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Date : 20170613


Dossier : T-1886-16

Référence : 2017 CF 581

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 juin 2017

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

HEATHER RUTH MCDOWELL

demanderesse

et

THE BODY SHOP INTERNATIONAL PLC

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’un appel d’une décision de la Commission des oppositions des marques de commerce (COMC), datée du 6 septembre 2016 (2016 COMC 150, la « décision ») dans laquelle la COMC a rejeté l’opposition de Heather Ruth McDowell (la « demanderesse ») à la demande no 1,600,908 déposée par The Body Shop International Plc (la « défenderesse »), à l’enregistrement de la marque de commerce HONEYMANIA (la marque « HONEYMANIA »).

I.                   Contexte

[2]               La demanderesse est la propriétaire de deux marques de commerce : LMC767,075 pour la marque verbale HONEY et LMC767,134 pour HONEY ET DESSIN (les « marques HONEY »). Les produits visés par les marques HONEY comprennent notamment des chaussures, des bijoux, des accessoires de mode, des montres, des accessoires pour les cheveux et des produits cosmétiques. Le chevauchement des produits qui s’appliquent en l’espèce concerne des produits cosmétiques, nommément : fond de teint liquide ou en poudre, crèmes pour le visage, fard à joues, ombre à paupières, traceur pour les yeux, mascara, rouge à lèvres, brillant à lèvres, crayon à lèvres, sacs à cosmétiques vendus vides (les « produits HONEY »). Les marques HONEY sont octroyées sous licence à des sociétés qui exploitent des points de vente au détail HONEY, par l’intermédiaire desquels les produits de marque HONEY sont vendus sous les marques HONEY.

[3]               Le 2 novembre 2012, la défenderesse a déposé la demande no 1,600,908 pour enregistrer la marque HONEYMANIA (la « demande HONEYMANIA »). Les produits visés par la demande HONEYMANIA, telle qu’elle a été déposée, comprennent les suivants :

produits cosmétiques, produits de soins des lèvres, de la peau et des cheveux, crèmes et lotions pour le visage, savons pour les soins personnels et sacs à savons, huiles, perles, crèmes, poudres effervescentes et gels pour le bain et la douche, et bains moussants, déodorants, produits solaires, produits de rasage, parfums, eau de toilette, huiles essentielles et huiles parfumées à usage personnel, pour aromathérapie, pour la fabrication de parfums, à usage cosmétique et pour les soins de la peau et du corps, et huiles parfumées, produits de soins des ongles, cotons-tiges à usage personnel, papiers-mouchoirs poudrés, parfums d’ambiance, bâtonnets d’encens, pot-pourri et sachets, nécessaires et ensembles-cadeaux contenant des cosmétiques et des produits de soins des lèvres, de la peau, des cheveux et des ongles (les « produits HONEYMANIA »).

[4]               La demande HONEYMANIA a été publiée le 26 juin 2013 et la demanderesse a déposé une déclaration d’opposition le 26 novembre 2013.

II.                Décision de la COMC

[5]               La COMC a rejeté l’opposition pour les motifs suivants :

1)      La demanderesse ne s’est pas acquittée de son fardeau de la preuve initial en vertu des alinéas 16(3)a) et 16(3)c) de la Loi sur les marques de commerce, car il n’existait aucune preuve de l’utilisation des marques HONEY à la date de publication de la marque HONEYMANIA.

2)      La demanderesse ne s’est pas acquittée de son fardeau de la preuve initial en vertu de l’article 2 de la Loi sur les marques de commerce, car les éléments de preuve offerts n’ont pas démontré que l’une ou l’autre des marques HONEY était utilisée ou connue au Canada à compter de la date applicable.

