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Date : Le 26 mai 2017


Dossier : T-1844-07

Référence : 2017 CF 526

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 mai 2017

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

TEVA CANADA LIMITÉE

demanderesse

et

PFIZER CANADA INC.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Il a été conclu, à l’instruction, que la demanderesse avait établi qu’elle avait subi des dommages-intérêts conformément à l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) DORS/93-133 (RMBAC) : voir Teva Canada Limitée c Pfizer Canada Inc., 2014 CF 248 (la décision de première instance) et Teva Canada Limitée c Pfizer Canada Inc., 2014 CF 634 (le jugement).

[2] En appel, la Cour d’appel fédérale a conclu que la décision de première instance se fondait en partie sur des éléments de preuve irrecevables, en raison de la véracité de leur contenu; il s’agissait de ouï-dire [1] . La Cour d’appel fédérale a rejeté le jugement et renvoyé l’affaire à la Cour pour réexamen de « la question de savoir si Teva a droit aux dommages-intérêts et, le cas échéant, dans quelle mesure » : Pfizer Canada Inc. c Teva Canada Limitée, 2016 CAF 161 (la décision d’appel). Au paragraphe 164, elle a indiqué ce qui suit :

[164] Dans le cadre du nouvel examen, elle doit décider si et dans quelle mesure Ratiopharm (Teva) a droit aux dommages-intérêts prévus à l’article 8 et elle doit suivre les principes juridiques appropriés en ce qui concerne les éléments de preuve admissibles au dossier. Sans limiter ce qui précède, la principale question en litige concernant le nouvel examen est de savoir si dans un monde hypothétique Ratiopharm (Teva) aurait eu ou aurait pu avoir accès à une quantité suffisante de venlafaxine au moment pertinent. [Non souligné dans l’original.]

Résumé des faits

[3] Les faits liés à la présente réclamation de dommages-intérêts conformément à l’article 8 du RMBAC sont exposés aux paragraphes 14 à 24 de la décision de première instance et aux paragraphes 6 à 12 et 19 à 27 de la décision d’appel. Aux fins du présent réexamen, voici les faits généraux pertinents.

[4] La défenderesse est la société qui a succédé à Wyeth et à Wyeth Canada (Wyeth). La demanderesse est la société qui a succédé à Ratiopharm Inc. (Ratiopharm).

[5] Wyeth a commercialisé une version à libération prolongée de chlorhydrate de venlafaxine [venlafaxine] sous le nom d’Effexor XR, aux termes du brevet canadien 1 248 540 (le brevet 540). Lorsque Ratiopharm a voulu commercialiser sa version générique de venlafaxine, seul le brevet 540 avait été inscrit au registre des brevets à l’égard d’Effexor XR et il devait expirer le 10 janvier 2006.

[6] Kent Major, le vice-président de la gestion du développement et des affaires réglementaires de Ratiopharm, a témoigné que Ratiopharm (alors connue sous le nom d’Altimed Pharma Inc.) s’est intéressée à la venlafaxine vers l’an 2000 [2] . Ratiopharm, pour être en mesure de commercialiser sa version générique de la venlafaxine, a d’abord conclu une entente avec Karma Pharm Ltd. (KarmaPharm), le 18 avril 2002, afin d’obtenir les droits exclusifs à l’égard de la formulation de sa version générique de venlafaxine [3] .

[7] Ratiopharm a ensuite cherché un tiers en vue de fabriquer sa version générique de venlafaxine. Ratiopharm a retenu BioArc Research Solutions, une division d’Alembic Limited (Alembic) afin de fabriquer l’ingrédient pharmaceutique actif (IPA) de la venlafaxine et les capsules de venlafaxine de Ratiopharm.

[8] Dans son témoignage, M. Major a indiqué que [traduction] « Alembic est un fabricant pharmaceutique d’ingrédients pharmaceutiques actifs et de formes dosifiées situé à Gujurat (Inde) ». Il a également indiqué dans son témoignage que [traduction] « Alembic entretenait une relation de longue date avec [Ratiopharm] en tant que fabricant d’IPA et nous étions au courant de leurs intentions de se lancer dans la fabrication de formes dosifiées également » [4] . [Non souligné dans l’original]

[9] Le 24 mars 2004, Ratiopharm et Alembic ont conclu la première de deux ententes liées à la version générique de venlafaxine – un contrat de développement (l’entente de développement) [5] . Conformément à cette entente de développement, Alembic a fabriqué des lots biologiques de la version générique de venlafaxine utilisés afin de montrer à Santé Canada que son produit était bioéquivalent, qu’il respectait les normes de pureté et de sécurité et que le processus de fabrication était solide. M. Major a indiqué dans son témoignage que sa démonstration se trouvait dans la présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) pour la version générique de venlafaxine de Ratiopharm, que cette dernière a présentée à Santé Canada le 24 février 2005 [6] .

[10] Dans le cadre du processus d’approbation de Santé Canada, en 2004, au moment où Alembic fabriquait les lots biologiques, M. Major a passé deux semaines aux installations de fabrication d’Alembic avec un inspecteur de Santé Canada, qui a inspecté les installations et les a certifiées conformes aux Lignes directrices sur les bonnes pratiques de fabrication. Cette visite a permis à M. Major d’avoir une connaissance personnelle de la capacité des installations d’Alembic à ce moment, en se fondant sur son expérience dans le domaine pharmaceutique et ses observations. La Cour d’appel fédérale a retenu l’idée qu’elle était prête à « admettre le témoignage de M. Major sur ce qu’il avait vu et les conclusions qu’il a tirées de ses observations » [7] .

[11] Le 7 décembre 2005, Santé Canada a informé Ratiopharm qu’il avait terminé l’examen de la PADN, mais que l’avis de conformité (AC) ne serait pas délivré avant que les exigences du RMBAC soient satisfaites. Ratiopharm avait choisi une date de lancement postérieure à l’expiration du brevet 540, le 10 janvier 2006; à cette date, n’eussent été les mesures prises par Wyeth par la suite, elle aurait satisfait à toutes les exigences prévues dans le RMBAC.

[12] Afin de lancer le produit et de répondre à la demande du marché, le 13 avril 2005, environ neuf mois avant la date de lancement prévue, Ratiopharm et Alembic ont conclu un deuxième contrat (l’entente de licence et d’approvisionnement), aux termes duquel Alembic acceptait de fabriquer une version générique de venlafaxine et d’approvisionner Ratiopharm [8] . L’article 3.1 de l’entente de licence et d’approvisionnement stipulait ce qui suit :

[traduction] Alembic approvisionnera exclusivement Ratiopharm et Ratiopharm achètera exclusivement auprès d’Alembic toutes les exigences relatives au produit de Ratiopharm. [Non souligné dans l’original.]

[13] Ratiopharm, par l’intermédiaire d’Alembic, fabriquait l’IPA, encapsulait la version générique de venlafaxine et satisfaisait à toutes les exigences réglementaires afin de lancer le produit sur le marché le 10 janvier 2006. Dans le monde réel, Ratiopharm ne s’attendait pas à offrir la seule version générique sur le marché [9] . En fait, Ratiopharm avait conclu un accord de licence réciproque avec Pharmascience Inc. (Pharmascience) aux termes duquel Pharmascience avait la permission d’utiliser la formulation générique de Ratiopharm et de vendre une version générique de venlafaxine sous son nom. Il convient de noter que cet accord prévoyait aussi que Pharmascience informerait Ratiopharm des quantités requises et Ratiopharm passerait des commandes pour ces quantités auprès d’Alembic, qui fabriquerait et livrerait la venlafaxine de Pharmascience à cette dernière. Ainsi, Alembic approvisionnerait donc Ratiopharm et Pharmascience en version générique de venlafaxine pour le marché canadien. Il a été conclu, dans la décision de première instance, que dans le monde hypothétique, Pharmascience n’a pas fait son entrée sur le marché au cours de la période visée; ainsi, dans le monde hypothétique, Alembic devait uniquement répondre aux exigences relatives au marché canadien de Ratiopharm.

[14] Même si Ratiopharm s’attendait à ce que d’autres entreprises génériques entrent sur le marché de la version générique de venlafaxine, seule Novopharm est entrée sur le marché canadien au cours de la période visée et elle l’a fait le 1er décembre 2006, aux termes d’une licence délivrée par Wyeth après avoir obtenu son AC. Dans la décision de première instance, il a été conclu que si Wyeth n’avait pas pris les mesures décrites ci-après, Ratiopharm aurait occupé l’entièreté du marché générique de la venlafaxine du 10 janvier 2006 au 1er décembre 2006, date à laquelle Novopharm a commencé à vendre son produit, et que par la suite, les parts de marché générique de Ratiopharm auraient été grugées au même rythme que celle de Novopharm, dans le monde réel après l’entrée sur le marché de Ratiopharm.

[15] En mai 2005, M. Major et d’autres employés de Ratiopharm ont été mis en garde contre la « très forte probabilité » que Wyeth tente de « renouveler à perpétuité » Effexor XR en faisant inscrire un nouveau brevet à son égard dans le registre des brevets et on s’attendait à ce qu’elle prenne probablement cette mesure en octobre ou en novembre 2005 [10] . M. Deneke, l’un des témoins au procès, a informé des représentants de Ratiopharm en septembre 2005 que Wyeth avait reçu un AC pour une nouvelle indication le 1er septembre 2005 pour Effexor XR, ce qui augmentait considérablement la probabilité qu’elle soit en mesure de renouveler à perpétuité son produit [11] .

[16] Si Wyeth avait ajouté un nouveau brevet au registre des brevets à l’égard d’Effexor XR, ce qu’elle a fait avant l’expiration du brevet 540, Ratiopharm aurait été tenue d’attendre jusqu’à l’expiration ou jusqu’au retrait du brevet avant de commercialiser sa version générique de venlafaxine. Même si aucun nouveau brevet n’avait encore été ajouté au registre des brevets, Ratiopharm, en guise de précaution, a exigé d’Alembic le 24 octobre 2005 qu’elle suspende la conversion de l’IPA en produit fabriqué, mais de [traduction] « terminer le cycle de production en cours et de transformer tout produit fini en vrac en base lubrifiante de haute viscosité (bright stock) » [12] .

[17] En fait, Wyeth a inscrit le brevet canadien 2 199 778 (le brevet 778) au registre des brevets à l’égard d’Effexor XR le 23 décembre 2005. Par conséquent, Ratiopharm ne pouvait pas entrer sur le marché de la venlafaxine et n’a pas pu le faire jusqu’au 1er août 2007, lorsque la Cour d’appel fédérale a conclu que le brevet 778 n’était pas admissible à l’inscription : voir Ratiopharm Inc. c Wyeth Canada, 2007 CAF 264. Ce jugement a donné à Ratiopharm le champ libre pour faire son entrée dans le marché canadien avec sa version générique de venlafaxine [13] . C’est ce qu’elle a fait le 18 septembre 2007; le 22 octobre 2007, elle a intenté l’action en l’espèce à l’encontre de Wyeth aux termes de l’article 8 du RMBAC.

[18] Il n’est pas contesté que, dans ces circonstances, Wyeth, en empêchant, à tort, Ratiopharm d’entrer sur le marché, est [traduction] « responsable envers la deuxième personne [Ratiopharm] de toute perte subie au cours de la période ». La question sur laquelle la Cour devait se pencher visait à déterminer les pertes, le cas échéant, que Ratiopharm avait prouvé avoir subies selon la prépondérance des probabilités.

