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Date : 20170602


Dossier : IMM-4326-16

Référence : 2017 CF 540

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 juin 2017

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

LEIZL REGALADO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Contexte

[1]               La demanderesse conteste la décision [la décision] d’un agent principal d’immigration [l’agent] rejetant une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaires en fonction de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [la Loi ou la LIPR].

[2]               La demanderesse, une citoyenne des Philippines, est arrivée au Canada le 14 septembre 2012 munie d’un permis de travail. Elle a depuis occupé trois emplois, le dernier s’étant terminé en mars 2016. La demanderesse affirme qu’il y a un recours civil en cours devant la Cour supérieure contre son dernier employeur, contre qui elle invoque une conduite abusive. Un peu plus tard au mois de mars 2016, la demanderesse a déposé une demande de résidence permanente pour des motifs humanitaires, qui a été rejetée le 29 septembre 2016.

[3]               Dans sa décision, l’agent a observé que la demanderesse avait démontré un certain degré d’établissement (elle vit au Canada depuis 4 ans, elle entretient des liens dans sa collectivité et avec des amis), mais que l’octroi de la résidence permanente en raison de l’exception permise par l’article 25 n’était pas justifié en fonction de la preuve. L’agent a noté que la demanderesse est arrivée au Canada sur une base temporaire et qu’il n’y a aucune garantie qu’elle serait en mesure de demeurer au Canada [traduction] « au-delà de la période permise pour travailler ».

[4]               L’agent a également tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants, soit le frère et la nièce mineurs de la demanderesse, qui sont dépendants du soutien financier de la demanderesse selon cette dernière. L’agent a noté qu’en tenant compte des compétences et de l’historique de la demanderesse, il n’y avait pas suffisamment de preuve que l’accès des enfants à l’éducation et le respect de leurs droits fondamentaux seraient brimés si elle devait retourner aux Philippines. L’agent a ajouté que la preuve n’était pas suffisante pour démontrer que les parents, grands-parents, tantes et oncles des enfants demeurant aux Philippines seraient incapables de participer au bien-être des enfants.

II.                Questions en litige et analyse

[5]               La demanderesse conteste les conclusions de l’agent sur (i) l’établissement et (ii) l’intérêt supérieur des enfants. Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable pour les questions soulevées est la norme de la décision raisonnable conformément à l’arrêt Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 44.

A.                Établissement

[6]               La demanderesse fait valoir à l’égard de l’établissement que l’agent a : a) minimisé son établissement et b) ignoré des éléments de preuve.

a.                   Minimisation de l’établissement

[7]               La demanderesse fait valoir qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de ne pas expliquer quel [traduction] « degré d’établissement il jugeait nécessaire pour justifier l’exercice de son pouvoir discrétionnaire prévu en vertu de l’article 25 de la LIPR » parce qu’il a noté que le degré d’établissement de la demanderesse était [traduction] « celui attendu dans ses circonstances ».

[8]               Cet argument fait fausse route : on ne peut attendre de l’agent qu’il détermine de façon arbitraire le degré d’établissement requis en vertu de l’article 25 puisque l’analyse variera nécessairement selon les faits de chaque affaire. De même, ce n’est pas le rôle d’un agent d’imaginer quels faits ou quelles circonstances supplémentaires pourraient déclencher l’application de l’exception de l’article 25. C’est plutôt à la demanderesse de démontrer l’existence de circonstances exceptionnelles et non des circonstances simplement usuelles, y compris pour l’établissement (Baquero Rincon c. Canada (Citoyenneté et Immigration, 2014 FC 194, au paragraphe 1).

