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Date : 20170615


Dossier : IMM-4902-16

Référence : 2017 CF 593

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 juin 2017

En présence de monsieur le juge Campbell

ENTRE :

SHIRLEY-ANN MONICA DOWERS

demanderesse

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS 

[1]               La présente demande a trait au refus d’accorder à la demanderesse une dispense pour motifs d’ordre humanitaire suivant une demande en vertu de l’article 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). L’agent du défendeur qui a rendu la décision datée du 1er novembre 2016 a conclu ce qui suit : [traduction] « après avoir pris en considération les circonstances particulières de la demanderesse et examiné l’ensemble des documents soumis, je ne suis pas convaincu que les considérations dont je dispose justifient une dispense pour motifs d’ordre humanitaire… » (Décision, p. 9).

[2]               La conclusion de l’agent soulève une question importante : quelle approche fallait-il adopter au moment de « prendre en considération les circonstances »? La réponse est une approche qui est fondée sur des principes et qui applique la loi. Au paragraphe 21 du jugement Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, la Cour suprême du Canada a établi cette approche :

[21]      Mais comme le montre l’historique législatif, la série de dispositions « d’ordre humanitaire » formulées en termes généraux dans les différentes lois sur l’immigration avaient un objectif commun, à savoir offrir une mesure à vocation équitable lorsque les faits sont « de nature à inciter [une personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne » (Chirwa, p. 364). »

[3]               Ainsi, cette approche exige qu’un décideur fasse preuve d’empathie envers un demandeur de dispense en se mettant dans la peau de ce dernier afin de bien comprendre sa position et être sensible aux circonstances particulières liées à ce demandeur.

[4]               En l’espèce, la demanderesse est une célibataire de 47 ans de Saint-Vincent qui est arrivée au Canada en vertu d’un visa de visiteur en septembre 1999 afin d’aider sa tante maternelle, qui est mère monoparentale, à prendre soin des enfants, puis a outrepassé sa période de séjour autorisé. La demande de dispense pour motifs d’ordre humanitaire de la demanderesse portait sur des questions liées de près à son établissement au Canada et à l’intérêt supérieur des enfants qui seraient directement touchés advenant le refus de cette dispense.

[5]               La présente demande vise à déterminer la qualité du processus décisionnel adopté par l’agent et si la norme établie dans la décision Kanthasamy a été respectée.

[6]               Dans une situation comme celle de la demanderesse, c’est-à-dire lorsqu’une personne vient au Canada et reste au pays sans être conforme aux lois en matière d’immigration, mais qui, néanmoins, réussit à être un membre positif, productif et utile de la société, le décideur doit examiner attentivement cet élément. L’article 25 devient inutile si cette personne est condamnée facilement en fonction de son historique en matière d’immigration. L’historique d’une personne doit être vu comme un fait à considérer, mais à l’intérieur d’une exploration holistique et empathique de la totalité de la preuve, afin de découvrir s’il existe des raisons valables permettant d’accorder une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire. Le processus d’interrogatoire préalable demande une attention complète :

La compassion passe par l’empathie. Pour être empathique, le décideur doit se mettre dans la peau du demandeur d’asile et se poser la question suivante : comment me sentirais-je si j’étais à sa place? Le décideur doit formuler sa réponse en écoutant son cœur aussi bien que son esprit analytique.

(Tigist Damte c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1212, au paragraphe 34).

[7]               Il est raisonnable d’analyser la preuve en triant les éléments « positifs » et « négatifs » de celle-ci. Cependant, une fois ces éléments triés, l’objectif n’est pas d’utiliser simplement le résultat de cette opération comme conclusion du processus d’examen : le fait de posséder une liste contenant plus d’éléments négatifs que positifs ne signifie pas que la demande de dispense doive, ipso facto, être rejetée. Une telle approche structurée ne correspond pas à ce que la Cour suprême du Canada a établi comment étant une norme. Pour se conformer à la norme, il faut faire un effort d’empathie afin de comprendre suffisamment bien la preuve pour s’ouvrir à un sentiment profond qu’une dispense est nécessaire malgré les éléments négatifs. Une décision raisonnable doit pouvoir communiquer que cet effort a vraiment été fait. C’est le défi qui doit être relevé. Pour les motifs qui suivent, j’estime que l’agent n’a pas relevé ce défi.