[19] Le critère permettant d’établir les dommages-intérêts aux termes de l’article 8 du RMBAC est le critère de la « condition essentielle ». Un demandeur doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, que n’eût été le comportement répréhensible du défendeur, il n’aurait pas subi de perte. Dans la présente action, Ratiopharm allègue que, n’eût été la conduite illégale de Wyeth, elle aurait lancé sa version générique de venlafaxine sur le marché le 10 janvier 2006 et qu’elle a donc perdu les ventes qu’elle aurait réalisées du 10 janvier 2006 au 1er août 2007, au moment où elle pouvait entrer sur le marché.

[20] La Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Apotex Inc. c Merck & Co Inc., 2015 CAF 171, au paragraphe 45 [Lovastatin CAF], a enseigné que « [l]e critère de la condition essentielle doit être appliqué de “manière décisive et logique” ». Ce faisant, la Cour d’appel fédérale a renvoyé au jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans Clements c Clements, 2012 CSC 32, une cause d’action fondée sur la négligence, où la majorité a indiqué ce qui suit aux paragraphes 8 et 9 :

Le critère à appliquer pour établir la causalité est celui du « facteur déterminant » (parfois désigné aussi au moyen de l’expression « n’eût été »). Le demandeur doit démontrer, suivant la prépondérance des probabilités, que « n’eût été » la négligence du défendeur, il n’y aurait pas eu préjudice. Par définition, le terme « n’eût été » suppose que la négligence du défendeur était nécessaire pour que survienne le préjudice — en d’autres mots, le préjudice ne serait pas survenu sans la négligence du défendeur. Il s’agit d’une question de fait. Si la partie demanderesse n’établit pas ce lien nécessaire selon la prépondérance des probabilités, eu égard à l’ensemble de la preuve, son action contre le défendeur échoue.

Le critère de la causalité fondée sur un facteur déterminant doit être appliqué d’une manière décisive et logique. Il n’est point besoin de prouver scientifiquement la contribution précise de la négligence du défendeur au préjudice. Voir Wilsher c. Essex Area Health Authority, [1988] A.C. 1074 (H.L.), p. 1090, lord Bridge; Snell c. Farrell, [1990] 2 R.C.S. 311. [Non souligné dans l’original.]

[21] Dans le contexte de ce nouvel examen, la Cour d’appel fédérale a ordonné à Ratiopharm de prouver, selon la prépondérance des probabilités, par le dépôt d’éléments de preuve admissibles et des inférences permises qui en découlent, qu’elle aurait lancé sa version générique de venlafaxine sur le marché et qu’elle aurait pu le faire au cours de la période allant du 10 janvier 2006 au 1er août 2007 (la période pertinente). La Cour d’appel fédéral a fait remarquer que les termes « aurait » ou « aurait pu » sont des aspects différents du critère, que le demandeur qui intente une action aux termes de l’article 8 doit prouver. Au paragraphe 72 de la décision d’appel, la question de savoir si Ratiopharm (Teva) voulait approvisionner le marché et si Alembic était disposée à produire la venlafaxine correspondait à la portion de l’analyse du « aurait », tandis que si Ratiopharm, et Alembic, en tant que son fabricant et fournisseur, pouvaient approvisionner le marché de la venlafaxine (version générique) (ou une partie de ce marché) correspondait à la portion du « aurait pu » de l’analyse.

[22] La Cour d’appel fédérale, au paragraphe 169 de la décision d’appel, a dirigé l’attention de la Cour et des parties sur la décision rendue par le juge Ducharme de la Cour supérieure de l’Ontario dans R v Munoz (2006), 86 OR (3d) 134, 38 CR (6th) 376, aux paragraphes 23 à 31, sur les [traduction] « inférences qui peuvent être légitimement tirées des éléments de preuve ». La Cour a récemment résumé ainsi les principes établis dans cette décision dans K (K) c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2014 CF 78, au paragraphe 61 :

Une inférence est une conclusion qui découle logiquement et raisonnablement de faits admis, de manière suffisamment probable, par application d’un raisonnement inductif qui utilise l’expérience humaine universelle comme référence.

Les faits censés servir de fondement à l’inférence doivent être établis par la preuve et ne peuvent être remplacés par des hypothèses.

Vu l’absence d’une distinction nette, il est souvent très difficile de différencier selon le degré de probabilité les inférences raisonnables admissibles et les hypothèses non admissibles.

Lorsqu’on tire des inférences, il ne s’agit pas d’établir ce qui est possible, non plus que de créer une trame narrative hypothétique ou de faire appel à l’imagination subjective, même lorsque les circonstances donnent ouverture à une estimation éclairée.

On n’a pas à tirer que les inférences les plus évidentes ou les plus aisées; l’inférence doit uniquement être raisonnable et logique. [Non souligné dans l’original.]

[23] Ratiopharm soutient qu’en ce qui concerne la quatrième puce ci-dessus, il faut garder à l’esprit que l’univers du « n’eût été » est entièrement hypothétique, comme la Cour d’appel fédérale l’a précisé au paragraphe 46 de la décision d’appel : « En substance, le juge examine un monde hypothétique ».

[24] Au procès, il a été conclu que le marché total de venlafaxine au cours de la période pertinente correspondait à 361 506 200 capsules et que, dans le monde hypothétique, la part générique du marché total correspondrait à 248 640 087 capsules [14] .

[25] Il convient de se souvenir que Ratiopharm n’avait pas fourni la totalité des 248 640 087 capsules de la version générique de la venlafaxine au cours de la période pertinente parce qu’il a été conclu, au procès que « [à] compter du 1er décembre 2006, les parts de marché de Ratiopharm auraient été grugées au même rythme que celles de Novopharm dans le monde réel après l’entrée sur le marché de Ratiopharm, une fois pris en considération tout écart de dates pour l’inscription aux formulaires entre Novopharm et Ratiopharm » [15] . Si Ratiopharm satisfaisait au critère du « aurait-aurait pu », elle aurait vendu un peu moins de 248 640 087 capsules au cours de la période pertinente.

[26] Il a aussi été conclu au procès que tout fabricant de génériques veut être le premier à lancer son produit sur le marché. Les motifs sont présentés au paragraphe 136 de la décision de première instance :

Il est admis que tout fabricant de génériques veut être le premier à lancer son produit sur le marché ou, du moins, à partager la première place. Jamais il ne cherchera à arriver second ou troisième. C’est le premier fabricant de génériques à prendre d’assaut le marché qui a l’avantage. En effet, le produit générique constitue la seule solution de rechange au produit novateur et comme les formulaires provinciaux et de nombreux régimes privés prévoient le remplacement obligatoire du médicament d’ordonnance par un médicament générique, le premier produit générique sur le marché s’approprie rapidement une grande part du marché. Il est prouvé qu’une fois un générique [sic] bien établi, il est difficile pour un autre générique de prendre sa place sur les tablettes des pharmacies.

[27] Dans son témoignage, M. Major a indiqué [traduction] « nous étions ambitieux et nous étions d’avis que nous avions de bonnes chances d’être les premiers à pénétrer le marché » [16] . Dans le monde hypothétique, Ratiopharm, contrairement aux autres fabricants de génériques aspirants, n’avait pas à aborder le brevet 778 : voir Apotex Inc c Sanofi Aventis, 2012 CF 553, aux paragraphes 156 à 158; et Apotex Inc c Takeda Canada Inc., 2013 CF 1237, au paragraphe 56. Par conséquent, dans le monde hypothétique, Ratiopharm aurait su que, même si le brevet 778 empêchait ses concurrents d’entrer sur le marché de la version générique de la venlafaxine, le 10 janvier 2006, elle n’avait pas à surmonter cet obstacle. En conséquence, Ratiopharm aurait donc su qu’elle serait le premier fabricant de médicaments génériques à pénétrer le marché de la venlafaxine ou, à tout le moins, aurait su que cela serait très probablement le cas. Il convient donc de tenir compte des mesures qui auraient été prises et qui auraient pu l’être dans le monde hypothétique à la lumière de ce contexte très important.

[28] M. Major a aussi témoigné qu’en 2006, Ratiopharm était la troisième entreprise pharmaceutique de médicaments génériques sur le marché canadien, après Apotex et Novopharm. L’écart entre Novopharm et Ratiopharm représentait [traduction] « moins de 3 % des parts du marché et environ 50 millions de dollars » en ventes brutes, ce qui correspondait, selon ce qu’il a indiqué dans son témoignage, à [traduction] « à peu près le lancement d’un produit » [17] . En plus de ses activités canadiennes, M. Major a témoigné que Ratiopharm était, au cours de la période pertinente, le troisième fabricant de génériques en importance au monde et elle possédait l’installation de production de médicaments génériques la plus importante d’Europe [18] .

[29] M. Major a témoigné que dans le monde réel, il faut du temps pour gruger la part de marché que détient le produit novateur et qu’il n’y a aucune raison de croire qu’il n’en irait pas de même dans le monde hypothétique. Selon les éléments de preuve produits par M. Major, à la fin de la première année, Ratiopharm aurait pu s’attendre à occuper 50 % du marché détenu par Wyeth. Autrement dit, dans le monde hypothétique, lorsque Ratiopharm a commencé à vendre son produit sur le marché, elle aurait occupé 0 % de ce marché et Wyeth, 100 %; à la fin de la première année, toutefois, chacune occuperait plus ou moins 50 % du marché [19] .

[30] Avant d’aborder les questions importantes dans le cadre du nouvel examen en l’espèce, je parlerai un peu de la preuve admissible.

Preuve admissible

[31] On entend par preuve admissible la preuve que le juge des faits est autorisé par la loi à examiner. Le juge Watt, dans R v Candir, 2009 ONCA 915 [20] , au paragraphe 50, a indiqué ce qui suit :

[traduction] L’admissibilité est une pure création du droit. Les règles d’admissibilité, pour la plupart négatives, excluent la preuve qui est à la fois pertinente et importante. Il faut invoquer une règle d’admissibilité lorsqu’un élément de preuve est hors de propos ou sans importance. Une preuve est admissible lorsqu’elle satisfait à toutes les règles d’exclusion applicables.

[32] Dans le nouvel examen en l’espèce, les parties cherchent, entre autres choses, à savoir s’il est loisible à la Cour de tenir compte de la « preuve » au dossier à laquelle Wyeth ne s’était pas opposée précédemment au procès ou en appel, ou si la Cour doit maintenant porter un regard différent sur ce dossier d’instruction et exclure tous les éléments de preuve inadmissibles. Cette question survient parce que Wyeth s’oppose maintenant à d’autres éléments de preuve au dossier au motif qu’il s’agit de ouï-dire et qu’ils sont inadmissibles, alors qu’elle n’a soulevé aucune objection à cet égard auparavant.

[33] La jurisprudence canadienne indique qu’un juge de première instance a l’obligation de rejeter les éléments de preuve inadmissibles, même si aucune objection n’a été soulevée à cet égard au procès : voir les arrêts Young v Denton, [1927] 1 DLR 426 (Sask CA); McLeod v Pearson et al, [1931] 4 DLR 673 (Alta SC); Stadel v Stadel, [1959] MJ No 71 (Man QB). Dans l’arrêt Young c Denton, le juge Martin, aux pages 433 et 434, formule cette obligation ainsi :

[traduction] Dans Phipson on Evidence [6e éd.], à la page 688, l’auteur indique ce qui suit : – « Le juge a l’obligation de rejeter une preuve inadmissible produite (avec ou sans opposition) au moment de rendre son jugement; s’il ne le fait pas, elle sera rejetée en appel, puisqu’il incombe à la Cour de rendre ses décisions à la lumière d’éléments de preuve juridiques uniquement. »

À mon avis, cet exposé du droit répond à la prétention de l’avocat du défendeur selon laquelle, attendu que l’admission du mémoire n’a fait l’objet d’aucune opposition, il est maintenant trop tard pour accueillir cette opposition.

