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Date : 20170427


Dossier : IMM-3848-16

Référence : 2017 CF 410

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 avril 2017

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

DIDIER MAURICIO VALDEBLANQUEZ ORTIZ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), concernant une décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, datée du 17 août 2016 (la décision), par laquelle la Section d’appel des réfugiés a rejeté l’appel interjeté par le demandeur à l’encontre de la décision défavorable de la Section de la protection des réfugiés (SPR), et a conclu que le demandeur n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention aux termes de l’article 96 de la LIPR, ni celle de personne à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR.

II.  RÉSUMÉ DES FAITS

[2]  Le demandeur est un citoyen de la Colombie qui est entré au Canada le 2 juin 2014 et a demandé l’asile le 28 juin 2014, au motif qu’il craignait d’être persécuté par les guérillas des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC).

1)  Allégations

[3]   Le demandeur affirme que le 9 août 2010, il a ouvert une pharmacie, la Drogueria Humanitaria Cristo (DHC), au CRA 30 Sur No 52 25, à Bogota, et qu’il employait son cousin. Le 6 octobre 2012, le demandeur a commencé à recevoir des demandes pour d’importantes quantités de produits pharmaceutiques de la part des FARC. Ensuite, le 15 octobre 2012, son cousin et lui ont été battus par les FARC après avoir refusé de fournir les produits, agressions qu’ils ont signalées à la police.

[4]  Après cet incident, le demandeur a décidé de vendre la DHC. Le 12 novembre 2012, il a ouvert une nouvelle pharmacie, la Drogueria Drocefan no 2 (DD2), au Carrera 92, no 129A 09, également à Bogota, à environ une heure et demie en voiture de la DHC. Toutefois, les menaces des FARC ont continué : le demandeur a reçu des appels de menaces; la DD2 a été vandalisée avec des graffitis pro-FARC en décembre 2012; le demandeur a été enlevé et battu le 17 avril 2013, lors d’un incident qui a nécessité un traitement chirurgical. Le demandeur a signalé l’enlèvement et l’agression à la police et a déménagé dans un autre secteur de Bogota, mais les FARC ont communiqué de nouveau avec lui le 26 mai 2013. Le demandeur a fermé la DD2 et a déménagé à La Guajira, qui se trouve à 19 heures de Bogota.

[5]  Toutefois, le 22 juillet 2013, le demandeur a décidé de retourner à Bogota pour visiter sa conjointe de fait, Mayori Umana Rodriguez, et son cousin. Durant cette visite, le cousin du demandeur a été tué d’un coup de feu. Cinq jours plus tard, le demandeur a reçu une note de menaces des FARC.

[6]  Le demandeur a quitté Bogota le 1er août 2013 pour Bucaramanga, qui est à 12 heures de Bogota. Il est retourné à Bogota le 20 janvier 2014 pour demander un visa pour les États-Unis et il a séjourné chez un ami à Engativa. Le 17 mai 2014, il est parti aux États-Unis. Il est ensuite entré au Canada par un passage frontalier illégal le 2 juin 2014.

2)  Décision de la Section de la protection des réfugiés

[7]  La demande d’asile du demandeur et de son épouse a été entendue le 24 octobre 2014. La Section de la protection des réfugiés a rejeté leur demande le 5 novembre 2014, concluant qu’ils n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ou des personnes à protéger.

[8]  Le demandeur a interjeté appel de la décision de la Section de la protection des réfugiés devant la Section d’appel des réfugiés, faisant valoir que la décision contenait des erreurs concernant les conclusions quant à la crédibilité.

III.  DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[9]  La décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés et a rejeté l’appel du demandeur lui a été communiquée par la Section d’appel des réfugiés le 17 août 2016.

[10]  La Section d’appel des réfugiés a commencé son analyse par un examen du rôle de la Section d’appel des réfugiés, confirmant qu’elle fera preuve de déférence lorsqu’il s’agira des conclusions quant à la crédibilité tirées par la Section de la protection des réfugiés si cette dernière se trouvait dans une position avantageuse pour ce faire, dans la mesure où ces conclusions découlent d’un processus de raisonnement intelligible. La Section d’appel des réfugiés a également conclu que la norme de contrôle applicable était celle de la décision correcte et qu’elle effectuerait, en plus de l’examen de la décision de la Section de la protection des réfugiés, sa propre analyse concernant la question de savoir si le demandeur était un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger.

[11]  La principale question en litige concerne la conclusion de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle un document délivré par la chambre de commerce de Bogota (premier document de la CCB) en lien avec la DHC indiquait que le demandeur était propriétaire de la pharmacie le 15 mai 2014, ce qui contredit son témoignage selon lequel il a vendu la DHC en novembre 2012 pour échapper aux FARC. La Section de la protection des réfugiés avait estimé que les explications offertes relativement à cette incohérence n’étaient pas crédibles.

[12]  La Section d’appel des réfugiés a conclu que le premier document de la CCB était un certificat d’adhésion qui indiquait clairement que la DHC avait été inscrite en mai 2014 et qu’elle était la propriété du demandeur, lequel a été identifié grâce à son numéro d’identité national unique. Par conséquent, la Section d’appel des réfugiés a dit souscrire à la conclusion de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle le document était la preuve que la DHC appartenait au demandeur en mai 2014, deux ans après qu’il s’en serait départi, selon son témoignage.

[13]  La Section d’appel des réfugiés a ensuite examiné un deuxième document, également de la chambre de commerce de Bogota (le deuxième document de la CCB), un certificat d’adhésion qui indiquait que la DHC appartenait à une autre personne que le demandeur le 12 septembre 2014. Toutefois, la Section d’appel des réfugiés a conclu que ce document ne prouvait pas que le demandeur n’était pas le propriétaire en mai 2014.