I.                   Décision de l’agent

A.                Établissement

[8]               Il existe une constante importante au sujet du caractère déraisonnable de l’évaluation par l’agent de la preuve d’établissement de la demanderesse. Les paragraphes suivants de la décision indiquent des faits très positifs.

Cependant, l’évaluation de ces faits est fournie de façon tranchante, en dénigrant et éradiquant de manière efficace chacune des réalisations de la demanderesse liées à son établissement au Canada :

[traduction] Mme Dowers écrit qu’elle est membre de l’Église adventiste du Septième jour depuis 2003 (IMM 5669, page 2). Par contre, une lettre datée du 3 mars 2005 semble indiquer que la demanderesse était membre de la communauté religieuse depuis 2000. Le doyen en chef indique que pendant que la demanderesse faisait partie de l’église de Scarborough, elle a participé aux activités de l’église et a fait du bénévolat à différentes occasions, notamment dans le cadre d’une école biblique pour enfants tenue au cours des vacances. De plus, depuis qu’elle s’est jointe à l’église de Toronto en 2007, le pasteur adjoint écrit qu’au « cours des années, elle a été appelée à servir au sein de divers ministères et a constamment relevé les défis qui se présentaient à elle », et elle est devenue une diaconnesse en mars 2013. Veuillez prendre note que ces activités de bénévolat ne sont pas quantifiées. Néanmoins, je considère que ces efforts liés aux activités ecclésiastiques et de bénévolat sont des facteurs positifs à considérer. [Non souligné dans l’original.] (Décision, p. 3)

[...]

Mme Dowers [sic] a suivi des cours par correspondance entre mars 2000 et juin 2002 à l’école Thomson Education Direct. En conséquence, elle a obtenu un diplôme en gestion des affaires. Les efforts déployés par la demanderesse pour améliorer ses connaissances et ses compétences sont louables. Toutefois, je note qu’elle n’a jamais détenu un permis valide l’autorisant à étudier au Canada. Ainsi, j’accorde un certain poids négatif à ses efforts d’éducation. [Non souligné dans l’original.] (Décision, p. 4)

[...]

À l’origine, la demanderesse a sollicité les services d’un conseiller juridique non accrédité qui a pris son argent et n’a pas soumis sa demande pour motifs d’ordre humanitaire, laquelle était déjà préparée. […] je conclus que cette justification est déraisonnable. Veuillez noter qu’il est plus probable qu’improbable que Mme Dowers savait qu’une demande pour motifs d’ordre humanitaire était un moyen d’obtenir un statut de résidence permanente depuis 2006-2007 puisqu’elle mentionne qu’elle a tenté de soumettre une demande au Conseil canadien de la magistrature. Peu de détails sont fournis au sujet de tentatives possibles de demande de renseignements au sujet du processus de dépôt d’une demande pour motifs d’ordre humanitaire. On mentionne seulement que « quelques années plus tard », une personne non identifiée de l’église de Mme Dowers lui a recommandé les services de son conseiller juridique actuel. Le Conseil canadien de la magistrature a reçu la demande initiale pour motifs d’ordre humanitaire de la demanderesse au mois de mai 2014, soit presque 15 ans après son entrée au Canada au moyen d’un visa de visiteur valide pour six mois. Bien qu’il soit malheureux qu’elle ait été victime d’une fraude, il semble, selon les renseignements dont je dispose, que Mme Dowers savait qu’elle devait régulariser son statut en matière d’immigration, et ce, pendant la majorité de sa période de résidence au Canada. Cependant, elle a fait peu d’efforts pour régulariser ce statut avant 2004. J’attribue un poids négatif à ce qui est mentionné ci-dessus. [Non souligné dans l’original.] (Décision, p. 4)

[...]

Je conclus que l’exposé des fonctions indique que la demanderesse effectuait du travail lié à la garde d’enfants au cours de la période concernée, selon la probabilité la plus forte. De plus, lorsque la demanderesse a cessé de travailler pour sa tante, elle est devenue travailleuse autonome à titre de femme de ménage. Je note que la demanderesse n’a jamais possédé un permis de travail [sic] au cours de sa période d’emploi au Canada. En outre, sa dernière demande pour motifs d’ordre humanitaire fait directement référence au fait qu’elle a travaillé sans autorisation. Par conséquent, je souligne qu’elle a continué à ne pas tenir compte des lois canadiennes en matière d’immigration après avoir été informée par écrit par son conseiller juridique. [Non souligné dans l’original.] (Décision, p. 4)

[...]