[34] Le juge Martin ne cite qu’une partie de l’extrait tiré de Phipson on Evidence. Voici le passage en entier, qui présente une approche plus nuancée que la déclaration de la Cour le porte à croire :

[traduction] Le juge a l’obligation de rejeter une preuve inadmissible produite (avec ou sans opposition) au moment de rendre son jugement; s’il ne le fait pas, elle sera rejetée en appel, puisqu’il incombe à la Cour de rendre ses décisions à la lumière d’éléments de preuve juridiques uniquement; il est toutefois possible d’interdire à une partie de s’opposer à une telle preuve en raison de sa conduite au procès. [Non souligné dans l’original et jurisprudence citée omise]

[35] Par contre, la jurisprudence enseigne aussi qu’il peut être fatal pour une partie d’omettre de soulever une objection au procès sur l’admissibilité de la preuve, si elle tente de le faire en appel : voir Lederman, Bryant & Fuerst, The Law of Evidence in Canada, 4e éd. (Markham : LexisNexis, 2014), §2.98 :

[traduction] Dans une affaire au civil, une opposition en appel ne sera généralement pas accueillie à moins d’avoir été soulevée au procès. Une omission de s’opposer peut constituer une renonciation implicite à un privilège qui s’appliquerait autrement afin de rendre le document inadmissible. [Non souligné dans l’original.]

[36] La Cour suprême du Canada a prévenu que, lorsqu’un avocat a omis de contester l’admissibilité de la preuve, il n’appartient pas au juge de première instance de le faire lui-même. Le passage qui suit de l’arrêt R c SGT, 2010 CSC 20, aux paragraphes 35 et 36, même s’il a été formulé dans un contexte criminel, s’applique tout autant, selon moi, dans le contexte civil :

Plus important encore, l’examen par le tribunal d’appel de l’existence d’éléments de preuve évidents propres à signaler au juge du procès qu’il doit intervenir de son propre chef s’effectue du point de vue du juge du procès au moment où il a rendu sa décision.

En l’espèce, la circonstance la plus significative est que la défense a consenti à l’admission de l’élément de preuve. Dans un système de justice criminelle accusatoire, les juges instruisant les procès doivent, à moins de circonstances exceptionnelles, déférer aux décisions tactiques des avocats : voir de façon générale R. c. Lomage (1991), 2 O.R. (3d) 621 (C.A.), p. 629-630. Il existe une « forte présomption » que l’avocat de la défense sert les intérêts de son client avec compétence : voir R. c. G.D.B., 2000 CSC 22, [2000] 1 R.C.S. 520, par. 27; Hodgson, par. 99. En outre, l’avocat sera habituellement mieux placé que le juge du procès pour apprécier l’opportunité d’une décision tactique particulière en fonction de sa stratégie globale. Le juge du procès, lui, doit agir en arbitre impartial du litige dont il est saisi; plus un juge remet en question ou annule les décisions d’un avocat, plus il risque de s’écarter, en apparence ou dans les faits, de son rôle d’arbitre neutre et de devenir l’avocat de l’une des parties. C’est pourquoi la Cour a statué dans un arrêt antérieur qu’il est juste de faire reposer sur l’avocat l’obligation de soulever les questions se rapportant à la preuve : Hodgson, par. 98. [Non souligné dans l’original.]

[37] Outre cette justification, je suis d’avis que dans le cadre du nouvel examen d’une question fondamentale du procès fondée sur un dossier d’instruction existant, la Cour doit, selon le principe d’équité, se pencher sur le dossier tel qu’il est et non tel qu’une partie voudrait qu’il soit. Il en est ainsi parce qu’il est maintenant impossible pour Ratiopharm de remédier à tout vice ou de compléter sa cause en présentant d’autres éléments de preuve. Cette possibilité aurait été offerte si Wyeth avait soulevé l’opposition au procès, par laquelle elle aurait informé Ratiopharm de sa position. C’est exactement ce qui s’est produit en ce qui concerne les oppositions aux ouï-dire qu’elle a soulevées relativement à certains des éléments de preuve produits. Ratiopharm savait que Wyeth s’opposait et, même si l’objection a été annulée, elle avait eu la possibilité de se pencher sur sa cause, y compris sur la probabilité d’un appel, et elle a eu l’occasion de compléter la preuve qu’elle avait présentée à la Cour. Ces nouvelles oppositions n’offrent pas une telle possibilité maintenant.

[38] Il s’agit de la position postulée et de la justification présentée par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans Lam v Chiu, 2014 BCCA 32, qui a indiqué ce qui suit aux paragraphes 47 et 48 :

[traduction] Si une partie s’oppose à l’admissibilité de la preuve, elle doit s’y opposer sans tarder, c’est-à-dire dès la production de la preuve. Il en va particulièrement ainsi dans les affaires civiles. Comme le juge en chef Macdonald l’a indiqué dans l’arrêt Hall v. Geiger, [1930] 3 DLR 644, à la page 644 (BCCA), « La Cour suppose que si aucune objection n’a été soulevée à l’égard de la preuve, il ne s’agit pas d’un préjudice que subit le défendeur, la personne qui aurait pu soulever l’objection ». Voir aussi : McBryde v. Womack, 2013 BCCA 260, aux paragraphes 52 à 57, 44 B.C.L.R. (5th) 209; Bransford v. Yilmazcan, 2010 BCCA 271, au paragraphe 24, 320 D.L.R. (4th) 535; Mallet v. Alberta (Motor Vehicle Accident Claims Act, Administrator), 2002 ABCA 297, aux paragraphes 62 à 65, 15 Alta. L.R. (4th) 231. […]

Il faut également tenir compte du fait que M. Lam aurait pu être en mesure d’établir un fondement à l’admission des notes si une opposition avait été soulevée en temps opportun. Dans son mémoire, M. Lam présente plusieurs arguments de la sorte, auquel Mme Chiu a présenté une réponse. Toutefois, vu la position adoptée par Mme Chiu au procès, la Cour n’a pas en sa possession le dossier requis pour aborder tous ces arguments. La déclaration suivante du juge Doherty dans R. v. Bero (2000), 151 CCC (3d) 545 (Ont. C.A.), s’applique tout autant aux affaires civiles :

[12] Il ne serait pas avisé pour la Cour de mener l’analyse requise afin de trancher sur l’admissibilité de la preuve en fonction d’un dossier dans lequel aucune des considérations pertinentes n’a été étudiée parce que la défense a choisi de ne pas contester l’admissibilité de la preuve pendant le procès. En l’absence de toute suggestion de représentation inefficace au procès ou de quelque autre explication adéquate de l’absence d’oppositions à l’admissibilité au procès, je n’accueillerais pas un argument qui se résume à la prétention selon laquelle un accusé devrait subir un nouveau procès au motif qu’il aurait pu obtenir gain de cause s’il avait choisi de contester l’admissibilité de la preuve au procès.

[39] Wigmore adopte une approche semblable à celle présentée dans Phipson on Evidence : en omettant de soulever une objection en temps opportun au procès, on renonce au droit de soulever une objection plus tard :

[traduction] Le fait de ne pas invoquer une règle de preuve constitue une renonciation. L’autorité recueillie ci-dessous et les décisions, règles et codes divers dont il est mention tout au long de cette section montrent que ce principe est bien reconnu [21] .

[40] La Cour d’appel fédérale, au moment de rejeter une contestation tardive de l’admissibilité d’un témoignage d’experts dans une réclamation de dommages-intérêts présentée aux termes de l’article 8 dans Pfizer Canada Inc c Apotex Inc, 2014 CAF 54, a présenté une justification semblable à celle exprimée ci-dessus. La juge Gauthier, qui s’exprimait au nom de la Cour dans cette affaire, a indiqué ce qui suit aux paragraphes 9 à 11 :

Au paragraphe 28 de l’arrêt [R. c. J.-L. J., 2000 CSC 51, [2000] 2 RCS 600], la Cour suprême du Canada a affirmé que la question de l’admissibilité d’une preuve d’expert devrait être examinée minutieusement « au moment où elle est soulevée ». La raison d’être de l’interdiction de s’opposer en appel à l’admissibilité d’une preuve est importante : si l’objection avait été soulevée en temps opportun au procès ou avant, les parties auraient pu interroger la personne présentée à titre d’expert, le juge du procès aurait pu tirer toutes les conclusions de fait et de crédibilité nécessaires, les parties auraient pu, une fois sa décision rendue, citer d’autres témoins ou adapter en conséquence l’interrogatoire des autres témoins, et la juridiction d’appel aurait disposé des motifs du juge de première instance. [Non souligné dans l’original.]

Il importe également de tenir compte du fait que, de nos jours, les affaires civiles complexes comme celles en matière de brevets pharmaceutiques sont dès le départ gérées par les tribunaux de manière à assurer la communication intégrale de l’ensemble de la preuve et des questions à trancher avant ou pendant le procès, de sorte que l’instruction de l’affaire et l’utilisation des ressources judiciaires soient les plus efficaces possible. Dans ce contexte, les juges de première instance devraient en général pouvoir se fier aux avocats expérimentés qui peuvent compter sur leurs experts techniques pour soulever des questions touchant l’admissibilité de la preuve, et plus particulièrement la fiabilité de la preuve scientifique. La Cour doit tout particulièrement veiller à empêcher les manœuvres tactiques : Apotex Inc. c Bristol-Myers Squibb Company, 2011 CAF 34, au paragraphe 37.

Cependant, il arrive dans certains cas que les cours d’appel exercent leur pouvoir discrétionnaire d’examiner les questions d’admissibilité même si aucune objection n’a été soulevée en première instance. Pfizer a cité quelques-unes de ces affaires. Or, eu égard aux circonstances de l’espèce, et en particulier celles exposées au paragraphe 8 qui précède, la Cour doit refuser d’examiner la question de l’admissibilité pour la première fois lors du présent appel.

[41] À l’instar de la Cour d’appel fédérale, je m’inquiète que l’objection à l’admissibilité présentée récemment par Wyeth porte un préjudice grave à Ratiopharm. Elle ne peut présenter d’autres éléments de preuve ou prendre toute mesure qu’elle aurait pu prendre au procès si elle avait su que l’admissibilité d’éléments de preuve non contestés serait remise en cause, à ce moment ou maintenant. Pour cette raison, je n’entendrai aucune autre nouvelle objection à l’admissibilité soulevée par Wyeth.

[42] Cette approche est conforme à la directive donnée au paragraphe 109 de la décision d’appel, qui établit une différence entre la preuve admissible et celle à l’égard de laquelle il n’y a pas eu d’objection au procès : « […] il y a des éléments admissibles ou des éléments à l’égard desquels il n’y a pas eu d’objection au dossier qui pourraient vraisemblablement être pertinentes sur ces questions […] ». D’après mon appréciation, la Cour d’appel fédérale reconnaît dans cet énoncé qu’il est possible que des éléments de preuve au dossier aient été inadmissibles si une objection avait été soulevée en temps opportun, mais qui pouvaient être étudiés dans le cadre du nouvel examen en l’espèce parce qu’aucune objection n’a été soulevée quant à leur présentation.

[43] À la lumière de ces faits et de cette directive, j’examinerai maintenant la question relative à ce nouvel examen, que je trancherai en répondant aux trois questions qui suivent :

  1. Ratiopharm aurait-elle voulu approvisionner le marché en venlafaxine (version générique) dans le monde hypothétique pendant la période pertinente et Alembic était-elle disposée à produire la venlafaxine? J’aborde ici l’exigence relative à l’aspect « aurait » de l’analyse.

  2. Ratiopharm, par l’intermédiaire d’Alembic, pouvait-elle approvisionner le marché en venlafaxine (version générique) au cours de la période pertinente? J’aborde ici l’exigence relative à l’aspect « aurait pu » de l’analyse.