[14]  En conséquence, la Section d’appel des réfugiés a conclu que tout le fondement de la demande d’asile du demandeur avait disparu. Les éléments de preuve indiquaient qu’il était propriétaire de la DHC en mai 2014, contrairement à ses affirmations selon lesquelles il l’avait vendue en novembre 2012 pour échapper à la tentative d’extorsion des FARC. La Section d’appel des réfugiés a donc conclu que le récit de l’appelant selon lequel il était pourchassé par les FARC n’était pas crédible.

[15]  La Section d’appel des réfugiés a ensuite examiné les préoccupations de la Section de la protection des réfugiés relatives à la crédibilité liées au défaut du demandeur de fournir des documents justificatifs pour prouver l’existence de la DD2. En raison de la conclusion précédente selon laquelle la DHC n’avait pas été vendue en 2012 et de l’absence d’éléments de preuve appuyant l’existence de la DD2, la Section d’appel des réfugiés a également conclu que cet aspect du récit du demandeur n’était pas crédible.

[16]  Ensuite, la Section d’appel des réfugiés a traité de l’absence d’éléments de preuve concernant les actes de vandalisme commis par les FARC à la DHC. La Section d’appel des réfugiés a estimé qu’il n’était pas raisonnable que le demandeur n’ait pris aucune photographie, pour le rapport de police ou son assureur. Par conséquent, la Section d’appel des réfugiés a également conclu que cet aspect du récit du demandeur n’était pas crédible.

[17]  À l’audience devant la Section de la protection des réfugiés, le demandeur a indiqué dans son témoignage qu’il était retourné à Bogota malgré les menaces des FARC parce qu’il souhaitait ardemment voir sa conjointe et son cousin. À Bogota, il a séjourné chez ses beaux-parents et sa conjointe. La Section d’appel des réfugiés, en accord avec la Section de la protection des réfugiés, a conclu que cette explication n’était pas crédible, plus précisément puisque le demandeur aurait pu demander à son cousin et à sa conjointe de lui rendre visite plutôt que de retourner dans le secteur où il se sentait menacé.

[18]  Par conséquent, après avoir écouté l’enregistrement audio de l’audience devant la Section de la protection des réfugiés et avoir examiné les documents au dossier, la Section d’appel des réfugiés a conclu que la Section de la protection des réfugiés n’avait pas commis d’erreur en tirant ses conclusions défavorables quant à la crédibilité de l’appelant, qu’elle n’avait pas omis de tenir compte de la preuve et qu’elle n’avait pas interprété cette dernière de façon erronée au moment de tirer ses conclusions quant à la crédibilité. La Section d’appel des réfugiés a rejeté l’appel conformément au paragraphe 111(1) de la LIPR.

IV.  QUESTIONS EN LITIGE

[19]  Le demandeur soutient que les questions suivantes sont en litige dans la présente demande :

  1. Est-ce que la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur en confirmant les conclusions défavorables de la Section de la protection des réfugiés en matière de crédibilité?

  2. Est-ce que la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur en confirmant les conclusions défavorables de la Section de la protection des réfugiés quant à la crédibilité sans tirer de conclusion concernant les documents corroborants du demandeur?

V.  NORME DE CONTRÔLE

[20]  Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de procéder à une analyse de la norme de contrôle. En effet, si la jurisprudence établit de manière satisfaisante la norme de contrôle applicable à une question particulière portée devant la cour de révision, celle­ci peut adopter cette norme. C’est uniquement lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble incompatible avec l’évolution récente des principes de common law en matière de contrôle judiciaire que la cour de révision doit soupeser les quatre facteurs de l’analyse de la norme de contrôle (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48).

[21]  Les décisions de la Section d’appel des réfugiés dans le contexte des conclusions de la Section de la protection des réfugiés sur la crédibilité sont susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable : Wahjudi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 279, au paragraphe 6.

[22]  Lorsqu’une décision est examinée selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse s’attache à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour devrait se garder d’intervenir si la décision contestée n’est pas déraisonnable, c’est-à-dire si elle appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.  DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[23]  Les dispositions suivantes de la LIPR sont applicables en l’espèce :

Définition de réfugié

Convention refugee

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention -- le réfugié -- la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection

[…]

[…]

Décision

Decision

111 (1) La Section d’appel des réfugiés confirme la décision attaquée, casse la décision et y substitue la décision qui aurait dû être rendue ou renvoie, conformément à ses instructions, l’affaire à la Section de la protection des

réfugiés.

111 (1) After considering the appeal, the Refugee Appeal Division shall make one of the following decisions:

confirm the determination of the Refugee Protection Division;

(b) set aside the determination and substitute a determination that, in its opinion, should have been made; or

(c) refer the matter to the Refugee Protection Division for re-determination, giving the directions to the Refugee Protection Division that it considers appropriate.

VII.  THÈSES DES PARTIES

A.  Thèse du demandeur

1)  Documents de la chambre de commerce de Bogota

[24]  Le demandeur soutient que la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur de fait lorsqu’elle a conclu que le premier document de la CCB « indique manifestement » que le demandeur était toujours le propriétaire de la DHC le 14 mai 2014. Les documents de la CCB ne sont pas des documents de propriété ni des permis d’exploitation; ce sont des certificats d’adhésion à la CCB. Le premier document de la CCB a été délivré le 15 mai 2014, au moment où le demandeur était déjà au Canada, à la demande de son épouse. Au moment du transfert d’une entreprise, le nouveau propriétaire doit modifier ou mettre à jour le dossier de la chambre de commerce. À la suite de la demande présentée par son épouse le 15 mai 2014, le père du demandeur a communiqué avec le nouveau propriétaire et a pris des dispositions pour que le certificat d’adhésion soit mis à jour, modification qui apparaît dans le deuxième document de la CCB. Le demandeur et son épouse ont expliqué qu’un document de la CCB n’indique pas qui est propriétaire d’une entreprise. Toutefois, la Section d’appel des réfugiés a mal compris l’objet et l’importance de cet élément de preuve, ce qui rend déraisonnable sa conclusion concernant la propriété de la DHC, en date de mai 2014.