Plutôt, je suis seulement en mesure d’établir qu’il est plus probable que le contraire qu’elle a gagné entre 679,17 $ et 1 467,50 par mois à titre de travailleuse autonome. Je constate que peu d’éléments de preuve ont été soumis pour suggérer que la demanderesse a obtenu une licence en gestion des affaires ou qu’elle a déjà payé des impôts au Canada. Bien que j’accorde un certain poids positif au fait que la demanderesse n’a jamais déposé de demande d’aide sociale (en fait, elle a accumulé 5 683 $ en date du mois de décembre 2015) et elle a contribué à son église à la hauteur d’au moins 8 764,70 $, je conclus que le prolongement de sa période d’emploi au Canada est un facteur négatif important dans son établissement.. [Non souligné dans l’original.] (Décision, p. 5)

[9]               Dans la conclusion de la portion d’analyse de la décision, les déclarations suivantes sont faites :

À part le simple fait d’être au Canada depuis 16 ans et demi, la demanderesse a présenté des facteurs liés à l’établissement et l’intérêt supérieur de l’enfant, ainsi que des difficultés auxquelles elles seraient exposées en raison de conditions défavorables dans le pays concerné.

Je sais que l’établissement est généralement créé en demeurant pour une période prolongée dans le pays. Toutefois, je constate qu’il n’est pas rare qu’on établisse des racines dans un pays en obtenant un logement, en trouvant un emploi et en participant à la collectivité. Je donne crédit à la demanderesse pour ces aspects ainsi que pour d’autres éléments présentés dans la section liée à l’établissement. Néanmoins, je dois mettre en balance ces éléments positifs et certains facteurs négatifs. Notamment, le fait qu’elle a déployé des efforts minimes pour régulariser son statut en matière d’immigration, qu’elle a étudié sans autorisation, qu’elle a travaillé sans autorisation après avoir reçu la dernière décision liée à sa demande pour motifs d’ordre humanitaire et l’absence de documentation soutenant qu’elle a enregistré son entreprise ou qu’elle a payé des impôts. Bien que je constate que la demanderesse a apporté une contribution positive à la société canadienne au cours de sa longue période de résidence au pays, je conclus que, dans l’ensemble, il y a seulement [sic] quelques éléments positifs à son établissement au pays. [Non souligné dans l’original] (Décision, p. 9)

[10]           Je suis d’avis que l’attitude négative bien définie de l’agent à trouver des éléments de non-respect des exigences en matière d’immigration et sa fixation à appliquer cette attitude au cours du processus décisionnel a causé un manquement important en ce sens qu’il n’a pas évalué les éléments de preuve fournis par la demanderesse en faisant preuve de compassion, ce qui est exigé dans la décision Kanthasamy.

B.                 Intérêt supérieur de l’enfant

[11]           En ce qui concerne le renvoi de la demanderesse à Saint-Vincent et l’intérêt supérieur de l’enfant, l’agent a reconnu que le neveu de 11 ans de la demanderesse, c’est-à-dire Anju, qui demeure à Saint-Vincent, sera touché par ce renvoi. Puisque la demanderesse est établie au Canada, elle peut payer les études de son neveu dans une école privée de Saint-Vincent, ce qui n’est pas le cas des parents d’Anju. Si la demanderesse retourne à Saint-Vincent, elle ne pourra plus payer pour ces études. À ce sujet, l’agent a déterminé ce qui suit :

[traduction] La demanderesse a un neveu, Anju, qui est âgé de 11 ans. Il réside à Saint-Vincent avec ses parents et fréquente une école privée, où il obtient d’excellentes notes. Selon la lettre fournie par ses parents, le père d’Anju est un fermier et sa mère est une institutrice adjointe qualifiée, qui enseigne pendant la semaine. La mère d’Anju fait également des travaux agricoles et aide son beau-frère dans l’exécution de travaux en électricité afin d’« alléger le fardeau financier » de sa famille. En date du 17 septembre 2015, la mère d’Anju était à terminer la dernière année de son diplôme en études sociales à la University of West Indies, au campus Cave Hill. Mme Dowers indique que la réussite de ces études et de cette spécialisation fournira « une meilleure vie à ma famille. »

Malgré le manque de détails précis, j’accepte le fait qu’Anju ne pourra peut-être plus fréquenter son école privée si la demanderesse retourne vivre dans son pays d’origine. Cependant, le United States Department of Labor (2016) indique que l’enseignement public est gratuit à Saint-Vincent et que l’école est obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans.  Par conséquent, je conclus qu’Anju pourra quand même poursuivre ses études. Je dispose de peu de renseignements me démontrant que le fait qu’Anju fréquente l’école publique sera à l’encontre de l’intérêt supérieur de cet enfant. Ainsi, j’estime que cet argument n’est pas convaincant. [Non souligné dans l’original] (Décision, pages 6-7)

[...]

