Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20170608


Dossier : T-2365-14

Référence : 2017 CF 557

Ottawa (Ontario), le 8 juin 2017

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

JOANNE FRASER, ALLISON PILGRIM ET COLLEEN FOX

demanderesses

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Les demanderesses, qui sont toutes des membres retraitées de la Gendarmerie royale du Canada [la GRC], ont introduit, en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, la présente demande, dans laquelle elles réclament un jugement déclaratoire et d’autres réparations. Elles allèguent que la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R-11, [la LPRGRC] et le Règlement sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada, CRC, c 1393, [le Règlement] créent envers elles de la discrimination fondée sur le motif énuméré du sexe et sur le motif analogue du statut de parent (tel que convenu pour les besoins de la présente demande), contrevenant ainsi au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés [la Charte]. Les demanderesses soutiennent que les dispositions de la LPRGRC et du Règlement n’accordent pas l’égalité de bénéfice de la loi aux femmes qui ont des responsabilités parentales, parce que ces dispositions ne permettent pas aux membres ayant participé à des ententes de partage de poste, un groupe majoritairement composé de femmes ayant des enfants, de contribuer à leur régime de pension de la même manière que les membres qui ont travaillé à temps plein ou qui ont pris des congés non payés (CNP). Les demanderesses prétendent que cette violation ne saurait se justifier dans une société libre et démocratique.

[2]               Les demanderesses cherchent à obtenir un éventail d’ordonnances bien précises, dont certaines ont été modifiées lors de leurs observations formulées de vive voix, notamment un jugement déclarant que les dispositions contestées de la LPRGRC contreviennent au paragraphe 15(1) de la Charte, et une ordonnance portant qu’il faut interpréter les dispositions contestées de la LPRGRC de manière à permettre aux personnes qui se trouvent dans la même situation qu’elles de contribuer de manière rétroactive à leur régime de pension comme si elles avaient travaillé à temps plein (c.‑à‑d., « racheter ») afin qu’elles puissent recevoir des prestations de pension comparables à ce qu’elles auraient reçu si elles avaient travaillé à temps plein au cours de la période où elles partageaient leur poste.

I.                   Survol

[3]               Les demanderesses soutiennent que la LPRGRC crée une discrimination fondée sur le sexe et le statut de parent, du fait qu’elle ne leur accorde pas la possibilité de contribuer à leur pension en fonction d’un salaire à temps plein pour la période où elles partageaient leur poste afin de s’acquitter de leurs responsabilités à l’égard de leurs enfants. Les demanderesses affirment que le fait qu’on ne leur a pas accordé cet avantage a pour effet qu’elles vont toutes recevoir un revenu de retraite moins élevé que celui de leurs collègues ayant le même nombre d’années de service qu’elles.

[4]               Les demanderesses font remarquer que les membres de la GRC qui travaillent à temps partiel et/ou partagent un poste sont en grande partie des femmes et que cette réalité reflète les tendances générales du marché du travail pour les femmes. Les demanderesses font valoir que la LPRGRC établit une distinction qui perpétue un désavantage qui existe déjà en ce qui a trait aux obstacles auxquels les femmes sont confrontées pour s’assurer de recevoir un revenu de retraite suffisant et qui perpétue le stéréotype selon lequel les femmes peuvent uniquement travailler à temps plein ou rester à la maison et s’occuper des enfants et de la famille, mais qu’elles ne peuvent pas faire les deux.

[5]               Le défendeur soutient que la LPRGRC et le Règlement ne créent pas de distinction directe ou indirecte fondée sur le motif énuméré du sexe ou motif analogue du statut de parent. Les dispositions en cause n’occasionnent pas la réduction de la pension et n’y contribuent pas. Les répercussions sur les prestations de pension des demanderesses sont attribuables à leur décision de partager un poste et à leur statut d’employées à temps partiel qui en a découlé, et non pas aux dispositions de la LPRGRC qui s’appliquent à tous les membres de manière égale.

[6]               Le défendeur fait remarquer que tous les membres de la GRC accumulent du service ouvrant droit à pension, qu’ils contribuent au même taux et qu’ils ont tous droit à des prestations de pension établies en fonction de leurs années de service et des heures de travail qui leur ont été attribuées. Aucun cotisant au régime de pension ne peut bonifier sa pension en « rachetant » des prestations de pension pour les périodes de temps au cours desquels il n’a pas travaillé. Le défendeur fait valoir que les demanderesses demandent, dans les faits, l’obtention d’un avantage auquel aucun autre membre de la GRC ou fonctionnaire n’a droit.

[7]               Pour les motifs élaborés ci‑dessous, et compte tenu des principes dégagés dans la jurisprudence, des ouvrages de sciences sociales produits par les demanderesses en ce qui concerne l’évolution du statut de la femme au sein du marché du travail, des quelques autres éléments de preuve, ainsi que des observations orales et écrites formulées par les demanderesses et le défendeur, la demande est rejetée.

[8]               Bien que la preuve dont je dispose démontre que la vaste majorité des quelques membres de la GRC qui partagent leur poste et qui travaillent à temps partiel sont des femmes, et qu’au moins 60 % de ces membres ont fait cela pour s’acquitter de leurs responsabilités à l’égard de leurs enfants, l’incidence de cette situation sur leurs prestations de pension n’est pas attribuable à leur statut de femme ou à leur statut de parent. L’incidence sur leurs prestations de pension s’explique par le fait qu’elles travaillaient à temps partiel. Leur pension reflète leur statut d’employées à temps partiel, comme ce serait le cas pour toute personne ayant travaillé à temps partiel à un moment ou à un autre au cours de sa carrière.

[9]               Les demanderesses ont choisi de partager un poste pour concilier leurs responsabilités familiales et les demandes imposées par leur travail de policières. Bien qu’elles fassent remarquer que cela leur a imposé un « désavantage économique » qui a occasionné une incidence défavorable sur leur pension, il en est ainsi uniquement si les prestations de pension sont examinées en faisant abstraction de tout autre facteur, notamment les facteurs économiques, et sans égard aux autres possibles avantages que peut comporter le partage de poste. Aucun élément de preuve versé au dossier ne traite des nombreuses autres considérations qui ont eu un rôle à jouer dans la décision des demanderesses de partager leur poste et de travailler à temps partiel, et il y a bien peu de preuve à propos des autres avantages et inconvénients que comporte le fait de travailler à temps partiel tout en s’acquittant de ses responsabilités à l’égard de ses enfants et en s’engageant activement auprès de ceux-ci.

[10]           Cependant, même si on tient pour acquis que les demanderesses ont subi un préjudice, les préjudices n’ont pas tous un effet discriminatoire. La jurisprudence a établi une analyse en deux volets pour déterminer si une mesure législative ou une politique contrevient au droit à l’égalité garanti par la Charte : premièrement, la loi crée‑t‑elle une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue et, deuxièmement, la distinction crée‑t‑elle un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application d’un stéréotype.

[11]           La distinction discriminatoire est celle qui a l’effet de perpétuer un désavantage arbitraire en raison de l’appartenance à un groupe énuméré ou analogue. La LPRGRC ne crée pas de distinction fondée sur le motif énuméré du sexe ni sur le motif analogue du statut de parent. Le fait que la majorité des membres qui travaillent à temps partiel et des membres qui partagent un poste soient des femmes, et que celles-ci n’ont pas la possibilité de contribuer à leur pension en fonction du salaire d’un employé à temps plein, n’est pas attribuable à la LPRGRC, mais plutôt à leur situation personnelle et aux décisions qu’elles ont prises.

[12]           Dans l’éventualité où ma conclusion est erronée, et que la LPRGRC établit une distinction fondée sur le sexe ou sur le statut de parent, une telle distinction ne créerait pas un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application d’un stéréotype.

[13]           Dans les faits, les femmes continuent de faire face à des obstacles au travail, et bon nombre de ces obstacles sont attribuables au problème énorme qui consiste à concilier la vie familiale et la carrière. Le fait que les demanderesses aient trouvé une manière de régler ce problème et de retourner par la suite dans leurs fonctions à temps plein, et d’avoir une longue carrière dans la GRC, constitue un exemple des arrangements flexibles qui existent à notre époque pour régler, dans une certaine mesure, ce problème.

[14]           Les efforts déployés par les demanderesses dans la poursuite du présent litige visant à accroître la sensibilisation à propos de la nécessité d’apporter des modifications aux politiques et aux lois en matière d’emploi afin de mieux répondre aux besoins des femmes et des parents sur le marché du travail sont dignes de mention. Bien que la LPRGRC ne réponde pas parfaitement aux attentes et aux besoins des demanderesses, ni à ceux des autres membres qui ont partagé un poste et qui ont travaillé à temps partiel, et qu’elles peuvent initialement sembler déphasées par rapport aux possibilités offertes aux membres ayant pris un CNP, cela ne signifie pas que la LPRGRC est discriminatoire.

II.                Le contexte

[15]           Les demanderesses, Joanne Fraser, Allison Pilgrim et Colleen Fox, étaient des policières et des membres de la GRC. Elles sont maintenant à la retraite. Elles ont toute donné naissance à leur premier enfant au début ou au milieu des années 1990 et elles sont toutes retournées dans leurs fonctions à temps plein après avoir pris un congé de maternité de six mois. Les demanderesses ont décrit les problèmes auxquels elles ont été confrontées lorsqu’elles sont retournées à leurs fonctions de patrouilleuses, notamment en ce qui avait trait à la prise d’arrangements pour la garde de leurs enfants, et qu’elles ont dû jongler avec de nombreuses responsabilités.

[16]           Les difficultés se sont accrues lorsqu’elles ont donné naissance à leur deuxième enfant. Mme Fox a estimé que travailler à temps plein tout en s’occupant de deux enfants, dont l’un était atteint d’un handicap, était impossible. Elle s’est renseignée à propos du travail à temps partiel et des autres possibilités, mais cela n’existait pas à la GRC à ce moment‑là. En l’absence d’autres choix, elle a pris sa retraite de la GRC en juin 1994.

[17]           Mme Fraser s’est elle aussi renseignée à propos des possibilités qui lui permettraient de répondre aux demandes contradictoires de sa carrière et de sa famille après son deuxième congé de maternité en mars 1997. La GRC lui a accordé un CNP de cinq ans.

[18]           En décembre 1997, la GRC a adopté une politique de partage de poste; les membres de la GRC pouvaient partager un même poste à temps plein, avec un ou plusieurs autres membres, pour une période de temps limitée ou déterminée.

[19]           Mme Pilgrim a pu tirer profit de la politique de partage de poste et elle est retournée en fonction dans le cadre d’une entente de partage de poste en 1999, après son deuxième congé de maternité.

[20]           Mme Fox a rejoint les rangs de la GRC en 2000, dans un poste partagé.

[21]           La GRC a communiqué avec Mme Fraser pour lui offrir de revenir au travail, après son CNP, dans le cadre d’une entente de partage de poste avec un autre membre. Elle a accepté et elle est retournée en fonction en 2000.

[22]           Les demanderesses affirment toutes qu’elles ont participé à des ententes de partage de poste pour des raisons familiales, surtout pour concilier les obligations liées à leurs enfants et leur travail. Elles décrivent le partage de poste comme le moyen qui leur a permis de rester présentes dans la vie de leurs enfants et de répondre aux besoins quotidiens de ces derniers, tout en leur permettant de continuer à exercer leur profession de policière.

[23]           Les demanderesses ne contestent pas qu’elles ont chacune signé un protocole d’entente [PE] qui énonçait les modalités de l’entente de partage de poste. Elles n’allèguent pas que la GRC a fait des présentations erronées en ce qui a trait aux modalités du partage de poste. Cependant, Mme Fraser et Mme Pilgrim font toutes les deux remarquer que les conseillers en rémunération et en pension leur avaient donné des conseils différents à propos de leur statut pendant la période visée par leur entente de partage de poste, et à propos de leur capacité à racheter des périodes de service ouvrant droit à pension.

[24]           Les demanderesses décrivent que ce n’est qu’après qu’elles eurent commencé à partager un poste et/ou qu’elles furent retournées à des fonctions à temps plein qu’elles ont eu parfaitement connaissance du fait qu’elles ne pouvaient pas « racheter » des périodes de service à temps plein ouvrant droit à pension pour la période où elles partageaient leur poste, comme si elles avaient été en CNP, malgré leurs attentes à l’effet contraire. Les demanderesses affirment qu’elles toucheront à la retraite un revenu de pension moins élevé que si elles avaient travaillé à temps plein, parce qu’elles ont choisi de participer à des ententes de partage de poste pendant une période déterminée pour répondre à leurs responsabilités en matière de garde d’enfants et de leurs responsabilités familiales. Elles font remarquer que, si elles avaient choisi de prendre un CNP, elles auraient pu contribuer à leur régime de manière à « racheter » des périodes de service à temps plein ouvrant droit à pension pour la période où elles n’avaient pas travaillé et qu’elles auraient en fin de compte reçu un revenu de pension équivalent à celui qu’elles auraient reçu si elles avaient travaillé à temps plein pendant cette période.

III.             Les autres initiatives, griefs et plaintes

[25]           Les demanderesses et les autres membres de la GRC qui ont participé à des ententes de partage de poste ont fait valoir leurs préoccupations auprès de la haute direction lorsqu’elles ont appris qu’elles ne pourraient pas racheter des périodes de service à temps plein ouvrant droit à pension pour la période de temps où elles partageaient leur poste. Quatorze membres ont écrit à J.P.R. Murray, commissaire de la GRC, le 31 mai 2000, pour exposer la situation, pour exprimer l’opinion selon laquelle le refus de leur accorder cet avantage était inéquitable et illogique, et pour solliciter des appuis afin que des modifications soient apportées.

[26]           Le Comité consultatif des pensions de retraite de la GRC [le CCPR], établi en vertu de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R-10 [la Loi sur la GRC], pour prodiguer des conseils sur les politiques en matière de pension et sur les questions connexes, s’est aussi penché sur cet enjeu et il a retenu les services d’un actuaire pour le conseiller au sujet des possibilités offertes par la LPRGRC en ce qui concerne le service à temps partiel. L’actuaire a fait état de la flexibilité conférée par la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl.) [la LIR] et le Règlement de l’impôt sur le revenu, CRC, c 945 [le RIR], lesquels comprennent des dispositions au sujet des cotisations au régime de pension pour les personnes dont les heures de travail sont réduites de manière temporaire, et il a constaté que la LPRGRC pouvait être modifiée afin de traiter des périodes où les membres de la GRC ont travaillé des heures réduites à divers stades de leur vie familiale ou de leur carrière.

[27]           L’actuaire a souligné, dans la lettre du 1er novembre 2000 dans laquelle il résumait son opinion, que le RIR comportait plusieurs restrictions. Il a mentionné que [traduction] « si un membre a toujours fourni des services à temps partiel, il ne serait pas possible de prévoir des prestations de pension comme s’il avait fourni des services à temps plein ».

[28]           Mme Pilgrim et Nancy Noble (qui a soumis un affidavit) ont déposé des griefs en 2000 par lesquels elles contestaient le rejet de leur demande de rachat de périodes de service à temps plein ouvrant droit à pension pour la période où elles partageaient leur poste. Les deux griefs ont été renvoyés au Comité externe d’examen (CEE). En 2007, le CEE a rendu une décision en leur faveur. Le CEE était d’avis qu’aucune disposition législative ni aucune politique n’empêchait la GRC de définir l’entente de partage de poste comme étant constituée des heures travaillées et d’une période de CNP. Le CEE s’est fondé sur l’avis de l’actuaire selon laquelle la LPRGRC pouvait être modifiée et sur une politique de congé de préretraite du Conseil du Trésor qui permettait aux employés de la fonction publique qui approchaient de la retraite de réduire leurs heures de travail et de traiter les heures non travaillées comme des périodes de CNP.

[29]           Le commissaire de la GRC n’est pas lié par les décisions du CEE. En 2010, le commissaire par intérim a rejeté les deux griefs et il a conclu que la LPRGRC ne permet pas de définir le partage de poste comme comprenant, en partie, un CNP, et qu’il faudrait modifier la LPRGRC afin de permettre aux membres de racheter des périodes de service ouvrant droit à pension pour la période au cours de laquelle ils partageaient un poste. Le commissaire a pris acte de la situation dans laquelle les membres se trouvaient, mais il a conclu que l’impossibilité pour les membres en partage de poste de racheter des périodes de service à temps plein ouvrant droit à pension n’était pas discriminatoire.

[30]           Les demanderesses soulignent aussi que le CCPR de la GRC appuyait une proposition visant à permettre aux membres qui participent à une entente de partage de poste de racheter des périodes de service à temps plein ouvrant droit à pension. En outre, l’inspecteure Carma Mackie de la GRC a avisé les demanderesses par courriel en 2006 que les travaux visant à modifier la LPRGRC et le Règlement afin de permettre aux personnes qui partagent un poste de bénéficier du régime de pension de la même manière que les membres à temps plein étaient terminés.

