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Date : 20170531


Dossier : T-1525-15

Référence : 2017 CF 534

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 mai 2017

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

PETER ROULEAU

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, M. Peter Rouleau, demande le contrôle judiciaire de la décision de la division d’appel (« division d’appel ») du Tribunal de la sécurité sociale (TSS) de rejeter sa demande de permission d’interjeter appel d’une décision de la division générale du TSS (« division générale »). La division générale a conclu qu’il ne souffrait pas d’une déficience « grave et prolongée » telle que requise pour avoir droit aux prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) et la division d’appel a estimé qu’un appel de la décision de la division générale avait peu de chances de succès. Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[2]               Bien que les décisions de la division d’appel sur le bien-fondé puissent faire l’objet d’un contrôle judiciaire devant la Cour d’appel fédérale, les décisions de rejeter une demande d’autorisation d’appel peuvent faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire devant notre Cour. Tel est le cas en l’espèce.

I.                   Contexte

[3]               Le demandeur, actuellement âgé de 55 ans, a été impliqué dans un accident d’automobile en 2005. Malgré qu’il ait été transporté à l’hôpital, mais qu’il n’ait pas été admis et qu’aucun rayon X n’ait été pris après cet accident, il prétend qu’il avait commencé à avoir des troubles médicaux à la suite de cet accident. Il a été congédié de son dernier emploi en juillet 2010 lorsqu’il semble qu’il ne pouvait plus continuer à répondre aux exigences de son poste et que son employeur ne pouvait prendre des mesures d’adaptation nécessaires à son égard. Il a reçu des prestations d’assurance-emploi (AE) pendant un certain temps après son congédiement. Il a présenté en vain une première demande de prestations d’invalidité du RPC en mai 2011. Sa demande de révision a produit une seconde décision négative en avril 2012.

[4]               Comme le voulait l’état du droit en vigueur à cette époque, le demandeur a interjeté appel de la décision en révision auprès du Bureau du Commissaire des tribunaux de révision (BCTR). Toutefois, la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable, L.C. 2012, ch. 19 prescrivait que tout appel, déposé auprès du BCTR avant le 1er avril 2013 et non encore entendu, était considéré comme ayant été déposé auprès de la division générale du TSS nouvellement créé. C’était le cas de l’appel du demandeur déposé auprès du BCTR. Par conséquent, l’affaire a été transférée et l’audience du demandeur devant la division général a eu lieu le 25 février 2015. La division générale a rendu sa décision de refus le 2 mars 2015.

II.                La division générale

[5]               La division générale a procédé à l’examen de la preuve relative à la condition médicale et à la capacité à travailler du demandeur. Le demandeur a témoigné qu’il était incapable de travailler en raison d’une sévère dépression accompagnée d’épisodes psychotiques et de douleur chronique. Il soutient qu’il ne peut pas rester debout ou marcher pendant de longues périodes, qu’il a de gros maux de tête, qu’il a des nerfs coincés au côté gauche de sa colonne vertébrale, faisant en sorte qu’il a de la douleur à la jambe, qu’il dort mal et qu’il est incapable de se pencher ou de soulever des objets lourds. Il aurait fait une tentative de suicide en décembre 2010, pour laquelle il n’a pas été hospitalisé.

[6]               La preuve médicale, telle qu’elle a été examinée par la division générale, démontre que le demandeur avait consulté un certain nombre de professionnels de la santé. Les rayons X et les IRM montrent une légère discopathie dégénérative ainsi qu’une scoliose de la colonne vertébrale et une sténose foraminale accompagnée d’un léger pincement de la moelle épinière et d’un bombement discal diffus. Le médecin de famille a conclu que des limitations fonctionnelles étaient présentes tandis qu’un chiropraticien a écrit que la condition allait causer un certain degré de déficience. Un neurologue a fait remarquer qu’il n’y avait aucune trace de neuropathie ou de radiculopathie dans les muscles. Un rhumatologue a été consulté et il a conclu, conformément à la décision, qu’il y avait de la douleur cervicale chronique, mais que l’amplitude de mouvement et les résultats étaient essentiellement normaux. Le demandeur a également consulté un psychiatre pour ses symptômes de dépression; la dépression a été confirmée. Le rapport de février 2012 analyse l’effet de divers abus sur la dépression, les diagnostics étant une dysthymie, une douleur chronique, un abus d’alcool en rémission récente et une dépendance à la marijuana. Un certain nombre de recommandations sont énumérées, notamment une thérapie d’approche cognitivo-comportementale, une clinique des troubles du sommeil et un traitement de la toxicomanie. Les notes du médecin de famille du demandeur montrent que ses symptômes persistaient, mais que parfois il « allait mieux ».

[7]               D’autre part, le demandeur a choisi deux médecins et il a cherché à se faire soigner par eux sans ordonnance, Dr Turner (psychiatre) et Dr Boucher (spécialiste de la douleur), afin d’effectuer une évaluation pour appuyer sa demande de prestations d’invalidité du RPC. Le Dr Turner lui a diagnostiqué une dépression modérée à grave avec des caractéristiques psychotiques en rémission partielle, commentant qu’il [traduction] « devrait s’attendre à satisfaire aux exigences relatives à l’invalidité en vertu du RPC ». Il a exprimé son désaccord avec le diagnostic de l’autre psychiatre et il a suggéré que lorsque le demandeur était vu par l’autre psychiatre, il souffrait d’une grave dépression en rémission partielle. Dr Boucher a indiqué que le demandeur [traduction] « est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice ».