Dans l’ensemble et selon la prépondérance des probabilités, je ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve démontrant qu’Anju ne pourrait plus être vêtu, nourri et éduqué si la demanderrese retournait dans son pays d’origine. Plus particulièrement puisque sa mère devrait avoir terminé ses études et que, par conséquent, cela améliorera les revenus de la famille. Si la demanderesse retournait dans son pays, elle constituerait une présence physique dans la vie d’Anju. C’est une chose dont le jeune de 11 ans [sic] n’a pas pu profiter jusqu’à maintenant. En raison du manque de renseignements d’une valeur probante élevée suggérant qu’on ne pourrait pas subvenir aux besoins quotidiens d’Anju, je conclus qu’il est dans le meilleur intérêt d’Anju de pouvoir compter sur la présence physique de la demanderesse dans sa vie. Elle peut assurer cette présence en retournant dans son pays d’origine. [Non souligné dans l’original] (Décision, p.7)

[12]           La déclaration suivante représente l’évaluation de l’agent concernant l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché :

[traduction] J’ai également pris en compte l’intérêt supérieur de l’enfant par rapport à la nièce et aux neveux de la demanderesse et aux enfants associés à son travail de bénévolat. Je constate aussi que l’intérêt supérieur de l’enfant est l’un des nombreux facteurs importants dont le décideur doit tenir compte lorsqu’il prend une décision en matière de circonstances d’ordre humanitaire qui affecte directement un enfant. Le but de l’article 25 de la LIPR est de donner au ministre la souplesse de gérer des situations exceptionnelles dont les motifs d’ordre humanitaire incitent le ministre à agir. En l’espèce, j’estime que le poids accordé à l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas suffisant pour justifier une dispense parce qu’il n’y a pas assez d’éléments de preuve démontrant un impact négatif sur les enfants si la demanderesse quitte le Canada. [Non souligné dans l’original]  (Décision, p. 9)

(1)               La loi concernant l’intérêt supérieur de l’enfant

[13]           Selon moi, les déclarations de l’agent indiquent une incompréhension de l’approche complexe qu’il faut adopter pour déterminer l’intérêt supérieur d’un enfant; en effet, le fait que l’agent ait indiqué qu’il n’existait pas d’inquiétudes quant à l’intérêt supérieur d’Anju tant et aussi longtemps que ce dernier était « vêtu, nourri et éduqué » est une preuve concluante de cette incompréhension. Je détermine que la déclaration injustifié voulant que l’intérêt supérieur de l’enfant soit assuré si sa tante retournait à Saint-Vincent est non seulement non étayée par la preuve, mais est également intrusive. Je suis d’avis que ce raisonnement non seulement ne respecte pas les personnes qui dépendent d’une décision totalement informée et juste de l’agent, mais démontre également une incompréhension totale de la loi en matière de détermination de l’intérêt supérieur de l’enfant.

[14]           L’avocat de la demanderesse fait valoir que l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché représente « une considération singulièrement importante dans l’analyse » (Kanthasamy, au paragraphe 40). Dans l’affaire Kanthasamy, la juge Abella a expliqué clairement ce point :

[35]      L’application du principe de l’« intérêt supérieur de l’enfant [. . .] dépen[d] fortement du contexte » en raison de « la multitude de facteurs qui risquent de faire obstacle à l’intérêt de l’enfant » (Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 76, par. 11; Gordon c. Goertz, [1996] 2 R.C.S. 27, par. 20).   Elle doit donc tenir compte de l’âge de l’enfant, de ses capacités, de ses besoins et de son degré de maturité (voir A.C. c. Manitoba (Directeur des services à l’enfant et à la famille), [2009] 2 R.C.S. 181, par. 89). Le degré de développement de l’enfant déterminera l’application précise du principe dans les circonstances particulières du cas sous étude.