  3. Si Ratiopharm, par l’intermédiaire d’Alembic, avait approvisionné le marché en venlafaxine (version générique) au cours de la période pertinente et avait pu le faire, aurait-elle eu accès à des quantités suffisantes pour approvisionner le marché générique dans son ensemble ou en partie et aurait-elle pu y avoir accès?

L’analyse de l’aspect « aurait »

[44] Sans tenir compte pour l’instant de la question de la taille du marché de la version générique de la venlafaxine, il y a de nombreux éléments de preuve admissibles qui permettent de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que Ratiopharm voulait approvisionner le marché en venlafaxine (version générique) et qu’Alembic voulait la produire pour Ratiopharm et qu’elle était disposée à le faire.

[45] Lorsqu’il doit déterminer une allégation présentée aux termes de l’article 8 du RMBAC et tirer des conclusions sur ce qui se serait produit ou sur ce qui aurait pu se produire si l’entreprise pharmaceutique novatrice, n’eût été ses agissements pour empêcher l’entreprise générique d’entrer sur le marché, le juge construit un monde hypothétique. La Cour a indiqué à maintes reprises que la meilleure option pour créer ce monde hypothétique consiste à s’inspirer le plus possible de ce qui est survenu dans le monde réel : voir, par exemple Apotex Inc c Takeda Canada Inc, 2013 CF 1237, au paragraphe 21.

[46] Au procès, selon la preuve admissible produite par l’intermédiaire des témoignages de John Kane Deneke et de Kent Major, en plus des pièces admissibles produites pendant ces témoignages (dont il est question ci-dessous), Ratiopharm souhaitait ardemment approvisionner le marché en venlafaxine (version générique) au cours de la période pertinente. Hormis les éléments de preuve produits par les témoins de Ratiopharm sur les « souhaits » de l’entreprise, la preuve réside dans le fait que Ratiopharm avait déjà pris les mesures requises et appropriées pour se trouver dans une position qui lui permettrait de le faire en janvier 2006 [22] .

[47] Comme il est indiqué ci-dessus, en 2002, Ratiopharm a négocié avec KarmaPharm en vue d’obtenir les droits à sa version générique de venlafaxine afin de pouvoir entrer sur le marché canadien à l’expiration du brevet 540. Elle a aussi conclu deux ententes avec Alembic en 2005; la première, pour le développement du produit, la seconde, pour sa fabrication. Aucune objection n’a été soulevée à l’égard de ces ententes lorsqu’elles ont été produites en preuve. M. Major a aussi présenté des éléments de preuve, encore une fois, sans objection, selon lesquels Alembic fabriquait, aux termes de ces ententes, l’IPA et les capsules de la version générique de la venlafaxine que Ratiopharm avait l’intention de commercialiser. Qui plus est, comme je l’explique en détail ci-dessous, elle l’a fait d’une manière satisfaisante aux yeux de Santé Canada. En concluant ces ententes, Ratiopharm s’est assuré les services d’un fournisseur de la version générique de la venlafaxine disposé et apte. En prenant ces mesures, Ratiopharm avait répondu à toutes les exigences pratiques qui lui permettraient de pénétrer le marché de la venlafaxine (version générique) en janvier 2006, si Wyeth n’avait pas inscrit le brevet 778 au moment où elle l’a fait.

[48] Ratiopharm s’est assurée de faire inspecter et homologuer l’installation d’Alembic par Santé Canada. En février 2005, Ratiopharm a produit sa PADN auprès de Santé Canada pour sa version générique de la venlafaxine [23] . Aucune objection n’a été soulevée quant à la production de la PADN en tant que pièce. Le 24 février 2005, Ratiopharm a reçu une lettre de Santé Canada qui accusait réception de la PADN [24] . Dans une lettre en date du 9 décembre 2005 envoyée par Santé Canada (la lettre de mise en suspens du brevet), Ratiopharm a été informée que l’examen de la PADN avait pris fin le 7 décembre 2005 et qu’un AC serait délivré une fois toutes les exigences prévues dans le RMBAC satisfaites [25] . Là encore, aucune objection n’a été soulevée quant à la production de ces lettres en tant que pièces. En prenant ces mesures et après avoir reçu l’approbation de Santé Canada, Ratiopharm avait répondu à toutes les exigences juridiques qui lui permettraient de pénétrer le marché de la venlafaxine (version générique) en janvier 2006, si Wyeth n’avait pas inscrit le brevet 778 au moment où elle l’a fait.

[49] Outre ce qui est indiqué ci-dessus, dans l’entente de licence et d’approvisionnement, Alembic s’est engagée à [traduction] « approvisionner exclusivement Ratiopharm […] pour répondre à tous ses besoins liés au produit » [26] . L’avocat de Wyeth a reconnu que cette entente est admissible afin de montrer l’intention des parties au moment où elle a été conclue [27] . Bref, elle prouve qu’Alembic était disposée à produire la version générique de la venlafaxine, ce qui touche à l’aspect « aurait » de l’analyse. Qui plus est, Alembic avait effectivement fabriqué des lots biologiques et un lot complet de la version générique de la venlafaxine avant janvier 2006. Il ne peut y avoir meilleure preuve de sa volonté à approvisionner Ratiopharm en venlafaxine (version générique) que le fait qu’elle a exactement agi de la sorte dans le monde réel.

[50] Vu la preuve susmentionnée, je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que Ratiopharm (par l’intermédiaire d’Alembic) aurait pénétré le marché de la venlafaxine (version générique) au début de la période pertinente, le 10 janvier 2006, n’eût été la conduite illégale de Wyeth. La même preuve soutient la conclusion selon laquelle elle serait demeurée sur le marché après l’avoir pénétré.

L’analyse de l’aspect « aurait pu »

[51] La majeure partie de la preuve admissible invoquée ci-dessus pour l’analyse de l’aspect « aurait » s’applique aussi à l’analyse de l’aspect « aurait pu ». Dans cette section, la question est de savoir si Ratiopharm (et Alembic, en tant que son fabricant et fournisseur) pouvait approvisionner le marché en venlafaxine (version générique) au cours de la période pertinente. Là encore, la quantité de venlafaxine (version générique) qu’elle pourrait fournir n’est pas prise en considération pour l’instant.

[52] En plus de s’être conformée à toutes les exigences réglementaires dans le monde hypothétique et de s’être assuré les services d’un fabricant et fournisseur pour sa version générique de la venlafaxine, Ratiopharm avait passé des commandes auprès d’Alembic afin que cette dernière fabrique le produit, ce qui la placerait en position d’entrer sur le marché en janvier 2006. M. Major a présenté des éléments de preuve incontestés selon lesquels Alembic avait fabriqué des « quantités » de la version générique de la venlafaxine aux fins [traduction] « du lancement proposé de janvier 2006 » [28] . Alembic avait fabriqué et entreposé des lots biologiques « vendables » de la version générique de la venlafaxine produite dans le cadre de la PADN, sans compter qu’elle possédait le lot initial à plus grande échelle qui avait été produit avant que Ratiopharm lui ordonne de suspendre la fabrication vu l’inscription probable du brevet 778 [29] . Selon les éléments de preuve incontestés qu’il a présentés, si Ratiopharm n’avait pas ordonné à Alembic de cesser la production, en janvier 2006, elle aurait possédé 6,6 millions de capsules en plus de lots biologiques, ce qui aurait porté son inventaire à [traduction] « probablement 7 millions de capsules environ » [30] .

[53] M. Major a témoigné qu’avec la quantité du produit qu’elle avait en main, telle que décrite ci-dessus, Ratiopharm aurait pu lancer son produit en janvier 2006 [31] . Même si le produit se trouvait en Inde, M. Major a témoigné que Ratiopharm aurait recouru au fret aérien pour transférer le produit au Canada, si elle avait été dans l’obligation de le faire pour lancer le produit au Canada en janvier 2006 [32] .

[54] Ces mêmes éléments de preuve permettent de répondre à la question visant à savoir si Alembic aurait pu fournir le produit à Ratiopharm afin de le lancer en janvier 2006. Elle avait effectivement fabriqué une certaine quantité du produit – des lots biologiques, un cycle de production complet et un IPA supplémentaire au moment où Ratiopharm l’a informé de suspendre la production. Ces éléments de preuve permettent de tirer une inférence raisonnable et logique selon laquelle Alembic se serait trouvée dans une position lui permettant de produire des quantités suffisantes du produit afin de permettre à Ratiopharm de commencer et de poursuivre la commercialisation de sa version générique de la venlafaxine n’eût été la fin de la production ordonnée par Ratiopharm en raison de la conduite fautive de Wyeth.

[55] La question est de savoir si Ratiopharm (et Alembic, en tant que son fabricant et fournisseur) pouvait approvisionner le marché en venlafaxine (version générique) au cours de la période pertinente est : oui, elle le pouvait. Selon des éléments de preuve admissibles, n’eût été la conduite de Wyeth, Ratiopharm aurait pu avoir une quantité suffisante du produit en main provenant d’Alembic pour lancer son produit. Aucun élément de preuve ne soutiendrait une supposition (et aucun n’a été produit à cet égard) selon laquelle à un moment donné pendant la période pertinente, Ratiopharm (par l’intermédiaire d’Alembic) aurait cessé d’offrir la version générique de la venlafaxine sur le marché.

[56] Ainsi, la deuxième partie du critère a été satisfaite selon la prépondérance des probabilités.

L’analyse relative à la part du marché

[57] Ayant conclu que Ratiopharm et Alembic auraient eu la capacité d’approvisionner le marché en venlafaxine au cours de la période pertinente et auraient pu le faire, la dernière question à aborder est la suivante : « dans un monde hypothétique Ratiopharm (Teva) aurait-elle eu accès ou pu avoir accès à une quantité suffisante de venlafaxine au moment pertinent [non souligné dans l’original] » [33] . Il s’agit essentiellement de déterminer à quel point Alembic avait la capacité de fournir à Ratiopharm sa version générique de la venlafaxine, puisque Ratiopharm aurait assurément été disposée à vendre autant que le marché en demandait. Au procès, il a été conclu que Ratiopharm aurait été le seul fabricant générique sur le marché du 10 janvier 2006 au 1er décembre 2006 et que par la suite, lorsque Novopharm aurait pénétré le marché générique, la part de Ratiopharm aurait été grugée au même rythme que la part de marché de Novopharm dans le monde réel éroderait celle du produit de Ratiopharm [34] .

[58] J’ai déjà conclu que les éléments de preuve établissent, selon la prépondérance des probabilités, que Ratiopharm (par l’intermédiaire d’Alembic) aurait eu et aurait pu avoir accès à une quantité suffisante de la version générique de la venlafaxine pour pénétrer le marché en janvier 2006. Aucun élément de preuve ne soutient l’affirmation selon laquelle n’eût été l’inscription du brevet 778, Alembic aurait cessé ou aurait pu cesser de produire la version générique de la venlafaxine pendant la période pertinente ou Ratiopharm aurait pu lui ordonner de le faire.

[59] Wyeth soutient, aux paragraphes 18 et 19 de sa plaidoirie écrite sur le nouvel examen, que la Cour doit trancher la question suivante :

[traduction] La seule question qu’il convient de trancher dans le cadre de ce nouvel examen est de savoir si Ratiopharm, par l’intermédiaire d’Alembic, aurait approvisionné et aurait pu approvisionner la totalité du marché canadien de la venlafaxine au cours de la période pertinente et si elle pouvait le faire.

