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Date : 20170613


Dossier : T-938-16

Référence : 2017 CF 583

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 juin 2017

En présence de monsieur le juge O’Reilly

ENTRE :

VILLE D’OTTAWA

demanderesse

et

JAMAL HASSAN

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La Ville d’Ottawa conteste la décision de la Commission canadienne des droits de la personne de renvoyer la plainte de M. Jamal Hassan pour discrimination en milieu de travail à un tribunal en vue de mener une enquête plus approfondie. La Ville allègue que la Commission n’avait pas compétence pour trancher l’affaire puisqu’un arbitre avait entendu un conflit de travail relié à la demande entre les parties; c’est donc l’arbitre qui avait compétence sur ce litige. La Ville a également soulevé plusieurs autres questions, faisant valoir que la Commission a manqué à son devoir d’équité procédurale dans sa décision, qu’elle n’a pas suffisamment détaillé ses motifs, qu’elle n’a pas suffisamment renvoyé à des auteurs vérifiables et qu’elle a appliqué à tort le paragraphe 41(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (LCDP); voir en annexe.

[2]               Je suis d’accord que la Commission n’avait pas compétence pour entendre la plainte de M. Hassan puisque, dans les circonstances, l’arbitre avait compétence exclusive dans cette affaire. Par conséquent, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire. Je n’ai donc pas besoin d’aborder les autres questions soulevées par la Ville.

II.                Contexte

[3]               M. Hassan était conducteur d’autobus pour le département des services de transport en commun de la Ville d’Ottawa (OC Transpo), jusqu’à ce qu’il soit en arrêt de travail prolongé pour cause de maladie pendant environ cinq ans, période au cours de laquelle il a seulement travaillé de façon sporadique. Suivant son arrêt de travail pour cause de maladie, la Ville a mis fin à son emploi en juillet 2010.

[4]               M. Hassan a déposé un grief par l’intermédiaire de son syndicat contestant sa cessation d’emploi, et sa plainte s’est rendue en arbitrage (conformément au Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2). En 2011, les parties ont signé un procès-verbal de règlement définissant les étapes devant être entreprises par la Ville, y compris d’intégrer M. Hassan au [traduction« programme de placement prioritaire » pour un an, après quoi il serait automatiquement congédié s’il n’avait pas été placé dans une nouvelle fonction. Après avoir tenté sans succès de placer M. Hassan dans un nouvel emploi pendant un an, la Ville l’a congédié pour une seconde fois, définitivement. Quelques mois plus tard, M. Hassan a déposé une plainte auprès de la Commission au motif que la Ville avait fait défaut de [traduction« prendre des mesures appropriées à son égard ou de se conformer au procès-verbal de règlement qui a été convenu de bonne foi ».

[5]               En 2014, un rapport préliminaire recommandait que la Commission se penche sur la plainte. La Ville et M. Hassan ont déposé des observations supplémentaires, et la Commission a ultimement décidé d’examiner la plainte. La demande de la Ville de suspendre les procédures et d’autoriser l’annulation de cette décision a été rejetée au motif qu’elle a été présentée de façon prématurée (T-2478-14).

[6]               La Commission a donc entrepris une enquête. Pendant toute cette enquête, la défense de la Ville s’est résumée à invoquer le procès-verbal de règlement. L’enquêteur a recommandé que le Tribunal canadien des droits de la personne enquête sur la plainte de M. Hassan. Une tentative de conciliation infructueuse a eu lieu. Après avoir tenu compte des rapports et des observations des parties, la Commission a décidé en mai 2016 de renvoyer la plainte de M. Hassan au Tribunal.

III.             La Commission avait-elle compétence pour entendre la plainte de M. Hassan?

[7]               La question soulevée devant la Commission était de savoir si elle avait compétence concurrente avec l’arbitre pour examiner la plainte de M. Hassan ou si l’arbitre possédait plutôt une compétence exclusive. La norme de contrôle pour les questions touchant à la délimitation des compétences respectives entre deux tribunaux spécialisés est la norme de la décision correcte (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 61; Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., [2016] 2 RCS 293, 2016 CSC 47, au paragraphe 24).

[8]               M. Hassan soutient qu’il a fait l’objet de discrimination alors qu’il participait au [traduction] « programme de placement prioritaire » et que cette situation est survenue après son congédiement initial. Il fait valoir qu’il a été réintégré comme employé à la date de signature du procès-verbal de règlement et que ce procès-verbal ne prévoyait pas la possibilité que des actes discriminatoires surviennent dans le futur. Par conséquent, puisque sa plainte n’est pas reliée au procès-verbal même ou à ses problèmes de travail antérieur, la Commission avait compétence pour examiner sa plainte.