[8]               La division générale a également pris en considération les antécédents de travail du demandeur afin d’évaluer les éléments établissant la capacité à travailler. Il a été congédié de son dernier emploi décrit comme étant « cuisinier à la chaîne/commis de cuisine » en juillet 2010, car l’employeur ne pouvait prendre des mesures d’adaptation à l’égard du demandeur se plaignant de céphalées et d’engourdissements dans ses bras. Il a reçu des prestations d’AE en 2010 et 2011. Il a passé une entrevue auprès d’un traiteur, en vain, pour un autre poste en 2010. En somme, cela semble mettre un terme aux antécédents de travail du demandeur depuis qu’il a été congédié en 2010.

[9]               Pour être admissible à recevoir des prestations d’invalidité du RPC, les demandeurs doivent satisfaire les critères établis au Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8 (la Loi sur le RPC) à l’alinéa 44(1)b) : la personne ne doit pas avoir atteint l’âge de 65 ans, elle ne doit pas avoir droit à une pension de retraite et elle doit avoir versé des cotisations au RPC pendant au moins la période minimale d’admissibilité (PMA). La question de savoir si un demandeur est « invalide » est définie à l’alinéa 42(2)a) libellé comme suit :

42 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

42 (1) In this Part,

(…)

Personne déclarée invalide

When person deemed disabled

(2) Pour l’application de la présente loi :

(2) For the purposes of this Act,

a) une personne n’est considérée comme invalide que si elle est déclarée, de la manière prescrite, atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée, et pour l’application du présent alinéa :

(a) a person shall be considered to be disabled only if he is determined in prescribed manner to have a severe and prolonged mental or physical disability, and for the purposes of this paragraph,

(i) une invalidité n’est grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice,

(i) a disability is severe only if by reason thereof the person in respect of whom the determination is made is incapable regularly of pursuing any substantially gainful occupation, and

(ii) une invalidité n’est prolongée que si elle est déclarée, de la manière prescrite, devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès;

(ii) a disability is prolonged only if it is determined in prescribed manner that the disability is likely to be long continued and of indefinite duration or is likely to result in death; and

[10]           La nature des prestations d’invalidité est qu’ils sont conditionnels. L’invalidité doit être grave et prolongée pour être admissible. De toute évidence, les critères décrits à l’alinéa  42(2)a) sont caractérisés par l’employabilité. La gravité de l’invalidité est évaluée en fonction de l’incapacité de régulièrement détenir toute occupation véritablement rémunératrice (voir l’arrêt Granovsky c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 2000 CSC 28, [2000] 1 RCS 703 [Granovsky]). Par conséquent, le Tribunal de la sécurité sociale est chargé de déterminer la sévérité de l’invalidité en tenant compte de l’employabilité du demandeur. Comme le juge Binnie l’a énoncé dans l’arrêt Granovsky : « Un facteur connexe est le fait qu’il existe une panoplie de fonctions par rapport auxquelles les limitations d’une personne peuvent être évaluées. Dans le contexte du RPC, le critère d’évaluation est l’employabilité. Une personne peut souffrir de graves affections qui ne l’empêchent pas de gagner sa vie ». (au paragraphe 28).

[11]           Dans son analyse, la division générale a reconnu, conformément à l’arrêt Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248, [2002] 1 RCF 130 [Villani], que ces cas « [doivent] être évalué[s] dans le contexte du monde réel » en tenant compte de critères tels que l’âge du demandeur, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques et ses antécédents de travail et son expérience de vie antérieure. Dans l’arrêt Villani, la Cour d’appel devait décider quel était le niveau d’invalidité requis pour accéder à une pension (au paragraphe 36). Avant l’arrêt Villani, il restait une incertitude sur le fait de savoir si le sous-alinéa 42(2)a)i) permettait de tenir compte de la situation d’une personne pour établir l’employabilité d’une personne. Est-ce une invalidité totale, une incapacité totale de travailler, qui constitue le critère approprié? La Cour d’appel a plutôt conclu que le sous-alinéa 42(2)a)i) doit être appliqué dans le contexte d’un « monde réel ». Comme la Cour l’a énoncé au paragraphe 38, « il s’ensuit que les occupations hypothétiques qu’un décideur doit prendre en compte ne peuvent être dissociées de la situation particulière du requérant, par exemple son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de la vie ». Par conséquent, le test n’est pas de savoir si une personne est incapable de détenir n’importe quelle occupation concevable, mais plutôt que l’évaluation doit être effectuée dans un contexte réaliste.

[12]           Ensuite, la division générale a conclu que puisque le demandeur avait une certaine capacité à travailler, elle devrait appliquer le principe énoncé dans l’arrêt Inclima c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 117 [Inclima], qui exige que les demandeurs ayant une capacité à travailler démontrent que les efforts pour trouver un emploi et le conserver ont été infructueux pour des raisons de santé. Le tribunal a jugé que le demandeur n’avait d’aucune façon tenté de chercher un autre emploi après sa dernière entrevue en 2010.

[13]           La division générale a traité l’importance accordée à la preuve médicale. Moins d’importance a été attribuée aux rapports du Dr Turner et du Dr Boucher puisque le demandeur avait consulté de lui-même [traduction] « dans le seul but de se faire évaluer pour les fins de sa demande de pension d’invalidité du RPC ». De l’avis de la division générale, sans entacher les réputations, [traduction] « ces évaluations doivent être mises en contexte » (au paragraphe 56).

[14]           Compte tenu des « constatations d’auscultation », la division générale était d’avis qu’il n’existait aucune preuve [« TRADUCTION »] « d’anomalies significatives qui porteraient à croire que le demandeur était incapable de travailler ». La division générale a conclu que le demandeur a [traduction] « quelques limitations, mais est incapable de conclure que le [demandeur] est incapable d’avoir une forme d’emploi rémunérateur ». Par conséquent, il ne satisfait pas au critère du sous-alinéa 42(2)a)i) qui exige que l’invalidité soit si grave qu’une personne est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Le tribunal n’a pas évalué si son invalidité était « prolongée ».