Ce nouvel examen ne donne lieu qu’à deux issues possibles : i) la Cour peut conclure que Ratiopharm aurait approvisionné la totalité du marché de la venlafaxine au cours de la période pertinente et qu’elle aurait pu le faire; ou ii) la Cour peut conclure que Ratiopharm n’aurait pas approvisionné la totalité du marché de la venlafaxine au cours de la période pertinente ou qu’elle n’aurait pas pu le faire, de sorte que Teva n’a pas droit à des dommages-intérêts. Teva n’a pas plaidé ou cherché à établir aucun autre scénario.

[60] L’une des difficultés que pose cette observation est qu’il n’a jamais été conclu que Ratiopharm aurait approvisionné « la totalité du marché de la venlafaxine » ou qu’elle aurait pu le faire. Au paragraphe 11 de sa plaidoirie écrite, Wyeth indique que le marché global de la venlafaxine correspondait à 226 millions de capsules annuellement. Dans le monde hypothétique, toutefois, ce marché serait approvisionné à la fois par le produit novateur et par les produits génériques. Comme il a été indiqué plus tôt, la preuve produite par M. Major indique que l’on pouvait s’attendre à ce qu’un produit générique gruge 50 % de la part de marché du produit novateur d’ici la fin de sa première année sur le marché. Il a aussi été conclu que la part du marché générique de Ratiopharm dans le monde hypothétique était grugée par Novopharm lorsqu’elle aurait fait son entrée sur le marché, le 1er décembre 2006.

[61] Ce genre d’érosion est confirmé par la conclusion, au procès, selon laquelle même si le marché global de la venlafaxine au cours de la période pertinente de 18,5 mois correspondait à 361 506 200 capsules, les produits génériques ne représenteraient que 248 640 087 capsules, ou 68,78 % du marché global [35] .

[62] Le total des ventes de produits génériques au cours de la période pertinente de 18,5 mois s’élevait à 161 280 056 capsules annuellement. Ce chiffre annuel est trompeur, puisque Ratiopharm aurait dû accroître ses ventes au cours des douze premiers mois. Néanmoins, ce chiffre moyen, même s’il représente tout de même un nombre considérable de capsules, est de beaucoup inférieur aux 226 000 000 capsules annuellement auxquelles la défenderesse renvoie dans ses observations.

[63] La seconde difficulté que j’éprouve avec l’observation de Wyeth réside dans son affirmation selon laquelle ce nouvel examen sur la quantité de la version générique de la venlafaxine que Ratiopharm aurait fournie et aurait pu fournir au cours de la période pertinente est tout ou rien. Ratiopharm expose en tant qu’observation principale que l’ancien jugement doit être rétabli; toutefois, ce nouvel examen ne constitue pas nécessairement une affaire où s’applique la méthode du tout ou rien.

[64] Je suis d’accord avec les observations de Ratiopharm selon lesquelles si je devais conclure qu’il est impossible de tirer une inférence raisonnable et logique en fonction des éléments de preuve indiquant qu’elle aurait fourni ou aurait pu fournir la quantité indiquée dans la décision de première instance, il ne faut pas conclure à l’effet contraire qu’elle n’aurait pas fourni ou n’aurait pas pu fournir cette quantité. Cette inférence serait illogique, vu les éléments de preuve présentés à la Cour.

[65] Contrairement à de nombreux cas liés à l’article 8, où l’entreprise du produit générique n’a pas le produit fabriqué en sa possession, il a été reconnu en tant que fait en l’espèce que Ratiopharm disposait d’une quantité suffisante du produit afin de le lancer en janvier 2006. Qui plus est, les éléments de preuve nous indiquent que si Ratiopharm n’avait pas ordonné à Alembic de cesser de produire l’IPA et de convertir l’IPA existant en capsules, une quantité supplémentaire du produit aurait été produite et aurait pu être commercialisée.

[66] Ratiopharm soutient que si je ne parviens pas à conclure qu’elle aurait vendu et pu vendre les quantités, comme il a été conclu dans la décision de première instance, je devrais recourir à l’approche de l’axe élargi que le juge Hughes a appliqué dans Janssen Inc c Teva Canada Limitée, 2016 CF 593. J’aurais adopté cette approche s’il s’était avéré nécessaire de le faire; cela n’est toutefois pas le cas, parce que je conclus que Ratiopharm aurait approvisionné et aurait pu approvisionner le marché de la version générique de la venlafaxine selon les quantités indiquées dans la décision de première instance.

[67] Je tire cette conclusion en tant qu’inférence raisonnable et logique fondée sur les faits qui suivent, dont chacun sera abordé ci-dessous :

  1. L’engagement contractuel pris par Alembic afin de répondre à [traduction] « toutes les exigences de Ratiopharm » pour la version générique de la venlafaxine;
  2. La relation existante entre Ratiopharm et Alembic;
  3. La capacité d’encapsulage d’Alembic;
  4. La capacité excédentaire d’Alembic au cours de la période pertinente;
  5. Les mesures que Ratiopharm prendrait pour occuper le marché canadien global des médicaments génériques.

A. Le Contrat

[68] Dans l’entente de licence et d’approvisionnement, Alembic s’est engagée à approvisionner exclusivement Ratiopharm pour répondre [traduction] « à tous les besoins de Ratiopharm » liés à la version générique de la venlafaxine [non souligné dans l’original].

[69] Wyeth précise à juste titre que dans les [traduction] « prévisions préliminaires pour la venlafaxine » jointes à l’entente de licence et d’approvisionnement, on ne prévoyait que 8 862 000 capsules en 2006 et 18 627 000 capsules en 2007 – ce qui n’est en rien comparable aux 248 640 087 capsules requises pour approvisionner le marché global de la version générique de la venlafaxine, comme il a été conclu dans la décision de première instance. L’entente de licence et d’approvisionnement n’impose toutefois aucune limite à la quantité qu’Alembic produirait selon un nombre précis de capsules et elle prévoyait que Ratiopharm pourrait rajuster ses estimations et ses commandes en tout temps.

[70] Il était précisé, à l’article 4.1 que [traduction] « avant la date de lancement du produit, Ratiopharm présentera à Alembic une estimation écrite de la quantité du produit qu’elle souhaite se faire livrer (par mois) pour les douze (12) mois suivants ». L’article 4.2 stipulait que des commandes écrites fermes seraient présentées à Alembic, qui devait les traiter dans les 120 jours. Qui plus est, on trouve une preuve du doute entourant le fait qu’Alembic concluait un contrat afin de fournir des quantités suffisantes de la version générique de la venlafaxine afin de répondre à tout ce que le marché exigeait dans la déclaration des parties présentée à l’article 3.1 de l’entente de développement.

[traduction] Les parties négocieront de bonne foi et pourraient conclure une entente future dans le cadre de laquelle BioArc/Alembic fabriquera et vendra à Ratiopharm des quantités du PRODUIT requises pour répondre à la demande du marché canadien au moment de la délivrance d’un avis de conformité (AC) pour le produit par la [Direction des produits thérapeutiques de l’autorité de santé canadienne]; toutefois, Ratiopharm n’aura aucune obligation de le faire. [Non souligné dans l’original.]

[71] Ces dispositions contractuelles montrent l’intention de Ratiopharm et d’Alembic. Dans le monde hypothétique, sachant qu’il s’agissait du seul médicament générique sur le marché, il est raisonnable et logique de conclure qu’au milieu de l’année 2005, lorsqu’il a été su que Wyeth renouvellerait probablement son produit pharmaceutique à perpétuité, que Ratiopharm aurait augmenté à la fois son estimation et ses commandes de capsules de la version générique de la venlafaxine à produire aux fins de vente au cours de la période visée à un nombre atteignant presque les 248 640 087 capsules de la version générique de la venlafaxine.

[72] Dans le monde réel, Ratiopharm aurait eu connaissance de la probabilité que Wyeth renouvelle à perpétuité Effexor XR en mai 2005. Elle l’aurait également su en même temps dans le monde hypothétique. La différence, dont il est question au paragraphe 27 ci-dessus, réside dans le fait qu’elle aurait su, dans le monde hypothétique, que le brevet 778 ne l’empêcherait pas de pénétrer le marché, mais qu’il empêcherait d’autres de le faire. Ainsi, Ratiopharm aurait su à ce moment qu’elle serait très probablement le seul fabricant de médicaments génériques à pénétrer le marché en janvier 2006 et qu’elle avait huit mois pour revoir ses prévisions et ses commandes, tandis qu’Alembic avait huit mois pour fournir la quantité supplémentaire dont Ratiopharm aurait besoin au cours des premiers mois suivant son accès au marché. Dans le monde hypothétique, Ratiopharm aurait eu amplement le temps de rajuster ses commandes et Alembic aurait eu amplement le temps de fabriquer le produit.

[73] J’accepte que le fait que les parties aient conclu un contrat ne constitue pas en soi une preuve irréfutable que chacune d’elle se conformera entièrement à ses modalités. Des imprévus peuvent survenir à l’occasion et rendre l’exécution ou l’exécution complète impossible. Un incendie, une catastrophe naturelle, des interruptions de travail et des défaillances de la machinerie, par exemple, peuvent tous se produire et donner lieu à des manquements contractuels. Toutefois, comme la Cour suprême du Canada l’a fait remarquer, chacune des parties à un contrat commercial est en droit de supposer que l’autre partie est de bonne foi et qu’elle est en mesure d’honorer son engagement contractuel.

Les parties commerciales s’attendent raisonnablement dans leurs opérations contractuelles à un niveau minimal d’honnêteté et de bonne foi. Bien qu’elles n’entretiennent aucun lien de dépendance et ne soient pas assujetties à des obligations de nature fiduciaire, un niveau minimal de conduite honnête est nécessaire à la bonne conduite des affaires. L’augmentation du nombre des contrats relationnels à long terme fondés sur un élément de confiance et de coopération exige manifestement un apport d’honnêteté sur le plan de l’exécution, alors que même dans les échanges transactionnels, la tromperie et une conduite dolosive seraient contraires aux attentes des parties : voir Swan et Adamski, § 1.24 [36] .

[74] Je suis d’avis qu’en l’absence de preuve selon laquelle il était impossible d’exécuter une obligation contractuelle entièrement ou partiellement au moment pertinent ou qu’une partie a conclu le contrat de mauvaise foi, sans jamais avoir eu l’intention de respecter ses engagements, les parties sont en droit de supposer que toutes les obligations contractuelles seront exécutées.

[75] Il existe une présomption solide, quoique réfutable, selon laquelle les parties avaient l’intention de faire ce qu’elles ont exprimé dans un contrat. Les contrats sont conclus en vue d’être exécutés et les tribunaux devraient sous-entendre que les deux parties ont l’obligation de faire le nécessaire pour garantir l’exécution de l’entente qu’elles ont conclue. La Cour suprême du Canada a exposé ainsi ce principe dans Dynamic Transport Ltd c OK Detailing Ltd, [1978] 2 RCS 1072, aux pages 1083 et 1084 :

Ce genre d’affaires est seulement un cas d’application précise du principe général selon lequel [TRADUCTION] « le tribunal va volontiers présumer que chaque partie s’engage à faire tout le nécessaire pour assurer l’exécution du contrat » : 9 Hals. (4e éd.), à la p. 234, par. 350; voir également Chitty on Contracts, « General Principles », (23e éd.) à la p. 316, par. 698 : [TRADUCTION] « le tribunal va également supposer que chaque partie a l’obligation de faire de son côté tout le nécessaire pour assurer l’exécution du contrat. »

[76] Par conséquent, si le demandeur qui intente une action aux termes de l’article 8 peut renvoyer à une entente qu’il a conclue avec un tiers qui prévoit la fourniture du produit pharmaceutique en litige dans les qualités requises pour répondre aux besoins du marché dans le monde hypothétique, en l’absence d’éléments de preuve contraires, il faut conclure que le demandeur a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a subi une perte. En présence d’une telle entente, il incombe maintenant au défendeur de prouver que le contrat n’aurait pas été ou n’aurait pas pu être exécuté selon ses modalités.