IV.             La preuve

[31]           La preuve est composée d’affidavits. Les demanderesses ont produit leurs propres affidavits accompagnés de pièces, ainsi que l’affidavit de Mme Nancy Noble. Elles y décrivent leurs carrières, les difficultés posées par le retour à des fonctions de patrouilleuses à temps plein après leur deuxième congé de maternité, tout en répondant à leurs obligations envers leurs enfants et leurs ententes de partage de poste.

[32]           Les demanderesses ont aussi produit l’affidavit du professeur Christopher Higgins dans lequel il décrit les conclusions de sa recherche sur les enjeux liés au travail et à la famille, ainsi que l’incidence de la [traduction« surcharge de rôles » (lorsque le travail fait obstacle aux obligations familiales, ou lorsque les obligations familiales font obstacle au travail, au point où la personne à l’impression de ne jamais avoir assez de temps) sur les personnes et les organismes, notamment au sein du milieu policier.

[33]           Le défendeur a produit le témoignage de Mmes Shelly Rossignol et Kimberley Gowing, expertes en matière de pension.

[34]           Mme Rossignol décrit le régime de pension de la GRC (soit, la LPRGRC), le travail à temps partiel en général, et le travail à temps partiel à la GRC, les CNP et le partage de poste. Mme Rossignol explique la différence entre le service ouvrant droit à pension, les contributions au régime de pension et les prestations de pension, ainsi que la manière dont les prestations de pension sont calculées (soit, le montant que recevra le membre retraité). Mme Rossignol donne aussi des précisions au sujet de certains des renseignements inclus dans les affidavits des demanderesses.

[35]           Mme Gowing donne un aperçu des régimes de pension du secteur public, notamment celui créé par la LPRGRC, décrit le service à temps partiel ouvrant droit à pension et les CNP, en plus d’expliquer que les dispositions du RIR au sujet des heures de travail temporairement réduites sont supplétives et qu’elles ne font pas partie de la LPRGRC ou de la Loi sur la pension de la fonction publique, LRC 1985, c P-36 [LPFP].

[36]           Un résumé plus détaillé des affidavits est joint à l’annexe A.

V.                Les concepts et la terminologie

[37]           Les demanderesses ont employé divers termes pour désigner les prestations qu’elles espéraient recevoir ou les contributions qu’elles avaient l’intention de « racheter » de manière à pouvoir bénéficier des mêmes prestations de pension à la retraite que les personnes qui ont travaillé à temps plein tout au long de leurs années de service. Si l’on se fie aux mesures de réparation qu’elles avaient initialement demandées, il y avait possiblement une certaine mauvaise compréhension au sujet des dispositions de la LPRGRC et de l’application de cette loi. En outre, les termes que la Cour a utilisés pour résumer les observations et pour décrire les enjeux en l’espèce peuvent aussi varier. Il est par conséquent utile de préciser les concepts de service ouvrant droit à pension, de contributions au régime de pension et de prestations de pension, ainsi que ceux de statut d’emploi (temps partiel et temps plein), de CNP et d’heures temporairement réduites. Néanmoins, il se pourrait, par inadvertance, que, en ce qui concerne le concept de « rachat », les bons termes ne soient pas utilisés.

[38]           En ce qui concerne le service ouvrant droit à pension, Mme Rossignol explique la règle « une année de travail correspond à une année de service », qui signifie que les années de service ouvrant droit à pension s’accumulent au même rythme pour les membres qui travaillent à temps partiel que pour les membres qui travaillent à temps plein; un membre qui travaille pendant un an accumule une année de service ouvrant droit à pension, sans égard à son statut. En d’autres termes, un membre qui a travaillé 20 ans à temps plein et 5 ans à temps partiel a accumulé 25 années de service ouvrant droit à pension, comme c’est le cas pour un membre qui a travaillé à temps plein pendant 25 ans.

[39]           En ce qui a trait aux contributions au régime de pension, tous les membres contribuent au fonds de pension selon le taux prévu par la loi, soit 7,5 % de leur salaire. Ce montant est exprimé en pourcentage pour tenir compte des heures de travail attribuées, de sorte que les contributions sont proportionnelles au salaire réel au cours de cette période. Les demanderesses ont contribué à leur pension alors qu’elles partageaient leur poste, et leurs contributions étaient donc proportionnelles aux heures qui leur avaient été attribuées.

[40]           Le terme prestations de pension désigne le montant qu’un membre recevra du régime de pension lorsqu’il prendra sa retraite. Les prestations de pension sont fondées sur la rémunération annuelle moyenne reçue au cours des cinq années consécutives à rémunération la plus élevée du service ouvrant droit à pension. Lorsqu’un membre a des périodes de service à temps partiel ouvrant droit à pension, la rémunération annuelle moyenne est déterminée en fonction de l’équivalent à temps plein, de manière à ce que ce membre ne soit pas désavantagé du fait qu’il travaille à temps partiel au cours des années où la rémunération attachée à leur poste est la plus élevée. Subséquemment, la pension est rajustée pour refléter le nombre d’heures de travail réellement attribuées au membre.

[41]           Le calcul donné par Mme Rossignol à titre d’exemple fait état d’un membre qui a travaillé pendant 30 ans, soit 25 ans à temps plein, deux ans à 18,75 heures par semaine et trois ans à 20 heures par semaine, et dont la moyenne des cinq meilleures années de salaire s’élève à 50 000 $. Ce membre recevait une prestation de pension de 27 600 $ par année. Cela tient compte de l’ajustement de ces cinq années de travail à temps partiel.

[42]           Si ce membre avait travaillé à temps plein pendant 30 ans, sa prestation de pension serait de 30 000 $ selon le même calcul. Cela constitue une différence de 2 400 $ par année, ou 92 % de la pension complète, en raison des cinq années de travail à temps partiel.

[43]           Des précisions doivent aussi être apportées au sujet du statut d’emploi. Les demanderesses décrivent leur statut de manière différente. Elles font valoir qu’elles étaient des membres à temps plein de la GRC qui avaient accepté de travailler temporairement moins d’heures. Elles font aussi valoir que les heures au cours desquelles elles n’ont pas travaillé dans le cadre de l’entente de partage de poste étaient des heures de CNP. Les demanderesses reconnaissent aussi qu’elles ont temporairement travaillé à temps partiel pendant qu’elles partageaient un poste. Dans tous les cas, les demanderesses prétendent qu’elles étaient présumées travailler à temps plein, puisque la réduction de leurs heures de travail, ou leur statut à temps partiel, ne valait que pour une période limitée, et que leur commandant pouvait modifier la situation.

[44]           Mme Pilgrim a déclaré qu’elle se percevait comme étant en CNP la moitié du temps, et qu’elle travaillait l’autre moitié, et elle a fait valoir qu’elle avait présenté des feuilles de présence qui reflétaient cette situation, alors qu’elle décrivait la semaine pendant laquelle elle ne travaillait pas comme une semaine de CNP.

[45]           Les demanderesses soutiennent que la distinction faite entre le travail à temps partiel et le travail à temps plein n’a pas à être si rigide, parce que le contexte social dicte que les membres travaillant à temps partiel travailleront moins d’heures pendant que leurs enfants sont jeunes et qu’ils retourneront plus tard travailler à temps plein. Les demanderesses soutiennent que cela diffère de la situation où un membre est embauché pour travailler à temps partiel.

[46]           Le défendeur s’oppose à la thèse des demanderesses selon laquelle elles étaient présumées être des employées travaillant à temps plein. La LPRGRC et le Règlement ne contiennent pas de définition du terme « partage de poste », et prévoient uniquement qu’un membre travaille à temps plein ou à temps partiel. Le défendeur fait valoir que le partage de poste est et a toujours été une forme de travail à temps partiel, et fait remarquer que cela a été admis par les demanderesses lors du contre-interrogatoire. Les demanderesses étaient des membres travaillant à temps plein, mais elles avaient un statut de membres travaillant à temps partiel pendant qu’elles partageaient un poste.

[47]           Selon moi, il ne fait aucun doute que les demanderesses travaillaient à temps partiel pendant leur entente de partage de poste.

[48]           Le Bulletin de 1997 décrivait le « partage de poste » comme étant la situation où deux ou trois membres partagent les fonctions et les responsabilités d’un poste à temps plein. Il décrit aussi le « partage de poste » comme s’appliquant à un membre dont le nombre d’heures normales de travail est plus élevé que 12 (en moyenne), mais inférieur à 40 heures par semaine. Cela est compatible avec la définition de travail à temps partiel prévu au paragraphe 3(2) du Règlement sur la pension de la fonction publique, CRC, c 1358.

[49]           L’annexe 11.10 du Manuel d’administration de la GRC (qui, selon Mme Rossignol, reprend le contenu du Bulletin de 1997 concernant le partage de poste) comprend un chapitre intitulé « Rémunération des membres employés à temps plein ou qui partagent un poste ». Bien que le guide utilise les deux termes, ce qui peut donner à penser qu’il existe une certaine différence entre les deux concepts, les dispositions sont les mêmes pour les membres qui travaillent à temps partiel et pour ceux qui partagent un poste. En outre, il établit une distinction claire entre les membres qui partagent leur poste et ceux qui travaillent à temps plein.

[50]           Les dispositions du PE type, que chaque membre ayant conclu une entente de partage de poste a signé, font également une distinction avec l’emploi à temps plein. Par exemple, une clause prévoit que si le membre présente une « demande de travailler à temps plein à une date ultérieure », une telle demande sera examinée uniquement s’il est possible d’y répondre sur le plan administratif ou opérationnel. Si le commandant demande au membre de travailler plus d’heures, soit un nombre d’heures équivalent à un emploi à temps plein, il doit donner un avis d’un mois, lequel signale aussi un changement dans le statut d’emploi.

[51]           Le PE signé par Mme Pilgrim stipulait, entre autres, que l’entente de partage de poste entrerait en vigueur le 6 août 1999 et prendrait fin le 6 août 2002, [traduction« date à laquelle elle [reprendrait] son statut d’employée à temps plein, ou la continuité de l’entente de partage de poste [serait] réévaluée ».

[52]           Le PE visant Mme Noble mentionnait qu’elle travaillerait [traduction« la moitié du nombre d’heures travaillées par un membre à temps plein » et que chaque membre visé par l’entente de partage de poste [traduction] « [travaillerait] la moitié du nombre d’heures travaillées par un membre à temps plein ».

[53]           Ces stipulations appuient la conclusion selon laquelle les membres qui partageaient un poste n’étaient ni des membres travaillant à temps plein ni des membres présumés travailler à temps plein pendant la période du partage de poste. Le statut d’emploi des membres à temps plein n’est pas le même que celui des membres qui partagent leur poste. La preuve produite par Mme Rossignol et Mme Gowing explique que le partage de poste constitue un emploi à temps partiel et que toute la rémunération et les questions connexes, notamment les contributions au régime de pension, sont calculées en fonction du statut d’emploi à temps partiel.

[54]           Je remarque aussi que Mme Fox a pris sa retraite de la GRC en 1994 et qu’elle s’est enrôlée de nouveau en 2000. Dès lors, elle a immédiatement commencé son retour au travail dans le cadre d’une entente de partage de poste. Cela n’est pas compatible avec l’argument des demanderesses selon lequel elles étaient présumées occuper un poste à temps plein; Mme Fox n’occupait aucun poste avant de s'enrôler de nouveau.

[55]           Je ne souscris pas à l’affirmation selon laquelle les demanderesses étaient partiellement en CNP lorsqu’elles partageaient un poste. Le CNP est un statut différent dans le cadre duquel le membre ne se fait attribuer aucune heure de travail et qu’il n’a aucun lien avec le milieu de travail pendant la période de congé en question. Les demanderesses se sont vues attribuer en moyenne 18,75 heures de travail par semaine, soit la moitié des heures de travail normales.

[56]           Le renvoi des demanderesses à la LIR et au RIR, ainsi qu’à leur description subsidiaire de leur statut à titre de membres à temps plein travaillant temporairement des heures réduites, ne reflète pas la réalité ni ce concept. Comme l’a expliqué Mme Gowing, le concept d’heures temporairement réduites est distinct de celui de travail à temps partiel ou de CNP. Un employé qui travaille à temps plein ou à temps partiel peut obtenir l’autorisation de travailler des heures temporairement réduites. Le RIR ne crée aucun droit pour un employé de travailler des heures temporairement réduites; il traite plutôt du traitement fiscal à l’égard du régime de pension d’un membre qui a travaillé des heures temporairement réduites et qui fait des contributions supplémentaires au régime de pension. Cela n’est possible que si le régime de pension agréé le permet. Mme Gowing fait remarquer que la LPFP et la LPRGRC ne permettent pas une telle chose. Le fait que le RIR traite de cette possibilité n’étaye pas l’argument des demanderesses selon lequel elles travaillaient des heures temporairement réduites et que, dans le cadre de l’analyse contextuelle qu’il convient de faire, il faudrait estimer que leur situation peut être comparée avec celle des personnes qui travaillent des heures temporairement réduites et qui peuvent procéder à des contributions supplémentaires.

[57]           De plus, comme l’a expliqué Mme Gowing, même si la situation des demanderesses devait être décrite comme une situation d’heures temporairement réduites, elles n’auraient pas la capacité d’accroître leur pension, car la LPRGRC ne prévoit pas une telle chose.

[58]           Pour conclure au sujet de la question des termes employés et du statut d’emploi, je conclus que les demanderesses travaillaient à temps partiel pendant qu’elles étaient en partage de poste. Les demanderesses cherchent à éviter d’être décrites ainsi, car elles reconnaissent que les membres à temps partiel ne peuvent pas « racheter » des périodes de service ouvrant droit à pension afin d’accroître leur pension. En outre, le statut d’emploi n’est pas un motif énuméré ni un motif analogue. Cependant, la conclusion selon laquelle les demanderesses avaient un statut de membre travaillant à temps partiel ne met pas un terme à l’analyse dans la présente affaire, puisque cela empêcherait l’examen de leur réclamation. L’accent est sur l’égalité réelle. Leur réclamation repose sur l’incidence de la LPRGRC sur leur situation de personnes en partage de poste qui travaillaient à temps partiel et sur les motifs qui les ont conduites à faire une telle chose.

[59]           Je ferai remarquer une fois de plus que, compte tenu de la précision des termes employés et de l’applicabilité de la LPRGRC, la réparation précise demandée par les demanderesses a été modifiée.

VI.             Les questions en litige

[60]           La question clé est celle de savoir si les dispositions contestées de la LPRGRC et du Règlement violent le droit à l’égalité de bénéfice et de protection de la loi, indépendamment de toute discrimination, garanti au paragraphe 15(1) de la Charte, et le cas échéant, de savoir si cette violation peut être justifiée au titre de l’article premier.

[61]           Plus précisément, la question est celle de savoir si les dispositions contestées de la LPRGRC qui empêchent les demanderesses de contribuer à leur régime de pension de manière égale aux membres travaillant à temps plein pour la période où elles ont travaillé à temps partiel dans le cadre d’un partage de poste créent une distinction fondée sur le motif énuméré du sexe et sur le motif analogue du statut de parent, et de savoir si cette distinction est discriminatoire.

[62]           Les demanderesses et le défendeur conviennent que l’analyse en l’espèce est régie par le critère à deux volets établi par la jurisprudence. Comme l’a confirmé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Withler c Canada (Procureur général), [2011] 1 RCS 396 [Withler], au paragraphe 30 :

La jurisprudence a établi un test à deux volets pour l’appréciation d’une demande fondée sur le par. 15(1) : (1) La loi crée‑t‑elle une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue? (2) La distinction crée‑t‑elle un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes? (Voir Kapp, par. 17.)

[63]           Le défendeur soutient, à titre préliminaire, que l’affidavit du professeur Higgins ne devrait pas être admis en preuve.

VII.          La question préliminaire : l’affidavit du professeur Higgins devrait‑il être admis en preuve?

[64]           Le défendeur soutient que la preuve produite par le professeur Higgins n’est pas admissible en preuve, car il allègue que celle‑ci n’est pas pertinente, qu’elle n’est pas nécessaire pour aider la Cour et qu’elle ne répond pas aux critères établis pour ce qui est de l’admission en preuve de témoignage d’expert dans l’arrêt R c Mohan [1994] 2 RCS 9, [1994] ACS no 36 [Mohan].

[65]           Le défendeur soutient que la preuve produite par le professeur Higgins ne fournit pas à la Cour des renseignements qui ne relèvent vraisemblablement pas de son expérience et de sa connaissance. Le professeur Higgins n’est pas un expert en matière de pensions et son témoignage ne traite pas de la question que la Cour doit trancher.