3)      Compte tenu des facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce et selon la prépondérance des probabilités, il n’existe aucune possibilité raisonnable de confusion en vertu de l’alinéa 12(1)d) :

a.       Aucune des marques ne présente un caractère distinctif particulièrement élevé parce que le mot « HONEY » a des significations communes.

b.      La demanderesse n’est pas parvenue à déposer des éléments de preuve démontrant que les marques HONEY s’étaient taillé une réputation quelconque au Canada.

c.       Il est raisonnable d’inférer, en se fondant sur le nombre de marques enregistrées qui renferment le mot « HONEY », que les consommateurs de produits cosmétiques, de produits de soins personnels ainsi que de produits et services de soins de beauté ont l’habitude, dans une certaine mesure, de voir des marques renfermant le mot « HONEY ».

d.      L’ajout de l’élément « MANIA » apporte des différences suffisantes dans l’apparence, le son et l’idée évoquée pour que l’on puisse conclure qu’il n’y a pas de possibilité de confusion.

III.             Question en litige

[6]               Le présent appel a pour objet de résoudre les questions suivantes :

1)      Quelle est la norme de contrôle applicable?

2)      La COMC a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle est parvenue à la conclusion :

a.       que la marque HONEYMANIA ne risque pas d’être confondue avec les marques HONEY?

b.      qu’il convient de rejeter les motifs d’opposition fondés sur l’absence de droit et de caractère distinctif?

IV.             Analyse

A.                Norme de contrôle

[7]               Advenant un appel en vertu du paragraphe 56(1), le paragraphe 56(5) de la Loi sur les marques de commerce prévoit la possibilité d’apporter des éléments de preuve en plus de ceux qui ont été présentés devant le registraire, et la Cour fédérale peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

56 (1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l’avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l’expiration des deux mois.

(5) Lors de l’appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

(1) An appeal lies to the Federal Court from any decision of the Registrar under this Act within two months from the date on which notice of the decision was dispatched by the Registrar or within such further time as the Court may allow, either before or after the expiration of the two months.

(5) On an appeal under subsection (1), evidence in addition to that adduced before the Registrar may be adduced and the Federal Court may exercise any discretion vested in the Registrar.

[8]               Dans l’arrêt Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, au paragraphe 35 [Mattel], la Cour suprême du Canada a déclaré que, lorsqu’un nouvel élément de preuve est admis, le réexamen porte à la fois sur des questions de droit et de fait :

Lorsqu’un nouvel élément de preuve est admis, il peut, selon sa nature, apporter un éclairage tout à fait nouveau sur le dossier dont était saisie la Commission et amener ainsi le juge des requêtes à instruire l’affaire comme s’il s’agissait d’une nouvelle audition fondée sur ce dossier élargi plutôt que comme un simple appel. L’article 56 laisse croire que le législateur voulait qu’il soit procédé à un réexamen complet, non seulement des questions de droit, mais aussi des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit, y compris la probabilité de confusion. Voir en général Brasseries Molson c. John Labatt Ltée.

[Renvois omis.]

[9]               Dans l’arrêt Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] ACF no 159, au paragraphe 51, la Cour d’appel fédérale déclare :

Toutefois, lorsqu’une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l’exactitude de la décision du registraire.

[10]           Cependant, en supposant que la preuve additionnelle n’ait pas eu d’effet important sur les conclusions de la COMC ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la norme de contrôle est celle du caractère raisonnable (Spirits International B.V. c. BCF S.E.N.C.R.L., 2012 CAF 131, au paragraphe 10).

[11]           Pour déterminer si les éléments de preuve supplémentaires étaient susceptibles ou non d’influer substantiellement sur la décision de la COMC, la Cour doit en évaluer la qualité, et non la quantité – en tenant compte de sa nature, de sa valeur probante et de sa fiabilité – pour déterminer si les éléments de preuve supplémentaires ajoutent des éléments importants Illico Communication Inc. c. Norton Rose S.E.N.C.R.L., 2015 CF 165, au paragraphe 26).