III.             Décision faisant l’objet du contrôle

[15]           Le demandeur doit demander l’autorisation d’interjeter appel de la décision de la division générale à la division d’appel, conformément au paragraphe 56(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, L.C. 2005, ch. 34 [la Loi]. Il n’y a pas d’appel de plein droit à la division d’appel. Aux termes des paragraphes 58(1) et (2) de la Loi, la division d’appel refuse l’autorisation si elle conclut que l’appel « n’a aucune chance raisonnable de succès ». De plus, la Loi prévoit expressément que seuls les motifs d’appel énumérés peuvent être pris en compte par la division d’appel.

Moyens d’appel

Grounds of appeal

58 (1) Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

58 (1) The only grounds of appeal are that

a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refuse d’exercer sa compétence;

(a) the General Division failed to observe a principle of natural justice or otherwise acted beyond or refused to exercise its jurisdiction;

b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;

(b) the General Division erred in law in making its decision, whether or not the error appears on the face of the record; or

c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

(c) the General Division based its decision on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it.

Par conséquent, la division d’appel accorderait l’autorisation d’interjeter appel uniquement en présence de l’un de ces trois motifs d’appel. Toutefois, même si ces motifs d’appel sont soulevés, la division d’appel a toujours la faculté de refuser l’autorisation si elle conclut que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. Le paragraphe 58 (2) est libellé comme suit :

Critère

Criteria

(2) La division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

(2) Leave to appeal is refused if the Appeal Division is satisfied that the appeal has no reasonable chance of success.

[16]           La demande d’autorisation du demandeur alléguait plusieurs erreurs de droit et de fait. La division d’appel a examiné chaque argument et a en définitive rejeté la demande d’autorisation le 11 août 2015, jugeant qu’aucun des arguments n’avait de chance raisonnable de succès. J’ai résumé les arguments les plus pertinents au présent contrôle judiciaire.

[17]           Premièrement, le demandeur a affirmé que la division générale avait erré en droit en concluant que ses prestations d’AE étaient pertinentes pour examiner sa capacité à travailler. La division d’appel n’était pas de cet avis. Ce fait est pertinent pour déterminer si le demandeur avait démontré que son état de santé l’empêchait de régulièrement détenir toute occupation véritablement rémunératrice, puisqu’il s’agit d’une mesure prise par le demandeur après avoir cessé de travailler comme cuisinier. Afin de recevoir des prestations d’AE, le demandeur devait déclarer qu’il était prêt à travailler en 2011. La preuve démontre que ses tentatives de trouver du travail étaient négligeables puisqu’il ne s’était présenté qu’à une seule entrevue. De l’avis de la division d’appel, aucune erreur de droit ne peut motiver un appel en prenant note que la réception de prestations d’AE en 2011 indique que le demandeur était à cette époque en mesure d’exercer une forme d’activité rémunérée.

[18]           Deuxièmement, le demandeur a affirmé que la division générale avait erré en appliquant l’arrêt Inclima, car il n’avait aucune capacité de travailler après la fin de son dernier emploi en juillet 2010. La division d’appel a conclu que la division générale ne faisait qu’exprimer le principe de droit que défend l’arrêt Inclima, c’est-à-dire qu’où « il y a des preuves de capacité de travail, [le demandeur] doit également démontrer que les efforts pour trouver un emploi et le conserver ont été infructueux pour des raisons de santé » (au paragraphe 3).

[19]           Je souligne que, interprétées dans leur contexte, la division générale concluait en fait qu’il existait une preuve de capacité de travailler du demandeur après avoir été congédié de son dernier emploi. Cela ne faisait que démontrer un désaccord avec l’avocate qui affirmait qu’il n’existait aucune capacité à détenir un emploi rémunérateur. Il a reçu des prestations d’AE et il est allé à une entrevue pour un emploi. En dehors de cela, il n’y avait aucune indication qu’il avait cherché un autre travail. La division d’appel n’a constaté aucune erreur de droit dans l’exposé du droit formulé par la division générale.

[20]           Troisièmement, la division d’appel a examiné la lettre de soutien du médecin de famille qui rapportait une condition de fibromyalgie (juin 2012) qui aurait été contestée par la division générale. La division générale avait conclu qu’un tel diagnostic n’existait pas; le demandeur consultait ce médecin de façon irrégulière. En effet, les autres médecins ne l’ont même pas mentionné. La demande d’autorisation d’interjeter appel du demandeur est nébuleuse concernant le motif d’appel étant en fait soulevé. La division d’appel a conclu qu’un tel argument ne peut motiver un appel. Quoi qu’il en soit, cette question n’a pas été soulevée dans le cadre du contrôle judiciaire.

[21]           Le demandeur a également contesté le fait que la division générale s’interrogeait sur l’affirmation du médecin de famille selon laquelle les symptômes avaient commencé en 2009 plutôt qu’après l’accident en 2005. Le demandeur soutient qu’il était retourné travailler après l’accident et que ses symptômes s’étaient aggravés en 2009-2010. Cela semble également être une diversion et l’argument n’a pas été reproduit dans le cadre du contrôle judiciaire.

[22]           Quatrièmement, le demandeur a soutenu que la division générale avait commis une erreur en accordant moins d’importance aux évaluations des Drs Turner et Boucher puisqu’il les avait consultés de son propre chef. En fait, le motif d’appel indique que le tribunal a présumé que celles-ci étaient des évaluations ponctuelles effectuées par les professionnels de la santé. La division d’appel n’était pas du même avis, jugeant d’abord que la valeur probante à attacher à un élément de preuve fait partie des compétences de la division générale. La division d’appel a conclu que la division générale avait [traduction]  « exposé des motifs précis et valables pour expliquer la façon dont elle a apprécié la valeur probante de chaque rapport de médecin, y compris la conclusion que des constatations d’auscultation ne démontraient pas l’existence d’anomalies significatives qui porteraient à croire que le demandeur était incapable de travailler ». Quant à l’assertion selon laquelle c’est à tort que la division générale a accordé moins d’importance puisqu’elle [traduction] « présume que ces consultations étaient des évaluations ponctuelles », la division d’appel a conclu que cela était tout simplement faux puisque la décision de la division générale reconnaît que les deux médecins auxquels s’était fié le demandeur le voyaient régulièrement. Rien n’appuyait l’argument selon lequel la division générale se trompait en présumant que la preuve des deux médecins était fondée sur des évaluations ponctuelles. La décision établit le contraire.