[66]           Les demanderesses répondent qu’elles n’ont pas produit le témoignage du professeur Higgins pour traiter de la question des pensions en soi. Le professeur Higgins donne plutôt du contexte pertinent; les femmes sont plus susceptibles de s’occuper des enfants, et cela est particulièrement le cas pour les policières. L’étude du professeur Higgins démontre que la culture de la police et le travail par quarts ajoutent tous deux à la « surcharge de rôles » et au stress. Les demanderesses soutiennent que, même si uniquement 10 membres de la GRC ont participé à l’étude de 2012, les résultats obtenus à partir de 4 500 participants s’appliqueraient tout aussi bien à la GRC.

A.                L’affidavit du professeur Higgins est admis en preuve.

[67]           La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Mohan, a énoncé des exigences et les critères applicables à l’acceptation de la preuve d’expert dans un procès: a) la pertinence; b) la nécessité d’aider le juge des faits; c) l’absence de toute règle d’exclusion, et d) la qualification suffisante de l’expert. Seules les exigences relatives à la pertinence et à la nécessité sont en cause dans la présente affaire.

[68]           En ce qui concerne la nécessité, la Cour suprême du Canada a fait remarquer, au paragraphe 22 de l’arrêt Mohan, qu’un expert ne devrait pas avoir la permission de témoigner si son témoignage « selon toute vraisemblance [ne dépasse pas] l’expérience et la connaissance d’un juge » :

[22]      Cette condition préalable est fréquemment reprise dans la question de savoir si la preuve serait utile au juge des faits.  Le mot « utile » n’est pas tout à fait juste, car il établit un seuil trop bas.  Toutefois, je ne jugerais pas la nécessité selon une norme trop stricte.  L’exigence est que l’opinion soit nécessaire au sens qu’elle fournit des renseignements « qui, selon toute vraisemblance, dépassent l’expérience et la connaissance d’un juge ou d’un jury » : cité par le juge Dickson, dans Abbey, précité.  Comme le juge Dickson l’a dit, la preuve doit être nécessaire pour permettre au juge des faits d’apprécier les questions en litige étant donné leur nature technique.  Dans l’arrêt Kelliher (Village of) c. Smith, [1931] R.C.S. 672, à la p. 684, notre Cour, citant Beven on Negligence (4e éd. 1928) à la p. 141, a déclaré que la preuve d’expert était admissible si [traduction] « l’objet de l’analyse est tel qu’il est peu probable que des personnes ordinaires puissent former un jugement juste à cet égard sans l’assistance de personnes possédant des connaissances spéciales ».  [...]

[69]           La preuve produite par le professeur Higgins décrit la « surcharge de rôles » à laquelle les femmes sont exposées en raison des responsabilités à l’égard des enfants et la façon dont elles répondent à cette situation en ce qui a trait à la restructuration du travail et des obligations familiales.

[70]           Comme l’a fait remarquer le défendeur, le professeur Higgins n’est pas un expert en matière de pensions et il ne traite pas de la question centrale dans la présente demande. Cependant, il donne un contexte permettant de situer le partage de poste des demanderesses. Son témoignage reflète la position des demanderesses selon laquelle les femmes ont demandé des ententes de partage de poste pour s’acquitter de leurs responsabilités à l’égard de leurs enfants, qu’il s’agit là d’un exemple de femmes [traduction« réduisant » leur travail pour répondre aux problèmes de « surcharge de rôles », et que cela a eu des incidences par la suite. Ce concept sous-tend les observations des demanderesses selon lesquelles la LPRGRC a un effet préjudiciable sur elles en raison de motifs fondés sur le sexe et/ou le statut de parent.

[71]           Compte tenu de mon expérience personnelle et des commentaires formulés par de nombreux parents ayant eu à concilier les exigences du travail à l’extérieur de la maison avec les responsabilités familiales, et qui ont dû composer avec le stress qui en a découlé, la plus grande partie du témoignage du professeur Higgins ne me surprend pas, et ne surprend vraisemblablement pas qui que ce soit. La « surcharge de rôles », au sens donné par le professeur Higgins, à savoir la situation dans laquelle une personne a trop de choses à faire et pas assez de temps pour les faire, est effectivement une situation courante, non seulement pour les personnes avec des responsabilités à l’égard d’enfants, mais aussi pour quiconque assume plusieurs rôles. Le professeur Higgins donne un nom à ce concept généralement bien compris, décrit son incidence et étaye, à l’aide des résultats de sa recherche, son opinion concernant le rôle plus grand assumé par les femmes.

[72]           Les statistiques citées et les renvois à d’autres travaux de recherche publiés concernant le travail, la famille et le sexe démontraient que l’opinion du professeur Higgins dépasse la connaissance et l’expérience de la Cour. Les recherches du professeur Higgins donnent à penser que, bien qu’il y ait eu une grande évolution en ce qui concerne les femmes sur le marché du travail, la répartition des responsabilités familiales n’a pas changé tant que cela; les femmes continuent d’assumer leurs rôles traditionnels à la maison et elles sont plus susceptibles de réduire leurs heures de travail que leurs homologues masculins pour répondre à la « surcharge de rôles » et de concilier la vie personnelle et la vie professionnelle. En outre, le rapport intitulé Caring for and about those who serve: Work-life conflict and employee well being within Canada’s Police Departments [l’étude sur la police] publié en 2012 par le professeur Higgins et la professeure Linda Duxbury, relève certains facteurs qui ne s’appliquent qu’aux femmes dans la police. Bien que peu de membres de la GRC aient participé à l’étude, celle‑ci traite de l’environnement policier en général.

[73]           L’affidavit du professeur Higgins contient des renseignements plus précis et actuels que les travaux antérieurs également cités par les demanderesses. L’affidavit est admis en preuve, uniquement en raison de sa pertinence pour les besoins de l’analyse contextuelle.

VIII.       Le premier critère – La loi crée‑t‑elle une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue?

A.                Les observations des demanderesses

[74]           En ce qui a trait à la première étape du critère dégagé dans l’arrêt Withler, les demanderesses soutiennent que la LPRGRC crée une distinction fondée sur le motif énuméré du sexe et sur le motif analogue du statut de parent. Elles soutiennent qu’elles sont traitées différemment par le régime de la LPRGRC, parce qu’on refuse de leur accorder le bénéfice offert aux membres qui n’ont pas eu besoin de partager un poste ou de travailler à temps partiel, et qui ont travaillé à temps plein ou qui ont choisi de prendre un CNP.

[75]           Les demanderesses soutiennent qu’elles sont pénalisées en raison de leur travail à temps partiel, contrairement aux personnes ayant pris un CNP. Les membres ayant pris un CNP et n’ayant pas travaillé du tout étaient capables de « racheter » des périodes de service ouvrant droit à pension à leur retour au travail à temps plein. Les demanderesses reconnaissent qu’il n’est pas nécessaire d’avoir recours à un groupe comparateur type pour les besoins de l’analyse, mais elles soutiennent que la comparaison avec les membres ayant pris un CNP donne le contexte nécessaire. En conséquence, du fait qu’on leur refuse l’avantage dont peuvent se réclamer les personnes en CNP, les demanderesses subiront « un recul économique » à leur retraite.

[76]           Les demanderesses soutiennent que le refus de leur accorder cet avantage exacerbe les désavantages que les femmes subissent depuis longtemps sur le marché du travail, perpétue le stéréotype selon lequel les femmes peuvent n’assumer qu’un seul rôle, soit élever des enfants ou travailler à temps plein, et envoie le message selon lequel, dans une entente de partage de poste, le double rôle qu’elles jouent n’est pas reconnu à sa valeur.

[77]           Même si les demanderesses et Mme Noble sont les seules membres qui avaient conclu une entente de partage de poste qui ont témoigné dans le cadre de la présente demande, elles estiment que jusqu’à 150 membres ayant partagé un poste pour s’acquitter de leurs responsabilités à l’égard des enfants ont été touchés par la LPRGRC et bénéficieront de la réparation qu’elles sollicitent si la Cour conclut que la LPRGRC contrevient à l’article 15.

[78]           Les demanderesses soulignent également l’objectif de l’égalité réelle. Les conduites qui élargissent les inégalités constituent de la discrimination, comme l’a récemment énoncé la juge Abella dans les arrêts Première Nation de Kahkewistahaw c Taypotat, [2015] 2 RCS 548 [Taypotat], au paragraphe 17, et Québec (Procureur général) c A, [2013] 1 RCS 61, au paragraphe 332 :

À la base, l’art. 15 résulte d’une prise de conscience que certains groupes ont depuis longtemps été victimes de discrimination, et qu’il faut mettre fin à la perpétuation de cette discrimination. Les actes de l’État qui ont pour effet d’élargir, au lieu de rétrécir, l’écart entre le groupe historiquement défavorisé et le reste de la société sont discriminatoires.

[79]           Les demanderesses soutiennent que, lorsqu’un employeur offre un avantage comme le partage de poste, qui visait à favoriser la conciliation entre le travail et la vie personnelle, il doit le faire de manière non discriminatoire. Bien que le CCPR ait recommandé des modifications, et que le CEE ainsi que le commissaire eussent connaissance de la distinction et des répercussions sur les membres qui avaient conclu une entente de partage de poste, la GRC n’a pas effectué les modifications nécessaires pour étendre l’avantage du « rachat » de périodes de service ouvrant droit à pension aux personnes partageant un poste. Les demanderesses soutiennent que cela élargit l’écart entre le groupe visé et les autres membres de la GRC.

[80]           Les demanderesses reconnaissent que la LPRGRC est à première vue neutre, mais elles prétendent que la loi a un effet discriminatoire sur les femmes ayant des enfants du fait de son incidence disproportionnée sur ces dernières. Les demanderesses soutiennent que la surreprésentation des femmes parmi les membres de la GRC travaillant à temps partiel est suffisante pour prouver que la distinction créée par la LPRGRC a un effet préjudiciable sur les femmes et qu’elle est donc, par conséquent, fondée sur le sexe.

[81]           Les demanderesses soulignent les données fournies par la GRC, pour les années 2010 et 2014, qui démontrent que tous les membres réguliers ou civils de la GRC qui partageaient un poste étaient des femmes, dont la grande majorité citait la famille comme la raison pour laquelle elles avaient opté pour le partage de poste. L’étude sur la police réalisée par le professeur Higgins en 2012 démontre que 61 % des policières sont celles qui s’occupent principalement des enfants dans leur famille, comparativement à 9 % pour leurs collègues masculins. L’étude sur la police montre aussi que seul 1 % des policières ont un conjoint à la maison à temps plein qui s’occupe des enfants, par rapport à 12 % pour les agents masculins.

[82]           Les demanderesses soutiennent que ces données sont compatibles avec la réalité selon laquelle la majorité des travailleurs à temps partiel au Canada sont des femmes, et que cela s’explique par leurs obligations parentales. Les demanderesses soulignent aussi les conclusions similaires tirées par la juge Abella dans le Rapport de la Commission sur l’égalité en matière d’emploi daté de 1984.

[83]           Les demanderesses souscrivent à la proposition du défendeur de qualifier le motif analogue qu’elles invoquent de statut de parent, plutôt que de statut familial, mais elles soutiennent que l’obligation de subvenir aux besoins des enfants constitue une partie intégrale du statut de parent.

B.                 Les observations du défendeur

[84]           Le défendeur fait remarquer que l’analyse relative à la question de savoir si les dispositions contestées de la LPRGRC contreviennent à l’égalité réelle nécessite une analyse du contexte. La question est de savoir s’il existe une distinction dans la LPRGRC qui a pour effet de perpétuer un désavantage arbitraire à l’égard des demanderesses du fait de leur appartenance à un groupe énuméré ou analogue. (Taypotat, au paragraphe 16). Le défendeur prétend que la LPRGRC ne perpétue pas un tel désavantage.

[85]           Le défendeur fait remarquer que les demanderesses ne s’étaient pas vues refuser des prestations de leur régime de pension. Leur service à temps plein ouvre droit à la pension dans son intégralité; « une année de travail correspond à une année de service ». Un membre ne peut contribuer à son régime de pension au‑delà du nombre d’heures qui lui est attribué. Ce choix stratégique est appliqué de manière uniforme dans tous les régimes de pension fédéraux, et ce, à tous les cotisants. Le défendeur réitère que les demanderesses cherchent à obtenir un bénéfice supplémentaire auquel aucun autre membre n’a droit. Si les demanderesses reçoivent une pension réduite, ce n’est pas parce qu’elles sont des femmes ou en raison de leur statut parental, mais plutôt parce qu’elles ont travaillé à temps partiel.

[86]           Le défendeur ajoute que la LPRGRC est conçue de manière à offrir un revenu de retraite aux cotisants qui répondent aux critères d’admissibilité. Elle ne vise pas à répondre à tous les besoins de tous les membres ou à offrir des prestations universelles à tous, afin, par exemple, d’équilibrer les obligations parentales ou de compenser les coûts de garde d’enfants, et elle ne s’immisce pas dans les choix pris par les parents.

[87]           Le défendeur soutient que la différence de traitement allégué par les demanderesses ne découle pas de la LPRGRC, mais plutôt de leur décision de partager un poste, ce qui signifie de travailler à temps partiel. Les situations personnelles des demanderesses, et non leur appartenance à un groupe protégé, ont entraîné le changement de leur statut d’emploi.

[88]           Le défendeur ajoute que les demanderesses ont passé du statut de travailleuses à temps plein à celui de travailleuses à temps partiel et qu’elles ont repris le statut de travailleuses à temps plein au cours de leur carrière, ce qui témoigne une fois de plus que leur situation découlait de leur situation personnelle et de leur statut d’emploi, et non de leur appartenance à un groupe protégé.

[89]           Comme il est mentionné ci‑dessus, le défendeur affirme, pour les besoins de la présente demande uniquement, que le statut découlant d’une relation parent-enfant, en d’autres termes le statut de parent, qui est un sous‑ensemble du statut familial, reflète davantage la situation des demanderesses et constitue le motif analogue approprié en ce qui concerne la protection accordée par l’article 15. Contrairement à ce qu’affirment les demanderesses, le défendeur soutient que le motif analogue du statut de parent ne s’étend pas au vaste ensemble de choix personnels que fait un parent au sujet de son travail ou de ses obligations parentales.

[90]           Le défendeur soutient que la LPRGRC et le Règlement traitent tous les membres de la GRC de manière égale, sans faire aucune distinction directe ou indirecte fondée sur le sexe ou le statut de parent. La LPRGRC s’applique de manière égale à tous les membres de GRC travaillant à temps partiel, tout comme les dispositions de même nature s’appliquent à tous les employés à temps partiel à l’échelle de la fonction publique fédérale. Dans la mesure où il y a un désavantage, celui‑ci touche de la même manière les hommes, les femmes, les parents et les non‑parents, c’est-à-dire que si un membre travaille à temps partiel à certains moments au cours de sa carrière, ses prestations du régime de pension pour cette période seront ajustées en conséquence.

[91]           Le défendeur ajoute que le partage de poste est une politique de dotation et non une politique de pension. Bien que les données limitées de la GRC démontrent que les obligations parentales sont le motif le plus souvent évoqué à l’appui de la décision de travailler à temps partiel et/ou de conclure une entente de partage de poste, il existe d’autres motifs, comme s’occuper d’une personne âgée, retourner aux études ou simplement concilier la vie professionnelle et la vie personnelle, sans aucun lien avec les obligations parentales. Il faudrait que l’on dispose d’éléments de preuve supplémentaires pour pouvoir examiner en profondeur pourquoi les membres partagent un poste ou travaillent par ailleurs à temps partiel. Le défendeur souligne aussi que la vaste majorité des membres de la GRC (soit 99,59 %) travaille à temps plein, et que seulement 0,41 % des membres travaillent à temps partiel.

[92]           Le fait que davantage de femmes ayant des obligations parentales choisissent de travailler à temps partiel ne suffit pas à établir l’existence d’effets préjudiciables d’une discrimination fondée sur le sexe ayant des effets préjudiciables (Grenon c Canada, 2016 CAF 4, au paragraphe 41[Grenon]). Il faut démontrer l’existence d’une répercussion de la loi différente sur le plan qualitatif, donc, non seulement que davantage de femmes que d’hommes sont touchées de manière défavorable, mais que certaines femmes sont plus touchées défavorablement que le groupe d’hommes équivalent. Le défendeur soutient que ce n’est pas le cas en l’espèce.

[93]           Le défendeur ajoute que le quasi-groupe comparateur des membres de la GRC travaillant à temps plein qui prennent un CNP, c’est-à-dire le groupe proposé par les demanderesses, est inapproprié, en faisant remarquer que le CNP est un statut d’emploi différent, et que seuls les membres travaillant à temps plein avant de prendre une période de CNP peuvent « racheter » des périodes de service ouvrant droit à pension. En outre, il n’est pas nécessaire de choisir un groupe aux caractéristiques identiques. Il faut tenir compte du contexte élargi du régime législatif ainsi que de la situation du demandeur à l’intérieur de ce régime pour évaluer les effets réels des dispositions sur l’égalité réelle.

[94]           Le défendeur réitère qu’il n’existe pas de différence de traitement ou de distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue, mais il prétend que, si la Cour devait conclure à l’existence d’une distinction, celle‑ci n’est pas discriminatoire.