[12]           La demanderesse a déposé de nouveaux éléments de preuve, notamment un affidavit assermenté de Mme McDowell, en date du 20 novembre 2016 (l’« affidavit McDowell »), lequel porte sur :

1)      l’exploitation par la demanderesse de points de vente au détail HONEY au Canada, lesquels vendent des vêtements, des chaussures, des couvre-chefs, des bijoux, des accessoires de mode, des montres, des accessoires pour les cheveux et des produits cosmétiques;

2)      la période pendant laquelle les marques HONEY sont en usage;

3)      le chiffre d’affaires annuel tiré de la vente de produits de marque HONEY au Canada et la répartition des ventes de produits spécifiques, notamment les produits HONEY;

4)      la preuve du contrôle de qualité des produits de marque HONEY.

[13]           La demanderesse soutient que ces nouveaux éléments de preuve auraient un effet important sur la décision de la COMC, parce qu’ils portent sur la notoriété et la survaleur des marques HONEY au Canada, lesquelles auraient été importantes pour l’évaluation de la confusion par la COMC.

[14]           En ce qui concerne la confusion, la défenderesse soutient que les nouveaux éléments de preuve n’ont aucune importance probante parce que la demanderesse n’a pas réussi à démontrer que les marques HONEY étaient connues ou qu’elles s’étaient taillé une certaine réputation au Canada par rapport aux produits HONEY. En outre, la défenderesse affirme que les nouveaux éléments de preuve ne portent pas sur les marques pertinentes de tierces parties qui, selon la COMC, appuient la conclusion voulant que le mot HONEY soit perçu comme ayant une importance pour l’industrie des produits cosmétiques, de soins personnels et de beauté, ainsi que la conclusion voulant que les marques HONEY ne présentent pas un caractère distinctif intrinsèque élevé.

[15]           J’estime que les nouveaux éléments de preuve auraient influé substantiellement sur la décision de la COMC. Même si presque tous les nouveaux éléments de preuve montrent des marques HONEY associées à des produits qui ne sont pas des produits HONEY, l’affidavit McDowell démontre que les produits cosmétiques, de soins personnels et de beauté (c.-à-d. les produits HONEY) représentent environ 1 % des ventes annuelles de la demanderesse, et il est accompagné de reçus de caisse de ventes de produits cosmétiques et de sacs à cosmétiques.

[16]           En outre, la confusion se situe au cœur des trois conclusions de la COMC. Les nouveaux éléments de preuve montrent que la demanderesse a vendu différents produits, utilisant les marques HONEY, aux dates pertinentes pour l’enregistrabilité, le droit et l’absence de caractère distinctif. En dépit du fait que les illustrations jointes à l’affidavit McDowell portent essentiellement sur des vêtements et des accessoires et qu’elles n’établissent pas l’emploi des marques HONEY en rapport avec des produits HONEY aux dates pertinentes, les nouveaux éléments de preuve sont constitués de reçus de caisse portant les marques HONEY qui sont employées avec des produits HONEY, quoique peu nombreux. Comme en fait état le paragraphe 14 des observations écrites de la demanderesse, le nouvel affidavit McDowell comprend :

a)      des éléments de preuve concernant l’exploitation par la demanderesse de points de vente au détail HONEY au Canada;

b)      des éléments de preuve concernant les mesures de contrôle de la qualité et du caractère des produits et services associés aux marques HONEY qui sont mises en œuvre par la demanderesse;

c)      le chiffre d’affaires annuel tiré de la vente de produits de marque HONEY au Canada et la répartition des ventes de produits spécifiques en tant que pourcentage du total des ventes;

d)     les chiffres relatifs aux dépenses promotionnelles annuelles consacrées aux produits et services de marque HONEY au Canada;

e)      des éléments de preuve représentatifs de l’utilisation des marques HONEY, notamment :

                                i.            sur le matériel de publicité et les affiches en magasin dans les points de vente au détail HONEY au Canada;

                              ii.            sur les produits de marque HONEY mêmes;