2)  Absence d’éléments de preuve corroborants

[25]  Le demandeur conteste également la conclusion défavorable de la Section de la protection des réfugiés attribuable à l’absence de documents concernant la DD2. Le demandeur a expliqué qu’il existait des documents pour la DHC parce que la pharmacie a été vendue plutôt que fermée; cependant, comme la DD2 a simplement été fermée, aucun document n’était disponible. La Section d’appel des réfugiés n’a pas tenu compte de l’explication du demandeur et a plutôt tiré une inférence défavorable.

[26]  De plus, la Section d’appel des réfugiés a tiré une conclusion défavorable de l’absence de photographies illustrant le vandalisme à la DD2.

[27]  Le demandeur soutient que les conclusions défavorables de la Section d’appel des réfugiés fondées sur l’absence de documents justificatifs concernant la DD2 sont déraisonnables. Le fait de ne pas produire de documents justificatifs ne peut avoir un effet négatif sur la crédibilité d’un demandeur en l’absence d’éléments de preuve qui contredisent son témoignage : Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1989] ACF no 444 [Attakora]; Ahortor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1993] ACF no 705 [Ahortor].

3)  Retour à Bogota

[28]  Le demandeur soutient également que la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable quant à la crainte subjective du demandeur en raison de son retour à Bogota pour voir son épouse et son cousin. Dans un témoignage émotif, le demandeur a déclaré qu’il n’a pas pensé aux conséquences parce qu’il n’avait pas vu son épouse depuis tellement longtemps. Une conclusion d’invraisemblance fondée sur des critères extrinsèques, tels que le raisonnement, le sens commun et la connaissance d’office, ne peut être retenue : Giron c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 481 [Giron]. La Section d’appel des réfugiés a donc commis une erreur lorsqu’elle a fondé sa conclusion défavorable sur la vraisemblance sur le raisonnement sous-tendant le comportement du demandeur.

4)  Les documents corroborants

[29]  Le demandeur affirme que la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur lorsqu’elle a omis de traiter des documents corroborants du demandeur, et quand elle a souscrit aux conclusions de la Section de la protection des réfugiés quant à la crédibilité. Les documents corroborants incluent des rapports médicaux conformes au témoignage du demandeur au sujet des blessures qu’il a subies, le certificat de décès de son cousin et les rapports déposés auprès de la police et du procureur général. L’épouse du demandeur a également présenté des rapports médicaux et des rapports de police qui corroborent l’agression dont elle a été victime.

[30]  La Section de la protection des réfugiés n’a accordé aucune valeur probante aux documents corroborants parce qu’elle ne croyait pas les témoignages du demandeur et de son épouse. Aucune analyse ni élément de preuve n’indiquait que les documents n’étaient pas authentiques. Le rejet d’un document officiel, en l’absence d’un élément de preuve tendant à démontrer son invalidité, représente une grave erreur de la part de la Section de la protection des réfugiés, que la Section d’appel des réfugiés a omis d’aborder de manière adéquate : Halili c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 999, au paragraphe 6. En outre, dans sa propre évaluation, la Section d’appel des réfugiés n’aurait pas dû rejeter les éléments de preuve corroborants en se fondant uniquement sur une conclusion défavorable quant à la crédibilité : Nkonka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (13 janvier 2016), Toronto, IMM-2416-15 (CF) [Nkonka], aux paragraphes 7 et 8.

[31]  Le fait que la Section d’appel des réfugiés a omis de tenir compte de l’évaluation psychologique de l’épouse du demandeur constitue également une erreur. La Section de la protection des réfugiés n’a accordé aucun poids à l’évaluation parce qu’elle ne croyait pas que les symptômes étaient attribuables aux incidents allégués, puisqu’elle ne l’a pas jugée crédible. Cela était déraisonnable. Selon l’opinion professionnelle du psychologue, il aurait fallu tenir compte de ses symptômes, qui comprenaient un trouble de stress post-traumatique, de l’anxiété et des symptômes de dépression, qui découlaient du traumatisme important qu’elle avait subi et de la terreur qu’elle éprouvait à retourner en Colombie. Notre Cour a conclu que faire simplement référence à des rapports médicaux n’est pas suffisant pour une analyse, en particulier lorsque le rapport traite de la capacité de témoigner d’un demandeur d’asile et que le tribunal formule par la suite des conclusions défavorables sur la crédibilité : Dink c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 334, aux paragraphes 28 à 30; Rudaragi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 911, aux paragraphes 6 et 7; Min c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1676, aux paragraphes 5, 6 et 9; Villarreal Zempoalte c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 263, aux paragraphes 16 et 17. La Cour a également conclu qu’un tribunal est arbitraire s’il rejette un avis professionnel au motif qu’il est convaincu que l’avis n’est pas motivé et qu’il est contraire à son propre avis sur l’état mental d’un demandeur : Tesema c Canada (Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1417 [Tesema], aux paragraphes 3 à 6. Par conséquent, le demandeur fait valoir que le fait que la SAR ait souscrit à la conclusion de la Section de la protection des réfugiés en ce qui concerne l’évaluation psychologique est une erreur.

5)  Effet cumulatif

[32]  Le demandeur soutient que si les erreurs susmentionnées ne constituent pas des erreurs de droit en soi, l’effet cumulatif des erreurs équivaut à une erreur de droit : Molina c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1975] ACF no 807.

B.  Thèse du défendeur

[33]  Le défendeur soutient que la décision est raisonnable. Il incombait au demandeur de fournir des éléments de preuve crédibles pour appuyer ses affirmations, et il était loisible à la Section d’appel des réfugiés de conclure que son récit n’était pas crédible à la lumière de la preuve documentaire. La décision est également raisonnable étant donné l’absence d’éléments de preuve corroborants qui auraient dû être disponibles pour appuyer les affirmations du demandeur.