C.                 Les principes tirés de la jurisprudence

[95]           La définition du terme discrimination énoncée par le juge McIntyre dans l’arrêt Andrews c Law Society (British Columbia), [1989] 1 RCS 143, au paragraphe 19 [Andrews] constitue le point de départ de toute analyse :

J’affirmerais alors que la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d’un individu ou d’un groupe d’individus, qui a pour effet d’imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d’autres ou d’empêcher ou de restreindre l’accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d’autres membres de la société. Les distinctions fondées sur des caractéristiques personnelles attribuées à un seul individu en raison de son association avec un groupe sont presque toujours taxées de discriminatoires, alors que celles fondées sur les mérites et capacités d’un individu le sont rarement.

[96]           Il y a eu évolution de la démarche adoptée dans l’analyse de la question de savoir si une mesure législative ou une autre mesure constitue de la discrimination et contrevient à la garantie d’égalité de protection et de bénéfice de la loi prévue à l’article 15; l’analyse met maintenant l’accent sur l’égalité réelle. La définition, qui est exposée ci‑dessus, ainsi que le critère à deux volets, établi pour la première fois dans l’arrêt Law c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 RCS 497 [Law], réitérée dans les arrêts R c Kapp, [2008] 2 RCS 483 [Kapp], et Withler, constituent toujours le cadre d’analyse applicable.

[97]           Dans l’arrêt Withler, la Cour suprême du Canada a énoncé le critère à deux volets en ce qui concerne la discrimination :

(1)   La loi crée‑t‑elle une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue?

(2)   La distinction crée‑t‑elle un désavantage en perpétuant les préjugés ou l’application de stéréotypes?

[98]           Plus récemment, dans l’arrêt Taypotat, la Cour suprême du Canada a mis l’accent sur le fait que l’article 15 vise principalement les lois qui établissent des « distinctions discriminatoires » (aux paragraphes 16 et 17);

[16]      L’approche relative au par. 15(1) a été énoncée le plus récemment dans Québec (Procureur général) c. A, [2013] 1 R.C.S. 61, par. 319-347. Cet arrêt a clarifié le fait que le par. 15(1) de la Charte exige « une analyse souple et contextuelle visant à déterminer si la distinction a pour effet de perpétuer un désavantage arbitraire à l’égard du demandeur, du fait de son appartenance à un groupe énuméré ou analogue » (par. 331 (italiques ajoutés)).

[17]      La Cour a confirmé à maintes reprises que l’art. 15 protège l’égalité réelle (Québec c. A, par. 325; Withler c. Canada (Procureur général), [2011] 1 R.C.S. 396, par. 2; R. c. Kapp, [2008] 2 R.C.S. 483, par. 16; Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143). Cette démarche reconnaît que des désavantages systémiques persistants ont eu pour effet de restreindre les possibilités offertes aux membres de certains groupes de la société et elle vise à empêcher tout acte qui contribue à perpétuer ces désavantages. Ainsi que le juge McIntyre l’a fait observer dans l’arrêt Andrews, cette approche repose sur l’idée que toute différence de traitement ne produira pas forcément une inégalité et qu’un traitement identique peut fréquemment engendrer de graves inégalités (p. 164).

[99]           Dans l’arrêt Withler, la Cour a expliqué (aux paragraphes 62 à 65) qu’il n’est pas nécessaire de désigner un groupe de comparaison aux caractéristiques identiques pour établir l’existence d’une distinction, mais que la comparaison, à titre d’élément permettant de comprendre le contexte, continue d’être pertinente, et ce, pour les deux volets de l’analyse. En ce qui a trait au premier volet, la Cour a fait remarquer ce qui suit au paragraphe  62 : « il ressort du mot “distinction” l’idée que le demandeur est traité différemment d’autrui. La comparaison entre donc en jeu, en ce sens que le demandeur prétend qu’il s’est vu refuser un avantage accordé à d’autre ou imposer un fardeau que d’autres n’ont pas, en raison d’une caractéristique personnelle correspondant à un poste énuméré ou analogue visé par le par. 15(1). »

[100]       La Cour a ajouté qu’il peut être plus ardu de prouver l’existence d’une discrimination indirecte (c’est‑à‑dire, les effets préjudiciables), au paragraphe 64 :

[...] Dans d’autres cas, ce sera plus difficile, parce que les allégations portent sur une discrimination indirecte : bien qu’elle prévoie un traitement égal pour tous, la loi a un effet négatif disproportionné sur un groupe ou une personne identifiable par des facteurs liés à des motifs énumérés ou analogues.  Ainsi, dans l’arrêt Granovsky, la Cour a fait remarquer que « [l]es exigences en matière de cotisation du RPC, qui, à première vue, appliquaient les mêmes règles à tous les cotisants, avaient un effet différent sur les personnes qui veulent travailler, mais qui ne peuvent pas le faire en raison d’une déficience » (par. 43).  Dans ce cas, le demandeur aura une tâche plus lourde à la première étape.  L’existence d’un désavantage historique ou sociologique pourrait aider à démontrer que la loi impose au demandeur un fardeau qu’elle n’impose pas à d’autres ou lui refuse un avantage qu’elle accorde à d’autres.  Le débat sera centré sur l’effet de la loi et sur la situation du groupe de demandeurs.

[Non souligné dans l’original.]

[101]       Dans l’arrêt Grenon, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’il n’y avait pas de distinction directe fondée sur un motif énuméré ou analogue dans un cas où un contribuable s’était vu refuser la possibilité de faire des déductions pour des dépenses juridiques engagées dans le cadre de la détermination des versements de pension alimentaire pour enfant. La Cour a fait remarquer, au paragraphe 36, que « [u]ne loi qui est à première vue neutre peut, par inadvertance, avoir un effet disproportionné ou préjudiciable sur un groupe ou une personne et, le cas échéant, satisfaire aux exigences du premier volet de l’analyse Withler ».

[102]       Dans l’arrêt Grenon, la Cour a souligné la nécessité de tenir compte de la discrimination découlant d’effets préjudiciables et a formulé la question de la manière suivante, au paragraphe 37 :

[...] La question devient donc celle‑ci : en limitant indirectement la déductibilité des frais de justice des payeurs, intentionnellement ou autrement, l’alinéa 18(1)a) et la définition de « biens » au paragraphe 248(1) visent‑ils une caractéristique personnelle? Si la réponse à cette question est affirmative, il faut déterminer si la distinction est discriminatoire.

[103]       Dans le même arrêt, la Cour a fait remarquer que, d’après la preuve limitée qui avait été présentée, 92,8 % des payeurs étaient des hommes et que, d’après cette preuve, les dispositions de la LIR avaient un plus grand impact sur les hommes que sur les femmes. Cependant, la Cour a apporté une précision selon laquelle « [o]n ne peut toutefois nécessairement en déduire que cet effet est “préjudiciable” », au sens où l’envisage l’article 15, et elle a donné les explications suivantes au paragraphe 39 :

[39]      Voilà le faux syllogisme qui sous‑tend la cause de l’appelant. L’appelant confond le fait que pratiquement tous les payeurs sont des hommes et la preuve d’un effet préjudiciable. Certes, pratiquement tous les payeurs sont des hommes et ce sont surtout aux hommes qu’on refuse la déduction, mais cela n’est pas une conséquence de la loi. Il n’existe pas de lien entre ce qu’exigent la LIR et la conséquence.

[104]       La Cour a ajouté ce qui suit :

[41]      [...] Pour établir qu’il y a violation de l’article 15, l’appelant doit démontrer que la loi, appliquée de manière objective, a un effet préjudiciable à l’égard des hommes. Quand elle est appliquée aux hommes, par opposition aux femmes, la loi doit avoir un effet qualitativement différent pour les hommes. Un simple déséquilibre numérique ne suffit pas. Comme l’analyse qui vise à déterminer si une disposition contestée est « discriminatoire » recherche l’existence d’une inégalité réelle, l’effet préjudiciable doit également satisfaire à l’exigence d’un effet discriminatoire réel.

[105]       La Cour a conclu, au paragraphe 43, que « [l’]argument fondé sur la Charte ne peut être accueilli parce qu’il confond les circonstances sociales sous‑jacentes et les conséquences de la loi », et a ajouté ce qui suit au paragraphe 44 :

[44]      Dans chaque cas, il doit être établi que la mesure fiscale touche le groupe de personnes visées en raison ou à cause d’un motif interdit (sexe, âge ou origine ethnique), et non par suite d’un effet corrélatif.

[106]       Plus récemment, dans l’arrêt Thompson c Canada (Procureur général), 2016 CAF 253, la Cour d’appel fédérale a conclu que, bien que le demandeur, un employé civil gravement handicapé à la suite de l’écrasement d’un aéronef des Forces canadiennes, ait été traité différemment des membres du personnel militaire qui ont eux aussi été blessés dans l’accident, la différence de traitement n’était pas attribuable à la nature du handicap du demandeur, mais plutôt à son statut d’emploi. La Cour a pris acte des circonstances tragiques, mais elle a conclu que la différence de traitement fondée sur la nature de l’emploi du demandeur ne constituait pas de la discrimination fondée sur un motif analogue au titre de l’article 15.

[107]       Les principes qu’il convient d’appliquer en ce qui concerne le premier volet de l’analyse sont résumés ainsi :

  • L’article 15 protège l’égalité réelle. L’égalité réelle vise à empêcher les comportements qui perpétuent un désavantage arbitraire en raison de l’appartenance à un groupe énuméré ou analogue.
  • Les distinctions discriminatoires sont celles ayant pour effet de perpétuer un désavantage arbitraire en raison de l’appartenance à un groupe énuméré ou analogue.
  • Ce ne sont pas toutes les différences de traitement ou distinctions qui imposent des fardeaux ou qui entraînent le refus de bénéfices qui sont discriminatoires et, en conséquence, contraires à la Charte.
  • Il n’est pas nécessaire de désigner un groupe de comparaison identique pour déceler une distinction. Cependant, la comparaison est inhérente au concept de constatation de l’existence d’une distinction.
  • La discrimination indirecte, ou la discrimination découlant d’effets préjudiciables a surtout trait à l’effet de la loi ou de la mesure sur le groupe. Les groupes traditionnellement désavantagés peuvent démontrer que la loi leur impose un fardeau qui n’est pas imposé aux autres, ou refuse de leur accorder un avantage qui est accordé aux autres.
  • Les différences de répercussions de nature qualitative doivent être appréciées. Les déséquilibres de nature numérique ne sont pas suffisants pour démontrer qu’une loi ou une mesure est discriminatoire.
  • Si on applique le raisonnement à la présente affaire, la loi doit affecter les demanderesses en raison de leur sexe ou de leur statut de parent, et non en conséquence de ce statut; il doit y avoir un « lien qualitatif entre la loi et le groupe ».

D.                Les dispositions de la LPRGRC ne créent pas une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue.

[108]       Pour établir l’existence d’une violation à première vue du paragraphe 15(1), les demanderesses doivent démontrer que les dispositions contestées de la LPRGRC ont un effet disproportionné sur elles en raison de leur appartenance à un groupe énuméré ou analogue (Taypotat, au paragraphe 21).

[109]       Si on formule la question de la même manière qu’elle a été formulée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Taypotat, il s’agit donc de savoir si la LPRGRC, qui établit une distinction entre les membres travaillant à temps partiel et les membres travaillant à temps plein, et qui empêche les membres à temps partiel de contribuer à leur pension au taux des membres travaillant à temps plein, a pour effet de perpétuer un désavantage arbitraire dont sont victimes les demanderesses en raison de leur statut de femme ou de leur statut de parent qui les a conduites à travailler à temps partiel.

[110]       La LPRGRC ne crée pas, à première vue, de distinctions fondées sur un motif énuméré ou analogue. Toute différence concernant la pension et les autres avantages sociaux devant être accordés aux membres à leur retraite est calculée d’après les exigences d’admissibilité au plan (soit, le salaire, les années de service et les périodes d’emploi à temps plein par opposition aux périodes d’emploi à temps partiel).

[111]       En l’espèce, les demanderesses ne se voient pas refuser d’avantages qui ne sont pas accordés aux autres membres travaillant à temps partiel. On ne leur refuse pas non plus un avantage qui est accordé aux autres membres travaillant à temps plein – puisqu’aucun membre, qu’il travaille à temps plein ou à temps partiel, ne peut accroître ses prestations de pension en faisant des contributions plus élevées que celles qui lui sont permises par les heures de travail qui lui ont été attribuées, ou en faisant des contributions plus élevées que ce que lui permet son statut d’emploi. Les demanderesses et le défendeur conviennent que c’est plutôt de l’angle des répercussions ou des effets préjudiciables allégués par les demanderesses qu’il faut examiner la question.

[112]       Les demanderesses sont d’avis que la LPRGRC a des répercussions préjudiciables sur leurs prestations de pension, et ce, en raison de leur sexe ou de leur statut de parent.

[113]       Si l’on formule la question en litige de la même manière qu’elle a été formulée dans l’arrêt Grenon, il s’agit de savoir si c’est en fonction d’une caractéristique personnelle correspondant à un motif énuméré (le sexe) ou à un motif analogue (le statut parental) que les dispositions de la LPRGRC qui lient les prestations au statut d’emploi et aux heures de travail attribuées aux membres (travaillant à temps plein ou à temps partiel), et limitent la capacité des membres travaillant à temps partiel de contribuer à leur pension en raison de ce statut?

[114]       Le paragraphe 15(1) protège l’égalité réelle. Il reconnaît que les désavantages systémiques persistants ont eu pour effet de limiter les possibilités offertes à certains groupes dans la société, et qu’il ne faut pas perpétuer de tels désavantages.

[115]       Selon la preuve fournie par les demanderesses, ce sont les femmes qui continuent d’assumer, de manière disproportionnée, les obligations parentales, et ce, sans égard à leurs obligations relatives à leur carrière. Les recherches en matière de sciences sociales, les études sur le sexe portant sur les femmes au sein du marché du travail ainsi que les rapports antérieurs sur l’égalité des femmes au sein de la main‑d’œuvre démontrent que les normes et les attentes de la société ont pour effet de mettre les femmes dans une position différente de celle des hommes, et que les femmes assument généralement un plus grand fardeau en ce qui a trait à la conciliation des priorités liées au travail et des obligations familiales. La preuve démontre aussi que les femmes représentent un pourcentage élevé de la main‑d’œuvre à temps partiel, surtout dans la tranche d’âge des 25 à 44 ans.

[116]       Bien que certaines études ne soient pas très récentes, le professeur Higgins renvoie aux plus récentes d’entre elles, notamment l’étude sur la police, qui démontre que ce sont toujours les femmes qui s’occupent le plus des enfants dans les familles où les deux parents travaillent.

[117]       Les données tirées de l’aperçu de la GRC, qui sont les seules données disponibles sur le travail à temps partiel et sur le partage de poste dans la GRC, montrent que, en mai 2010, il y avait 22 937 membres civils et réguliers dans la GRC. Uniquement 101 d’entre eux travaillaient à temps partiel; de ce nombre, 31 étaient des membres réguliers. Sur les 31 membres réguliers en question, 11 avaient conclu une entente de partage de poste. Tous les membres qui partageaient un poste en 2010 étaient des femmes, et 60 % d’entre elles invoquaient les obligations parentales comme étant l’un des motifs, voir le seul motif, pour lequel elles partageaient un poste.

[118]       Les données tirées de l’aperçu pour mai 2014 montrent qu’il y avait un total de 22 307 membres réguliers et civils dans la GRC. Seuls 92 membres travaillaient à temps partiel, et de ce nombre, 29 étaient des membres réguliers. Personne n’avait conclu une entente de partage de poste.

[119]       Bien que les demanderesses soutiennent qu’approximativement 150 membres se sont prévalus du programme de partage de poste depuis sa création afin de s’acquitter de leurs obligations parentales, il n’existe pas de données cumulatives permettant de tirer une approximation fiable. La preuve limitée tirée des données de 2010 et de 2014 démontre que très peu de membres travaillant à temps partiel partageaient un poste. Moins d’un demi‑pour cent (0,41 %) des membres de la GRC travaillent à temps partiel. Il s’agit surtout de femmes, et ce, pour des motifs liés aux enfants. Bien que les répercussions de l’incapacité de contribuer au régime de pension au‑delà de ce que leur statut d’employé à temps partiel le permet touchent davantage les membres de sexe féminin ayant des obligations parentales qui travaillent à temps partiel que les autres membres qui travaillent à temps partiel, il en est uniquement ainsi parce que ce très petit groupe est composé en majorité de femmes.