                            iii.            sur les reçus de caisse concernant des ventes de produits de marque HONEY et des produits HONEY vendus au Canada;

                            iv.            sur les autocollants qui sont apposés sur le papier de soie ou autre matériel d’emballage utilisé pour emballer les produits HONEY qui sont achetés au Canada;

                              v.            sur les autocollants portant un code à barres qui sont apposés sur les produits HONEY;

                            vi.            sur les cartes promotionnelles, les cartes postales, les cartes d’affaires servant à la promotion de produits et services de marque HONEY;

                          vii.            sur les cartes-cadeaux, les chèques-cadeaux et le matériel promotionnel du programme de cartes de fidélisation qui sont offerts dans les points de vente au détail HONEY;

                        viii.            sur les sacs à provisions, les sacs à vêtements et les boîtes qui servent à emballer les produits HONEY achetés par les clients.

[17]           Selon l’affidavit McDowell, en plus d’être apposées sur les produits dans ses points de vente, les marques HONEY sont bien en évidence sur les affiches en magasin et à l’extérieur des magasins et elles sont aussi utilisées dans la publicité et la promotion, notamment sur les autocollants, les cartes d’affaires, les cartes postales, les chèques-cadeaux et les cartes-cadeaux, les sacs à provisions, les sacs à vêtements et les boîtes qui servent à emballer les produits achetés.

[18]           Ces nouveaux éléments de preuve sont importants pour l’appel, notamment parce qu’ils comblent les lacunes en matière de preuve invoquées par la COMC : la demanderesse n’a pas établi l’emploi des marques en question aux dates pertinentes et n’a pas démontré que les marques HONEY s’étaient taillé une réputation au Canada. Cette conclusion est conforme à une décision rendue par la juge Anne Mactavish dans un appel d’opposition de marque de commerce impliquant la demanderesse, les marques HONEY, et essentiellement les mêmes éléments de preuve que ceux dans l’affidavit McDowell (Mcdowell v. Laverana GmbH & Co. KG, 2017 FC 327 [McDowell]).

[19]           Je conclus que la norme de contrôle applicable est celle du caractère raisonnable.

B.                 Dates pertinentes

[20]           La date pertinente, en ce qui concerne la conformité avec l’article 30 de la Loi sur les marques de commerce, est la date à laquelle la demande a été déposée.

[21]           La date pertinente, en ce qui concerne l’alinéa 12(1)d) de la Loi sur les marques de commerce, est la date de la décision de la COMC. Cependant, lorsque des éléments de preuve importants et probants sont déposés, de sorte que la Cour doit considérer l’appel comme une nouvelle audience, la date pertinente est alors la date du jugement en appel.

[22]           La date pertinente, en ce qui concerne le caractère distinctif, est la date de dépôt de l’avis d’opposition.

C.                 Fardeau sur les parties

[23]           Bien que le fardeau de la preuve initial pour le seul motif de l’opposition en litige incombe à l’opposante, la charge ou le fardeau ultime de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la marque de commerce est enregistrable, repose sur les épaules du demandeur (John Labatt Ltd c. Molson Co, [1990] ACF, no 533, confirmé par [1992] ACF no 525, [CAF]).

D.                Analyse de la confusion

[24]           Dans le cas des procédures d’opposition, il incombe au déposant d’une marque de commerce (dans la présente instance, la défenderesse) de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existe aucune possibilité de confusion (Mattel, au paragraphe 54). L’article 6 de la Loi sur les marques de commerce expose le régime législatif applicable lorsque deux marques de commerce peuvent être confondues l’une avec l’autre – le paragraphe 6(5) est particulièrement important :

6 (1) Pour l’application de la présente loi, une marque de commerce ou un nom commercial crée de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial si l’emploi de la marque de commerce ou du nom commercial en premier lieu mentionnés cause de la confusion avec la marque de commerce ou le nom commercial en dernier lieu mentionnés, de la manière et dans les circonstances décrites au présent article.