[23]           Enfin, le demandeur a suggéré qu’il est malvenu que la division générale se soit fondée sur ses visites chez le médecin de famille du début 2012 qui avaient donné lieu aux commentaires selon lesquels le demandeur allait mieux, puisque le témoignage du Dr Turner, le psychiatre que le demandeur avait choisi de consulter, semblerait suggérer un état plus grave plus tard en 2013. La division d’appel répète simplement que la position prise par la division générale concernant le poids à accorder est appropriée et raisonnable. Un appel sur ce fondement n’aurait pas de chance raisonnable de succès.

[24]           Par conséquent, la division d’appel considère qu’aucun des motifs d’appel ne pourrait donner lieu à un appel ayant une chance raisonnable de succès.

IV.             Norme de contrôle

[25]           La jurisprudence de la Cour fédérale applique de façon cohérente la norme de la décision raisonnable dans son examen du bien-fondé d’une décision de la division d’appel du TSS relative aux demandes d’autorisation : « Tracey c. Canada (Procureur général) », 2015 CF 1300 [Tracey], au paragraphe 17; Canada (Procureur général) c. Hoffman, 2015 CF 1348, aux paragraphes 26 et 27; Canada (Procureur général) c. Hines, 2016 CF 112 au paragraphe 28; Osaj c. Canada (Procureur général), 2016 CF 115, au paragraphe 11. Il n’y a aucune raison de remettre en cause cette jurisprudence, particulièrement lorsque les motifs d’appel examinés par la division d’appel portent sur des questions de droit ou de fait. Les appels fondés sur la violation des principes de justice naturelle seraient contrôlés par la norme de contrôle de la décision correcte.

[26]           L’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], explique que la norme de la décision raisonnable est 

[...] tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (au paragraphe 47).

V.                Thèses des parties

[27]           Le demandeur a soumis plusieurs arguments dans sa demande de contrôle judiciaire qu’il a présentés comme étant des erreurs de droit, avec une « clause omnibus » selon laquelle il a contesté [traduction] « le processus d’appréciation des faits médicaux [qui] est abusif ou arbitraire dans les circonstances » (mémoire des faits et du droit, alinéa 2e)). Premièrement, il a affirmé que la division générale a commis une erreur de droit en accordant une importance moindre aux rapports des Drs Turner et Boucher en tenant pour acquis qu’ils avaient été consultés de sa propre initiative. Deuxièmement, il a affirmé que la division générale avait erré en droit en appliquant l’arrêt Inclima en présumant d’une capacité résiduelle seulement parce que le demandeur avait reçu des prestations d’assurance-emploi. Troisièmement, le demandeur revendique une erreur de droit en concluant qu’une « présomption » de capacité résiduelle existait cinq ans après avoir été congédié de son dernier emploi, étant donné qu’il avait été congédié en raison de son inhabilité à satisfaire les obligations relatives au calendrier pour des raisons médicales. Quatrièmement, le demandeur fait valoir qu’il y a une erreur de droit dans la conclusion voulant que les critères établis par l’arrêt Villani ne soient pas satisfaits. Cinquièmement, tel qu’il a été indiqué précédemment, le processus d’appréciation des faits est dit abusif et arbitraire.

[28]           Le défendeur affirme que la décision de la division d’appel, dans son ensemble, est raisonnable.

VI.             Analyse

[29]           Le fardeau dans une demande de contrôle judiciaire n’est pas de convaincre la cour de révision qu’elle devrait arriver à un résultat différent de celui de la division d’appel. Qui plus est, la cour de révision n’examinera pas la décision de la division générale en vue d’évaluer sa valeur. Plutôt, la cour de révision examine si la conclusion de la division d’appel, selon laquelle les motifs d’appel n’ont pas de chance raisonnable de succès, est raisonnable. La raisonnabilité est une norme de contrôle qui appelle la retenue judiciaire.

[30]           Même les questions de droit doivent être examinées selon une norme de la décision raisonnable. Seules quelques questions de droit sont examinées en fonction de la norme de la décision correcte (arrêt Dunsmuir, aux paragraphes 55 à 61). Depuis l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a créé une présomption voulant qu’une question de droit portant sur sa propre loi constitutive ou une loi liée à son mandat commande la déférence associée à la norme de la décision raisonnable (arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654 [Alberta Teachers’ Association], au paragraphe 34).

[31]           La présente demande ne présente qu’une seule question : la décision de la division d’appel de refuser l’autorisation d’interjeter appel était-elle raisonnable? Puisque l’autorisation d’interjeter appel d’une décision de la division générale est refusée si la division d’appel est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès, le demandeur doit convaincre la Cour, selon la prépondérance des probabilités, que la décision de refuser l’autorisation était déraisonnable. La Cour ne réévaluera pas les preuves présentées. Elle ne substituera pas son opinion quant à la preuve. Elle décidera si la décision faisant l’objet du présent contrôle, celle de la division d’appel, se situe dans le cadre des issues possibles acceptables au regard des faits et du droit, et s’il y a justification de la décision, transparence et intelligibilité du processus décisionnel.

[32]           La Cour se limite aux arguments offerts par le demandeur. J’analyserai chacun des arguments précédents du demandeur, à l’exception du quatrième, qui n’avait aucunement été présenté à la division d’appel.

