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Date : 20170615


Dossier : IMM-4067-16

Référence : 2017 CF 597

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 juin 2017

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

YANDI LUO, SHUXIN CAO et SHUNXIN CAO

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La demanderesse principale et ses deux filles, Shuxin et Shunxin, sont arrivées au Canada en juillet 2011, en provenance de Trinité-et-Tobago. Leur demande d’asile a été rejetée. La présente demande de contrôle judiciaire vise une décision rendue le 9 septembre 2016 par Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), rejetant la demande de résidence permanente pour motif d’ordre humanitaire présentée par les demanderesses en application du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

[2]               La demanderesse principale est de nationalité chinoise. Son dernier pays de résidence permanente est Trinité-et-Tobago. Elle est la mère et l’unique soutien de ses trois enfants : deux filles qui sont citoyennes de Trinité-et-Tobago et un fils qui est citoyen canadien. La demanderesse principale est divorcée du père des enfants qui vit à Trinité-et-Tobago. Elle soutient que la décision rejetant sa demande de résidence pour motif d’ordre humanitaire est déraisonnable et que l’agent qui l’a rendue (l’agent) n’a pas dûment tenu compte des éléments de preuve concernant son degré d’établissement au Canada et l’intérêt supérieur de ses enfants.

[3]               La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs qui suivent.

II.                Décision faisant l’objet du contrôle

[4]               L’agent a tenu compte du degré d’établissement au Canada, des conditions défavorables en Chine et à Trinité-et-Tobago ainsi que de l’intérêt supérieur des trois enfants.

[5]               En ce qui concerne la question de l’établissement, l’agent a conclu que la demanderesse principale n’avait pas réussi à démontrer un degré appréciable d’établissement au Canada. En effet, bien que la demanderesse principale ait commencé à travailler en janvier 2016, elle a été sans emploi et a touché des prestations d’aide sociale durant la majeure partie de son séjour au Canada. L’agent a conclu que les antécédents de travail de la demanderesse n’indiquaient pas qu’elle serait en mesure de subvenir à ses besoins et à ceux de ses enfants au Canada.

[6]               L’agent a toutefois attribué une valeur probante positive aux facteurs suivants : la demanderesse principale a fait des efforts pour améliorer ses compétences linguistiques; elle a travaillé comme bénévole; ses enfants étaient inscrits à l’école et la famille était membre d’une église.

[7]               La demanderesse principale a allégué qu’elle serait victime de discrimination en Chine du fait qu’elle est mère chef de famille. Elle a également fait valoir les coûts très élevés de l’éducation en Chine et l’absence de liberté dans ce pays. En ce qui a trait à Trinité-et-Tobago, elle a soutenu que ses enfants risquaient d’y être kidnappés, voire tués.

[8]               En l’absence d’éléments de preuve pour étayer les allégations de conditions défavorables dans ces pays, l’agent a formulé la conclusion suivante :

[traduction] « Je constate que les demanderesses n’ont pas fourni d’éléments de preuve documentaires, tels que des rapports de recherche ou des articles décrivant les conditions en Chine et à Trinité-et-Tobago, pour appuyer les déclarations de la demanderesse principale. Or, en l’absence de documents à l’appui, je ne considère pas que le matériel présenté par les demanderesses pour appuyer leur demande pour motifs d’ordre humanitaire est suffisant pour démontrer l’existence de conditions défavorables en Chine et à Trinité-et-Tobago ou que ces conditions, si elles existent, auraient des effets négatifs directs sur les demanderesses. »

[9]               Bien que l’agent ait reconnu que les enfants traverseraient sans doute une période d’adaptation lors de leur réinstallation en Chine ou à Trinité-et-Tobago, il a tenu compte de l’âge des enfants ainsi que du fait que la demanderesse principale et les deux demanderesses mineures avaient déjà vécu à Trinité-et-Tobago – deux facteurs qui, à son avis, faciliteraient la transition.

[10]           Après avoir examiné les circonstances et les documents à l’appui de la demande des demanderesses, l’agent a estimé que les considérations d’ordre humanitaire ne justifiaient pas une dispense en application du paragraphe 25(1) de la LIPR.

III.             Questions en litige

[11]           La demanderesse principale soutient que la décision rendue à l’égard de sa demande pour motif d’ordre humanitaire est déraisonnable pour les deux motifs principaux suivants :

  1. La décision de l’agent concernant l’établissement est-elle raisonnable?
  2. L’agent a-t-il commis une erreur dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants?

IV.             Norme de contrôle

[12]           La norme de contrôle qui s’applique à l’examen d’une décision relative à des motifs d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable (Kisana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 18). Par conséquent, la Cour ne devrait intervenir que si les conclusions de l’agent n’appartiennent pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

V.                Analyse

A.                La décision de l’agent concernant l’établissement est-elle raisonnable?

[13]           La demanderesse principale soutient que l’agent a examiné la question de l’établissement sans faire preuve d’empathie et qu’il en a fait une interprétation trop restrictive. Elle prétend également qu’il n’a pas tenu compte des progrès qu’elle avait faits durant les cinq (5) années passées au Canada.

[14]           L’agent a toutefois mentionné que cinq (5) ans ne constituent pas une période de temps appréciable. Il a aussi souligné le fait que les demanderesses avaient peu de famille au Canada et que le père des enfants vit à Trinité-et-Tobago.