[9]               Je ne suis pas de cet avis. L’argument de M. Hassan ne peut être réconcilié avec le procès-verbal de règlement. Le procès-verbal dispose clairement que M. Hassan était réintégré comme employé de la Ville, qu’il serait placé dans le programme de placement prioritaire pour une durée maximale de douze mois et que l’arbitre demeurait saisi de [traduction] « toute question reliée à l’interprétation ou à l’application » du procès-verbal. La plainte déposée par M. Hassan auprès de la Commission est directement fondée sur le non-respect allégué du procès-verbal par la Ville en raison de son défaut de lui trouver un emploi convenable. De plus, tant le rapport préliminaire que le rapport d’enquête de la Commission établissent que la période pertinente à la plainte s’étend de juin 2011 à juin 2012, soit la période couverte par le procès-verbal de règlement. Manifestement, tout problème relatif aux obligations de la Ville prévues au procès-verbal aurait dû être renvoyé à l’arbitre.

[10]           M. Hassan fait subsidiairement valoir que même si l’arbitre avait compétence pour entendre sa plainte, la Commission possède une compétence concurrente qui lui permet de l’examiner. Il prétend que le Code canadien du travail n’attribue pas une compétence exclusive à l’arbitre ni n’écarte la compétence de la Commission.

[11]           Toutefois, la compétence de l’arbitre en l’espèce ne découle pas du Code canadien du travail, mais bien du procès-verbal de règlement, qui prévoit que l’arbitre demeurera saisi de tout litige découlant des modalités du procès-verbal de règlement. Une fois de plus, tout défaut de la Ville de prendre des mesures appropriées à l’égard de M. Hassan pendant l’application du procès-verbal de règlement constitue un litige découlant du procès-verbal, pour lequel l’arbitre n’avait pas compétence exclusive pour trancher l’affaire.

[12]           M. Hassan allègue également que le fait d’accorder la compétence exclusive à l’arbitre aurait pour effet de permettre aux parties de se soustraire à la LCDP et que la seule réparation possible à l’égard d’un acte discriminatoire découlant de son congédiement consistait à déposer une plainte auprès de la Commission. Là encore, je ne partage pas son avis. Les parties étaient en droit de convenir d’un moyen alternatif de réparation pour tout litige survenant entre elles, y compris de choisir d’avoir recours à l’arbitrage. Le procès-verbal de règlement déclare que M. Hassan a lu et compris l’entente de règlement et qu’il était représenté par son syndicat et son conseiller juridique. Il a librement accepté que l’arbitre traite toutes les questions découlant du procès-verbal.

[13]           M. Hassan affirme également qu’il a demandé le soutien de son syndicat, mais que ce dernier a refusé de l’aider puisqu’il ne payait pas ses cotisations et que cet élément le soustrayait de la compétence de l’arbitre. Ce facteur n’est toutefois pas pertinent à la compétence de l’arbitre, puisque le procès-verbal de règlement vise la compétence de l’arbitre et non pas la volonté d’un syndicat de représenter un membre.

IV.             Conclusion

[14]           M. Hassan a accepté le procès-verbal de règlement résultant de l’arbitrage concernant son congédiement de la Ville d’Ottawa. Le procès-verbal dispose que l’arbitre conserve la compétence exclusive de traiter toute plainte relative à l’application du procès-verbal. Par conséquent, la Commission n’avait pas compétence pour examiner une plainte découlant du procès-verbal de règlement, y compris l’allégation du défaut de la Ville de se conformer audit procès-verbal. J’accueille donc la présente demande de contrôle judiciaire et j’annule la décision de la Commission, avec dépens.


JUGEMENT dans l’affaire T-938-16

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire et annule la décision de la Commission canadienne des droits de la personne du 11 mai 2016, le tout avec dépens pour la demanderesse.

« James W. O’Reilly »

Juge


ANNEXE

Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC (1985), ch H-6

Canadian Human Rights Act, RSC 1985, c H-6

Irrecevabilité

Commission to deal with complaint

41 (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

41 (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

a) la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

(a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

(b) the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;

c) la plainte n’est pas de sa compétence;

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiquer dans les circonstances.

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-938-16

 

INTITULÉ :

VILLE D’OTTAWA c. JAMAL HASSAN

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 janvier 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 13 juin 2017

 

COMPARUTIONS :

David Patacairk

 

Pour la demanderesse

 

Russell MacCrimmon

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ville d’Ottawa

Direction des litiges et des relations de travail

Ottawa (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Lister-Beaupré

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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