A.                Les « critères de l’arrêt Villani »

[33]           Le défendeur prétend que la quatrième « erreur de droit » est soulevée pour la première fois devant la Cour. Par conséquent, l’argument ne devrait pas être entendu. Puisque la Cour examine la raisonnabilité de la décision de la division d’appel, il ne peut réviser un motif que le tribunal n’a pas examiné.

[34]           Le défendeur a raison de soulever l’arrêt MacKenzie c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 201 [MacKenzie] où la Cour d’appel souligne que les pouvoirs des cours de révision en contrôle judiciaire sont limités. Les cours de révision n’instruisent pas les affaires à nouveau, elles ne réévaluent pas les éléments de preuve et elles ne refont pas ce que le tribunal a fait. Elles examinent la légalité de la décision du tribunal administratif : a-t-elle été rendue de façon raisonnable? Dans le cas où une question particulière n’a même pas été soulevée devant le tribunal administratif, un contrôle judiciaire ne peut avoir lieu sur ce qui n’a pas été entendu et jugé.

[35]           En l’espèce, la division générale a tenu compte des critères de l’arrêt Villani (paragraphe 52), mais selon le défendeur, la division d’appel ne l’a pas fait. Le demandeur n’a pas contesté cette affirmation. Un examen de la décision de la division d’appel ne soutient aucune controverse voulant que la question ait été présentée à la division d’appel.

[36]           Lorsqu’une question n’est même pas soulevée devant le tribunal administratif, on peut difficilement dire qu’elle a été examinée et que la décision est déraisonnable. Il n’y a, en fait, aucune décision à examiner.

[37]           À mon avis, il est approprié en l’espèce de refuser d’examiner la question en contrôle judiciaire : il n’y a aucune décision à examiner, peu importe quelle norme de contrôle judiciaire conviendrait. La capacité d’une cour de révision de refuser d’examiner une question soulevée pour la première fois en contrôle judiciaire est bien établie. Dans l’arrêt Alberta Teachers’ Association, la Cour suprême s’est prononcée comme suit :

[22] L’ATA a demandé le contrôle judiciaire de la décision de la déléguée. Elle n’avait invoqué l’inobservation du délai ni devant le commissaire ni devant sa déléguée. Elle ne l’a même pas fait dans l’avis introductif d’instance en contrôle judiciaire, invoquant la question pour la première fois en plaidoirie. L’ATA pouvait certainement demander le contrôle judiciaire, mais elle ne pouvait contraindre le tribunal à examiner la question. Tout comme elle jouit du pouvoir discrétionnaire de refuser d’entreprendre un contrôle judiciaire lorsque, par exemple, il existe un autre recours approprié, une cour de justice peut également, à son gré, ne pas se saisir d’une question soulevée pour la première fois dans le cadre du contrôle judiciaire lorsqu’il lui paraît inopportun de le faire. Voir, p. ex., Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, le juge en chef Lamer, par. 30 : « [L]a réparation qu’une cour de justice peut accorder dans le cadre du contrôle judiciaire est essentiellement discrétionnaire. Ce principe [général de longue date] découle du fait que les brefs de prérogative sont des recours extraordinaires [et discrétionnaires]. »

[23] En règle générale, dans une instance en contrôle judiciaire, ce pouvoir discrétionnaire n’est pas exercé au bénéfice du demandeur lorsque la question en litige aurait pu être soulevée devant le tribunal administratif, mais qu’elle ne l’a pas été (Toussaint c. Conseil canadien des relations du travail (1993), 160 N.R. 396 (C.A.F.), par. 5, citant Poirier c. Canada (Ministre des Affaires des anciens combattants), [1989] 3 C.F. 233 (C.A.), p. 247; Bande indienne de Shubenacadie c. Canada (Commission des droits de la personne), [1998] 2 C.F. 198 (1re inst.), par. 40‑43; Legal Oil & Gas Ltd. c. Surface Rights Board, 2001 ABCA 160, 303 A.R. 8, par. 12; United Nurses of Alberta, Local 160 c. Chinook Regional Health Authority, 2002 ABCA 246, 317 A.R. 385, par. 4).

[38]           La question, si elle avait été présentée à la division d’appel, aurait été de savoir si la question en litige avait une chance raisonnable de succès. À partir de cette décision, un contrôle judiciaire peut avoir lieu, mais en l’espèce, il n’y a aucune décision de ce type. La Cour doit se garder de traiter une question qui aurait dû être présentée correctement au tribunal dont la fonction est d’examiner la demande d’autorisation et dont l’expertise est reconnue par le législateur (voir l’arrêt Alberta Teachers’ Association, aux paragraphes 24 à 27). Ce n’est pas à la Cour de se substituer à l’entité administrative compétente, surtout lorsque la question des soi-disant « critères Villani » a sérieusement été abordée par la division générale. La question aurait pu être soulevée devant la division d’appel, mais elle ne l’a pas été.

[39]           En tout état de cause, ce qui est présenté comme étant une question de droit ne l’est pas. Le demandeur prétend que les critères Villani n’ont pas été utilisés à son avantage. Ce qu’il aurait dû faire n’est pas simplement d’exprimer un désaccord avec les conclusions de fait de la division générale, mais plutôt d’affirmer que la conclusion était abusive ou arbitraire de sorte que, si la question avait été soulevée devant la division d’appel, la conclusion selon laquelle l’appel n’avait aucune chance raisonnable de succès n’était pas raisonnable. Cela n’a pas été fait.

B.                 D’autres motifs devraient-ils être examinés?

[40]           Concernant les autres motifs d’appel, il était très difficile de distinguer l’erreur de droit. En fait, chaque « erreur de droit » était ce que le demandeur considérait être une conclusion de fait inappropriée, un désaccord sur la conclusion tirée.