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

c) le genre de produits, services ou entreprises;

d) la nature du commerce;

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

6 (1) For the purposes of this Act, a trade-mark or trade-name is confusing with another trade-mark or trade-name if the use of the first mentioned trade-mark or trade-name would cause confusion with the last mentioned trade-mark or trade-name in the manner and circumstances described in this section.

(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

(c) the nature of the goods, services or business;

(d) the nature of the trade; and

(e) the degree of resemblance between the trademarks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

[25]           Dans l’arrêt Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, au paragraphe 20 [Veuve Clicquot], la Cour suprême énonce comme suit le critère en matière de confusion :

Le critère applicable est celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue du nom Cliquot sur la devanture des boutiques des intimées ou sur une de leurs factures, alors qu’il n’a qu’un vague souvenir des marques de commerce VEUVE CLICQUOT et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques.

[26]           Le consommateur ordinaire – la personne ordinaire à la recherche d’un produit et non pas la personne versée dans l’art du sens des mots – ne considère pas chaque partie d’une marque séparément des autres éléments, il la voit comme un tout et sur la base d’une première impression (Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27, au paragraphe 83 [Masterpiece]). Toutefois, lorsqu’un consommateur ordinaire regarde la marque dans son ensemble, il se peut qu’un certain aspect de celle-ci soit particulièrement frappant parce qu’il en constitue l’élément le plus distinctif et sera la composante dominante qui aura une incidence sur l’impression générale du consommateur ordinaire (Masterpiece, ci-dessus, au paragraphe 84).

[27]           Si l’on applique le critère énoncé dans l’arrêt Veuve Clicquot, précité, les facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce doivent être pris en considération. Cette liste n’est pas exhaustive et un poids différent sera accordé à différents facteurs selon le contexte (Mattel au paragraphe 54).

(1)               Le caractère distinctif intrinsèque des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus.

[28]           Le caractère distinctif intrinsèque d’un mot doit être évalué dans le contexte des biens et services auxquels s’applique une marque de commerce. Le miel (en anglais, « honey ») n’est pas un ingrédient que l’on retrouve dans les produits de l’une ou l’autre des parties, et rien ne prouve que le mot « honey » ait des connotations intrinsèques descriptives ou suggestives dans le contexte entourant les produits HONEY. La COMC a néanmoins conclu que les marques HONEY ne présentaient pas un caractère distinctif intrinsèque en raison de l’acception élogieuse du mot « honey », laquelle affaiblit la force des marques.

[29]           En l’absence de preuve que le mot « honey » décrit les produits HONEY ou que le miel soit un ingrédient que l’on retrouve dans les produits de l’une ou l’autre des parties, ou en l’absence de preuve permettant de conclure que le mot « honey » ait une connotation élogieuse intrinsèque, je ne suis pas d’accord avec la COMC et je conclus que les marques HONEY présentent jusqu’à un certain point un caractère distinctif.

[30]           En outre, la demande de marque de commerce de la défenderesse repose sur une utilisation envisagée au Canada et, en conséquence, il n’existe aucune preuve que la marque HONEYMANIA soit connue au Canada. Inversement, même si les produits HONEY représentent seulement 1 % environ des ventes annuelles de la demanderesse, les marques HONEY sont utilisées continuellement depuis 2003, et l’affidavit McDowell démontre que les marques HONEY ont une certaine notoriété, du moins dans la région de Toronto. Ce facteur est donc en faveur de la demanderesse.

(2)               Période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage

[31]           Les éléments de preuve fournis par la demanderesse indiquent que les marques HONEY sont en usage depuis 2003, alors que la défenderesse n’a pas encore commencé à utiliser la marque HONEYMANIA. La défenderesse soutient que ces éléments de preuve ne sont qu’une simple affirmation; cependant, elle a choisi de ne pas contre-interroger Mme McDowell. En l’absence de preuve du contraire, je conclus que la demanderesse utilise les marques HONEY en liaison avec les produits HONEY depuis 2003. Ce facteur est également en faveur de la demanderesse.