1)  Élément de preuve concernant la DHC

[34]  Le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour la Section d’appel des réfugiés de confirmer la conclusion de la Section de la protection des réfugiés, selon laquelle le premier document de la CCB établissait que le demandeur n’avait pas vendu sa pharmacie en 2012, mais qu’il avait renouvelé l’inscription de la DHC le 15 mai 2014 et qu’il était désigné comme le propriétaire. Il s’agit d’une évaluation raisonnable, étant donné que le certificat indique trois choses : la DHC est un membre inscrit de la chambre de commerce; l’adhésion a été renouvelée le 15 mai 2014; le demandeur est désigné comme le propriétaire et identifié à l’aide de son numéro unique d’identité de citoyen national.

[35]  L’explication du demandeur selon laquelle le premier document de la CCB n’est pas un document de propriété, et que la date indiquée est la date à laquelle la demande a été présentée, ne repose sur aucun fondement. Le premier document de la CCB indique clairement un « propriétaire », c’est-à-dire le demandeur. Rien n’établit qu’un nouveau propriétaire doit mettre à jour l’inscription. De plus, le premier document de la CCB indique que le 15 mai 2014 était la date du renouvellement de l’inscription et non la date de la demande. Par conséquent, il était loisible à la Section d’appel des réfugiés de conclure que le demandeur n’avait pas vendu la DHC en novembre 2012.

[36]  En ce qui concerne le deuxième document de la CCB, le défendeur fait valoir que cet élément de preuve n’établit pas que Jose Miguel Jaramillo, le propriétaire mentionné dans le document, était propriétaire de la DHC en novembre 2012. Il montre plutôt que l’inscription de la DHC a été renouvelée, pour un nouveau propriétaire, M. Jaramillo. Cette conclusion n’est pas erronée.

[37]  La Section d’appel des réfugiés a conclu que les documents de la CCB contredisaient les affirmations du demandeur, selon lesquelles il n’était pas le propriétaire de la DHC en mai 2014, l’ayant vendue en novembre 2012 pour échapper aux menaces d’extorsion des FARC. Il s’agissait d’un aspect essentiel des allégations du demandeur.

[38]  De plus, le défendeur affirme que la Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés ont souligné que les documents étaient des certificats d’inscription de la DHC auprès de la chambre de commerce, et non des permis d’exploitation. Les certificats indiquent clairement que la DHC appartenait au demandeur en mai 2014, contrairement à ses prétentions selon lesquelles il l’a vendue en mai 2012. D’après cet élément de preuve, il était loisible à la Section d’appel des réfugiés de conclure que la Section de la protection des réfugiés n’avait pas commis d’erreur quand elle a conclu que les éléments de preuve montraient que le demandeur était le propriétaire de la DHC en mai 2014. Compte tenu de cette conclusion, il était également raisonnable pour la Section d’appel des réfugiés de conclure que le demandeur n’était pas crédible et qu’il n’avait pas été menacé par les FARC.

2)  Élément de preuve concernant la DD2

[39]  Le défendeur prétend que la Section d’appel des réfugiés s’est questionnée de façon raisonnable sur l’absence de documents corroborants appuyant l’idée que le demandeur était propriétaire de la DD2, étant donné que de tels documents étaient disponibles pour la DHC. Il était raisonnable que la Section d’appel des réfugiés s’attende à voir des documents pour établir l’existence de la DD2, peu importe si elle avait été fermée ou vendue. Comme le demandeur a omis de fournir des éléments de preuve concernant la DD2, il était raisonnable pour la Section d’appel des réfugiés de juger que cet aspect de son récit n’était pas crédible.

[40]  La Section d’appel des réfugiés a également souligné que le demandeur avait omis de fournir des photographies des graffitis peints sur les murs de la DD2 pour appuyer ses allégations selon lesquelles les FARC le pourchassaient. Il était raisonnable pour la Section d’appel des réfugiés de s’attendre à ce que le demandeur, un homme d’affaires instruit, ait besoin de photographies des actes de vandalisme pour les rapports de police et son assureur. L’absence complète d’éléments de preuve en ce qui concerne la DD2 constitue un motif raisonnable permettant à la Section d’appel des réfugiés de souscrire à la conclusion de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle le récit du demandeur n’était pas crédible à cet égard.

[41]  Notre Cour a conclu que la recherche d’une preuve corroborante relève du bon sens : Ortiz Juarez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 288, au paragraphe 7; Sinkili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1413, au paragraphe 11. Elle a également conclu qu’il est raisonnable pour un décideur d’exiger une preuve corroborante dans les situations où il est raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur puisse avoir accès à cette preuve : Wokwera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 132; Haji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 889. Étant donné que la Section d’appel des réfugiés a jugé que le demandeur manquait totalement de crédibilité et qu’elle pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’il ait accès à des éléments de preuve corroborants, il n’était pas déraisonnable pour elle d’exiger ces éléments de preuve ou de tirer une inférence défavorable de cette absence. Par conséquent, il était loisible à la Section d’appel des réfugiés de confirmer la décision de la Section de la protection des réfugiés à cet égard.

3)  Retour à Bogota

[42]  Le défendeur soutient également que la preuve relative au retour du demandeur à Bogota n’était pas crédible, compte tenu de la persécution alléguée. Le rejet par la Section d’appel des réfugiés de l’explication du demandeur quant à la raison pour laquelle son cousin et son épouse ne pouvaient pas lui rendre visite, parce que son épouse travaillait, était raisonnable. Le demandeur a indiqué dans son témoignage qu’il était retourné dans le quartier même qu’il avait fui pour voir son cousin, malgré qu’il craignait pour sa vie. Le défendeur fait valoir que la Section d’appel des réfugiés était en droit de conclure que cette explication n’était pas vraisemblable. La Section d’appel des réfugiés peut tirer des conclusions fondées sur l’absence de vraisemblance, de sens commun et de raisonnement, et elle peut rejeter la preuve si elle est incompatible avec les probabilités de l’affaire dans son ensemble : Zhai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 452, au paragraphe 14.