[120]       Les recherches en sciences sociales, dont celles menées par le professeur Higgins, présentent la participation des femmes au marché du travail ainsi que les différents rôles qu’elles assument. Ces éléments de preuve établissent un contexte pertinent, notamment le fait que le choix des demanderesses de partager leur emploi reflète des habitudes de travail propres aux femmes de manière plus générale ainsi qu’aux femmes dans les services policiers. Or, comme le fait remarquer le défendeur, le professeur Higgins n’est pas un expert en matière de régimes de retraite et son opinion sur la « surcharge de rôles » et sur les stratégies à cet égard n’établit aucun lien avec les prestations de pension.

[121]       Les données limitées montrent qu’un pourcentage très faible des membres de la GRC travaillent à temps partiel. Le fait que ce groupe restreint de personnes qui partagent leur emploi et travaillent à temps partiel comprend une majorité de femmes, dont la plupart invoquent les obligations parentales comme raison, cadre avec les résultats des recherches menées par le professeur Higgins, mais ne permet pas d’établir le caractère discriminatoire de la LPRGRC.

[122]       La prétention des demanderesses selon laquelle la présence d’un plus grand nombre de femmes qui partagent leur poste suffit pour conclure à l’existence de discrimination fondée sur le sexe est irrecevable eu égard uniquement aux chiffres. Il faut procéder à une évaluation  davantage de nature qualitative (Grenon) .

(1)               La LPRGRC a-t‑elle un effet préjudiciable ou défavorable à l’égard des demanderesses?

[123]       Comme il est indiqué dans l’arrêt Taypotat, la distinction doit avoir pour effet de perpétuer un désavantage arbitraire. Toute différence de traitement ne produira pas forcément une inégalité. En l’espèce, il faut préalablement déterminer, à la première étape de l’analyse, si la différence de traitement ou la distinction alléguée a un effet préjudiciable, c’est‑à‑dire si elle entraîne un désavantage.

[124]       Tel que je l’ai déjà indiqué, les demanderesses affirment que le nombre de femmes qui ont des responsabilités parentales représente de façon disproportionnée une grande partie du nombre restreint des membres qui partagent leur poste, et qu’elles subiraient des « répercussions financières » à la retraite, comparativement aux autres personnes qui n’ont pas partagé leur poste, en ce qui concerne leurs prestations de pension si elles avaient travaillé à temps plein, et comparativement aux personnes qui prennent un CNP et choisissent ensuite de « racheter » des périodes de service ouvrant droit à pension.

[125]       De manière générale, la preuve au dossier ne suffit pas à étayer les allégations de discrimination des demanderesses, compte tenu des répercussions importantes et de vaste portée du redressement sollicité, notamment le jugement déclaratoire portant que les dispositions de la LPRGRC contreviennent à la Charte, l’interprétation spécifique à donner aux dispositions de ce régime complexe et l’issue particulière à ordonner. Je relève d’emblée que la preuve limitée ne permet pas d’établir s’il existe un effet préjudiciable en ce qui concerne les « répercussions financières » sur leurs prestations de pension.

[126]       Les « répercussions financières » qu’invoquent les demanderesses partent du principe que le seul point de référence consiste à comparer leurs prestations de pension aux prestations qu’elles auraient reçues si elles avaient travaillé à temps plein pendant 25 ou 30 ans, sans égard à tout autre facteur économique ou à un quelconque facteur pertinent. Les demanderesses comparent également leurs prestations de pension aux prestations touchées par d’autres membres qui comptent le même nombre d’années de service. Or, cette comparaison tient pour acquis que ces autres membres ont touché le même salaire moyen des cinq années les mieux payées. Rien dans la preuve ne permet de conclure que tel est le cas; il pourrait y avoir d’importants écarts en fonction des postes occupés et du taux de rémunération.

[127]       Mme Fraser déclare que ses prestations de pension feront l’objet d’une réduction en raison de son emploi à temps partiel, mais elle ne donne pas de précisions à cet égard. Mme Pilgrim estime que ses prestations de pension seront diminuées chaque année de 5 %, et ce, après 27 ans de carrière, en raison du partage de poste, mais elle se contente de fournir un calcul hypothétique. Comme je l’ai déjà mentionné, l’exemple donné par Mme Rossignol, fondé sur plusieurs hypothèses, montre qu’un membre qui a travaillé pendant cinq ans à temps partiel au cours d’une carrière de 30 ans toucherait 92 % du montant des prestations de pension. En l’espèce, aucune des demanderesses n’a travaillé plus de trois ans à temps partiel.

[128]       Selon les demanderesses, la décision de partager leur emploi s’est avérée un choix difficile, fait à contrecoeur, étant donné leurs fonctions de patrouille, le travail par quarts, la nécessité de trouver des services de garde d’enfants, souvent dans des régions rurales ou éloignées, et le besoin de s’acquitter d’autres responsabilités familiales concurrentes. Or, il n’y a aucune preuve au dossier quant à d’autres considérations connexes susceptibles d’avoir influencé la décision des demanderesses de partager leur poste. Je reconnais que les options offertes aux demanderesses pour répondre aux diverses demandes difficiles à concilier étaient limitées. Toutefois, le partage de poste constituait une option intéressante à ce moment‑là. Par exemple, il y avait peut‑être des frais de garde d’enfants moindres, voire aucuns frais, et moins de stress, et les demanderesses auraient touché un revenu continu, malgré le travail à temps partiel, et bénéficié d’autres avantages tirés de l’emploi ainsi que de la liberté de choisir, à leur gré, d’épargner pour la retraite, et de quelle façon, afin de bonifier leurs prestations de pension de la GRC.

[129]       En outre, aucune preuve ne porte sur l’incidence du fait de continuer de travailler par suite d’une entente en matière de partage de poste plutôt que de prendre un CNP, que les demanderesses proposent comme comparateur contextuel. Il y a également très peu d’éléments de preuve au sujet des personnes qui prennent un CNP. Mme Fraser indique qu’elle a pris un CNP de trois ans et qu’elle a racheté des périodes de service ouvrant droit à pension pour la somme de 24 000 $. Elle n’a cependant touché aucun revenu de la GRC durant cette période de trois ans. Les membres qui prennent un CNP et qui ne travaillent pas ailleurs au cours de cette période subissent des désavantages économiques qu’il ne faut pas ignorer, même si les membres en question ont la possibilité de racheter des périodes de service ouvrant droit à pension. Il n’existe aucune preuve concernant le temps nécessaire pour rattraper sur le plan financier la période du CNP passée sans revenu, ni concernant les problèmes liés à la réintégration. Les demanderesses affirment simplement que ce groupe se trouve dans une meilleure position.

[130]       Comme il a été mentionné, il ressort des données disponibles que très peu de membres choisissent de travailler à temps partiel. Rien dans la preuve ne permet de placer les demanderesses dans le groupe des membres qui sont des femmes ayant des obligations parentales et qui n’ont pas choisi de partager leur poste ou de travailler à temps partiel.

[131]       Une analyse globale contextuelle comporte l’examen de l’ensemble de la situation, ce qui comprend les avantages du partage de poste, que les demanderesses reconnaissent d’ailleurs. Il s’agit, entre autres, de plus de temps à passer avec les enfants, de différentes options en matière de garde d’enfants et de moins de stress. Mme Fraser a affirmé qu’elle n’a pas eu à recourir aux services de garde pendant la période de partage de poste puisqu’elle et son époux effectuaient des quarts de travail différents.

[132]       En outre, les demanderesses ont tiré divers autres avantages à la suite du partage de poste. Elles ont bénéficié d’un revenu et des avantages sociaux liés à l’emploi; elles ont maintenu leurs compétences; elles pouvaient postuler pour d’autres postes; elles ont cotisé au régime de pension au prorata et accumulé des périodes de service ouvrant droit à pension au même rythme que les membres travaillant à temps plein; et elles ont relevé les défis associés à l’atteinte d’un équilibre entre les responsabilités professionnelles et les responsabilités parentales. De plus, elles touchent ou toucheront des prestations de pension, bien que réduites d’environ 5 % en moyenne.

[133]       Bien que les demanderesses qualifient l’effet de la LPRGRC de préjudiciable à leur égard, et que la preuve présentée ne porte que sur les conséquences financières sur leurs prestations de pension lorsqu’il n’est question que de la pension, dans le contexte général et compte tenu du nombre limité d’éléments de preuve au dossier, il est difficile de conclure que l’effet est forcément préjudiciable.

(2)               L’effet préjudiciable, le cas échéant, est‑il discriminatoire?

[134]       Tout en reconnaissant que les demanderesses toucheront des prestations de pension réduites par rapport aux prestations qu’elles auraient touchées si elles avaient travaillé de façon continue à temps plein, et qu’elles subiront ainsi des conséquences, et tout en faisant abstraction du fait que l’évaluation quantitative des « répercussions financières » doit tenir compte de facteurs additionnels, je conclus, pour les mêmes motifs que ceux énoncés dans l’arrêt Grenon, que la distinction ou le traitement différent allégué dont font l’objet les demanderesses n’est pas fondé sur le sexe ou sur leurs obligations parentales. La distinction s’explique par leur travail à temps partiel par suite d’une entente en matière de partage de poste afin de s’acquitter des responsabilités conflictuelles en matière de garde d’enfants et de carrière.

[135]       Comme l’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Miceli-Riggins c Canada (Procureur général), 2013 CAF 158, au paragraphe 76 [Miceli-Riggins] :

La demanderesse allègue que les dispositions contestées ont des effets préjudiciables et disproportionnés pour les femmes. Pour faire cette prétention relative à une discrimination indirecte, la demanderesse doit présenter des éléments de preuve démontrant que c’est la disposition contestée, et non pas d’autres circonstances, qui est responsable des effets : Canada (Procureur général) c. Lesiuk, 2003 CAF 3. Nous ne pouvons pas simplement présumer que la disposition en cause est responsable des effets reprochés :

Pour que l’analyse des effets préjudiciables soit cohérente, il ne faut pas présumer qu’une disposition législative possède un effet qui n’est pas prouvé. Nous devons prendre soin d’établir une distinction entre les effets qui sont causés en totalité ou en partie par une disposition contestée et les circonstances sociales qui existent indépendamment de la position en question.

(Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695, au paragraphe 134.)

[136]       Appliquée de manière objective, la LPRGRC n’a pas d’effet préjudiciable en ce qui concerne les femmes. La LPRGRC n’a pas non plus d’effet qualitativement différent en ce qui concerne les femmes en général et les femmes qui ont des obligations parentales, par rapport aux hommes ou à d’autres membres de la GRC qui n’ont pas d’obligations parentales, mais qui ont travaillé à temps partiel au cours de leur carrière.

[137]       Le fait que la grande majorité des membres qui travaillent à temps partiel ou qui partagent leur poste sont des femmes, et que les membres qui partagent leur poste ne bénéficient pas de l’option de cotiser au régime de pension selon le taux de rémunération à temps plein, n’est pas une conséquence des dispositions de la LPRGRC et n’a pas de lien avec ces dispositions. L’« élément clé » est la question de savoir si les membres travaillent à temps partiel. Il n’y a aucun lien avec la LPRGRC. Il s’agit plutôt de la décision familiale des membres, aussi difficile soit‑elle, de concilier le travail et les obligations parentales, en choisissant l’un des parents, habituellement la femme, qui travaillera à temps partiel pendant quelques années.

[138]       Il n’y a aucun lien qualitatif entre les exigences de la LPRGRC et les conséquences pour les femmes qui ont des obligations parentales et qui partagent leur poste. Les conséquences sociales sous‑jacentes qui les ont amenées à partager leur poste et à travailler à temps partiel ne font pas en sorte que les dispositions de la LPRGRC qui permettent de calculer les cotisations au régime de pension selon le travail à temps plein ou à temps partiel créent des distinctions discriminatoires.

[139]       Comme il est mentionné dans l’arrêt Grenon, au paragraphe 43, [traduction] « [l]’argument fondé sur la Charte ne saurait être retenu, car il confond les circonstances sociales sous‑jacentes et les conséquences de la loi. »

[140]       Toutefois, dans le cas où je serais dans l’erreur, et que la distinction ou le traitement différent dont font l’objet les demanderesses et tout effet préjudiciable sur leurs prestations de pension s’explique par leur appartenance à la catégorie des femmes en général ou des femmes qui ont des obligations parentales (ce qui les a amenées à travailler à temps partiel), je passerai à la deuxième étape de l’analyse.

IX.             Deuxième étape La distinction crée‑t‑elle un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes?

A.                Les arguments des demanderesses

[141]       Les demanderesses soutiennent que la distinction ou le traitement différent établi dans la LPRGRC a pour effet de perpétuer les désavantages à l’égard des femmes qui participent au marché du travail. De plus, la LPRGRC porte atteinte d’une manière inéquitable et arbitraire à la capacité des femmes de choisir librement la façon d’établir un équilibre entre les responsabilités professionnelles et les responsabilités familiales.

[142]       Les demanderesses font observer que la GRC connaissait très bien l’effet de la loi à leur égard, mais qu’elle n’a pris aucune initiative visant l’adoption de modifications à la loi. Les demanderesses affirment que le défaut de la GRC de fournir une justification a été établi, ce qui démontre en outre le caractère arbitraire et illogique du traitement différent.

[143]       Selon les demanderesses, les femmes ont historiquement été défavorisées en milieu de travail principalement en raison des croyances et des attitudes discriminatoires quant au rôle qu’elles devaient jouer dans la société en qualité de mères et de pourvoyeuses de soins. La profession policière, traditionnellement réservée aux hommes, comporte un environnement de travail où les tendances historiques à la discrimination contre les femmes qui participent au marché du travail sont exacerbées. Les fonctions de patrouille, notamment le travail effectué par quarts et dans des communautés rurales et isolées, comportent des défis encore plus exigeants lorsqu’il s’agit de trouver un équilibre entre les obligations professionnelles et les obligations parentales.

[144]       Les demanderesses font également remarquer que les prestations de pension ont été désignées comme une source d’inégalité pour les femmes, puisqu’elles récompensent généralement l’emploi permanent et à temps plein, ainsi que les longs états de service, autrement dit, un emploi « typiquement masculin ». Selon le rapport de 1984 de la Commission sur l’égalité en matière d’emploi et le rapport de 1980 de la Commission royale d’enquête sur le statut des pensions en Ontario, les règles relatives aux pensions, qui étaient neutres à première vue, avaient un effet préjudiciable en ce qui concerne les femmes. Les demanderesses affirment qu’en dépit des changements apportés pour favoriser l’égalité, il reste encore beaucoup à faire.

[145]       Les demanderesses font valoir que les répercussions des dispositions de la LPRGRC ont pour effet d’accentuer les désavantages préexistants et de perpétuer des stéréotypes. Elles ajoutent que le traitement différent en matière de prestations de pension a pour effet de perpétuer l’attitude discriminatoire selon laquelle les femmes qui choisissent de trouver un équilibre entre les obligations professionnelles et les obligations familiales ont moins de valeur, et précisent qu’il s’agit d’une approche humiliante.

[146]       Par ailleurs, les demanderesses soutiennent que la LPRGRC a pour effet de promouvoir le stéréotype selon lequel les femmes doivent soit s’occuper de leurs enfants à temps plein, soit participer au marché du travail à temps plein, et qu’elles ne peuvent pas assumer les deux rôles en même temps. Les demanderesses ajoutent que les femmes qui prennent un CNP pour s’acquitter de leurs responsabilités familiales « bénéficient » de l’option de « rachat de périodes de service ouvrant droit à pension », et que, par contre, les personnes qui travaillent à temps partiel et qui partagent leur emploi sont « pénalisées ».

B.                 Les arguments du défendeur

[147]       Le défendeur soutient que, si la Cour conclut que la LPRGRC crée une distinction, celle‑ci n’est pas discriminatoire. Le défendeur estime que les demanderesses cherchent à obtenir un avantage supplémentaire qui n’est pas offert à tous les membres; le refus d’accorder cet avantage supplémentaire ne constitue pas de la discrimination.

[148]       Le fait que la LPRGRC est plus restrictive que les demanderesses l’auraient souhaité ne signifie pas qu’il s’agit d’une loi discriminatoire. La LPRGRC ne prive pas les demanderesses d’un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer un désavantage ou un stéréotype.

[149]       Le défendeur rappelle que les désavantages allégués par les demanderesses découlent de leurs obligations parentales, qui ont nui à leur capacité de travailler à temps plein comme agentes de la GRC. L’effet qu’aurait leur décision de travailler à temps partiel sur leurs prestations de pension est une circonstance distincte qui n’est pas accentuée par la LPRGRC.

[150]       Pour établir si une distinction créée par un régime de prestations sociales, qui comprend un régime de pension, perpétue un désavantage ou un stéréotype, la Cour doit examiner le régime législatif particulier au complet. La retenue judiciaire s’impose lorsque des programmes de prestations sociales sont contestés, étant donné qu’il y a risque de porter atteinte à des intérêts gouvernementaux légitimes. Les distinctions découlant de la législation en matière de prestations sociales ne seront pas considérées à la légère comme discriminatoires (Miceli-Riggins, au paragraphe 57).