[15]           L’agent a reconnu que la demanderesse principale avait obtenu un emploi à temps plein en janvier 2016 et qu’elle gagnait 11,50 $ l’heure. Il a toutefois noté que, durant la majeure partie de son séjour au Canada (soit de juillet 2011 à janvier 2016), la demanderesse principale a été sans emploi et a touché des prestations d’aide sociale. L’agent a donc conclu que les antécédents de travail de la demanderesse principale n’indiquent pas qu’elle sera en mesure de subvenir à ses besoins et à ceux de ses enfants au Canada.

[16]           Il a cependant attribué une valeur probante positive aux efforts faits par la demanderesse principale en vue d’améliorer ses compétences linguistiques. Il a aussi pris en compte le fait que ses deux filles étaient inscrites à l’école et vu d’un bon œil leur participation au sein de leur église.

[17]           Il a néanmoins déterminé que ces éléments n’étaient pas suffisants pour démontrer un degré appréciable d’établissement au Canada.

[18]           L’agent a considéré les facteurs soulevés par les demanderesses dans leurs éléments de preuve, notamment les difficultés auxquelles elles seraient confrontées si elles devaient retourner à Trinité-et-Tobago ou en Chine. Durant l’examen de cette question, l’agent a tenu compte des facteurs suivants : la rupture des liens d’amitié; les antécédents de travail de la demanderesse principale; les efforts faits par cette dernière pour améliorer son anglais; son travail comme bénévole et les réalisations de ses enfants.

[19]           Dans l’ensemble, la manière dont l’agent a examiné et traité les éléments de preuve a été jugée raisonnable. Il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau les éléments de preuve (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 4 et 59).

[20]           L’analyse que l’agent a faite du degré d’établissement des demanderesses ne soulève pas d’erreurs susceptibles de révision.

B.                 L’agent a-t-il commis une erreur dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants?

[21]           La demanderesse principale prétend que l’agent a commis une erreur dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants en examinant la question d’une manière trop restrictive, sans adopter une « approche globale » comme le préconise la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy].

[22]           Dans l’arrêt Kanthasamy, la CSC a ordonné qu’un agent tienne largement compte du contexte dans son analyse (voir Kanthasamy, au paragraphe 35), en précisant que la notion de « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » ne saurait s’appliquer. Il n’est cependant pas interdit aux agents de tenir compte des difficultés que pourrait éprouver un enfant si la demande de dispense présentée en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR est rejetée (Kanthasamy, au paragraphe 41; Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, au paragraphe 9). L’intérêt supérieur de l’enfant doit être bien défini et doit être examiné avec beaucoup d’attention en regard des éléments de preuve présentés (voir Kanthasamy, au paragraphe 39).

[23]           De plus, l’agent doit être « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur des enfants (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 75), bien que la seule présence d’enfants n’appelle pas nécessairement un résultat particulier (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, au paragraphe 12).

[24]           En l’espèce, les motifs invoqués par l’agent montrent qu’il a bien cerné les considérations relatives à l’intérêt supérieur des enfants et qu’il les a examinées en regard des observations formulées par les demanderesses. L’agent a pris en compte les éléments suivants : la demanderesse principale est l’unique soutien de famille et rien n’indique que les besoins fondamentaux des enfants ne sont pas satisfaits; les enfants traverseront certainement une période de réadaptation s’il doit y avoir réinstallation; la majorité des membres de la famille des demanderesses vivent en Chine et aucun élément de preuve ne laisse croire que cette famille n’aiderait pas les enfants à s’adapter à leur vie dans ce pays; de même, aucun élément de preuve ne laisse croire que les enfants ne bénéficieraient pas d’être plus près de leur père, à Trinité-et-Tobago; enfin, si l’on se fie aux aptitudes scolaires et sociales de Shuxin et Shunxin, il est probable que toutes deux pourront exceller à l’école et réussir à se faire des amis dans un autre pays.

[25]           L’agent a aussi pris en compte les observations pour motif d’ordre humanitaire selon lesquelles il était dans l’intérêt supérieur de Shuxin et de Shunxin de rester au Canada, car toutes deux fréquentent l’école au Canada et y ont un réseau d’amis. Il a toutefois conclu que, bien que les filles éprouvent de la tristesse à l’idée de quitter leurs amis pour aller s’établir ailleurs, les documents de leur école indiquaient que toutes deux avaient de bonnes aptitudes scolaires et sociales qui les aideraient à s’adapter à la vie en Chine ou à Trinité-et-Tobago.

[26]           L’agent a également conclu que les éléments de preuve des demanderesses n’avaient su démontrer l’existence de conditions défavorables en Chine ou à Trinité-et-Tobago en ce qui a trait aux enfants.

[27]           Les motifs invoqués par l’agent montrent qu’il a pleinement tenu compte des facteurs soulevés par les demanderesses au sujet de l’intérêt supérieur des enfants. Il n’appartient pas à l’agent de chercher des éléments de preuve pour appuyer la demande pour motifs d’ordre humanitaire présentée par les demanderesses, car c’est à elles qu’incombe le fardeau de la preuve (voir Lu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 175, au paragraphe 42).

[28]           L’agent n’a pas commis d’erreur dans son évaluation des éléments de preuve et des divers facteurs étayant l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4067-16

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Ann Marie McDonald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4067-16

INTITULÉ :

YANDI LUO, SHUXIN CAO et SHUNXIN CAO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 avril 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

Le 15 juin 2017

COMPARUTIONS :

Wennie Lee

Pour les demanderesses

Suran Bhattacharyya

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lee and Company

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour les demanderesses

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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