[77] La capacité d’un tribunal à établir ce lien entre le contrat d’approvisionnement et la preuve selon laquelle le demandeur aurait eu et pu avoir des quantités suffisantes du produit pharmaceutique est plus facile et plus solide lorsqu’il existe, comme c’est le cas en l’espèce, des éléments de preuve de la capacité du fournisseur contractuel à exécuter le contrat et aucune preuve selon laquelle il a déjà fait défaut de respecter un engagement contractuel de produire des produits pharmaceutiques de la qualité et de la quantité prévues au contrat [37] .

B. La relation

[78] Dans la décision de première instance, on a abordé les éléments de preuve présentés par M. Major sur la relation entre Alembic et Ratiopharm. Au paragraphe 107 de la décision d’appel, la Cour d’appel fédérale a accepté que ces éléments de preuve fussent admissibles :

Dans la même veine, compte tenu de son poste, M. Major avait une connaissance de première main des relations générales entre Ratiopharm (Teva) et Alembic. Dans son témoignage, il a dit que cette relation était chaleureuse, qu’elle reposait depuis longtemps sur des liens de confiance [...] [Non souligné dans l’original.]

[79] M. Major a renvoyé à plusieurs reprises dans son témoignage à la relation entre Ratiopharm et Alembic en tant que son fournisseur d’IPA [38] , qu’il décrivait comme une relation de longue date et qu’Alembic était un fournisseur digne de confiance [39] . Leur relation de confiance devient pertinente lorsque l’on se penche sur ce qu’Alembic aurait fait et aurait pu faire pour Ratiopharm dans le monde hypothétique. Le fait que des parties qui entretiennent une relation étroite de longue date sont plus susceptibles de répondre aux besoins de l’autre que des parties dont la relation est plus récente ou plus distante constitue une inférence raisonnable et logique. En fait, comme il est indiqué ci-dessus, il n’existe aucune preuve selon laquelle Alembic a déjà manqué à son engagement contractuel de fournir le produit.

[80] La preuve de la nature de la relation et la confiance témoignée par Ratiopharm à Alembic est établie par le fait que Ratiopharm avait conclu un contrat avec Alembic afin de produire l’IPA et les capsules de venlafaxine. M. Major, qui possédait des connaissances de première main sur les fabricants de médicaments génériques, y compris Ratiopharm, a indiqué dans son témoignage qu’il n’était [traduction] « pas si habituel » de conclure un contrat avec un seul fournisseur externe pour faire les deux [40] . Dans les circonstances de l’espèce, il était encore plus inhabituel de procéder de la sorte, puisque, comme M. Major l’a affirmé dans son témoignage, alors qu’Alembic était reconnue comme un fabricant d’IPA, elle n’avait agrandi son installation que récemment afin de pouvoir aussi encapsuler le produit. En fait, lorsque Ratiopharm a songé pour la première fois à recourir aux services d’Alembic en tant que fournisseur, M. Major a indiqué dans son témoignage qu’elle était au courant à ce moment [traduction] « de ses intentions de se lancer dans la fabrication de formes dosifiées également » [non souligné dans l’original] [41] , en sous-entendant qu’elle ne s’était pas encore lancée dans la fabrication de formes dosifiées avant 2004 ou environ. Cela en dit beaucoup sur la confiance que Ratiopharm entretenait à l’égard d’Alembic : elle établissait un contrat avec une entreprise qui venait de se lancer dans l’encapsulage afin de lui fournir la version générique de la venlafaxine.

[81] Wyeth fait valoir que vu leur relation alléguée en particulier, la Cour aurait dû tirer une conclusion défavorable du fait que Ratiopharm n’avait pas appelé de témoins d’Alembic afin qu’ils témoignent au procès. Cette observation est abordée ci-dessous, dans la section suivante.

[82] Wyeth a prétendu que nous ignorons les contrats qu’Alembic avait conclus avec d’autres afin de fabriquer le produit au cours de la période pertinente et qu’il n’existe donc aucune preuve selon laquelle elle serait peut-être saturée. Je rejette la suggestion selon laquelle Alembic aura pu être saturée puisqu’il ne s’agit que d’une simple spéculation. Comme il en a été question dans la section précédente, je suis d’avis qu’il incombait à Wyeth de produire des éléments de preuve si elle voulait établir que c’était le cas. Qui plus est, comme il en sera question ci-dessous au moment d’aborder la capacité, il y a toutes les raisons de croire qu’elle n’était pas saturée parce qu’elle avait convenu avec Ratiopharm d’approvisionner le marché américain plus important après avoir établi un contrat avec cette dernière pour approvisionner le marché canadien. En agissant de bonne foi, elle n’aurait pas pu le faire si elle n’avait pas eu de marge de manœuvre pour approvisionner les deux marchés. Dans le monde hypothétique, lorsque Ratiopharm cherchait à offrir une quantité beaucoup plus importante de la version générique de la venlafaxine au Canada, Alembic n’aurait pas conclu l’entente en vue d’approvisionner le marché américain si elle mettait en péril l’approvisionnement aux termes d’un contrat existant.

[83] Quoi qu’il en soit, il est prouvé que Ratiopharm aurait dédommagé Alembic si elle devait annuler un contrat en vigueur afin de répondre aux besoins du marché canadien [42] . Vu leur relation, tout porte à croire qu’à moins de circonstances extraordinaires, Alembic aurait accepté une telle offre afin de répondre aux besoins de sa cliente de longue date et digne de confiance.

C. La capacité d’Alembic

[84] Dans son témoignage, M. Major a indiqué qu’Alembic avait [traduction] « construit une installation de production de formes dosifiées sur son campus spécialement conçue pour les marchés réglementés [soit] le Canada, les États-Unis et l’Union européenne et destinée à ces derniers » [43] . Il a décrit cette installation de nombreuses façons, y compris la suivante : [traduction] « Il s’agit d’une grande installation de fabrication à très grande échelle d’IPA et de formes dosifiées » [44] . « [L]eur capacité d’encapsuler était énorme [45] ; » et « Étant donné qu’il s’agissait au départ d’une installation de fabrication d’IPA, ils avaient une capacité immense en tonnage qui leur permettait de produire l’ingrédient pharmaceutique actif » [46] . Même si ces renseignements se fondent sur l’inspection qu’il a menée en 2004, rien dans le dossier ne permet de conclure que ce qu’il a vu en 2004 ne correspondait pas à la réalité au cours de la période pertinente. Vu l’absence d’une telle preuve, il est raisonnable et logique de conclure que la capacité de l’installation au cours de la période pertinente était telle que M. Major l’avait décrite en 2004.

[85] Dans le contexte du témoignage de M. Major sur la capacité d’Alembic de répondre aux besoins de Ratiopharm pour le marché américain, on a dirigé son attention vers un courriel en date du 7 avril 2006, déposé sous la cote P-3, à l’onglet 13, où il est question de la capacité de l’installation d’Alembic. La Cour d’appel fédérale a conclu que ce courriel constituait un ouï-dire et qu’il n’était donc pas admissible pour établir la véracité de son contenu. Lorsque ce courriel a été présenté à M. Major pendant son interrogatoire principal, voici l’échange qui est survenu [47] :

[TRADUCTION] Q Maintenant, les chiffres sur la capacité que vous voyez ici [un milliard de capsules annuellement] sont-ils conformes à votre compréhension de la capacité d’Alembic après avoir inspecté son installation?

R Oui, ils le seraient. [Non souligné dans l’original.]

[86] Il a fait une déclaration semblable en contre-interrogatoire, lorsqu’on lui a de nouveau présenté la pièce P-3, à l’onglet 13. Voici l’échange qui est survenu [48] :

[TRADUCTION] Q Ce n’était pas comme ça. Le contenu, vous ne pouvez certainement pas affirmer ici aujourd’hui que vous connaissiez le contenu précis de ce courriel avant le contexte du présent litige.

R J’étais au courant, que, dans le contenu, la FDA avait inspecté leur installation. Il s’agissait pour nous d’un élément clé de la poursuite de notre relation avec eux en tant que partenaire pour les États-Unis. Je savais qu’ils avaient une capacité considérable. Un milliard est un chiffre raisonnable selon mes souvenirs de ma visite de l’installation, qu’ils exploitaient à 40 % de sa capacité. C’est habituel et qu’ils…

Q. Bien, était-ce habituel ou le saviez-vous?

R. Qu’ils exploitaient l’installation à 40 %?

Q. Oui.

R. Le chiffre précis, peut-être pas, mais ce n’est pas inhabituel [...]

Q. Merci.

R. […] que l’installation n’était pas exploitée à 100 %.

Q. Ce n’est pas ce que j’ai demandé. Vous faites des déductions maintenant.

R. Vu notre expérience avec l’entreprise et notre propre expérience en tant que fabricants. [Non souligné dans l’original.]

[87] Même s’il a été conclu que ce document était inadmissible pour établir la véracité de son contenu, il n’est pas présenté à M. Major à cette fin dans le cadre de cet échange. Vu la question posée, le document a été présenté à M. Major pendant son interrogatoire principal en guise d’aide-mémoire ou de déclencheur, ce qui est acceptable, même si le document comme tel constitue un ouï-dire et qu’il est inadmissible. La Cour suprême du Canada, dans R c Fliss, 2002 CSC 16, au paragraphe 45, fait cette remarque :

Il n’y a pas de doute non plus que le policier avait le droit de se rafraîchir la mémoire par tous les moyens susceptibles de raviver son souvenir, que le stimulus en lui-même constitue ou non une preuve admissible. En effet, c’est le souvenir, et non le stimulus, qui est mis en preuve. Le stimulus peut être du ouï-dire, il peut être inexact en grande partie, il peut être le simple fait de revoir une personne qui était sur les lieux ou de réentendre une musique de fond. Si le souvenir du policier avait été stimulé par l’écoute de l’enregistrement de sa conversation avec l’accusé, même si cet enregistrement avait été fait sans autorisation valable, le souvenir du policier – et non l’enregistrement – serait admissible. [Non souligné dans l’original.]

[88] Vu que le témoignage original indiquait une capacité annuelle d’un milliard de capsules, l’avocat qui a mené le contre-interrogatoire était en droit d’explorer la mesure dans laquelle les déclarations de M. Major représentaient fidèlement son souvenir et son évaluation en 2004 et si elles dépendaient du document pour cette information. Cela n’a pas été fait.