[151]       Le défendeur souligne la nécessité de prendre en compte l’effet d’amélioration de la LPRGRC ainsi que la multiplicité des intérêts qu’elle tente de concilier (Withler, au paragraphe 38). La LPRGRC a pour objet de procurer des avantages aux membres, et non de compenser les responsabilités parentales ou les frais de garde d’enfants. Tous les avantages dépendent de la situation d’emploi et du nombre d’heures de travail prédéterminées.

[152]       Le défendeur souligne les maints autres avantages que comportent la LPRGRC et les lois connexes, notamment les dispositions qui visent à appuyer les femmes et les membres qui ont des obligations parentales, par exemple le congé de maternité et le congé parental ainsi que la protection de l’emploi. Les demanderesses reconnaissent les avantages du programme de partage de poste. Il n’y a aucun élément de preuve, à part un commentaire relaté par l’un des déposants, qui laissait croire que les répercussions en matière de prestations de pension du partage de poste avaient pour effet de dissuader les demanderesses et toute autre femme de se joindre à la GRC.

[153]       Le défendeur indique en outre que les demanderesses n’allèguent pas que les femmes en général, les mères ou les parents sont beaucoup plus susceptibles de travailler à temps partiel. Les femmes comptent pour 26,5 % des membres de la GRC, mais pour moins de 0,5 % du nombre total des membres qui travaillent à temps partiel. Autrement dit, la grande majorité des femmes, des mères et des parents travaillent à temps plein.

C.                 Principles jurisprudentiels

[154]       Dans l’arrêt Taypotat, aux paragraphes 16 à 18, la Cour suprême du Canada a souligné que l’article 15 vise les lois qui établissent des « distinctions discriminatoires », c’est‑à‑dire, des distinctions qui ont pour effet de perpétuer un désavantage arbitraire à l’égard d’une personne du fait de son appartenance à un groupe énuméré ou analogue. La Cour a fait observer ce qui suit, au paragraphe 21 :

[21]      Pour établir qu’il y a eu à première vue violation du par. 15(1), le demandeur doit par conséquent démontrer que la loi en cause a un effet disproportionné à son égard du fait de son appartenance à un groupe énuméré ou analogue.  À la seconde étape de l’analyse, la preuve précise requise variera selon le contexte de la demande, mais « les éléments tendant à prouver qu’un demandeur a été historiquement désavantagé » seront pertinents (Withler, par. 38; Québec c. A, par. 327).

[155]       Précédemment, dans Kapp, au paragraphe 19, la Cour suprême du Canada faisait remarquer que, dans l’arrêt Law, la discrimination était définie en fonction de l’effet sur la « dignité humaine » des membres du groupe demandeur, eu égard à quatre facteurs contextuels. La Cour a expliqué, au paragraphe 22, que l’arrêt Law a permis de mieux comprendre le concept de l’égalité réelle, mais que la notion de dignité humaine était difficile à appliquer. La Cour a précisé, aux paragraphes 23 et 24, que l’arrêt Law n’énonce pas un nouveau critère et a expliqué comment appliquer les facteurs contextuels qui y étaient énumérés. La Cour a fait aussi observer qu’il fallait mettre l’accent sur la question de savoir s’il y avait perpétuation d’un désavantage et application de stéréotypes.

[156]       Dans Withler, aux paragraphes 35 et 36, la Cour suprême du Canada a décrit les deux façons de faire la preuve de l’inégalité réelle. La première façon consiste à démontrer que la mesure législative visée, dans son objet ou son effet, perpétue un préjugé et un désavantage à l’égard des membres d’un groupe en raison des caractéristiques personnelles (à savoir que la distinction est fondée sur un motif énuméré ou analogue). La deuxième façon d’établir l’inégalité réelle est de démontrer que le « désavantage imposé par une mesure législative repose sur un stéréotype qui ne reflète pas la situation et les caractéristiques véritables du demandeur ou du groupe ».

[157]       Selon la Cour, « [r]ègle générale, il y a perpétuation d’un désavantage lorsqu’une mesure législative applique, à un groupe historiquement défavorisé, un traitement qui a pour effet d’aggraver sa situation. »

[158]       La Cour a ajouté ce qui suit, au paragraphe 37 :

Qu’elle vise à déterminer si un désavantage est perpétué ou si un stéréotype est appliqué, l’analyse requise par l’art. 15 appelle l’examen de la situation des membres du groupe et de l’incidence négative de la mesure sur eux.  Il s’agit d’une analyse contextuelle, non formaliste, basée sur la situation véritable du groupe et sur le risque que la mesure contestée aggrave sa situation.

[159]       La Cour a également souligné que l’exercice requis n’est pas une comparaison avec un groupe de comparaison, car une telle approche risque de dissimuler l’évaluation de l’inégalité réelle. Il convient plutôt que la démarche adoptée « tienne compte du contexte dans son ensemble, y compris la situation du groupe de demandeurs et la question de savoir si la mesure législative contestée a pour effet de perpétuer un désavantage ou un stéréotype négatif à l’égard du groupe » (au paragraphe 40). Or, la comparaison continue d’être de mise dans l’appréciation du contexte général (au paragraphe 65) :

À cette étape, la comparaison peut favoriser une meilleure compréhension contextuelle de la situation du demandeur dans le cadre d’un régime législatif et dans la société en général et aider ainsi à déterminer si la mesure législative ou la décision contestée perpétue un désavantage ou un stéréotype.  La valeur probante de la preuve comparative, considérée dans cette perspective contextuelle, dépendra des circonstances.

[160]       En outre, la Cour s’est exprimée au sujet de l’analyse requise dans le cas des régimes législatifs en matière de prestations sociales et des régimes de retraite, en faisant remarquer, au paragraphe 38, que l’« effet d’amélioration sur la situation des autres participants et la multiplicité des intérêts qu’elle tente de concilier joueront également dans l’analyse du caractère discriminatoire ». La Cour s’est prononcée comme suit, au paragraphe 67, sur les facteurs pertinents :

Lorsqu’il est question d’un régime de prestations de retraite, comme dans le cas qui nous occupe, l’examen des facteurs contextuels à la deuxième étape de l’analyse requise par le par. 15(1) porte en général sur l’objet de la disposition présentée comme discriminatoire, et se fait à la lumière du régime législatif complet. À qui le législateur voulait‑il accorder un avantage et pourquoi?  Pour trancher la question de savoir si la distinction perpétue un préjugé ou applique un stéréotype à un certain groupe, le tribunal tient compte du fait que de tels programmes sont conçus dans l’intérêt de divers groupes et doivent forcément établir des limites en fonction de certains facteurs comme l’âge.  Le tribunal s’interrogera sur l’opportunité générale de telles limites, compte tenu de la situation des personnes touchées et des objets du régime. Point n’est besoin que le programme de prestations corresponde parfaitement à la situation et aux besoins véritables du groupe de demandeurs.  Le tribunal pourra également prendre en considération l’affectation des ressources et les objectifs particuliers d’intérêt public visés par le législateur.

[161]       Dans l’arrêt Miceli‑Riggins, la Cour d’appel fédérale s’est penchée sur la prétention de la demanderesse selon laquelle son inadmissibilité à des prestations d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada, LRC 1985, c C-8, [RPC], portait atteinte à ses droits à l’égalité. La Cour a souligné que les principes de l’arrêt Withler, dont celui de la « correspondance parfaite » n’entrent pas en ligne de compte.

[162]       La Cour a rappelé, aux paragraphes 59 et 60, qu’une distinction ne crée pas dans tous les cas une discrimination et qu’on ne saurait pas conclure simplement à une violation de l’article 15 de la Charte du fait que « la législation en matière de prestations sociales laisse un groupe, même un groupe vulnérable, à l’extérieur du régime des prestations ». La Cour a aussi souligné la mise en garde faite par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Withler au sujet de l’importance d’effectuer avec sensibilité l’analyse établissant si le régime législatif en matière de prestations sociales contrevient à l’article 15 de la Charte. Dans le cadre de l’analyse contextuelle concernant un régime de prestations sociales, il faut prendre en compte les objectifs et l’effet du régime ainsi que l’intention du législateur.

[163]       Dans l’affaire Canada (Procureur général) c Lesiuk, 2003 CAF 3, [Lesiuk], la Cour d’appel fédérale a conclu que le rôle parental de la demanderesse et ses responsabilités parentales ont porté préjudice à l’admissibilité de la demanderesse aux prestations d’assurance‑emploi. Estimant que la différence de traitement était fondée sur un motif analogue, la Cour a toutefois conclu que celle‑ci n’entraînait pas une discrimination (au paragraphe 38).

[164]       Selon la Cour, les femmes se sont toujours heurtées à des obstacles à leur entrée dans le marché du travail et que ces obstacles sont enracinés dans des préjugés et des stéréotypes, mais la demanderesse n’a pas établi que le régime de l’assurance‑emploi était la source d’une période de désavantages, de stéréotypes, de vulnérabilité et de préjugés.

[165]       Les principes applicables à la deuxième étape de l’analyse ont été résumés comme suit, dans l’arrêt Withler, au paragraphe 54 :

En somme, les décisions de notre Cour concernant l’art. 15 sont pratiquement toutes fondées sur une prémisse commune : à la dernière étape de l’analyse, le tribunal doit déterminer si, en tenant compte de tous les facteurs contextuels pertinents, y compris la nature et l’objet de la mesure législative contestée au regard de la situation du demandeur, la distinction invoquée a un effet discriminatoire en ce sens qu’elle perpétue un désavantage ou applique un stéréotype à l’égard du groupe.

[166]       Les autres principes applicables à la deuxième étape, tirés principalement du même arrêt Withler, sont les suivants :

  • Le demandeur doit tout d’abord établir que la mesure législative contestée a un effet disproportionné à son égard du fait de son appartenance à un groupe énuméré ou analogue (première étape); dans l’affirmative, l’analyse passe à la deuxième étape.
  • La façon de faire la preuve de l’inégalité réelle ou de la discrimination est de démontrer que :
  • La mesure contestée, dans son objet ou son effet, perpétue un préjugé ou un désavantage à l’égard des membres d’un groupe en raison de leurs caractéristiques personnelles. Règle générale, il y a perpétuation d’un désavantage lorsqu’une mesure législative applique, à un groupe historiquement défavorisé, un traitement qui a pour effet d’aggraver sa situation.
  • Le désavantage imposé par une mesure législative repose sur un stéréotype qui ne reflète pas la situation et les caractéristiques véritables du demandeur ou du groupe.
  • Pour déterminer si un régime de prestations sociales crée une distinction et perpétue un désavantage, l’analyse contextuelle comporte l’examen de l’effet d’amélioration de la mesure législative ou du régime contesté, de la multiplicité d’intérêts qu’elle tente de concilier, des bénéficiaires visés, de l’évaluation de l’opportunité générale des limites établies compte tenu de l’intention du régime et des personnes touchées, de l’affectation des ressources et des objectifs d’intérêt public visés par le législateur.
  • Point n’est besoin que le programme de prestations corresponde parfaitement à la situation et aux besoins véritables du groupe de demandeurs.
  • Une distinction ne crée pas dans tous les cas une discrimination; on ne saurait pas conclure simplement à une violation de l’article 15 de la Charte du fait que « la législation en matière de prestations sociales laisse un groupe, même un groupe vulnérable, à l’extérieur du régime des prestations » (Miceli‑Riggins, au paragraphe 59).

D.                La distinction n’a pas pour effet de créer un désavantage par la perpétuation d’un préjudice ou l’application de stéréotypes

[167]       Si les dispositions contestées de la LPRGRC ont pour effet de créer une distinction fondée sur le sexe ou sur les responsabilités parentales des femmes, à la deuxième étape de l’analyse, la Cour doit déterminer si la distinction a pour effet de créer un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes ou si la distinction est fondée sur une vision stéréotypée. Il est ainsi nécessaire de procéder à une analyse globale contextuelle, compte tenu notamment de la nature et de l’objet de la LPRGRC par rapport à la situation des demanderesses en leur qualité de femmes qui ont des obligations parentales.

(1)               Il n’y a pas de perpétuation d’un désavantage

[168]       Les désavantages historiques à l’égard des femmes qui participent au marché du travail sont bien documentés dans les ouvrages de science sociale, notamment dans le rapport de 1984 de la Commission sur l’égalité en matière d’emploi qui indique, entre autres, que l’égalité entre les hommes et les femmes n’est pas possible si l’on continue de présumer que les femmes sont les principales responsables de la garde des enfants. Il ressort des rapports plus récents que les femmes comptent toujours pour une grande proportion des employés à temps partiel, particulièrement les femmes qui se situent dans le groupe d’âge de 25 à 44 ans, qui sont le plus susceptibles d’élever des enfants. Selon le rapport de 2010 de Statistique Canada, Femmes au Canada : rapport statistique fondé sur le sexe, la proportion des femmes qui invoquent la garde des enfants pour justifier un emploi à temps partiel est nettement supérieure à celle des hommes qui invoquent le même motif.

[169]       Le rapport de 1984 et le Report of the Royal Commission on the Status of Pensions in Ontario de 1980 révèlent que les femmes ont besoin de sécurité financière durant leurs années de service en plus d’autres mesures visant la sécurité financière à la retraite. Or, depuis ce temps, il y a eu de nombreux changements, dont la bonification des prestations d’assurance‑emploi, la prolongation du congé de maternité et du congé parental, la possibilité de prendre un congé sans solde, la protection de l’emploi pendant la période du congé et le partage de poste. De plus, les périodes d’acquisition de droits aux fins de la pension ont fait l’objet de modifications. Les désavantages que les femmes avaient antérieurement subis en matière d’emploi et quant à la réduction des prestations de pension ont été corrigés dans une certaine mesure.

[170]       En l’espèce, il s’agit de savoir si la LPRGRC a pour effet de perpétuer les désavantages historiques. Comme le mentionnent les demanderesses, la profession policière est traditionnellement réservée aux hommes; les femmes n’ont pas fait partie des membres de la GRC avant le milieu des années 1970; les fonctions de patrouille, le travail effectué par quarts et les affectations dans des régions rurales et isolées sont particulièrement éprouvants pour les femmes qui ont des enfants. Rien ne permet toutefois de penser que la LPRGRC avait ou a pour effet de décourager les femmes de se joindre à la GRC. Les demanderesses n’ont pas apporté la preuve que la LPRGRC a eu pour effet de les dissuader, ou de dissuader quiconque, de se joindre à la GRC. Comme l’expliquent les déposants du défendeur, la LPRGRC prévoit les mêmes prestations de pension pour tous les membres. Il s’agirait d’un bon régime et d’une mesure incitative pour attirer des employés potentiels, tout comme les autres régimes de la fonction publique.

[171]       Aucun élément de preuve ne fait état d’un désavantage historique à l’égard des femmes ou encore des femmes qui ont des obligations parentales qu’entraînerait ce régime de pension.

[172]       Les déposants du défendeur ont expliqué l’application de la LPRGRC et de la LPFP et la méthode de calcul des prestations, ce qui montre un régime de pension stable et fiable, géré de manière à garantir un revenu de pension à tous les membres, et ce, à compter de la date du départ à la retraite jusqu’à la fin de la vie. La LPRGRC traite tous les membres de la même manière. Les prestations de pension sont déterminées au moyen d’une formule, sans égard au sexe ou à un motif énuméré ou analogue. Les prestations de pension de chacun des membres varieront selon leur participation au régime. Les demanderesses n’ont pas produit la moindre preuve concernant les désavantages historiques ou actuels de la LPRGRC, sauf en ce qui a trait à leur impossibilité de « racheter » des périodes de service ouvrant droit à pension pour compenser les périodes d’emploi à temps partiel, ce qui a entraîné une réduction de leurs prestations annuelles de pension.

[173]       Bien que les demanderesses affirment que la LPRGRC comporte une nature et un objet différents de ceux du régime d’assurance‑emploi et du RPC, les principes énoncés dans les arrêts Withler et Miceli‑Riggins concernant les régimes de prestations sociales demeurent applicables. L’effet des dispositions contestées de la LPRGRC à l’égard des demanderesses ne peut être examiné indépendamment de l’ensemble du régime. Il faut prendre en considération tous les facteurs pertinents, notamment les effets d’amélioration de la LPRGRC, la multiplicité des intérêts qu’elle tente de concilier, les bénéficiaires visés, les objectifs d’intérêt public visés par le législateur, l’opportunité générale des limites établies compte tenu de l’intention du régime et des personnes touchées, ainsi que les répercussions sur les ressources.

[174]       Comme je l’ai déjà mentionné, dans l’arrêt Miceli‑Riggins, la Cour d’appel fédérale rappelle, aux paragraphes 76 à 79, que point n’est besoin pour les tribunaux « que le programme de prestations corresponde parfaitement à la situation et aux besoins véritables du groupe de demandeurs », et que l’exclusion d’un groupe, « même [d’]un groupe vulnérable », du régime de prestations ne constitue pas pour autant une violation de l’article 15.

