. Confronté à la différence de date de fin d’études et au fait qu’il ne connaitrait pas le nom des deux instituts dans lesquels il aurait étudié, et plus particulièrement le nom de l’Institut Al Fath, le demandeur répond qu’il sait qu’il a étudié là-bas et qu’il ne sait pas pourquoi l’agent d’immigration ne l’a pas écrit, peut-être a-t-il mal compris. Ceci mine plus avant la crédibilité du demandeur quant à ses études et sa localisation en 2012.

[25]      D’ailleurs, sa localisation également remise en doute quant à sa présence au Mali. En effet, il n’y a pas deux documents maliens présentés par le demandeur qui indique les mêmes informations, plus particulièrement quant à son adresse.

(…)

[28]      Le demandeur est ensuite confronté à sa carte d’identité nationale émise à Tambacara à une période au [sic] le demandeur a indiqué habiter à Bamako. Il explique qu’il devait aller « vendre des choses là-bas » et qu’à Bamako c’est très difficile de faire émettre une telle carte. Le demandeur est alors questionné à savoir pourquoi cette carte indique comme adresse : « Gory, chez son père » le 28 juillet 2015 si le demandeur est orphelin. Le demandeur répond que cette adresse devait certainement figurer sur les documents qu’il a présentés pour obtenir cette carte. Le demandeur d’ajouter qu’il n’a rempli aucun formulaire pour demander cette carte et qu’on le lui a pas posé de question [sic]. Le tribunal lui demande alors comment l’officier aurait su qu’il est employé de commerce, le demandeur répond qu’on lui a posé la question. Ceci mine sa crédibilité. De plus, le tribunal ne voit pas comment le demandeur, étant donné son parcours allégué, aurait eu en sa possession en 2015 les documents indiquant qu’il résidait chez son père. De plus, ceci amène plutôt le tribunal à se demander si le demandeur est effectivement orphelin.

[18]           En fait, les incohérences et contradictions relevées par la SPR pourraient tomber dans trois catégories :

1)      Problèmes relatifs à la documentation : Le demandeur prétendait ne pas avoir été à l’école en Syrie parce qu’il ne pouvait être enregistré, n’ayant pas obtenu un passeport valide. Le tribunal s’est questionné sur la possibilité qu’il en soit ainsi et que son père adoptif n’ait pas pu obtenir un tel passeport. Lorsqu’un passeport malien aurait été obtenu en 2010 avant son départ de la Syrie, sa provenance n’est pas expliquée. Un nouveau passeport obtenu semble-t-il sans difficulté en 2015 génère des soupçons puisque, selon le demandeur, il était constamment harcelé et était, dit-il, soupçonné de terrorisme. De plus, ce passeport serait en remplacement de celui qui aurait été confisqué par les autorités maliennes lors du retour du demandeur en 2012 (la Cour note qu’il semble que le demandeur ait quitté le Mali en 2016 après avoir obtenu un faux passeport – décision paras 12 et 20). Les certificats de naissance de la femme et des enfants du demandeur posent aussi problème. Ainsi, par exemple, le demandeur n’était pas en mesure de donner la date de naissance de ses enfants alors qu’on le lui demandait lors de l’audience. Il n’y avait pas plus d’explication de la raison pour laquelle la naissance de sa femme apparaîtrait comme étant enregistrée deux fois (lors de sa naissance et, de nouveau, en 2016). Le certificat de mariage est aussi problématique parce qu’un mariage qui aurait été célébré à un endroit donné n’est pas celui apparaissant au certificat. De plus, seul un des quatre témoins est identifié.

2)      Preuve incohérente relativement aux lieux où ce demandeur s’est trouvé : Ici, c’est le parcours du demandeur qui est décrit comme étant « pour le moins inhabituel ». Le demandeur n’est pas en mesure d’expliquer comment il s’est retrouvé en Syrie en 1990 mais, de façon encore plus singulière, on ne sait rien de son statut en Syrie entre 1990 et 2012. Or, en 2012, le demandeur a 29 ou 30 ans. On est en droit d’obtenir des explications au sujet des 21 années passées en Syrie. L’enfant est devenu un adulte. Outre la question de la carte d’étudiant à laquelle il est référé dans l’un des paragraphes plus haut, et l’impossibilité d’identifier l’école secondaire fréquentée à Damas entre 1999 et 2011, on peut noter le fait qu’une adresse apparaissant au passeport du demandeur lui est complètement inconnue. La SPR s’est aussi interrogée sur les différentes adresses du demandeur après son retour au Mali, alors que les informations données sur des formulaires sont différentes de celles que le demandeur était en mesure de fournir à l’audition.

3)      L’instruction et l’historique d’emploi du demandeur : La SPR s’est questionnée sur la prétention du demandeur selon laquelle, en 2006, il étudiait « textes et expressions, grammaire, dictée, conversation, lecture, recherche. » Il avait alors 24 ans. Son historique d’emploi au Mali est aussi plutôt nébuleux alors même que différents emplois et professions sont présentés par le demandeur sur des documents variés.

[19]           Les tentatives d’explication données par le demandeur ne démontrent en aucune façon que les conclusions tirées par la SPR ne sont pas raisonnables parce qu’elles ne seraient pas l’une des issues possibles acceptables. Il a au mieux suggéré des explications sans pour autant convaincre que les conclusions tirées par la SPR sont hors des issues possibles acceptables. Ces conclusions se ramènent toutes à une seule constatation : le témoin n’est pas crédible. Je ne puis voir en quoi cette conclusion aurait pu être mise en doute et la démonstration faite par le demandeur ne vient pas près de convaincre de l’absence de raisonnabilité.