[89] Dans la décision d’appel, la Cour d’appel fédérale a indiqué que la façon de faire ici était acceptable :

Teva soutient que M. Major pouvait utiliser les courriels et les documents pour se rafraîchir la mémoire. Je retiens l’idée que si M. Major avait un souvenir direct de sujets découlant des questions qu’on lui posait, il pouvait utiliser des courriels et des documents non authentifiés pour se rafraîchir la mémoire même si ces courriels et documents étaient eux-mêmes inadmissibles : R. c. Fliss, 2002 CSC 16, [2002] 1 R.C.S. 535, aux paragraphes 60 à 68. Par exemple, la feuille de calcul établissant les prévisions de marketing de Teva, préparée par des personnes autres que M. Major et un document non authentifié, n’est pas admissible par l’entremise de M. Major. Mais la connaissance qu’avait M. Major des attentes de Ratiopharm (Teva) en matière de commercialisation, si elle est directe, est un aspect dont M. Major peut témoigner, compte tenu de son rôle (voir les paragraphes 105 à 108, ci-dessus) et il avait tout le loisir de se rafraîchir la mémoire à l’aide de cette feuille de calcul. Par contre, pour ce qui est de la capacité de production d’Alembic, sa connaissance de première main se limitait à ce qu’il a vu lors de sa visite de l’usine de fabrication d’Alembic en 2004. [Non souligné dans l’original.] [49]

[90] De même, la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Eli Lilly and Company c Apotex Inc, 2010 CAF 240, aux paragraphes 10 et 11, a conclu que la preuve d’un témoin qui se fonde majoritairement sur des connaissances personnelles est admissible, même si le témoin s’appuie sur des notes de ouï-dire inadmissibles provenant d’autres pour se rafraîchir la mémoire sur certains détails techniques :

Lilly prétend que la juge a commis une erreur de droit en admettant le témoignage de M. Satpute, vice-président de la fabrication du principe actif de Lupin, et, au moment pertinent, directeur principal de la manufacture de Lupin en Inde où le 7-ACCA était fabriqué. Lilly prétend que le témoignage de M. Satpute sur le procédé utilisé pour fabriquer le produit intermédiaire constituait une preuve par ouï-dire inadmissible parce qu’il était fondé sur des renseignements qui lui avaient été donnés par des scientifiques à l’emploi de Lupin. La juge n’a pas abordé cette question dans ses motifs.

Nous ne sommes pas d’avis que la juge a commis une erreur en n’excluant pas le témoignage de M. Satpute en tant que ouï-dire. Son témoignage était largement fondé sur sa connaissance directe du procédé de fabrication utilisé pour produire le composé 7-ACCA dans le but de répondre à l’importante commande d’Apotex pour la fabrication de céfaclor en vrac. Le fait qu’il ait pu se fonder sur les notes de certaines autres personnes pour se rafraîchir la mémoire ou pour se rappeler certains détails techniques du procédé utilisé ne justifie pas qu’il faille qualifier son témoignage de ouï-dire. [Non souligné dans l’original.]

[91] Je suis d’avis que la preuve présentée par M. Major sur la capacité d’Alembic d’atteindre certains chiffres se fonde sur son observation de première main de ce qu’il a constaté pendant son inspection de l’installation. Il était versé dans les installations de fabrication de produits pharmaceutiques. Il avait déjà indiqué en termes généraux que la capacité d’Alembic était « énorme ». Selon la preuve qu’il a présentée, le chiffre d’un milliard est conforme à sa compréhension, après avoir vu l’installation, et conforme à sa preuve plus générale.

[92] Dans la décision de première instance, au paragraphe 156, j’ai retenu l’idée que la preuve de la capacité de produire un milliard de capsules d’Alembic était établie par les connaissances de première main de M. Major sur l’installation. Comme Ratiopharm l’a indiqué dans ses observations, cet élément n’a pas été renversé dans la décision d’appel. Qui plus est, la Cour d’appel fédérale, au paragraphe 109 de la décision d’appel, a conclu qu’une telle preuve était admissible et qu’elle pourrait constituer le fondement de la conclusion selon laquelle Alembic avait la capacité d’approvisionner entièrement Ratiopharm :

Dans son témoignage, M. Major ne pouvait pas donner d’éléments de preuve fondés sur une connaissance ou une observation directe, de première main, d’au moins un des éléments suivants : la capacité d’exploitation de l’usine d’Alembic pendant la période pertinente, la capacité réelle d’Alembic et sa volonté de rediriger ou d’ajouter de l’équipement au moment pertinent, et combien il aurait fallu de temps à Alembic pour produire au moment pertinent. Pourtant, il y a des éléments de preuve admissibles ou des éléments de preuve à l’égard desquels il n’y a pas eu d’objection au dossier qui pourraient vraisemblablement avoir une incidence sur les présentes affaires, notamment l’accord d’approvisionnement en venlafaxine, la production de venlafaxine par Alembic à d’autres périodes, les impressions, observations et conclusions de M. Major suite à sa visite de l’usine de fabrication d’Alembic. [Non souligné dans l’original.]

[93] Par conséquent, je conclus qu’il existe une preuve admissible à l’appui de la conclusion selon laquelle la capacité de production de l’installation d’Alembic au moment pertinent correspondait à environ un milliard de capsules annuellement. Selon ce chiffre, Alembic utiliserait environ 16 % de sa capacité afin de répondre aux besoins du marché générique de la venlafaxine au Canada au cours de la période pertinente dans le monde hypothétique.

[94] Wyeth fait valoir que la Cour aurait dû tirer une conclusion défavorable du fait que Ratiopharm n’avait pas appelé de témoin d’Alembic afin de témoigner au procès. Elle soutient que [traduction] « la Cour aurait dû conclure qu’un tel témoin n’aurait pas appuyé la position de [Ratiopharm] selon laquelle Alembic n’aurait pas fabriqué et n’aurait pas pu fabriquer des quantités suffisantes de venlafaxine afin d’approvisionner le marché global au cours de la période pertinente ».

[95] Il n’est pas justifié, selon moi, de tirer une inférence défavorable du genre. Il faut garder à l’esprit que si un témoin d’Alembic avait été appelé, il aurait présenté des éléments de preuve sur ce qu’auraient été les intentions d’Alembic dans un monde hypothétique. Nous savons toutefois quelles étaient ses intentions dans le monde réel – elle devait répondre à tous les besoins de Ratiopharm en ce qui a trait à la version générique de la venlafaxine. Elle avait les mêmes intentions dans le monde hypothétique parce que c’est ce qu’elle s’était engagée à fournir à Ratiopharm dans le contrat conclu entre elles. Par conséquent, il n’était pas nécessaire de produire cette preuve, comme il est indiqué ci-dessus; si Wyeth voulait présenter une preuve à l’effet contraire, c’est à elle qu’il incombait de le faire.

[96] Wyeth a fait valoir que, même si Alembic avait la capacité de fabriquer un milliard de doses, d’autres engagements contractuels auraient pu l’empêcher de répondre aux besoins de Ratiopharm. Vu l’absence d’éléments de preuve produits à l’appui de cette proposition, je rejette cet argument pour le motif qui suit.

[97] Dans le monde hypothétique, j’ai conclu que Ratiopharm, en mai 2005, aurait su qu’elle serait le seul fabricant générique sur le marché canadien lors du lancement de son produit, en janvier 2006. Elle aurait pris des mesures à ce moment ou très peu de temps après afin de revoir ses besoins en produit et ses commandes pour se trouver dans une position lui permettant d’avoir une quantité suffisante du produit pour répondre à ses besoins pendant la période pertinente. Alembic aurait eu environ six mois pour organiser son usine afin de répondre à ces demandes. L’article 4.1 de l’entente de licence et d’approvisionnement stipulait précisément que les estimations étaient destinées à [traduction] « permettre à Alembic de prévoir de façon provisoire l’utilisation de ses installations afin de répondre aux besoins estimés de Ratiopharm liés au produit ». Avec ce délai raisonnable et la capacité de planifier les activités de son usine et vu son obligation contractuelle de produire les quantités supplémentaires commandées par Ratiopharm, il est raisonnable et logique de conclure que d’autres engagements, s’il y en avait eu, n’auraient pas empêché Alembic de répondre aux besoins de Ratiopharm au cours de la période pertinente. C’est Wyeth qui avait le fardeau de produire des éléments de preuve à l’effet contraire.

D. La capacité excédentaire

[98] Je conclus que la preuve présentée par M. Major au paragraphe 86 ci-dessus, selon laquelle Alembic fonctionnait à 40 % de sa capacité, le fait qu’il ne possède aucune connaissance personnelle sur la capacité excédentaire d’Alembic en 2005-2006 n’a aucune valeur probante. Il a toutefois indiqué dans son témoignage qu’il n’est pas inhabituel pour les installations de fabrication de fonctionner à moins de 100 %. Il convient de donner un certain poids à cet élément de preuve vu son expérience et sa connaissance des fabricants de médicaments génériques. Il corrobore à tout le moins les inférences tirées ci-dessus, en plus d’être étayé par d’autres éléments de preuve selon lesquels Alembic avait la capacité en 2005-2006 de produire plus de capsules de la version générique de la venlafaxine que ce que Ratiopharm avait commandé au départ pour son marché canadien.

[99] Il est prouvé que le contrat en vue de produire la version générique de la venlafaxine de Ratiopharm était l’un des premiers, voire le premier, pour l’installation d’encapsulage d’Alembic. Le premier lot complet a été produit au moyen d’une seule machine et Alembic en possédait plusieurs. M. Major a indiqué ce qui suit en contre-interrogatoire :

[traduction] [N]ous fabriquions sur une seule machine, et il y en avait plusieurs, ce qui signifie qu’il est certain que la capacité d’Alembic serait entrée en jeu dans votre monde hypothétique si nous nous étions réveillés et avions découvert que nous étions seuls. Cela serait donc sans doute entré en jeu [50] .

[100] Je retiens l’idée qu’il n’existe aucune preuve selon laquelle d’autres parties auraient pu conclure un contrat pour la capacité d’Alembic avant et pendant la période pertinente; je précise toutefois aussi qu’il s’agissait d’une installation très récente et que la période au cours de laquelle Alembic aurait pu avoir établi des ententes avec d’autres était très courte.

[101] La preuve selon laquelle Alembic avait une capacité excédentaire à la fin de l’année 2005 et au début de l’année 2006 est solide. Il doit en être ainsi parce qu’Alembic a accepté d’accroître la fabrication de la version générique de la venlafaxine pour répondre aux besoins de Pharmascience sur le marché canadien après avoir conclu l’entente de licence et d’approvisionnement. Qui plus est, vu la preuve produite au procès, je conclus qu’elle avait également accepté d’approvisionner Ratiopharm pour le marché américain plus grand, ce qu’elle n’aurait pas pu faire de bonne foi si elle n’avait pas une capacité supplémentaire disponible.

[102] Je tire cette conclusion selon ce qui suit. M. Major, qui avait entre autres comme rôle [traduction] « la responsabilité directe de la fonction des affaires réglementaires pour le Canada et les États-Unis », aurait eu des connaissances de première main des plans pharmaceutiques de Ratiopharm aux États-Unis [51] . Il a confirmé que Ratiopharm avait demandé à Alembic si elle pouvait augmenter sa capacité :

[traduction]

Q. Peut-être pourrions-nous nous regrouper un peu, M. Major. Je vous ai demandé si Ratiopharm avait déjà demandé à Alembic si elle pouvait augmenter sa capacité et vous avez répondu qu’on lui avait demandé de soutenir un lancement aux États-Unis?

R. Oui, nous leur avions demandé de confirmer.

Q. Peut-être pourriez-vous nous faire une récapitulation de la situation à ce moment et de ce vous leur demandiez de faire?

R. Mmmm. Nous leur demandions s’ils étaient en mesure de nous approvisionner, s’ils avaient la capacité de répondre aux besoins du marché américain plus grand. Nous avions obtenu une licence pour la formulation de Karma pour le Canada et nous avions élargi nos licences afin d’inclure le territoire américain en nous servant du produit de Karma en tant que fondement à cette présentation abrégée de drogue nouvelle, que mon groupe a préparée et soumise. Nous avons donc soumis la PADN aux États-Unis. La question à se poser avant, bien entendu, est de vous assurer que la partie avec laquelle vous collaborerez pour entrer sur un marché aussi grand a la capacité de fabriquer les volumes dont vous aurez besoin et c’est vraiment de ce point dont ce questionnement découlait. [Non souligné dans l’original.] [52]

[103] Même si les réponses que M. Major a fournies par la suite, où il racontait les déclarations qui lui avaient été faites sur la capacité d’Alembic ont été déclarées des ouï-dire et inadmissibles pour la véracité de leur contenu, la preuve ci-dessus n’est pas un ouï-dire. On peut conclure de cette preuve que Ratiopharm cherchait à pénétrer le marché américain « élargi » et qu’elle avait approché Alembic afin de confirmer qu’elle avait la capacité de produire les volumes requis pour pénétrer ce marché. M. Major a indiqué dans son témoignage qu’il faut garantir une source de fourniture avant de soumettre une présentation abrégée de nouvelle drogue aux États-Unis. Selon la preuve qu’il a produite, Ratiopharm a soumis une PADN aux États-Unis et le fait qu’Alembic a confirmé qu’elle avait la capacité de produire les quantités requises de la version générique de la venlafaxine pour le marché élargi aux États-Unis en plus de sa production pour Ratiopharm et Pharmascience dans le marché canadien est la seule conclusion raisonnable et logique qu’il est possible de tirer à l’égard de cet élément de preuve.