[175]       Les demanderesses n’ont pas été exclues de l’application de la LPRGRC; elles reçoivent des prestations de pension, qui sont toutefois réduites d’environ 5 %, en raison d’une période allant jusqu’à trois ans de partage de poste correspondant à un travail à temps partiel. Le refus de l’option de « racheter des périodes de service ouvrant droit à pension » ou de cotiser à leur régime de pension selon le taux de rémunération à temps plein n’a pas pour effet de perpétuer un désavantage ou un stéréotype.

[176]       La LPRGRC ne permet pas aux membres de bonifier leur revenu de pension en versant des cotisations plus élevées que celles fondées sur le total d’heures de travail prédéterminées et la situation d’emploi. Quelles limites établir, sinon des limites en fonction de la situation d’emploi? Pourquoi permettre aux demanderesses de bonifier leur revenu de retraite de cette manière et le refuser à d’autres membres qui travaillent à temps partiel pour répondre à d’autres besoins tout aussi éprouvants et importants, par exemple, pour fournir des soins aux personnes âgées ou en raison de problèmes personnels de santé mentale?

[177]       La LPRGRC a un effet global d’amélioration sur la situation de tous les participants au régime qui cotisent et reçoivent par la suite des prestations de pension, et qui sont les bénéficiaires visés. La LPRGRC permet d’accumuler du service ouvrant droit à pension (une année de travail correspond à une année de service) pour un emploi à temps partiel ainsi que pour un emploi à temps plein, et ce, au même taux, mais calcule au prorata tant les cotisations que les prestations pour tenir compte des périodes de service à temps partiel, tout comme les autres régimes de la fonction publique. La ligne de démarcation est tracée lors du calcul des prestations de pension en fonction de la situation d’emploi et, comme l’expliquent les déposants du défendeur, selon les années de service et le salaire moyen des cinq années les mieux payées. La formule appliquée en fonction de ces critères permet d’assurer un traitement généralement équitable pour tous les cotisants et de préserver l’intégrité du régime. Il est possible que les retraités aient des attentes uniques qui ne sont pas vraiment comblées, mais l’objectif général de fournir un revenu de pension est atteint.

[178]       Dans l’arrêt Miceli‑Riggins, la demanderesse n’était pas admissible à des prestations d’invalidité en vertu du RPC parce qu’elle ne satisfaisait pas à l’exigence du niveau minimal de cotisations, car elle avait, entre autres, quitté le marché du travail après la naissance de son enfant. La Cour d’appel fédérale a conclu que la demanderesse n’a pas satisfait aux exigences de cotisation du RPC, non pas parce qu’elle était une femme, mais à cause de sa situation personnelle.

[179]       Tout comme dans l’affaire Miceli‑Riggins, les demanderesses n’ont pas été en mesure de cotiser à leur régime de pension selon le taux de rémunération à temps plein et de recevoir le plein montant des prestations de pension parce qu’elles n’avaient pas répondu à l’une des exigences du régime. L’allégation des demanderesses voulant que le régime de pension porte atteinte à leur capacité de choisir librement la façon d’établir un équilibre entre leur carrière et leur famille est une exagération. La LPRGRC ne porte aucunement atteinte aux choix faits par les demanderesses. Le PE sur le partage de poste signé par les demanderesses les avertissait des conséquences financières et de la nécessité d’examiner les répercussions du partage de poste sur le plan juridique et en ce qui concerne la pension. Les demanderesses savaient pendant leur période de partage de poste ou peu après qu’elles ne pouvaient pas contribuer au régime au même taux que les membres travaillant à temps plein et que leurs prestations de pension risquaient d’être touchées. Les demanderesses n’ont pas été empêchées de réaliser des économies ni de cotiser à des REER pour arrondir leur revenu de retraite.

[180]       Les demanderesses auraient pu choisir le CNP. Elles auraient eu la possibilité de racheter des périodes de service ouvrant droit à la pleine pension pour le CNP concerné si elles avaient travaillé à temps plein lorsque leur CNP a débuté, mais elles n’auraient toujours pas eu de revenu pendant la période du CNP. Les demanderesses ont souligné les avantages du partage de poste. De toute évidence, leurs propres témoignages minent leur allégation voulant que le régime de pension les prive de la liberté de choisir la façon d’établir un équilibre entre les demandes difficiles à concilier.

(2)               Il n’y a aucune application de stéréotypes

[181]       La prétention des demanderesses selon laquelle la LPRGRC a pour effet d’appliquer le stéréotype voulant que les femmes n’assument que deux rôles, à savoir celui de pourvoyeuse de soins à temps plein ou celui de membre travaillant à temps plein, et que les femmes qui cherchent à combiner ces deux rôles soient moins valorisées ou pas du tout valorisées est une simple théorie des demanderesses. Il n’existe pas de preuve d’un tel stéréotype.

[182]       Dans l’arrêt Lesiuk, la Cour d’appel fédérale a conclu comme suit, au paragraphe 45 :

Les conditions minimales d’admissibilité ne créent ni ne renforcent un stéréotype selon lequel les femmes devraient rester à la maison et s’occuper de leurs enfants. Elles ne portent pas atteinte à la dignité des femmes en donnant à entendre que leur travail mérite moins de reconnaissance. Quiconque travaille le nombre d’heures requis dans sa période de référence aura droit à des prestations. Ce serait une exagération que d’imaginer que des personnes raisonnables se trouvant dans la situation de la défenderesse se sentiraient diminuées en tant que travailleurs ou en tant que membres de la société du seul fait que, durant une année donnée, elles auraient manqué de peu d’avoir droit à des prestations d’assurance‑emploi. J’imaginerais plutôt qu’une personne raisonnable aurait tout simplement l’impression d’avoir perdu de justesse son droit à des prestations, en raison d’un malheureux concours de circonstances.

[183]       Dans l’arrêt Miceli‑Riggins, la Cour d’appel fédérale a fait remarquer ce qui suit :

[47]           La discrimination agit comme un stigmate personnel sur la personne. Elle l’agresse dans sa dignité en l’étiquetant pour des raisons hors de sa volonté ou de son contrôle, en la présentant comme ne méritant pas le même respect, la même participation ou la même appartenance à la société canadienne : arrêt Law, précité, aux paragraphes 47 à 53.

[184]       En l’espèce, aucune personne raisonnable n’estimerait que les demanderesses, qui ont travaillé à temps partiel et ont partagé leur poste, méritent moins de reconnaissance ou de respect. Une personne raisonnable serait d’avis que la réduction des prestations de pension est simplement le résultat du travail à temps partiel des demanderesses dans le cadre du partage de poste. Comme dans l’arrêt Miceli‑Riggins, au paragraphe 84, il convient de conclure non pas que les demanderesses méritent moins de reconnaissance, mais qu’elles n’ont pas obtenu des prestations parce qu’elles « ne répondai[en]t pas aux conditions d’admissibilité techniques » du régime.

[185]       Dans la mesure où la dignité humaine est de mise pour établir l’existence de la discrimination, il n’y a aucun « stigmate personnel » sur les demanderesses ni aucune « distinction » à leur égard. La capacité des demanderesses de partager leur poste, de maintenir leurs compétences et de s’occuper davantage de leurs jeunes enfants est, selon toute vraisemblance, grandement respectée et appréciée. Elles ont cotisé au régime de pension alors qu’elles partageaient leur poste et ont bénéficié de tous les autres avantages sociaux. Elles ont, par la suite, repris le travail à temps plein et mené de longues carrières au sein de la GRC. Les demanderesses n’ont pas été encouragées à quitter le marché du travail. Mme Fraser a été invitée à revenir de son CNP pour partager son poste avec une autre membre, ce qui indique qu’elle avait effectivement une grande valeur pour la GRC.

[186]       Selon les éléments de preuve en matière de sciences sociales que renferme le dossier, même au 21e siècle, les femmes se heurtent toujours à des obstacles en milieu de travail, dont bon nombre sont attribuables aux défis de taille associés aux efforts de trouver un juste équilibre entre la famille et la carrière. Les femmes assument la plus grande part de responsabilité dans la garde des enfants et peuvent prendre d’autres dispositions, notamment en ce qui concerne le travail à temps partiel, pour trouver un équilibre entre le travail et la famille et pour conserver l’expertise et mettre à profit leurs compétences pour le compte de leur employeur et de leurs enfants. Les demanderesses ont décrit la façon dont elles ont procédé. Le fait que les demanderesses ont trouvé un moyen pour pouvoir surmonter les obstacles et reprendre par la suite le travail à temps plein et mener de longues carrières au sein de la GRC illustre bien les arrangements plus souples mis en place à présent pour s’attaquer aux divers obstacles. Or, rien n’est jamais parfait. Le fait que la LPRGRC ne répond pas parfaitement aux besoins des demanderesses ne signifie pas qu’elle est discriminatoire.

[187]       Le refus de l’option de « racheter des périodes de service ouvrant droit à pension » selon le taux de rémunération à temps plein et les répercussions sur les prestations de pension des demanderesses semblent, à première vue, contraires aux options offertes aux personnes ayant pris un CNP, et peut‑être illogiques. L’analyse révèle cependant que la LPRGRC n’établit pas de discrimination à l’égard des demanderesses en raison de leur sexe ou en raison de leurs responsabilités parentales. Les dispositions contestées de la LPRGRC ne contreviennent pas au paragraphe 15(1) de la Charte.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

  1. Les dispositions contestées de la LPRGRC n’établissent pas de distinction fondée sur le motif énuméré du sexe ou sur le motif analogue des obligations parentales.
  2. Dans le cas où je serais dans l’erreur en tirant la conclusion qui précède et que la LPRGRC crée en effet une distinction, celle‑ci n’a pas pour effet de créer un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes et n’est donc pas discriminatoire.
  3. Compte tenu de ces conclusions, il faut se demander si toute atteinte au paragraphe 15(1) de la Charte peut être sauvegardée par l’article premier.
  4. La demande est rejetée.
  5. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Catherine M. Kane »

Juge


ANNEXE A

La preuve

Les déposants des demanderesses

Joanne Fraser

Mme Fraser affirme s’être jointe à la GRC en 1988. Elle a épousé un membre de la GRC en 1991 et a fait l’objet de plusieurs affectations, notamment dans des petites collectivités. Mme Fraser a eu son premier enfant en 1993 et a recommencé à travailler à temps plein après un congé de maternité de six mois. Mme Fraser décrit les difficultés liées au retour aux fonctions de patrouille pendant des quarts de travail de 10 heures, alors que son époux effectuait des quarts de travail de 12 heures, les difficultés liées à la recherche des services de garde, et celles liées généralement aux nombreuses autres circonstances entourant la prise en charge d’un jeune enfant.

En 1996, Mme Fraser a eu son deuxième enfant. En raison des options très limitées en matière de garde d’enfants au sein de la collectivité, elle a pris un CNP après un congé de maternité de six mois. Après trois ans et demi de CNP, Mme Fraser a été invitée à partager son poste avec une autre membre et est retournée aux fonctions opérationnelles en septembre 2000. Mme Fraser déclare qu’avant de donner son accord quant au partage de poste, elle s’est informée et a été avisée que le partage de poste était considéré comme un CNP et que le « rachat » de périodes de service ouvrant droit à pension ne poserait aucun problème.

Mme Fraser a décrit les avantages du partage de poste, notamment le fait de faciliter la transition en vue du retour aux services de police, de rétablir les compétences et la confiance en soi et de réduire les inquiétudes concernant les services de garde et les obligations familiales.

À la suite d’un transfert à Ottawa, en 2003, et du retour aux fonctions à temps plein, Mme Fraser s’est renseignée sur le « rachat » des périodes de partage de poste et de CNP. Elle a été informée qu’elle ne pouvait « racheter » que les périodes de CNP.

En ce qui concerne les répercussions, Mme Fraser indique qu’elle sera obligée de travailler plus longtemps pour pouvoir recevoir le plein montant des prestations de pension pour 25 ans de service et qu’elle recevra un revenu mensuel de pension inférieur. Elle dit que, si elle n’avait pas accepté de retourner du CNP pour partager son poste avec une autre membre, celle‑ci aurait perdu son poste à travail partagé et la GRC aurait perdu deux membres. Mme Fraser souligne les avantages du partage de poste pour la GRC, invoque les collectivités au sein desquelles elles ont travaillé et fait état du maintien et du perfectionnement de leurs compétences professionnelles grâce au partage de poste.

Alison Pilgrim

Mme Pilgrim s’est jointe à la GRC en 1987, s’est mariée en 1994 et a eu son premier enfant en 1995. Elle est retournée au travail après un congé de maternité de six mois. Mme Pilgrim souligne le stress occasionné par le fait de se sentir déchirée entre les exigences d’excellence professionnelle et l’expérience de la maternité. En 1998, Mme Pilgrim a donné naissance à son deuxième enfant. Elle a présenté une demande de partage de poste à son retour du congé de maternité. Elle a trouvé une partenaire pour le partage de poste et est retournée au service de la GRC en 1999.

Mme Pilgrim a décrit les avantages du partage de poste, notamment la réduction du stress et le fait de réussir à répondre aux exigences de la profession et de maternité.

Mme Pilgrim fait remarquer que le PE sur le partage de poste qu’elle a signé n’abordait pas la question du rachat des périodes de service ouvrant droit à pension. Elle ajoute qu’elle estimait que les heures non travaillées correspondaient à un CNP et qu’elle pouvait « racheter des périodes de service ouvrant droit à pension » au même titre qu’un CNP. Mme Pilgrim affirme qu’un spécialiste de la rémunération l’avait informée que les périodes non travaillées dans le cadre du partage de poste correspondaient à un CNP. Or, les modifications proposées à la LPRGRC publiées par le CCPR de la GRC en 2000 n’abordaient pas cette question. Mme Pilgrim a ensuite écrit au commissaire pour faire part de ses préoccupations.

Mme Pilgrim a également déposé un grief en 2000. Le CEE de la GRC a conclu que rien n’empêchait la GRC de permettre à Mme Pilgrim ou à d’autres personnes qui partageaient leur emploi de « racheter des périodes de service ouvrant droit à pension ». Toutefois, le commissaire par intérim de la GRC n’a pas accepté les recommandations du CEE et a rejeté le grief.

En ce qui concerne les répercussions, Mme Pilgrim estime que ses prestations de pension seront diminuées chaque année de 5 %. Elle souligne aussi que cette politique lui a causé du stress quant à ses revenus à la retraite. En outre, cette politique a changé l’image positive qu’elle avait de la GRC; cette situation lui a montré que la GRC ne valorise pas les femmes membres ni les membres qui ont des enfants.

Colleen Fox

Mme Fox s’est jointe à la GRC en 1987, a épousé un membre de la GRC en 1989 et a obtenu une affectation en compagnie de son mari dans une petite collectivité de Terre‑Neuve. Elle a eu son premier enfant en 1990 et est retournée au travail à temps plein après un congé de maternité de six mois. Mme Fox décrit les difficultés liées à la recherche, dans une petite collectivité, de services de garde pour son fils, qui avait de graves problèmes de santé, et à la gestion des quarts de travail de son mari et de ses propres quarts de travail pour veiller à ce que tous les besoins de son fils soient comblés.

À la suite de la naissance de son deuxième enfant en 1993, Mme Fox a pris un congé de maternité de six mois et est à nouveau retournée aux activités de patrouille à temps plein. Mme Fox explique que les quarts de travail différents, la présence de deux enfants qui avaient des problèmes de santé, et la difficulté de trouver des services de garde ont eu pour effet d’exacerber une situation qui était déjà difficile. Elle a fait une demande de travail à temps partiel et une demande de transfert dans une ville, mais ces demandes ont toutes deux été rejetées. À court d’options, elle a pris sa retraite en juin 1994. Mme Fox fait remarquer que, lors de son entrevue de départ, elle a expliqué qu’elle s’était sentie obligée de quitter la GRC.

Mme Fox s’est renseignée au sujet du partage de poste après avoir appris l’existence de la politique à ce sujet. En 2000, elle a réintégré les rangs de la GRC et a partagé son poste avec une autre membre, même si elle devait faire la navette quotidiennement sur une distance de 200 km. Mme Fox présente les avantages du partage de poste, notamment le fait de faciliter la transition vers le retour aux services de police et le fait de s’acquitter de ses obligations familiales. Mme Fox souligne aussi les avantages pour la GRC, invoquant ses évaluations de rendement favorables, et pour la collectivité desservie par les membres qui partageaient leur poste.

Mme Fox explique qu’elle a repris ses activités à temps plein en 2002, ayant retrouvé ses compétences et sa confiance et bénéficiant d’une transition en douceur pour ses enfants.

En ce qui concerne les répercussions, Mme Fox affirme que le fait de la priver du droit de « racheter » des périodes de partage de poste envoie le message que les femmes qui ont des enfants ne sont pas les bienvenues au sein de la GRC. De plus, si elle avait su qu’elle ne pouvait pas « racheter » ces périodes, elle ne serait pas retournée au travail en 2000; elle serait restée à la maison jusqu’en 2002 et elle serait par la suite retournée au travail à temps plein, malgré une réintégration plus difficile.