[9]               La demanderesse soutient également que l’agent aurait dû tenir compte de son établissement en regard des [traduction] « conditions abusives qu’elle a connues et au fait qu’elle a été victime de l’exploitation d’une agence de placement ». Avec ceci en tête, la demanderesse affirme que sa demande a été considérée [traduction] « comme moins importante [...] simplement parce qu’elle [...] avait outrepassé la durée de son séjour autorisé au Canada » parce que l’agent a observé qu’il [traduction] « n’y a pas de garantie que la demanderesse serait autorisée à demeurer au Canada au-delà de la période pour laquelle elle était autorisée à y travailler ». La demanderesse se fonde sur la décision de la Cour rendue dans Klein c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1004, aux paragraphes 4 et 5 [Klein], pour affirmer que l’établissement d’une personne ne peut être minimisé ou [traduction] « considéré comme ayant moins d’importance » tout simplement parce que la personne a outrepassé la durée de son droit de demeurer au Canada.

[10]           Les décisions des dossiers faisant appel à des motifs d’ordre humanitaires sont couramment fondées sur les faits propres à l’espèce, et la présente affaire ne fait pas exception. Il faut distinguer la décision Klein sur ce point. Dans cette décision, la juge Mactavish a conclu que l’agent a fait fausse route en renvoyant de façon répétée à la décision de M. Klein de demeurer au Canada parce que l’analyse pertinente sur la question s’est concentrée sur le fait de savoir si forcer M. Klein à faire sa demande de résidence permanente à l’extérieur du Canada lui causerait des difficultés inhabituelles ou démesurées.

[11]           En l’espèce, toutefois, les commentaires de l’agent ont été faits dans le cadre de son analyse sur l’établissement. À la différence de la décision Klein, les commentaires de l’agent ont été formulés en passant plutôt que de façon répétée et ne constituent pas le cœur de sa décision. Il s’agit plutôt d’un des nombreux facteurs qui ont été examinés à raison par l’agent, qui a raisonnablement conclu que l’établissement ne sortait pas de l’ordinaire dans les circonstances. En résumé, la décision de l’agent sur ce volet particulier est raisonnable.

b.                  Éléments de preuve ignorés

[12]           La demanderesse fait valoir que l’agent a ignoré des éléments de preuve importants, soit de la preuve documentaire sur le chômage aux Philippines, y compris le chômage et le sous-emploi des femmes et des diplômés du domaine de l’hôtellerie et des services, en plus d’affidavits de la famille de la demanderesse concernant les coûts de l’école privée pour son frère et sa nièce et de l’état de santé du père de la demanderesse. La demanderesse affirme également que l’agent, en ignorant la preuve documentaire, a tiré des conclusions basées sur des hypothèses.

[13]           Premièrement, il est bien établi qu’il existe une présomption selon laquelle le décideur a examiné l’ensemble du dossier. En l’espèce, cette présomption est corroborée par le renvoi de l’agent, à la partie 6 de sa décision, aux [traduction] « demande et observations » en plus de citer le rapport du Département d’État des États-Unis. De plus, à la partie 5 de la décision, l’agent mentionne les divers aspects des éléments soulevés par la demanderesse, y compris l’expérience qu’elle possède dans son domaine au Canada, son certificat en gestion hôtelière et de restaurant et le coût de l’éducation.

[14]            Deuxièmement, il n’appartient pas à la Cour d’intervenir si, à la lecture du dossier, elle est en mesure de comprendre le caractère raisonnable de la conclusion à laquelle en est arrivé le décideur (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 15). En l’espèce, l’intervention de la Cour serait inappropriée car l’agent a manifestement tenu compte de l’argument de la demanderesse selon lequel elle aurait des difficultés à trouver de l’emploi si elle devait retourner aux Philippines et qu’elle serait incapable de fournir le soutien financier nécessaire. Autrement dit, je suis convaincu que la conclusion relative à l’insuffisance de la preuve permettant de déclencher l’application de l’article 25 pour motifs humanitaires est justifiée considérant l’éducation, les compétences transférables, les liens familiaux, les relations et la connaissance du pays de la demanderesse.

[15]           L’argument de la demanderesse selon lequel les conclusions de l’agent sont hypothétiques n’est pas convaincant puisqu’aucune preuve de cette sorte ne ressort de la décision. Les motifs, comme il l’a été souligné précédemment, sont plutôt fondés uniquement sur l’insuffisance des éléments de preuve pour dépasser les circonstances personnelles de la demanderesse dans le cadre de l’exception discrétionnaire de l’article 25 pour motifs d’ordre humanitaire, qui constitue une décision « hautement discrétionnaire » et appelle à la déférence (Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 240, au paragraphe 13).