[104] Dans le monde hypothétique, il est raisonnable et logique de conclure que la capacité excédentaire d’Alembic au cours de la période pertinente équivalait à tout le moins à la quantité de venlafaxine qu’elle s’était engagée à produire pour Ratiopharm pour son marché américain dans le monde réel. Même s’il n’y a aucune preuve de la quantité devant être produite pour le marché américain, ce marché est environ 10 fois plus élevé que la population du marché canadien. Si elle avait approvisionné et pu approvisionner le marché « élargi » aux États-Unis, il est donc raisonnable et logique de conclure qu’elle aurait répondu et aurait pu répondre aux besoins de Ratiopharm pour le marché générique, comme il l’a été conclu dans la décision de première instance.

E. Les mesures que Ratiopharm prendrait

[105] Cet élément a déjà été étudié. M. Major, qui a indiqué dans son témoignage ce que Ratiopharm aurait fait (elle aurait recouru au fret aérien, le cas échéant pour transférer le produit de l’Inde au Canada), en a fourni la preuve. Elle aurait aussi été disposée à dédommager Alembic pour toute perte qu’elle aurait pu subir si elle avait dû violer ou annuler d’autres contrats afin de répondre aux demandes de Ratiopharm. En outre, Ratiopharm aurait [traduction] « acheté des équipements, mis des équipements en service » afin d’éviter des goulots d’étranglement [53] .

[106] Il ne s’agit pas d’accommodements sans importance et ils illustrent à quel point Ratiopharm avait à cœur d’être le premier et le seul fabricant générique dans le marché. Ces accommodements forment aussi le fondement sur lequel il est raisonnable et logique de conclure que Ratiopharm, si elle avait dû le faire, aurait tout fait en son pouvoir pour se trouver dans une situation qui lui permettrait d’approvisionner entièrement le marché du générique canadien.

Conclusion

[107] Vu les éléments de preuve exposés ci-dessus et les inférences raisonnables et logiques tirées de ceux-ci, je conclus que Ratiopharm (par l’intermédiaire d’Alembic) aurait eu et aurait pu avoir des quantités suffisantes de la version générique de la venlafaxine afin d’approvisionner le marché du générique canadien au cours de la période pertinente, des quantités indiquées dans la décision de première instance.

[108] La défenderesse a versé à la demanderesse les sommes adjugées dans la décision et le jugement de première instance. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de rendre un autre jugement, sauf pour confirmer le jugement initial, et d’aborder les dépens afférents au procès et au nouvel examen en l’espèce. Par conséquent, je conclus qu’il convient de confirmer la décision rendue au procès.

Dépens

[109] La demanderesse a droit au remboursement de ses dépens afférents au procès (conformément à la décision de première instance et au jugement) et au nouvel examen. La défenderesse a le droit de faire annuler ses dépens raisonnables en raison de l’annulation de l’audience initiale dans le cadre du nouvel examen en l’espèce qui devait avoir lieu, après avoir consulté les parties, le 1er septembre 2016. Cette date a été annulée à très court préavis puisque Ratiopharm a présenté une demande devant la Cour suprême du Canada le 30 août 2016 afin d’avoir l’autorisation d’interjeter appel de la décision d’appel. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur les dépens afférents au nouvel examen en l’espèce, elles doivent en informer la Cour et déposer leurs observations écrites, qui ne devront pas dépasser dix pages, dans les 14 jours suivant le présent jugement.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1844-07

LA COUR confirme et rend de nouveau le jugement de la Cour dans la présente action en date du 3 avril 2014 (2014 CF 248) et du 30 juin 2014 (2014 CF 634); les dépens afférents au nouvel examen en l’espèce sont adjugés à la demanderesse, hormis les coûts raisonnables annulés, comme il a été indiqué dans les motifs, d’un montant déterminé par les parties ou la Cour, comme il a été établi dans les motifs.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 13e jour de juillet 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1844-07

 

INTITULÉ :

TEVA CANADA LIMITÉE c PFIZER CANADA INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 avril 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 26 mai 2017

 

COMPARUTIONS :

David Atiken

Marcus Klee

Devin Doyle

 

Pour la demanderesse

 

Peter Wilcox

Jason Markwell

Stephanie Anderson

Benjamin Reingold

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aitken Klee LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Belmore Neidrauer LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la défenderesse

 

 



[1] Particulièrement, il a été conclu que les pièces P-3 aux onglets 4 et 11 à 15 étaient inadmissibles pour la véracité de leur contenu.

[2] Transcription de l’interrogatoire principal de M. Major, vol. 2, page 5, lignes 5 à 18.

[3] Pièce P- 3, onglet 1.

[4] Transcription de l’interrogatoire principal de M. Major, vol. 2, page 9, lignes 5 à 8 et 11 à 14

[5] Pièce R-3, onglet 2.

[6] Pièce P- 4, onglet 23.

[7] Décision d’appel au paragraphe 108

[8] Pièce P- 3, onglet 3 et pièce D- 8, onglet 6.

[9] Transcription de l’interrogatoire principal de M. Major, vol. 2, page 15, lignes 15 à 28.

[10] Pièce R-3, onglet 5.

[11] Pièce P-1, onglet 4.

[12] Pièce R-3, onglet 6.

[13] Ratiopharm avait prévu un lancement en octobre 2007, selon son estimation selon laquelle la décision ne serait rendue qu’aux environs de cette date : Voir la transcription de l’interrogatoire principal de M. Major au procès, vol. 2, page 93, lignes 10 à 23 et la pièce P-3, onglet 26.

[14] Décision de première instance, aux paragraphes 81 et 88.

[15] On trouve une illustration du niveau d’érosion de la part du marché générique de Ratiopharm dans la preuve produite par M. Hollis. Sa pièce P-29, onglet 26, indique que dans le monde hypothétique, Ratiopharm détenait 100 % du marché générique au cours des mois ayant précédé l’arrivée de Novopharm; mais, en Ontario, par exemple, la part de Ratiopharm a baissé à 82,5 % à la fin de la période pertinente.

[16] Transcription de l’interrogatoire principal de M. Major, vol. 2, page 8, lignes 17 à 19.

[17] Transcription de l’interrogatoire principal de M. Major, vol. 2, page 24, lignes 5 à 8 et page 25, lignes 8 à 28.

[18] Transcription de l’interrogatoire principal de M. Major, vol. 2, page 29, lignes 14 à 16.

[19] Transcription de l’interrogatoire principal de M. Major, vol. 2, de la page 80, ligne 5 à la page 82, ligne 15.

[20] Demande d’autorisation d’interjeter appel rejetée, 2012 CanLii 22174 (CSC)

[21] John Henry Wigmore, Wigmore on Evidence, révisé par Peter Tillers (Toronto : Little, Brown and Company, 1983), § 18, à la page 790 et note de bas de page 1.

[22] Au paragraphe 106 de la décision d’appel, on a retenu l’idée que M. Major pouvait parler de ce que Ratiopharm aurait fait dans le monde hypothétique.

[23] Transcription de l’interrogatoire principal de M. Deneke, vol. 1, de la page 81, lignes 7 à la page 82, ligne 27.

[24] Pièce P-1, onglet 1.

[25] Pièce P-1, onglet 2.

[26] Pièce P- 3, onglet 3, article 3.1.

[27] Transcription de l’instance, 5 avril 2017, observations de Pfizer, de la page 79, ligne 3 à la page 80, ligne 15.

[28] Transcription de l’interrogatoire principal de M. Major, vol. 2, page 18, lignes 4 à 15.

[29] Transcription de l’interrogatoire principal de M. Major, vol. 2, de la page 45, ligne 9 à la page 46, ligne 26.

[30] Transcription de l’interrogatoire principal de M. Major, vol. 2, de la page 49, ligne 22 à la page 50, ligne 12.

[31] Transcription de l’interrogatoire principal de M. Major, vol. 2, page 50, lignes 13 à 17.

[32] Transcription du contre-interrogatoire de M. Major, vol. 2, page 130, lignes 11 à 18.

[33] Décision d’appel au paragraphe 164.

[34] Décision de première instance, au paragraphe 263 (4)(iv).

[35] Décision de première instance, au paragraphe 263.

[36] Bhasin c Hrynew, 2014 CSC 71, au paragraphe 60.

[37] Wyeth a dirigé l’attention de la Cour sur DRX Corporation v Alembic Limited, 2010 ONSC 3242, où Alembic avait été poursuivie pour défaut d’avoir versé au demandeur la somme d’environ 25 000 $ en commissions. Cette décision ne fait pas autorité pour la proposition audacieuse formulée par Wyeth au paragraphe 80 de ses observations écrites, selon laquelle [traduction] « Alembic a des antécédents de manquement à ses obligations contractuelles ». Qui plus est, cette observation n’avait rien à avoir avec le défaut d’Alembic d’honorer un contrat d’approvisionnement.

[38] Transcription de l’interrogatoire principal de M. Major, vol. 2, page 9, lignes 11 à 14.

[39] Transcription de l’interrogatoire principal de M. Major, vol. 2, page 26, lignes 9 à 18.

[40] Transcription de l’interrogatoire principal de M. Major, vol. 2, page 30, ligne 18, à la page 31, ligne 4.

[41] Transcription de l’interrogatoire principal de M. Major, vol. 2, page 9, lignes 11 à 14.

[42] Transcription du contre-interrogatoire de M. Major, vol. 2, de la page 149, ligne 15 à la page 150, ligne 19.

[43] Transcription de l’interrogatoire principal de M. Major, vol. 2, page 26, lignes 13 à 17.

[44] Transcription de l’interrogatoire principal de M. Major, vol. 2, page 28, lignes 7 à 8.

[45] Transcription de l’interrogatoire principal de M. Major, vol. 2, page 29, lignes 8 et 9.

[46] Transcription de l’interrogatoire principal de M. Major, vol. 2, page 30, lignes 3 à 6.

[47] Transcription de l’interrogatoire principal de M. Major, vol. 2, page 45, lignes 4 à 8.

[48] Transcription du contre-interrogatoire de M. Major, vol. 3, de la page 8, ligne 12 à la page 9, ligne 7.

[49] Décision d’appel au paragraphe 112. Selon mon interprétation, la dernière phrase de cet extrait ne signifie pas que M. Major ne peut pas se servir de documents inadmissibles pour se rafraîchir la mémoire quant à sa perception de la capacité de l’installation d’Alembic, puisque cela serait incohérent avec la déclaration immédiatement précédente de la Cour d’appel fédérale.

[50] Transcription du contre-interrogatoire de M. Major, vol. 2, page 144, lignes 12 à 17.

[51] Transcription de l’interrogatoire principal de M. Major, vol. 2, page 4, lignes 2 à 4.

[52] Transcription de l’interrogatoire principal de M. Major, vol. 2, page 41, lignes 4 à 23.

[53] Décision de première instance, au paragraphe 152, et voir la décision d’appel au paragraphe 125.

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