Nancy Noble

Mme Noble s’est jointe à la GRC en 1985, s’est mariée en 1994 et a eu son premier enfant en 1996. Elle est retournée au travail en 1997, après un congé de maternité de six mois et a été mutée à un autre poste pour éviter le travail par quarts, en raison d’un problème de santé qu’elle venait de découvrir. Mme Noble dit qu’elle s’était renseignée au sujet du travail à temps partiel, mais qu’elle a été informée que cette option n’était pas offerte.

Après la naissance de son deuxième enfant, en 1998, elle s’est de nouveau renseignée au sujet du travail à temps partiel et a fini par trouver une membre avec laquelle partager son poste. Le partage de poste a débuté en février 1999. Mme Noble a été bientôt prévenue qu’elle ne pouvait pas « racheter » les périodes de service non travaillées. Mme Noble a considéré qu’il s’agissait d’une erreur et a fait d’autres démarches, a communiqué avec d’autres membres qui partageaient leur poste et a écrit au commissaire en 2000. Mme Noble souligne aussi la position favorable prise par CCRP de la GRC.

Mme Noble explique que le partage de poste se rattachait à un poste particulier qui a été supprimé, de sorte qu’elle a recommencé à travailler à temps plein en septembre 2000. En raison du besoin de concilier les obligations professionnelles et les obligations familiales, son mari a quitté son poste et elle a continué de travailler à temps plein.

Mme Noble a déposé un grief pour contester la décision ou la réponse de la Section de la rémunération de la GRC, selon laquelle elle ne pouvait pas verser des cotisations de retraite rétroactivement pour les périodes de partage de poste. Le CEE de la GRC a conclu que le grief était fondé et a recommandé au commissaire de la GRC de l’accueillir et de procéder à l’examen des aspects discriminatoires de la politique en matière de pension pour le partage de poste. En 2010, le commissaire par intérim de la GRC a rejeté le grief et a conclu que la LPRGRC empêchait la GRC de considérer les périodes non travaillées comme des CNP.

En ce qui concerne les répercussions, Mme Noble ajoute qu’à son avis, cette situation est injuste et crée des obstacles pour les membres féminins de la GRC.

Christopher Higgins

Le professeur Higgins enseigne à la Richard Ivey School of Business de l’Université Western Ontario. Il explique que ses recherches portent sur les problèmes liés au travail et à la famille et les répercussions sur les personnes et les organismes, qu’il qualifie de « surcharge de rôles ».

Le professeur Higgins décrit la « surcharge de rôles » comme une forme de conflit de rôles dans lequel la personne a l’impression que les exigences collectives de ses rôles multiples dépassent le temps et l’énergie dont elle dispose, la rendant ainsi incapable de répondre aux exigences de ses divers rôles. La surcharge de rôles survient lorsque le travail entre en conflit avec les obligations familiales ou lorsque les obligations familiales entrent en conflit avec le travail, au point où la personne concernée ressent le stress de ne jamais avoir suffisamment de temps. Autrement dit, il y a trop de responsabilités à assumer et trop peu de temps pour s’en acquitter.

Le professeur Higgins décrit les recherches approfondies effectuées, dont celles menées avec la professeure Linda Duxbury, sur le conflit entre le travail et la vie personnelle. Il souligne que ces recherches montrent qu’une forte surcharge de rôles donne lieu à un niveau élevé de stress, de dépression, d’absentéisme et à une baisse de satisfaction à l’égard de la famille et du travail. Selon le professeur Higgins, parmi les facteurs qui contribuent à la surcharge de rôles s’inscrivent la culture du milieu de travail, la disponibilité des services de garde et les quarts de travail plutôt que l’horaire fixe.

L’étude réalisée en 2009 par les professeurs Higgins et Duxbury sur les problèmes liés au travail et à la famille (Coping with Overload and Stress: Men and Women in Dual Earner Families, publiée en 2010) révèle que les tensions concurrentielles générées par les responsabilités professionnelles et familiales sont ressenties plus souvent par les femmes et que les femmes dans les familles à deux revenus font état d’un plus haut niveau de stress que leur partenaire. Les femmes avaient plus tendance que les hommes à réagir à la surcharge en diminuant, entre autres, le volume du travail et en réduisant les activités extérieures.

En 2012, les professeurs Higgins et Duxbury ont réalisé une étude sur 4 500 policiers travaillant pour 25 services de police. Leur rapport, Caring for and about those who serve: Work-life conflict and employee well being within Canada’s Police Departments [l’étude sur la police] , fournit des données sur les sexes et l’équilibre entre le travail et la vie personnelle ainsi qu’une analyse des données.

Le professeur Higgins affirme que les données qui indiquent que les femmes agents de police qui font partie d’une famille à double revenu sont plus susceptibles d’assumer les responsabilités parentales que les hommes agents de police. Le professeur Higgins fait observer que cette constatation est conforme à son autre étude qui révélait que les femmes continuent d’assumer les rôles traditionnels à la maison, en dépit des rôles de plus en plus importants qu’elles assument en milieu de travail. Il ajoute que les quarts de travail alternatifs et imprévisibles indiquent une surcharge de rôles.

Les résultats de cette recherche auxquels s’ajoutent les résultats de la recherche précédente amènent le professeur Higgins à conclure que, même dans le cas des professions non traditionnelles, telle que la profession policière, les femmes ont plus tendance que leurs partenaires à diminuer le volume de travail pour réagir à la surcharge de rôles et au conflit entre le travail et la vie personnelle.

Dans leur étude sur la police de 2012, les professeurs Duxbury et Higgins ont formulé des recommandations à l’intention des services de police, portant notamment que les membres devraient être autorisés à partager leur poste lorsqu’ils sont confrontés à une surcharge de responsabilités supplémentaire. Selon le professeur Higgins, le fait de permettre le partage de poste ou le travail à temps partiel est la meilleure façon de réduire le risque de surcharge de rôles parmi les agents de police et représente une solution qui serait particulièrement avantageuse pour les femmes dans le milieu policier.

Les déposants du défendeur

Shelley Rossignol

Mme Rossignol est analyste de la législation et de la réglementation au sein des Services de pension de la GRC, forte de plus de 15 ans d’expérience.

Mme Rossignol décrit le régime de pension de la GRC (la LPRGRC), le travail à temps partiel en général et dans le cadre de la GRC, le CNP et le partage de poste. Mme Rossignol explique la différence entre le service ouvrant droit à pension et les prestations de pension, et la façon de calculer les prestations de pension (c.‑à‑d. le montant que le participant retraité recevra). Mme Rossignol donne également des précisions sur certains renseignements figurant dans les affidavits des demanderesses.

Mme Rossignol indique que, sous le régime de la LPRGRC, les membres de la GRC versent des cotisations, accumulent des années de service ouvrant droit à pension et ont droit à des prestations de pension en fonction de leur situation d’emploi et des taux de cotisations fixés par le Conseil du Trésor du Canada. Les membres de la GRC sont rémunérés au moyen des salaires et des avantages sociaux fixés par le Conseil du Trésor au titre de l’article 22 de la Loi sur la GRC. Dans le cadre des avantages sociaux offerts, ils participent à un régime de pension à prestations déterminées. Les modalités du régime de pension sont énoncées dans la LPRGRC et son règlement d’application. La LPRGRC est un régime de pension agréé aux termes de la LIR et assujetti à la LIR et à son règlement d’application.

Mme Rossignol explique que le terme « partage de poste » n’est pas défini dans la LPRGRC ni dans son règlement d’application. La LPRGRC et son règlement d’application font mention des membres travaillant à temps partiel ou à temps plein, et les prestations de pension sont déterminées en fonction de l’un ou l’autre de ces statuts. Les membres qui travaillent à temps partiel participent au régime de pension aux mêmes taux que les membres qui travaillent à temps plein, mais leurs cotisations sont calculées en fonction du nombre d’heures de travail convenues par semaine. Les prestations de pension sont aussi calculées au prorata en fonction des périodes de service à temps partiel. Mme Rossignol donne plusieurs exemples pour illustrer le calcul des prestations pour un membre qui a travaillé à temps plein pour la plus grande partie de sa carrière et à temps partiel pendant deux ou trois ans au long d’une carrière de 25 ou de 30 ans.

Mme Rossignol souligne qu’aucune disposition de la LPRGRC ou de son règlement d’application ne permet aux membres travaillant à temps partiel de « racheter » ces périodes ouvrant droit à pension selon le taux de rémunération à temps plein, tout comme aucune disposition ne permet aux membres travaillant à temps plein de racheter des périodes supplémentaires ouvrant droit à pension qui dépassent le nombre d’heures prédéterminées, et ce, dans le but de bonifier leur revenu de pension. Il en est de même pour tous les régimes de pension de la fonction publique fédérale.

Mme Rossignol ajoute qu’il est courant que les membres et d’autres personnes arrondissent leur revenu de pension au moyen d’autres sources de revenus, comme les REER, les économies et d’autres placements.

Sous le régime de la LIR et de son règlement d’application, un régime de pension agréé peut permettre au participant de verser des cotisations de retraite supplémentaires pour racheter les prestations à temps plein relativement à une « période admissible de salaire réduit ». Ces dispositions du régime fiscal sont facultatives pour un régime de pension agréé. Selon Mme Rossignol, pour que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile puisse adopter des dispositions en matière de pension pour une période de salaire réduit, visant les membres de la GRC, il faudra apporter des modifications à la loi.

Mme Rossignol explique que les périodes de CNP ouvrent droit à pension et nécessitent que les membres versent des cotisations à leur retour au travail. Le membre doit cotiser pour une période de trois mois et peut ensuite choisir de cotiser pour une partie ou pour l’ensemble de la période restante. Le membre peut également décider de « racheter des périodes de service ouvrant droit à pension » à une date ultérieure, mais il devra le faire au taux de rémunération courant. Mme Rossignol précise que, si un membre travaille à temps plein juste avant son CNP, le montant de ses cotisations de retraite sera calculé selon le nombre d’heures de travail à temps plein. Si le membre travaille à temps partiel avant le CNP, ses cotisations de retraite seront calculées en fonction du nombre d’heures de travail à temps partiel et il recevra des prestations de pension pour la période de CNP en fonction de son statut à temps partiel.

Mme Rossignol fait observer que l’emploi à temps partiel est offert aux membres de la GRC depuis 1985. Elle ajoute que la politique sur le partage de poste est une forme d’emploi à temps partiel et qu’elle a été mise en application en 1997.

Mme Rossignol souligne que le partage de poste a été créé pour permettre aux membres de la Gendarmerie de trouver le juste équilibre entre le travail et la vie familiale. Compte tenu de leur situation personnelle ou familiale, les membres pouvaient ainsi bénéficier de la possibilité de travailler à temps partiel plutôt que de prendre des congés prolongés sous forme de CNP. Le partage de poste a été considéré comme mutuellement avantageux puisqu’il permettait aux membres de continuer de collaborer avec la GRC tout en adoptant un horaire de travail qui répondait mieux aux besoins de leur situation personnelle.

Mme Rossignol décrit les politiques qui régissent le partage de poste et précise que les membres qui souhaitent partager leur poste doivent signer un PE. Ce dernier prévoit qu’il a préséance sur tout autre accord oral ou écrit qui peut avoir être fait avec le membre qui accepte l’entente de partage de poste. Il est aussi précisé dans le PE que le membre concerné peut demander ultérieurement de travailler à temps plein, que, si le membre commence à travailler à temps plein, il recevra une lettre expliquant les avantages sociaux, et que le membre reconnaît avoir pris connaissance de ses avantages sociaux et indique avoir eu l’occasion d’obtenir des conseils juridiques et financiers. Les avantages sociaux applicables au partage de poste sont énoncés dans une annexe au PE; les calculs pour le salaire et les cotisations de pension figurent dans une annexe distincte.

En outre, Mme Rossignol fournit des données indiquant que le taux de partage de poste ou de travail à temps partiel par membre régulier était peu élevé. Selon les données tirées des recensements éclairs de 2010 et de 2014, la totalité des membres réguliers et civils qui partageaient leur poste étaient des femmes, dont la grande majorité invoquaient comme raison les obligations parentales. Parmi les autres raisons soulevées s’inscrivent le retour aux études, les soins aux personnes âgées et l’état de santé.

Mme Rossignol fait remarquer que toutes les demanderesses ont signé des PE, tel qu’il est indiqué ci‑dessus, dont chacun faisait état de leurs cotisations au régime de pension en fonction de leur emploi à temps partiel. Mme Pilgrim a, par ailleurs, reçu une réponse à l’une de ses demandes expliquant la façon de calculer les prestations de pension, au prorata en fonction du travail à temps partiel.

Mme Rossignol affirme que ni la LPRGRC ni son règlement d’application n’ont fait l’objet de modifications pour permettre aux membres travaillant à temps partiel de racheter des périodes de service ouvrant droit à pension selon le taux de rémunération à temps plein. Elle admet qu’il y a eu des discussions à ce sujet, mais la loi n’a pas fait l’objet de modifications et qu’aucune modification n’est envisagée.

Kimberley Gowing

Mme Gowing est spécialiste des pensions au sein du Secteur des pensions et des avantages sociaux du Secrétariat du Conseil du Trésor, forte de plus de 25 ans d’expérience.

Mme Gowing donne un aperçu des régimes de pension du secteur public, dont la LPRGRC, et décrit le service ouvrant droit à pension ainsi que le CNP.

Mme Gowing mentionne que le service à temps partiel s’accumule de la même façon que le service à temps plein. L’employé qui travaille pendant un an à temps plein accumule la même période de service ouvrant droit à pension qu’un employé qui travaille à temps partiel pendant un an. Ce principe selon lequel « une année de travail correspond à une année de service » ne permet pas aux employés à temps partiel ni aux employés à temps plein d’accumuler des périodes de service excédant le nombre d’heures de travail prédéterminées par semaine.

Mme Gowing explique que les prestations de pension (le montant reçu à la retraite) doivent être rajustées pour tenir compte des périodes pendant lesquelles l’employé n’a pas travaillé à temps plein. Elle fournit un exemple pour illustrer la méthode de calcul.

Mme Gowing fait observer, tout comme Mme Rossignol, que le partage de poste n’est pas défini dans la LPRGRC ou son règlement d’application ni dans la LPFP; les employés sont divisés selon le travail à temps plein ou à temps partiel et leurs prestations de pension sont déterminées en conséquence.

Mme Gowing explique que la plupart des périodes de CNP ouvrent droit à pension et exigent que les employés versent des cotisations à leur retour au travail. Outre l’information fournie par Mme Rossignol, Mme Gowing précise que les périodes de CNP qui sont admissibles au rachat varient selon le régime et qu’elles demeurent à la discrétion du promoteur du régime. Elle souligne que les dispositions applicables visent à soutenir les politiques et les objectifs opérationnels du promoteur, comme le recrutement et le maintien en poste, mais avec des limites pour garantir l’intégrité du régime.

Mme Gowing précise que le cotisant est réputé avoir reçu le même salaire que celui qui aurait été autorisé à être versé si le cotisant ne s’était pas absenté ou qu’il n’avait pas pris de CNP. Mme Gowing rappelle que le statut de l’employé avant le CNP, à temps partiel ou à temps plein, s’applique au cours de la période du CNP et détermine les cotisations que celui‑ci doit verser à son retour. Ce principe s’applique même si l’employé travaillait à temps partiel avant le CNP et qu’il recommence à travailler à temps plein, ou vice versa.

Mme Gowing explique aussi, tout comme Mme Rossignol, que les employés ne peuvent pas travailler à temps partiel et « racheter » par la suite les heures ou les jours non travaillés pour bénéficier des prestations de pension à titre d’employés à temps plein. Elle ajoute que les REER permettent d’augmenter le revenu de retraite.

Mme Gowing explique en outre que le règlement d’application de la LIR permet au participant au régime qui a effectué temporairement des heures de travail réduites, statut qui est différent du travail à temps partiel, de verser des cotisations supplémentaires jusqu’à concurrence des heures normales de travail, à temps plein ou à temps partiel, travaillées avant la réduction temporaire. Les participants sont ainsi en mesure de conserver les prestations de pension à titre d’employés à temps plein pendant la période de rémunération réduite. Mme Gowing fait remarquer qu’il y a des conditions à respecter, que ces dispositions sont facultatives pour un régime de pension agréé et que ni la LPFP ni la LPRGRC ne comportent des dispositions de cette nature.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2365-14

INTITULÉ :

JOANNE FRASER, ALLISON PILGRIM ET COLLEEN FOX c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 19 ET 20 DÉCEMBRE 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 8 juin 2017

COMPARUTIONS :

Paul Champ

Bijon Roy

POUR LES Demanderesses

Gregory Tzemenakis

Youri Tessier-Stall

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Champ & Associates

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LES Demanderesses

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.