[41]           Pendant l’audience, l’avocat du demandeur a clarifié que les motifs d’appel qu’il proposait relevaient à bon droit de l’alinéa 58(1)c) de la Loi, qui permet un appel si la division générale « a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. » Cela constitue une modification substantielle non seulement en ce qui a trait au fondement sur lequel la demande de contrôle judiciaire avait été présentée, mais également au fondement sur lequel la division d’appel a entendu la demande d’autorisation. Par conséquent, la reformulation des questions de droit comme des erreurs de fait aurait fait en sorte que la division d’appel n’aurait pas eu simplement à évaluer si le demandeur avait une chance de faire valoir avec succès que la division générale avait erré en droit, mais de savoir si la division générale avait commis une erreur abusive ou arbitraire ou avait pris sa décision sans tenir compte de la preuve présentée. Il s’agit d’un critère difficile à satisfaire pour le client.

[42]           Je suis d’accord avec le défendeur que les motifs d’appel ne permettent pas à la division d’appel de réévaluer la preuve, et ce n’est pas le rôle de la Cour fédérale dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Tracey, aux paragraphes 33 et 46; MacKenzie, aux paragraphes 12 et 13). Autrement dit, réévaluer la preuve entendue par la division générale n’est pas un motif d’appel qui peut être contemplé. Le critère est passablement différent. Le seul moyen de recours permis est si la conclusion de fait de la division générale a été rendue de manière abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve. Toute autre chose serait sans effet. Une fois que ce moyen d’appel est soulevé, la division d’appel peut conclure qu’il n’y a aucune chance raisonnable de succès que le niveau d’erreur requis ne soit établi. La tâche du demandeur est de prouver que la division d’appel a conclu que les erreurs de fait alléguées n’étaient pas abusives ou arbitraires de façon déraisonnable. Il s’ensuit, par là même, que le vaste pouvoir discrétionnaire conféré à la division d’appel appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, ou qu’il n’y a pas de justification, de transparence et d’intelligibilité du processus décisionnel. Voilà la démonstration que doit faire le demandeur. Une fois ramenées à l’essentiel, il devait prouver que les conclusions de la division d’appel s’inscrivaient dans un éventail d’issues possibles et acceptables, et non qu’il y avait une meilleure ou une différente issue possible. À mon avis, cette démonstration n’a pas été faite en l’espèce et la déférence n’a pas été écartée.

[43]           Le demandeur a largement plaidé sa cause à la division d’appel comme étant des erreurs de droit. Cela aurait pu être suffisant pour disposer de l’affaire sans plus. Apparemment, la division d’appel aurait eu raison de conclure aisément que les erreurs de droit alléguées n’avaient aucune chance raisonnable de succès puisque le demandeur reconnaît, à juste titre selon moi, qu’elles ne sont pas des erreurs de droit. Par contre, j’interprète la décision de la division d’appel comme concluant largement que les motifs d’appel tels qu’ils ont été énoncés n’ont aucune chance raisonnable de succès. J’ai choisi d’examiner l’affaire comme si le demandeur avait été cohérent et qu’il avait défendu sa cause devant la division d’appel en plaidant que les erreurs alléguées étaient en effet de nature « abusive et arbitraire » conformément à l’alinéa 58(1)c) plutôt que des erreurs de droit en vertu de l’alinéa 58(1)b). Compte tenu de la façon dont l’affaire a été plaidée, je préfère examiner les erreurs alléguées sur leur bien-fondé.

C.                 Auto-aiguillage

[44]            Le demandeur fonde son premier argument, selon lequel la division d’appel aurait dû lui accorder l’autorisation sur la question d’auto-aiguillage, principalement en fonction de la jurisprudence émanant de la Cour suprême du Canada relativement à l’admissibilité de la preuve d’expert (précisément, l’arrêt White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co., 2015 SCC 23, [2015] 2 RCS 182 [White]). Cette décision avait examiné le rôle des juges de première instance concernant l’admissibilité de la preuve d’expert. De façon traditionnelle, le rôle du juge des faits a été d’évaluer la valeur probante qu’il doit accorder au témoignage d’un expert. Un manque d’objectivité, par exemple, affecterait le poids accordé à ce témoignage. Dans l’arrêt White, la Cour accorde un rôle de gardien au juge de première instance. S’il s’avère que l’expert est incapable ou non disposé à accomplir son devoir envers le tribunal d’apporter une aide juste, impartiale et objective, le juge de première instance peut conclure que le témoignage est inadmissible.

[45]           Le raisonnement du demandeur, largement fondé sur l’arrêt White, semble être que si un tribunal ne peut empêcher une preuve d’expert pour le motif que ses services avaient été retenus par l’une des parties, la division générale ne peut accorder moins d’importance aux rapports des médecins que le demandeur a consultés de sa propre initiative aux fins d’appuyer sa demande de pension d’invalidité du RPC. L’arrêt White n’est d’aucun secours pour le demandeur. Avec égards, j’ai bien peur que le demandeur interprète mal l’arrêt White. Comme le souligne le défendeur, l’admissibilité de la preuve et le poids à y attribuer sont distincts. Ils comportent différents critères. Ce n’est pas parce qu’un tribunal admet la preuve d’un expert rémunéré par l’une des parties que cela signifie que le juge ou le jury ne peut accorder moins d’importance au témoignage de cet expert. Voir l’arrêt White, aux paragraphes 33 et 34, 40, 45. En fait, l’arrêt White soutient exactement la proposition contraire : l’indépendance et l’impartialité jouent au regard de la valeur probante du témoignage, mais elles peuvent, dans certaines situations où les critères de l’arrêt White sont satisfaits, jouer sur l’admissibilité de leur témoignage. En d’autres termes, l’innovation de l’arrêt White consiste en ce que l’indépendance et l’impartialité, qui jouent toujours sur la valeur probante conjointement à d’autres critères, peuvent également jouer sur l’admissibilité du témoignage d’un expert. La base sur laquelle le demandeur a avancé son argument est fautive de prime abord. Elle ne peut réussir.