[36]      La protection des enfants par l’application du principe de l’« intérêt supérieur de l’enfant » fait l’objet d’une reconnaissance générale dans le système de justice canadien (A.B. c. Bragg Communications Inc., [2012] 2 R.C.S. 567, par. 17). Il s’agit dès lors [traduction] « de décider de ce qui [. . .], dans les circonstances, paraît le plus propice à la création d’un climat qui permettra le plus possible à l’enfant d’obtenir les soins et l’attention dont il a besoin » (MacGyver c. Richards (1995), 22 O.R.  (3d) 481 (C.A.), p. 489.

[37]      Les instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire, y compris la Convention relative aux droits de l’enfant, soulignent également l’importance de l’intérêt supérieur de l’enfant : R. T. Can. 1992 no 3; Baker, par 71.  En particulier, le par. 3(1) de la Convention consacre la primauté du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant :

Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.

[Souligné dans l’original.]

[38]      Même avant que le principe ne figure expressément au par. 25(1), la Cour y voyait un volet « important » de l’appréciation des motifs d’ordre humanitaire,  notamment dans l’arrêt Baker :

... l’attention et la sensibilité à l’importance des droits des enfants, de leur intérêt supérieur et de l’épreuve qui pourrait leur être infligée par une décision défavorable sont essentielles pour qu’une décision d’ordre humanitaire soit raisonnable...

... pour que l’exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt.  Cela ne veut pas dire que l’intérêt supérieur des enfants l’emportera toujours sur d’autres considérations, ni qu’il n’y aura pas d’autres raisons de rejeter une demande d’ordre humanitaire même en tenant compte de l’intérêt des enfants.  Toutefois, quand l’intérêt des enfants est minimisé, d’une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable. [par. 74-75]

[39]      Par conséquent, la décision rendue en application du par. 25(1) sera jugée déraisonnable lorsque l’intérêt supérieur de l’enfant qu’elle touche n’est pas suffisamment pris en compte (Baker, par. 75).  L’agent ne peut donc pas se contenter de mentionner qu’il prend cet intérêt en compte (Hawthorne, par. 32). L’intérêt supérieur de l’enfant doit être « bien identifié et défini », puis examiné « avec beaucoup d’attention » eu égard à l’ensemble de la preuve (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 C.F. 358 (C.A.), par. 12 et 31; Kolosovs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 165, par. 9-12 (CanLII)).

[Non souligné dans l’original.]

[15]           En ce qui concerne la prise d’une décision en tenant compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, la décision dans l’affaire Kolosovs fournit une explication des exigences :

[8]        Au paragraphe 75 de l’arrêt Baker, la Cour suprême écrivait qu’une décision en matière de motifs d’ordre humanitaire sera déraisonnable si le décideur n’a pas suffisamment pris en compte l’intérêt supérieur des enfants touchés par sa décision :

Les principes susmentionnés montrent que, pour que l’exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt.

[Souligné dans l’original.]

Ce passage fait ressortir que, même si un poids appréciable doit être accordé à l’intérêt supérieur d’un enfant, cet intérêt ne sera pas nécessairement le facteur déterminant dans tous les cas (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 C.F. 358 (C.A.F.)).  Pour arriver à une décision raisonnable, le décideur doit montrer qu’il est réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des enfants considérés.  Par conséquent, pour savoir si l’agent a été « réceptif, attentif et sensible », il faut considérer le contenu de cette obligation.

A.        Le décideur doit être réceptif

[9]        Être réceptif signifie être au fait de la situation.  Lorsque, dans une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, il est écrit qu’un enfant sera directement touché par la décision, l’agent des visas doit montrer qu’il est au courant de l’intérêt supérieur de l’enfant en indiquant les manières dont cet intérêt entre en jeu. L’intérêt supérieur de l’enfant requiert une analyse fondée sur les faits, mais les Lignes directrices, en leur section 5.19, constituent un point de départ pour l’agent des visas, en exposant certains des facteurs qui interviennent souvent dans les demandes de ce genre :

5.19. Intérêt supérieur de l’enfant

La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés  introduit l’obligation légale de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant directement affecté par une décision prise en vertu du L25(1), lors du contrôle concernant les circonstances d’un étranger qui présente une demande dans le cadre de cet article. Ceci précise la pratique du ministère eut égard à la loi, éliminant ainsi tout doute sur le fait que l’intérêt supérieur de l’enfant sera pris en considération.  L’agent doit toujours être vigilant et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant lors de l’examen des demandes présentées au titre du L25(1).  Toutefois, cette obligation ne s’applique que lorsqu’il est suffisamment clair, selon l’information soumise au décideur, que la demande s’appuie en entier ou du moins en partie, sur ce facteur.