(3)               Nature des produits, des services ou des entreprises

[32]           La COMC a conclu qu’il existait un chevauchement direct et indirect entre les produits HONEY et les produits HONEYMANIA. La défenderesse soutient que la demanderesse a fourni une preuve très limitée concernant l’utilisation des marques HONEY en liaison avec les produits HONEY et qu’il n’existe aucune preuve de l’utilisation réelle. M’appuyant sur les nouveaux éléments de preuve contenus dans l’affidavit McDowell, je conclus qu’il y a un chevauchement entre les produits HONEY de la demanderesse et la nature des produits HONEYMANIA de la défenderesse. Ce facteur est également en faveur de la demanderesse.

(4)               Nature du commerce

[33]           La défenderesse n’a fourni aucun élément de preuve démontrant que ses activités commerciales sont de nature différente de celles de la demanderesse. Ce facteur est également en faveur de la demanderesse, car il existe une possibilité de chevauchement des voies de commercialisation.

(5)               Degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils évoquent et leur caractère distinctif intrinsèque

[34]           Dans l’arrêt Masterpiece, lorsque la Cour suprême a abordé la question du degré de ressemblance entre les marques de commerce en cause dans cette instance, elle a exprimé l’avis ci-après aux paragraphes 64 à 66 :

Le mot « degré de ressemblance » à l’al. 6(5)e) de la Loi sous-entend que ce n’est pas seulement dans les cas où les marques de commerce en cause sont identiques qu’il y a probabilité de confusion : des marques comportant un certain nombre de différences peuvent aussi engendrer une probabilité de confusion.

Le premier mot qui figure dans les marques de commerce d’Alavida et de Masterpiece Inc. est le même, à savoir « Masterpiece ». Il a été établi que le premier mot est important lorsqu’il s’agit d’établir le caractère distinctif d’une marque.

Il est vrai que dans certains cas le premier mot sera l’élément le plus important pour établir le caractère distinctif d’une marque de commerce, mais j’estime qu’il est préférable de se demander d’abord si l’un des aspects de celle‑ci est particulièrement frappant ou unique.

[Renvois omis.]

[35]           La COMC a conclu qu’aucun aspect des marques des parties (HONEY ou HONEYMANIA) n’était particulièrement frappant ou unique. La COMC a également conclu que la nature du mot « honey » est plutôt élogieuse ou suggestive, ou les deux, tandis que le mot inventé HONEYMANIA est formé de deux mots qui ne sont généralement pas jumelés. Même si la COMC s’est concentrée sur l’ensemble des marques des parties et qu’elle a reconnu le principe voulant que le premier mot ou la première syllabe d’une marque de commerce soit souvent l’élément le plus important ou dominant d’une marque de commerce, elle n’a pas appliqué ce principe à sa décision.

[36]           Elle a conclu que les marques des parties présentaient un certain degré de ressemblance, car la composante dominante de la première partie de leurs marques de commerce renfermait le mot HONEY. Toutefois, elle a jugé que les marques de commerce des parties ne se ressemblaient pas substantiellement, parce que le suffixe MANIA atténuait le degré de ressemblance dans le son et l’apparence et que ce suffixe entraînait des différences dans les idées évoquées. Il n’est donc pas surprenant que la défenderesse adopte la décision de la COMC à ce chapitre.

[37]           Dans sa marque HONEYMANIA, la défenderesse a intégré, en tant que premier élément, la totalité de la marque nominale HONEY de la demanderesse. Comme il est établi que la première portion d’une marque en constitue l’élément dominant en ce qui concerne le caractère distinctif, et que l’évaluation de la confusion repose sur la première impression du consommateur ordinaire moyen, qui est un peu pressé et qui a un vague souvenir des marques HONEY, la première partie des marques respectives des parties (c.-à-d. HONEY) serait généralement considérée comme étant l’aspect le plus frappant et le plus distinctif des marques des parties.