4)  Prise en considération des autres éléments de preuve

[43]  Le défendeur soutient que la Section d’appel des réfugiés a examiné l’ensemble de la preuve, y compris les enregistrements audio des audiences, la preuve divulguée ainsi que les conclusions, les motifs et la décision de la Section de la protection des réfugiés. Le fondement sur lequel s’est appuyée la Section d’appel des réfugiés pour souscrire à la décision de la Section de la protection des réfugiés était que le demandeur n’avait pas vendu la DHC en 2012 et qu’il en était resté propriétaire jusqu’au moins en mai 2014, que le demandeur n’avait pas ouvert la DD2, et que les FARC n’avaient pas vandalisé la DD2. Selon ces conclusions, la Section d’appel des réfugiés a ensuite formulé des conclusions sur la crédibilité : les affirmations du demandeur selon lesquelles il était pourchassé par les FARC n’étaient pas crédibles; les affirmations du demandeur selon lesquelles il a été forcé de vendre sa pharmacie et d’en ouvrir une nouvelle à la suite des menaces des FARC n’étaient pas crédibles; les affirmations du demandeur selon lesquelles les FARC ont continué de le pourchasser en vandalisant la DD2 n’étaient pas crédibles; et les affirmations du demandeur selon lesquelles il est retourné à Bogota malgré qu’il était pourchassé par les FARC alors qu’il aurait pu demander à son épouse et à son cousin de lui rendre visite n’étaient pas crédibles.

[44]  En résumé, la Section d’appel des réfugiés a confirmé la conclusion de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle le demandeur n’était pas crédible et qu’il n’était pas pourchassé par les FARC, conclusion qui était raisonnable et qui a scellé le sort de la revendication du demandeur. Les autres documents étaient secondaires à la question déterminante, soit celle de savoir si les FARC pourchassaient le demandeur. Étant donné que le demandeur n’était pas crédible, il était raisonnable pour la Section d’appel des réfugiés de souscrire à la conclusion de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle il n’était pas ciblé par les FARC. La Section d’appel des réfugiés a donc examiné raisonnablement la preuve dans la mesure nécessaire pour traiter les arguments du demandeur tout en faisant preuve de retenue à l’égard des conclusions de fait de la Section de la protection des réfugiés en ce qui concerne le témoignage de vive voix du demandeur. Par conséquent, il n’y a pas d’erreur.

VIII.  DISCUSSION

A.  Les documents relatifs à la pharmacie

[45]  Le demandeur soutient que la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le premier document de la CCB « indique manifestement que l’appelant était propriétaire de la pharmacie en mai 2014 », parce que [traduction] « la Section d’appel des réfugiés comprend mal l’objet et l’importance du document, et sa conclusion au sujet de la propriété de la pharmacie est déraisonnable ».

[46]  La Section d’appel des réfugiés aborde les documents relatifs à la pharmacie de la façon suivante :

[22]  Les questions de crédibilité soulevées par la SPR concernent notamment la vente de la première pharmacie qui aurait eu lieu, d’après le témoignage de l’appelant, en novembre 2012. L’appelant a produit un document traduit vers l’anglais par un traducteur professionnel. À l’audience, le tribunal a demandé à l’interprète agréé par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada de traduire lui aussi le document, pour confirmer le sens d’un [traduction] « syntagme » en particulier. Le document en question attestait l’inscription d’une entreprise à la chambre de commerce de Bogota (appartenance à la chambre). Comme je l’ai mentionné auparavant, je souscris à l’opinion selon laquelle ce document n’est pas un permis pour exploiter une entreprise, mais une confirmation de l’inscription de l’entreprise à la chambre de commerce, et le document indique manifestement que l’entreprise inscrite en mai 2014 (deux ans après le moment où, d’après le témoignage de l’appelant, ce dernier l’aurait vendue) appartient à l’appelant. Le numéro d’identité national de l’appelant (dont l’appelant est l’unique détenteur) y figure. En conséquence, je souscris à l’opinion de la SPR selon laquelle ce document indique manifestement que l’appelant était propriétaire de la pharmacie en mai 2014, deux ans après le moment où, selon le témoignage de l’appelant, celui-ci se serait départi de ce commerce.

[23]  Le conseil a communiqué un nouveau document de la chambre de commerce, daté du 12 septembre 2014, qui montre que le propriétaire de cette même pharmacie est une autre personne que l’appelant. Contrairement à ce que soutient le conseil, la seule chose que ce document permet de prouver, c’est que le 12 septembre 2014, la pharmacie n’appartenait plus à l’appelant. Cependant, ce deuxième document ne porte aucunement à croire que la pharmacie n’était pas toujours la propriété de l’appelant en mai 2014, ce qui ne correspond pas au témoignage et à l’exposé circonstancié de l’appelant.

[24]  La vente de la première pharmacie est importante au regard de la demande d’asile, puisqu’elle tend à étayer l’allégation d’extorsion de la part des FARC en vue d’obtenir des médicaments, si l’appelant a effectivement vendu la pharmacie en 2012. Un acte de vente, par exemple, indiquerait le moment où l’entreprise a été vendue et l’identité du nouveau propriétaire. Étant donné que les éléments de preuve documentaire de l’appelant lui-même confirment sans équivoque que l’appelant était toujours propriétaire de cette pharmacie pendant un certain temps après le 15 mai 2014, c’est tout le fondement de la demande d’asile (qui repose sur le fait que les FARC ont continué à pourchasser l’appelant après son refus de leur vendre des médicaments) qui disparaît. En me fondant sur les éléments de preuve fournis par l’appelant lui-même, je ne peux que conclure que ce dernier est demeuré propriétaire de sa première pharmacie pendant un certain temps après le 15 mai 2014. En conséquence, je conclus que le récit de l’appelant selon lequel il était pourchassé par les FARC n’est pas crédible.