B.                 Intérêt supérieur de l’enfant

[16]           La demanderesse conteste la décision de l’agent en faisant valoir qu’il a appliqué le mauvais critère légal; elle se fonde sur la décision Williams c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 166, au paragraphe 64 pour affirmer que l’agent a commis une erreur en déclarant : [traduction] « bien que les enfants qui demeurent au Canada bénéficient possiblement de meilleures chances sociales et économiques qu’aux Philippines, il y a peu de preuve devant moi permettant de conclure que les droits fondamentaux des enfants sont bafoués aux Philippines ».

[17]           Je suis d’accord avec la demanderesse que cette déclaration, vue isolément, pourrait être problématique. Toutefois, l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants effectuée par l’agent ne se limite pas à ce seul passage. D’ailleurs, l’agent a également fait mention des possibilités d’emploi aux Philippines pour la demanderesse (élément pour lequel j’ai déjà conclu au caractère raisonnable en fonction de la preuve) et de l’insuffisance de la preuve relative à l’impossibilité pour les parents, les oncles et tantes ou autres membres de la famille d’aider financièrement au maintien de l’éducation des enfants. C’est dans ce contexte que l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants a été réalisée. Ainsi, plutôt que d’utiliser une approche sur les « simples commodités », comme le plaide la demanderesse, l’agent a déterminé, à la lumière de ses autres conclusions, que le critère de l’intérêt supérieur des enfants était raisonnablement satisfait. À mon avis, cette approche est conforme à celle adoptée dans l’arrêt Kanthasamy, aux paragraphes 33 et 45. Une matrice factuelle unique sous-tend les conclusions relatives à l’intérêt supérieur des enfants et justifie la décision de l’agent. Ces faits comprennent notamment ce qui suit :

(1)               les enfants, pour qui l’argument de l’intérêt supérieur des enfants est soulevé, sont citoyens des Philippines, ont toujours vécu aux Philippines et n’ont aucun statut au Canada; il n’y a d’ailleurs aucune preuve de leur visite au Canada;

(2)               leur famille et leurs liens sont par conséquent aux Philippines, où les membres de la famille ont, jusqu’à ce jour, pris soin d’eux;

(3)               il a été conclu qu’une partie de l’intérêt supérieur des enfants consiste en l’avantage futur d’être en présence effective de la demanderesse;

(4)               la demanderesse, au moment de la demande pour motifs humanitaires, ne soutenait pas l’éducation privée des enfants puisqu’elle était sans emploi, ici, au Canada; le soutien de la demanderesse reposait plutôt sur la solution temporaire de demander à la famille aux Philippines de contracter un prêt ainsi que d’envoyer du soutien d’autres amis au Canada, dans l’espoir de se trouver un emploi au Canada;

(5)               la preuve démontre que l’éducation publique, bien qu’elle soit de moins bonne qualité, est une option.

[18]           Ces faits, bien qu’ils n’aient pas nécessairement été articulés de cette façon par l’agent, forment l’essence de sa conclusion sur l’intérêt supérieur des enfants. Je suis d’avis que cette conclusion est tout à fait raisonnable dans les circonstances de l’espèce.

III.             Conclusion

[19]           Après examen du dossier, je suis d’avis que les conclusions de l’agent sont raisonnables. Bien qu’un autre décideur en soit peut-être venu à une conclusion différente, cette décision appartient aux issues possibles et acceptables. Pour les motifs précités, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT dans l’affaire IMM-4326-16

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Il n’y a pas de question à certifier et aucune n’a été soulevée.

3.                  Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4326-16

INTITULÉ :

LEIZL REGALADO c. LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATES DE L’AUDIENCE :

Le 25 mai 2017 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

DATE DES MOTIFS :

Le 2 juin 2017 

COMPARUTIONS :

Jean Marie Vecina

Pour la demanderesse

Kevin Doyle

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Vecina & Sekhar

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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