[46]           Le demandeur soutient qu’il n’existe aucune présomption en droit selon laquelle l’auto-aiguillage implique une sorte de conflit d’intérêts. Il a raison. Le problème pour le demandeur est que la division générale n’a fait valoir aucune présomption de la sorte. La question ne se pose simplement pas en l’espèce.

[47]           La division d’appel a jugé que la division générale n’avait pas commis d’erreur dans son appréciation des deux rapports relatifs à l’auto-aiguillage relativement aux autres éléments de preuve. Après avoir examiné l’intégralité du dossier, je conclus que la décision de la division d’appel était raisonnable. Il n’y avait rien d’abusif ou d’arbitraire. La division générale était en présence de preuves médicales conflictuelles, tant sur l’état mental que sur l’état physique du demandeur, et elle était chargée d’examiner cette preuve et de choisir les rapports auxquels elle allait accorder plus ou moins de poids. Par ailleurs, j’interprète les rapports des Drs Turner et Boucher et bien que les deux appuient la demande de pension d’invalidité du RPC du demandeur, ni l’un ni l’autre ne fournit une analyse approfondie de la façon dont ses conditions l’empêchent d’exercer un travail quelconque dans le « monde réel », pour reprendre les propos de l’arrêt Villani.

[48]           Ma conclusion sur cette question se limite au contexte factuel. Elle ne devrait pas être interprétée pour appuyer de façon globale la proposition voulant que tout rapport médical produit au moyen d’auto-aiguillage mérite moins d’importance. Cependant, il était loisible à la division générale d’apprécier la preuve et de conclure que certains éléments de preuve avaient plus de poids que d’autres. Il apparaissait clairement que la condition du demandeur n’était pas grave au point qu’il existait une incapacité de travail du point de vue de la division générale. La décision de la division d’appel était l’une des issues possibles acceptables puisque l’éventail d’issues défendables et acceptables est relativement large lorsque la décision est essentiellement factuelle (Gaudet c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 254).

[49]           Comme dans l’arrêt MacKenzie, le demandeur est insatisfait de l’importance accordée à certains éléments de preuve médicaux qui ont été quelque peu ignorés parce que le demandeur avait choisi ces médecins en particulier aux fins d’appuyer l’octroi d’une pension d’invalidité. Dans l’arrêt MacKenzie, la Cour d’appel a refusé d’apprécier à nouveau la preuve médicale qui lui semblait manquer d’objectivité et y a substitué ses propres conclusions. Dans cette affaire, la Cour d’appel effectuait son propre contrôle judiciaire de la décision de la division d’appel sur le bien-fondé d’un appel. Nous devons en l’espèce surmonter un obstacle de plus puisque seulement le refus d’octroyer l’autorisation fait l’objet de la demande de contrôle judiciaire. Non seulement la Cour ne peut pas apprécier à nouveau la preuve présentée, mais en plus sa tâche ne se limite qu’à l’examen de la décision concernant la demande d’autorisation d’interjeter appel. La tâche du demandeur sur la demande d’autorisation était d’établir que la conclusion de fait de la division générale était erronée au point d’être abusive et arbitraire. Une fois que la division d’appel est convaincue qu’une telle démonstration n’a aucune chance de succès, l’autorisation est refusée. Il est suffisant à cette étape que la décision rejetant la demande ait été raisonnable dans les circonstances. Il s’agissait d’une issue possible acceptable.

D.                L’utilisation des prestations d’AE reçues en 2010-2011

[50]           Dans son second argument, le demandeur se plaint que la division d’appel aurait dû conclure qu’il avait des motifs d’interjeter appel de l’utilisation de ses prestations d’AE et de son licenciement de 2010 par la division générale comme preuve de sa capacité de travailler à la date de sa PMA. À son avis, la division générale a erré en appliquant l’arrêt Inclima, car le demandeur avait démontré qu’il n’y avait pas de capacité de travail après 2010. La décision de la division d’appel selon laquelle il aurait peu de chance de succès sur ce motif était raisonnable, puisque l’argument utilisé était que la division générale avait présumé la capacité résiduelle uniquement sur les prestations d’AE reçues en 2010-2011. Tel n’est pas le cas.

[51]           Dans un effort de trouver une erreur, le demandeur interprète mal l’utilisation faite de l’arrêt Inclima et de la preuve. La division générale avait mentionné qu’à la suite de son congédiement en 2010, le demandeur avait dû se déclarer prêt et en mesure d’exercer une forme d’activité rémunérée afin de recevoir des prestations d’AE, ce qu’il a fait. Il a également postulé pour un emploi chez un traiteur. Contrairement à la suggestion du demandeur, la division générale n’a pas fondé sa conclusion dans l’arrêt Inclima quant à la capacité de travail exclusivement sur le fait que le demandeur avait reçu de l’AE. Au contraire, le décideur a énuméré dans la décision l’importante preuve des nombreux praticiens (médecin de famille, rhumatologue, psychiatre, chiropraticien, neurologue) pour conclure à l’existence d’une capacité résiduelle au titre de l’arrêt Inclima.