[47]  La preuve relative à cette question est complexe. De toute évidence, la Section d’appel des réfugiés n’a pas mal compris l’objet et l’importance des documents de la chambre de commerce. Il ne s’agit pas de documents de propriété en soi, comme des actes de transfert ou des actes-titres, mais ils « indique[nt] » bien que le demandeur revendique la propriété de la DHC à des dates précises. En fait, ces documents étaient les seuls éléments de preuve documentaire fournis par le demandeur pour prouver que la DHC lui appartenait. Si ces documents sont examinés de façon isolée, il ne serait pas déraisonnable pour la Section d’appel des réfugiés de conclure, selon ces documents, et en l’absence d’autres documents de propriété, que le demandeur affirmait être propriétaire de la DHC en mai 2014, environ deux ans après l’avoir vendue, selon son témoignage

[48]  Le demandeur, par l’entremise de son épouse, a expliqué qu’un nouveau propriétaire doit modifier et mettre à jour le nom auprès de la chambre de commerce et que cela peut prendre du temps.

[49]  Le demandeur était au courant des problèmes avec les documents en raison de la décision de la Section de la protection des réfugiés. Pourtant, il n’a fait aucun effort pour fournir d’autres documents à la Section d’appel des réfugiés, pour établir que la propriété avait changé de mains en 2012.

[50]  De plus, le demandeur n’a produit aucun document pour établir qu’il avait acheté une deuxième pharmacie; comme le seul document qu’il a déposé indiquait qu’il possédait toujours la première pharmacie en mai 2014, tout son récit au sujet de la vente de la pharmacie en 2012, de son déménagement et de l’achat d’une autre pharmacie semble être contredit par les documents qu’il a déposés.

[51]  D’autre part, il me semble qu’il y a d’autres facteurs dont la Section d’appel des réfugiés a omis de tenir compte.

[52]  Le demandeur a demandé un visa américain le 20 janvier 2014, ce qui laisse croire qu’il avait déjà décidé de quitter la Colombie à cette date et qu’il est passé à l’action le 17 mai 2014, date à laquelle il est parti. À mon avis, il est peu probable qu’une personne qui a l’intention de quitter le pays de façon permanente renouvelle l’inscription de son entreprise à peine deux jours avant son départ. Cet élément rend vraisemblable son explication selon laquelle la date figurant sur le document est en fait la date de la demande, en particulier si le fait de demander une copie nécessite un renouvellement simultané ou automatique de l’inscription (même si le demandeur n’en a pas fait mention). Il était raisonnable pour le demandeur de rassembler tous ses documents avant de quitter de façon permanente, ce qui explique qu’il ait demandé une copie de l’inscription deux jours avant son départ.

[53]  Le changement subséquent dans le deuxième document de la CCB est également conforme au témoignage du demandeur, selon lequel il a demandé à son père de demander à M. Jaramillo de mettre à jour le certificat d’inscription. Toutefois, selon le récit de la Section de la protection des réfugiés, le demandeur a renouvelé l’inscription de son entreprise, puis a immédiatement quitté la Colombie, et a vendu l’entreprise en son absence. À mon avis, il est peu probable qu’une personne renouvellerait l’inscription de son entreprise avant de partir immédiatement pour plusieurs mois, puis vendrait son entreprise. L’explication du demandeur est raisonnable à cet égard.

[54]  Pour ce qui est de l’absence de documents relativement à la DD2, l’explication du demandeur n’est pas non plus déraisonnable. Le demandeur a fermé la DD2 le 26 mai 2013 et a déménagé à 19 heures de Bogota peu de temps après. Il est donc logique que les documents d’inscription d’une entreprise qui n’a pas été exploitée pendant un an (en supposant que le demandeur a tenté de demander les certificats d’inscription pour la DHC et la DD2 à la même date, soit le 15 mai 2014) ne soient pas disponibles. Ce n’est pas la même chose pour la DHC, qui a continué d’être exploitée.

[55]  À mon avis, les explications du demandeur reposaient sur un fondement raisonnable, même s’il aurait pu faire plus pour produire des documents supplémentaires. Toutefois, la Cour n’a pas à décider si le fait que la Section d’appel des réfugiés a omis d’examiner ces autres aspects de la situation équivaut à une erreur susceptible de révision puisque, comme je l’explique ci-dessous, la question doit être renvoyée pour un nouvel examen en raison du défaut de la Section d’appel des réfugiés d’examiner de façon adéquate les autres documents corroborants présentés par le demandeur.

B.  Inférences défavorables

[56]  Le demandeur affirme également que la conclusion de la Section d’appel des réfugiés figurant au paragraphe 26 de la décision donne ouverture à une erreur susceptible de révision :

[26]  L’appelant aurait pu aussi fournir des photographies [des graffitis] dont les FARC auraient [recouvert] la devanture de son commerce, mais il ne l’a pas fait. Il n’est pas raisonnable, de la part d’un homme d’affaires instruit qui constate que la devanture de son commerce a été vandalisée, de ne pas avoir pris de photographies des dégâts pour ses dossiers, la police ou son assureur. En l’absence de photographies présentées comme éléments de preuve et compte tenu de toutes les autres préoccupations quant à la crédibilité susmentionnées, je conclus que cet aspect du récit de l’appelant n’est pas crédible.

[57]  Le demandeur soutient que la Section d’appel des réfugiés émet ici des hypothèses, et s’en remet à l’absence d’éléments de preuve contredisant son témoignage. Il affirme qu’aucune inférence défavorable n’aurait dû être tirée de son défaut de fournir une photographie. Il invoque les décisions Attakora et Ahortor, précitées.

[58]  Le paragraphe 26 doit être interprété dans le contexte de l’ensemble de la décision. La Section de la protection des réfugiés souligne que le demandeur n’a fourni aucun document pour appuyer son affirmation selon laquelle il a vendu la DHC en 2012, selon ce qu’il prétend. En fait, il a produit un document qui indiquait qu’il possédait toujours la DHC en mai 2014. La Section de la protection des réfugiés a également souligné que le demandeur avait omis « de fournir quelque document corroborant que ce soit au sujet de la deuxième pharmacie qu’il affirme avoir ouverte après la fermeture de la première ».