B.                 Absence de minimum de fondement

[20]           Comme indiqué plus haut, la SPR a aussi conclu « qu’il n’a été présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu fonder une décision favorable » (para 34). À mon avis, cette conclusion du tribunal est sans reproche. En effet, c’est l’ensemble de la preuve qui a été présenté qui permet d’arriver à cette conclusion. La SPR le dit sans ambages :

[34]      Tous les éléments jusqu’ici soulevés, notamment sur des éléments centraux à ses allégations, amènent le tribunal à conclure que le demandeur n’est pas un témoin crédible. Ainsi, le tribunal ne croit pas aux allégations du demandeur. De plus, le tribunal estime qu’il n’a été présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel aurait pu se fonder une décision favorable. Ainsi, le tribunal conclu qu’il a [sic] absence de minimum de fondement dans la présente demande.

[21]           Le demandeur n’a pas tort de rappeler que chaque manque de crédibilité ne constitue pas pour autant une absence de minimum de fondement (Ouedraogo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 21), mais cela n’exclut en aucune manière la possibilité qu’un manque général de crédibilité génère une absence de minimum de fondement.

[22]           Si je comprends bien l’argument du demandeur, l’existence d’une preuve objective documentaire quant à la situation au Mali serait suffisante pour faire échec à une conclusion en vertu du paragraphe 107(2) de la LIPR. De l’avis du demandeur, cette prétention est appuyée par la décision de la Cour d’appel fédérale dans Rahaman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 89; [2002] 3 CF 537 [Rahaman].

[23]           Le demandeur cherche appui sur le paragraphe 19 de cette décision. Dans ce paragraphe, la Cour examinait les effets d’amendements législatifs quant à l’utilisation de la notion d’absence de minimum de fondement. On faisait alors référence à la décision du juge Denault dans Foyet c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (2000) 187 FTR 181 [Foyet] où il précisait que « dans le cas où il y a une preuve documentaire indépendante et crédible, on ne peut conclure à l’absence de minimum de fondement ». La Cour d’appel fédérale se déclarait en accord avec ce passage mais y apportait une réserve importante. Le passage dans Rahaman auquel le demandeur réfère se lit de la façon suivante :

[19]      (…) À mon avis, il s'agit d'un énoncé exact du droit tel qu'il a été compris jusqu'à maintenant. J'y apporterais une réserve cependant : pour empêcher une conclusion d' « absence de minimum de fondement », il faut que la « preuve documentaire indépendante et crédible » à laquelle le juge Denault fait référence puisse étayer une reconnaissance du statut de réfugié.

[Je souligne]

[24]           La conclusion qu’en tire le demandeur est que l’existence d’une preuve objective documentaire constitue la possibilité d’étayer une reconnaissance du statut de réfugié. Cette conclusion aurait probablement pu être tirée du seul arrêt Foyet, mais ce n’est plus possible depuis Rahaman. En fait, Rahaman est à l’effet contraire lorsqu’on poursuit la lecture et que la Cour d’appel explique comment la preuve documentaire peut étayer la reconnaissance du statut. Toute preuve documentaire ne suffit pas. En effet, la Cour réfute une telle conclusion au paragraphe 29 que je reproduis :

[29]      Cependant, comme le juge MacGuigan l'a reconnu dans l'arrêt Sheikh, précité, le témoignage du revendicateur sera souvent le seul élément de preuve reliant ce dernier à la persécution qu'il allègue. Dans de tels cas, si la Commission ne considère pas que le revendicateur est crédible, il n'y aura aucun élément de preuve crédible ou digne de foi pour étayer la revendication. Comme ils ne traitent pas de la situation du revendicateur en particulier, les rapports sur les pays seuls ne constituent généralement pas un fondement suffisant sur lequel la Commission peut s'appuyer pour reconnaître le statut de réfugié.

[25]           La Cour explique même que « l’existence de certains éléments de preuve crédible ou digne de foi n’empêchera pas une conclusion d’« absence de minimum de fondement » si ces éléments de preuves sont insuffisants en droit pour que le statut de réfugié soit reconnu au revendicateur  » (para 30). Donc, la preuve documentaire seule ne constitue généralement pas ce qui pourrait étayer une reconnaissance du statut de réfugié parce qu’elle ne traite pas de la situation de la personne. Qui plus est, même certains éléments de preuve crédible ou digne de foi ne seront pas suffisants pour éviter la désignation d’« absence de minimum de fonctionnement », si ces éléments ne sont pas suffisants pour que le statut de réfugié soit reconnu au revendicateur.

[26]           La seule preuve de la situation au Mali ne suffit pas pour reconnaître le statut de réfugié. Il en résulte que la Cour ne peut venir qu’à la conclusion que la conclusion tirée par la SPR au sujet de l’absence de fondement n’a pas été démontrée comme étant déraisonnable.

[27]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[28]           Il n’y a pas de question sérieuse à certifier.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-5201-16

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question sérieuse d’importance générale n’a été proposée et aucune n’est certifiée.

 

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5201-16

 

INTITULÉ :

ABDOULAYE BARADJI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 juin 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 juin 2017

 

COMPARUTIONS :

Luciano Mascaro

 

Pour le demandeur

 

Émilie Tremblay

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Arpin, Mascaro & Associés

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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