[38]           En outre, rien ne porte à penser que l’élément secondaire de la marque HONEYMANIA (c.-à-d. MANIA) présente un caractère distinctif supérieur ou dominant par rapport à la portion HONEY de la marque. Comme l’a mentionné la COMC, la marque HONEYMANIA comporte la notion d’un désir ou d’un enthousiasme extrême à l’égard de HONEY.

[39]           Comme aucune acception du mot « honey » n’est attribuable intrinsèquement aux marques des parties, je conviens avec la demanderesse que l’acception principale de la marque HONEYMANIA se rapporte essentiellement au mot dominant « honey ». En conséquence, les idées centrales suggèrent que les marques HONEY et la marque HONEYMANIA sont semblables.

[40]           La COMC a également rejeté la notion voulant que la portion MANIA de la marque HONEYMANIA soit un qualificatif du mot HONEY et que HONEYMANIA évoque auprès des consommateurs la marque HONEY de la demanderesse. Elle a rejeté la notion voulant que HONEYMANIA évoque HONEY, alléguant que les éléments de preuve concernant l’utilisation des marques HONEY étaient insuffisants pour en venir à des conclusions bien fondées sur le degré auquel les marques HONEY sont maintenant connues au Canada.

[41]           Les nouveaux éléments de preuve contenus dans l’affidavit McDowell montrent que les marques HONEY ont acquis, grâce à l’utilisation et à la promotion par la demanderesse depuis 2003, un certain degré de notoriété et de caractère distinctif intrinsèque. Cette conclusion correspond à la décision de la juge Mactavish dans l’arrêt McDowell, précité, au paragraphe 37, où elle a affirmé qu’une telle réputation reposait essentiellement sur les mêmes éléments de preuve que ceux qui ont été présentés dans la présente instance.

E.                 Circonstances de l’espèce

[42]           La décision de la juge Mactavish relativement à l’état du registre traite avec justesse les observations présentées par les parties en cause, en s’appuyant sur un examen fondé essentiellement sur les mêmes éléments de preuve.

[traduction]
41     La COMC a également examiné l’état du registre, le considérant comme l’une des circonstances de l’espèce pouvant orienter son analyse de la confusion. Elle a conclu que l’existence de 10 enregistrements de marques de commerce contenant le mot « honey » appartenant à sept tierces parties confirmait l’inférence que Mme McDowell n’exerce pas un monopole sur l’utilisation du mot « honey » dans le secteur des produits pour soins personnels. Mme McDowell soutient que la COMC n’était pas en droit de tirer cette conclusion défavorable sans preuve à l’appui concernant l’utilisation du mot « honey » sur le marché canadien et sans preuve qu’un nombre important d’enregistrements pertinents par de tierces parties figurent au registre et sont utilisés.

42     Les éléments de preuve extraits de l’état du registre sont pertinents dans la mesure où ils permettent de tirer des inférences concernant l’état du marché. Par contre, de telles inférences ne peuvent être tirées que s’il existe un grand nombre d’enregistrements pertinents. Selon la théorie, la présence d’un élément commun dans des marques incite les acheteurs à porter davantage attention à d’autres caractéristiques des marques et à les différencier à partir de ces autres caractéristiques : Kellogg Salada Canada Inc. v. Canada (Registrar of Trade Marks), [1992] 3 F.C. 442, [1992] F.C.J. No 562.

43     L’affaire Kellogg portait sur au moins 47 enregistrements de marque de commerce et 43 noms commerciaux, ainsi que 18 autres enregistrements de marque de commerce effectués après la date du dépôt, dont le mot « Nutri » faisait partie de la marque. Dans ces circonstances, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’on pouvait inférer que les consommateurs des produits en question [traduction] « ont l’habitude de faire des distinctions entre les différentes marques de commerce sur le marché qui contiennent l’élément “Nutri” et qu’ils portent davantage attention aux petites différences entre les marques » : au paragraphe 15.