[59]  La Section d’appel des réfugiés suggère quelques documents que le demandeur aurait pu produire pour appuyer son récit selon lequel les FARC le pourchassaient. L’une de ces suggestions est une photographie des graffitis allégués des FARC. Le fondement de la conclusion défavorable sur la crédibilité ne tient pas à une inférence défavorable tirée de son défaut de fournir une photographie des graffitis. Le fondement de la conclusion tient plutôt à son défaut de fournir quelque document que ce soit pour appuyer son affirmation selon laquelle il a vendu la DHC en 2012, de manière à pouvoir fuir les FARC. La Section d’appel des réfugiés souligne simplement, qu’en tant qu’homme d’affaires instruit, il n’aurait pas été difficile pour le demandeur de fournir des documents pour appuyer son récit principal concernant la vente de la DHC. Après avoir formulé une conclusion défavorable sur la crédibilité fondée sur les documents de la chambre de commerce, la Section d’appel des réfugiés était en droit de demander des documents corroborants pour appuyer le témoignage de vive voix du demandeur parce que la présomption de véracité ne s’appliquait plus. Voir la décision Magyar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 750, au paragraphe 36; Dundar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1026, aux paragraphes 21 et 22.

C.  Retour à Bogota

[60]  Le demandeur affirme que la Section d’appel des réfugiés a également commis une erreur lorsqu’elle a formulé une conclusion défavorable sur la crédibilité en fonction d’une notion de ce qui pourrait être raisonnable dans les circonstances. Il invoque la décision Giron, précitée :

1  La Section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (« la Commission ») a choisi de fonder en grande partie sa conclusion en l’espèce à l’égard du manque de crédibilité, non pas sur des contradictions internes, des incohérences et des subterfuges, qui constituent l’essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits, mais plutôt sur l’invraisemblance des critères extrinsèques, tels que le raisonnement, le sens commun et la connaissance d’office, qui nécessitent tous de tirer des conclusions que les juges des faits ne sont pas mieux placés que les autres pour tirer.

[61]  La Section d’appel des réfugiés a traité la question de la façon suivante :

[27]  La SPR a questionné l’appelant sur les raisons pour lesquelles, s’il croyait que sa vie était menacée, il serait retourné à l’endroit où il avait reçu de telles menaces. En effet, l’appelant est retourné dans le secteur pour rendre visite à son cousin et à sa conjointe de fait après la date à laquelle il aurait vendu sa pharmacie et aurait déménagé. L’appelant a témoigné qu’il souhaitait ardemment voir son épouse et son cousin. Tenu d’expliquer pourquoi il n’aurait pas plutôt demandé à son épouse de lui rendre visite là où il se trouvait en lieu sûr, l’appelant a témoigné que son épouse travaillait et qu’il souhaitait voir son cousin. L’appelant a déclaré qu’il était resté avec son épouse chez ses parents à elle et que, le lendemain, il avait rencontré son cousin dans le quartier où sa [traduction] « première » pharmacie se situait. L’appelant a affirmé qu’il souhaitait simplement voir son épouse et qu’il n’avait pas songé aux conséquences de ses actes. Cette explication n’est pas crédible. L’appelant a affirmé qu’il avait fui Bogota parce qu’il craignait pour sa vie, et il est pourtant retourné dans le quartier même dont il s’était enfui uniquement pour voir son cousin. L’appelant a également passé au moins une nuit avec son épouse au domicile de ses parents à elle, toujours à Bogota. L’appelant aurait pu demander à son épouse et à son cousin de se déplacer pour lui rendre visite, mais il est plutôt retourné à Bogota, où les FARC, d’après l’appelant, étaient à sa recherche en vue de lui faire subir des préjudices. Je partage l’avis de la SPR selon laquelle ce récit n’est pas du tout crédible.

[62]  La Section d’appel des réfugiés a conclu que le récit du demandeur était incohérent parce qu’il ne serait pas retourné dans le secteur même où sa vie était menacée si ce danger existait réellement, et alors qu’il y avait d’autres façons de voir son épouse. Cela s’apparente à la conclusion souvent utilisée selon laquelle le ré-établissement est incompatible avec une crainte subjective. Voir Kostrzewa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1449, au paragraphe 26. Je ne crois pas qu’il s’agit simplement [traduction] « d’une notion de ce qui pourrait être raisonnable dans les circonstances ». Il s’agit d’une analyse raisonnable de la preuve qui laisse croire à une absence de crainte subjective.

D.  Défaut de tenir compte d’autres documents corroborants

[63]  Le demandeur affirme que la Section d’appel des réfugiés omis de tenir compte des autres documents corroborants qu’il a fournis dans l’évaluation de sa crédibilité :

[traduction]

21.  La Section d’appel des réfugiés conclut que les conclusions de la Section de la protection des réfugiés quant à la crédibilité sont fondées sur la preuve présentée à la Section de la protection des réfugiés et sont étayées par cette preuve, et elle souscrit à ces conclusions. La Section d’appel des réfugiés n’a pas examiné les documents corroborants du demandeur.

22.  La Section de la protection des réfugiés n’a accordé aucune valeur probante aux documents corroborants du demandeur simplement parce qu’elle ne croyait pas les témoignages du demandeur et de son épouse. Il s’agissait d’une grave erreur de la part de la Section de la protection des réfugiés, que la Section d’appel des réfugiés a omis d’aborder de manière adéquate.

23.  Le demandeur a présenté des rapports médicaux conformes à son témoignage au sujet des blessures qu’il a subies, le certificat de décès de son cousin et les rapports déposés auprès de la police et du procureur général. Son épouse a présenté des rapports médicaux et des rapports de police qui corroborent l’agression dont elle a été victime.

24.  Il n’était pas loisible à la Section de la protection des réfugiés de ne pas accorder de valeur probante à des documents officiels sans une analyse ou un élément de preuve indiquant que les documents n’étaient pas authentiques. Le rejet d’un document officiel, en l’absence d’un élément de preuve tendant à démontrer son invalidité, représente une erreur susceptible de révision. La Section de la protection des réfugiés a commis une erreur, et la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur en confirmant la conclusion de cette dernière.