[….]

En général, les facteurs liés au bien-être émotif, social, culturel et physique de l’enfant doivent être pris en considération, lorsqu’ils sont soulevés. Voici quelques exemples de facteurs qui peuvent être soulevés par le demandeur :

•           l’âge de l’enfant;

•           le niveau de dépendance entre l’enfant et le demandeur CH;

•           le degré d’établissement de l’enfant au Canada;

•           les liens de l’enfant avec le pays concerné par la demande CH;

•           les problèmes de santé ou les besoins spéciaux de l’enfant, le cas échéant;

•           les conséquences sur l’éducation de l’enfant;

•           les questions relatives au sexe de l’enfant.

[Souligné dans l’original]

B.        Le décideur doit être attentif

[10]      Dans l’arrêt Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 2 C.F. 555 (CA) (QL), au paragraphe 52, le juge Evans explique pourquoi il faut prendre en considération avec soi l’intérêt supérieur d’un enfant :

Nul doute que l’exigence selon laquelle les motifs des agents doivent clairement attester le fait qu’ils ont attentivement examiné l’intérêt supérieur d’un enfant touché impose un fardeau administratif. C’est cependant ce qu’il convient de faire.  Il est tout à fait justifié d’imposer des exigences rigoureuses en matière de traitement lorsqu’il s’agit de trancher des demandes fondées sur le paragraphe 114(2) susceptibles de porter préjudice au bien-être des enfants ayant le droit de demeurer au Canada: l’enjeu concerne les intérêts vitaux de personnes vulnérables et les possibilités d’intervention dans le cadre d’un contrôle judiciaire de fond sont limitées.

[11]      Une fois que l’agent connaît les facteurs qui font intervenir l’intérêt supérieur d’un enfant dans une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, ces facteurs doivent être considérés dans leur contexte intégral, et la relation entre les facteurs en question et les autres circonstances du dossier doit être parfaitement comprise. Ce n’est pas être attentif à l’intérêt supérieur de l’enfant que d’énumérer simplement les facteurs en jeu, sans faire l’analyse de leur interdépendance. À mon avis, pour être attentif à l’intérêt supérieur de l’enfant, l’agent des visas doit montrer qu’il comprend bien le point de vue de chacun des participants dans un ensemble donné de circonstances, y compris le point de vue de l’enfant s’il est raisonnablement possible de le connaître.

C.        Le décideur doit être sensible

[12]      Ce n’est qu’après que l’agent des visas s’est fait une bonne idée des conséquences concrètes d’une décision défavorable en matière de motifs d’ordre humanitaire sur l’intérêt supérieur de l’enfant qu’il pourra faire une analyse sensible de cet intérêt. Pour montrer qu’il est sensible à l’intérêt de l’enfant, l’agent doit pouvoir exposer clairement les épreuves qui résulteront pour l’enfant d’une décision défavorable, puis dire ensuite si, compte tenu également des autres facteurs, les épreuves en question justifient une dispense pour motifs d’ordre humanitaire. Comme l’écrivait la Cour suprême dans l’arrêt Baker, au paragraphe 75 :

« ... quand l’intérêt des enfants est minimisé, d’une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable.

[16]           Je suis d’avis que la décision contrôlée n’a pas démontré que l’agent était réceptif, attentif et sensible à la réalité entourant la vie d’Anju.

II.                Résultat

[17]           En raison des erreurs d’appréciation commises dans le processus décisionnel concernant les questions d’établissement et d’intérêt supérieur de l’enfant, j’estime que la décision visée par le présent contrôle est déraisonnable.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4902-16

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  LA COUR infirme la décision à l’examen, et l’affaire est renvoyée aux fins d’un nouvel examen par un autre décideur.

2.                  Il n’a aucune question à certifier.

« Douglas R. Campbell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4902-16

 

INTITULÉ :

SHIRLEY-ANN MONICA DOWERS c. LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 mai 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 15 juin 2017

 

COMPARUTIONS :

Samuel Loeb

 

Pour la demanderesse

 

Leanne Briscoe

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bureau du droit des réfugiés

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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