[52]           Par conséquent, la division générale a appliqué le principe énoncé dans l’arrêt Inclima car elle a conclu au vu de la preuve qu’il y avait une capacité de travail résiduelle. Elle a examiné tous les éléments de preuve qu’elle avait devant elle à propos des tentatives du demandeur de trouver du travail jusqu’à la date de la PMA : son licenciement en 2010, ses prestations d’AE en 2010 et 2011, et une entrevue non réussie. Au-delà de ces événements, elle n’a trouvé [traduction] « aucune preuve que le [demandeur] ait continué de se chercher un autre emploi. »

[53]           Le demandeur soutient que l’arrêt Inclima ne s’applique pas à son cas puisqu’il souffrait d’une invalidité grave et prolongée. Cependant, cela est tautologique. Le demandeur est en désaccord encore une fois avec la conclusion de fait de la capacité résiduelle. L’arrêt Inclima, au paragraphe 3, exige qu’un demandeur prouve que des efforts afin d’obtenir un emploi ont échoué en raison de son état de santé s’il y a des preuves de capacité de travail. Le demandeur soutient que la preuve médicale était suffisante afin de démontrer qu’il n’y avait aucune capacité de travail, par conséquent il n’y avait aucun fondement pour l’application du principe énoncé dans l’arrêt Inclima. Par contre, cela ne peut être vrai que si la preuve médicale démontre une absence de capacité de travail. Et voilà en quoi consiste le désaccord entre le demandeur et la division générale. Avec une certaine capacité de travailler, le demandeur au regard de l’arrêt Inclima devait prouver qu’un travail lui avait été refusé en raison d’une condition de santé. La preuve a démontré qu’il n’y avait eu aucune tentative de la sorte après 2011.

E.                 Le processus d’appréciation des faits était abusif et arbitraire

[54]           Le demandeur a mal interprété la preuve médicale au présent dossier en ne reconnaissant pas qu’elle est loin de faire l’unanimité. La décision de la division générale est un examen des éléments de preuve disponibles pour conclure qu’il existe une preuve de la capacité de travail. En appliquant l’arrêt Inclima, la division générale conclut qu’aucun effort n’a été fait pour obtenir et garder un emploi. L’appréciation de la preuve est une question de fait. Pour qu’un appel soit accueilli, le demandeur doit démontrer que la conclusion de fait erronée qu’il allègue – qu’il y avait des éléments de preuve relatifs à la capacité de travail – a été tirée de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments à la disposition du tribunal. La division générale disposait d’éléments de preuve. Le demandeur préfère la preuve des deux praticiens qu’il a choisi de consulter. Cela ne démontre pas que la décision est rendue de manière abusive ou arbitraire.

[55]           Une fois de plus, l’argument du demandeur devant la Cour se résume essentiellement à plaider que la preuve devrait être réévaluée pour en arriver à une conclusion différente, non que la conclusion rendue était abusive ou arbitraire. Au lieu d’affirmer que [traduction] « la seule conclusion possible que pouvait tirer la division générale sur une base raisonnable à la lumière des éléments de preuve est que le demandeur est admissible au RPC » (mémoire des faits et du droit, au paragraphe 18), la démonstration n’a pas été faite que cela a même été essayé. La division d’appel n’a pas conclu que la norme de l’alinéa 58(1)c) n’avait pas été satisfaite seulement en tenant compte des opinions du Dr Turner et du Dr Boucher, comme le souhaite le demandeur. Le reste de la preuve devait être prise en compte pour que la division générale l’évalue dans son intégralité. La division générale était en droit de réduire l’importance accordée à ces opinions. Elle devait également examiner le reste de l’information. Par conséquent, l’appréciation de la division générale n’était ni abusive ni arbitraire et elle reflétait les éléments qu’elle avait devant elle. Il n’a pas été démontré que la conclusion de la division d’appel était déraisonnable.

[56]           En reformulant son argument comme il l’a fait en indiquant que ses arguments relevaient tous de l’alinéa 58(1)c) de la Loi (une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance), il devient en fait redondant de considérer la « clause omnibus » selon laquelle le processus d’appréciation des faits médicaux était abusif et arbitraire. La question de la capacité de travail du demandeur est au cœur du litige en l’espèce. Les différents motifs sont dressés à l’origine comme des questions de droit; toutefois, comme l’a reconnu le demandeur, ils convergent tous vers une conclusion de fait de la capacité de travail comme la décision rendue par la division générale. En fin de compte, le demandeur n’est pas d’accord avec l’appréciation de la preuve qui conclut qu’une capacité de travail était présente. Le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau qu’il lui incombe de démontrer que la conclusion était abusive ou arbitraire.

VII.          Conclusion

[57]           Le demandeur avait raison de centrer sa demande sur l’alinéa 58(1)c) de la Loi. Ses doléances précises n’étaient pas des erreurs de droit. La division générale et la division d’appel ont énoncé correctement l’état du droit. Plus de précisions et une meilleure articulation auraient été bénéfiques et auraient pu éviter le litige. Toutefois, pour avoir gain de cause, le demandeur devait aller plus loin que chercher à réévaluer les éléments de preuve devant la présente Cour. Il devait démontrer que les conclusions de fait de la division générale étaient abusives et arbitraires de telle sorte que la division d’appel avait conclu à tort qu’il n’avait aucune chance raisonnable de succès. Cette barre est haute. C’est l’absence d’éléments de preuve établissant qu’il était déraisonnable pour la division d’appel de conclure qu’il n’y avait aucune chance de succès qui entraîne le rejet de la demande. Démontrer simplement que les conclusions de fait sont discutables n’atteint pas la barre élevée de la décision tirée de façon « abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments » portés à la connaissance de la division générale. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

VIII.       Dépens

[58]           Le demandeur a demandé des dépens; le défendeur ne l’a pas fait. Par conséquent, aucuns dépens ne sont accordés.


JUGEMENT dans l’affaire T-1525-15

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire sans dépens.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1525-15

 

INTITULÉ :

PETER ROULEAU c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

Le 27 septembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 31 mai 2017

 

COMPARUTIONS :

Ravinder Sawhney

 

Pour le demandeur

 

Hasan Junaid

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ravinder Sawhney

Mississauga (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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