44     Toutefois, la preuve que l’enregistrement de plusieurs marques de commerce de tierces parties est important uniquement lorsque les marques inscrites au registre sont employées de façon courante dans le commerce en question : Compagnie Gervais Danone c. Astro Dairy Products Ltd., 160 F.T.R. 27, au paragraphe 17, [1999] ACF no 408 (C.F. 1re inst.). Pour que l’on puisse conclure qu’un mot ou un élément est commun au commerce, il faut que les marques inscrites au registre soient employées de façon courante dans le commerce en question : Compagnie Gervais, aux paragraphes 17 et 18; Kellogg, précité, au paragraphe 14.

45     La preuve présentée à la COMC faisait état de sept tierces parties ayant enregistré des marques de commerce contenant le mot « honey » en association avec des produits de soins personnels. La COMC a noté avec raison que le nombre d’enregistrements pertinents n’était pas très élevé, mais elle a conclu que l’existence de ces enregistrements permettait d’inférer que Mme McDowell n’exerçait pas un monopole sur l’utilisation du mot « honey » dans le secteur des produits de soins personnels.

46     Cependant, comme l’a mentionné le juge de Montigny dans Hawke & Company Outfitters LLC c. Retail Royalty Company, 2012 CF 1539, au paragraphe 40, [2012] F.C.J. no 1622, le fait qu’une marque figure au registre ne constitue pas une preuve qu’elle est présentement employée, qu’elle était en usage aux dates pertinentes, qu’elle est employée en rapport avec les marchandises ou des services semblables à ceux des parties, ou encore de connaître l’ampleur de cet usage. En l’absence d’une telle preuve, la COMC a donc commis une erreur en tirant une conclusion défavorable de l’état du registre.

[43]           Je conclus également que l’état du registre ne justifie pas le fait que la COMC ait tiré une conclusion défavorable.

F.                  Absence de droit et absence de caractère distinct

[44]           M’appuyant sur ma conclusion énoncée précédemment, il existe des éléments de preuve concernant l’utilisation des marques HONEY en association avec les produits HONEY et les produits et services de marque HONEY aussi tôt qu’en 2003. Par conséquent, la décision de la COMC concernant l’absence de droit et l’absence de caractère distinct ne peut être maintenue.

V.                Conclusion

[45]           Ayant pris en considération les facteurs liés à la confusion, et compte tenu des circonstances en l’espèce, je conclus que la demanderesse a établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il existe une possibilité de confusion entre les marques HONEY et la marque HONEYMANIA de la défenderesse.

[46]           Par conséquent, l’appel est accueilli et la décision de la COMC est annulée. J’enjoins au registraire des marques de commerce de refuser l’enregistrement de la demande HONEYMANIA.

VI.             Dépens

[47]           Les dépens sont accordés à la demanderesse, tels qu’ils sont établis sous la Colonne III du Tarif B.


JUGEMENT rendu dans le dossier portant le numéro T-1886-16

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  L’appel est accueilli et la décision de la COMC de refuser la demande d’opposition no 1,600,908 de l’appelante concernant HONEYMANIA est annulée;

2.                  J’enjoins au registraire des marques de commerce de refuser l’enregistrement de la demande no 1,600,9058 pour HONEYMANIA;

3.                  Les dépens sont accordés à l’appelante, tels qu’ils sont établis sous la Colonne III du Tarif B.

« Michael D. Manson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1886-16

 

INTITULÉ :

HEATHER RUTH MCDOWELL c. THE BODY SHOP INTERNATIONAL PLC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 juin 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 13 juin 2017

 

COMPARUTIONS :

Kenneth D. McKay

 

Pour la demanderesse

Amrita Singh

 

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

SIM ASHTON & McKAY LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

Bereskin & Parr, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

Pour la défenderesse

 

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