25.  Dans la décision Nkonka, la Cour fédérale a confirmé que la Commission n’aurait pas dû rejeter la preuve corroborante en fonction uniquement d’une conclusion défavorable sur la crédibilité. La Cour a fait l’observation suivante :

[traduction] « En fait, il incombe à la Commission de bien apprécier la preuve quand elle juge qu’il existe des problèmes de crédibilité, parce que le témoignage d’un demandeur d’asile est tenu pour vrai à moins qu’il y ait un motif valable de douter de sa véracité. »

La Cour a cité les décisions Chen et Paplekaj et a souligné que [traduction] « [l]a Cour a clairement indiqué qu’une preuve corroborante ne peut être rejetée uniquement parce que l’on ne croit pas le demandeur ».

26.  La Section d’appel des réfugiés a commis une erreur lorsqu’elle a omis de tenir compte des documents corroborants du demandeur dans son évaluation de sa crédibilité.

[Renvois omis.]

[64]  Le demandeur reproche à la Section d’appel des réfugiés de ne pas avoir fait une analyse indépendante de ces documents corroborants, ou se plaint de la façon dont la Section de la protection des réfugiés a traité ces mêmes documents. Il renvoie au paragraphe 33 de la décision de la Section d’appel des réfugiés :

Je suis d’avis que les conclusions de la SPR quant à la crédibilité sont fondées sur la preuve présentée à la SPR et sont étayées par cette preuve, et je souscris à ces conclusions.

[65]  La Section de la protection des réfugiés a traité ces documents de la façon suivante :

[39]  Dans la mesure où le tribunal ne croit pas le demandeur d’asile principal ni la demandeure d’asile, il n’accorde aucune valeur probante aux documents suivants : le rapport de chirurgie du demandeur d’asile principal (C-10); les deux feuilles de suivi et le document intitulé [« Épicrise »] (C-11 et C-12); le certificat de décès du cousin du demandeur d’asile principal (C-15); le rapport de police daté du 5 octobre 2012 (C-16); le rapport de police daté du 7 avril 2013 (C-17); le rapport présenté au Bureau du procureur général le 29 juillet 2013 (C-18); les deux rapports médicaux (C-23 et C-24); les deux rapports de police (C-25 et C-26); le rapport de l’Institut national de médecine légale et de sciences judiciaires (C-27).

[66]  Pour appuyer sa thèse, le demandeur renvoie à la décision Nkonka, précitée :

[traduction]

[7]  Je conviens avec le demandeur que le défaut de la Commission d’évaluer les deux importants éléments de preuve susmentionnés, en raison uniquement de la conclusion défavorable concernant la crédibilité du demandeur, était déraisonnable. En fait, il incombe à la Commission de bien apprécier la preuve quand elle juge qu’il existe des problèmes de crédibilité, parce que le témoignage d’un demandeur d’asile est tenu pour vrai à moins qu’il y ait un motif valable de douter de sa véracité (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.). (Je reconnais que la Commission a également conclu que le demandeur ne pouvait expliquer ce que signifiaient les accusations dans le mandat d’arrestation, mais il n’est pas vraiment raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur puisse interpréter le sens de ces accusations.)

[8]  La Cour a clairement indiqué qu’une preuve corroborante ne peut être rejetée uniquement parce que l’on ne croit pas le demandeur. Comme le juge Rennie l’a affirmé dans la décision Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 311, aux paragraphes 18 à 21, dans une situation semblable qui portait également sur une question de mandats d’arrestation : « Le raisonnement a été inversé ». Et le juge Zinn a également expliqué les principes juridiques qui s’appliquent dans la décision Paplekaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 947 :

[15]  Contrairement à ce qui est avancé en l’espèce, la décision RER de la Cour ne permet pas d’affirmer que la Commission ne peut tirer une conclusion générale quant à la crédibilité avant d’avoir examiné l’ensemble de la preuve. L’essentiel de cette décision se trouve au paragraphe 10, où le juge Campbell écrit que l’erreur réside dans le fait de rejeter une preuve indépendante uniquement parce que l’on ne croit pas le demandeur :

Je suis d’avis que la SPR a commis une erreur en rejetant la preuve provenant de sources autres que le témoignage du demandeur principal, et cela uniquement parce qu’elle ne croyait pas le demandeur principal. À mon avis, chaque source de preuve indépendante requiert une évaluation indépendante. Il en est ainsi parce que les sources indépendantes peuvent avoir pour effet d’établir le bien-fondé de la position d’un demandeur sur un point donné, alors même que son propre témoignage sur ce point n’est pas accepté.

[67]  Le défendeur affirme que les documents en litige en l’espèce étaient secondaires à la question principale parce qu’ils n’établissaient pas que les FARC le pourchassaient réellement, ce qui représentait tout le fondement de sa demande d’asile et qui a été réfuté par la preuve relative à la pharmacie. Je ne crois pas que ces documents étaient secondaires.

[68]  Je crois qu’il est évident que la Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés ont omis d’aborder la preuve « provenant de sources autres que le témoignage du demandeur », parce qu’elles ne croyaient pas ce dernier en raison des documents relatifs à la pharmacie et de son retour sur la scène où les FARC l’avaient menacé. C’est précisément ce qu’elles ne devraient pas faire, selon la jurisprudence. Cette preuve indépendante aurait dû être appréciée pour voir si elle pouvait annuler la conclusion négative antérieure sur la crédibilité. Cela ne signifie pas que cela aurait nécessairement changé l’avis de la Section d’appel des réfugiés sur la question principale, mais la Section d’appel des réfugiés devait évaluer cette source indépendante de preuve et expliquer pourquoi elle ne suffisait pas pour appuyer la cause du demandeur. Elle ne pouvait pas simplement être rejetée parce que la Section d’appel des réfugiés, approuvée par la Section d’appel des réfugiés, avait tiré précédemment une conclusion selon laquelle elle ne croyait pas les affirmations du demandeur en raison d’autres éléments de preuve, ou de l’absence d’autres éléments de preuve. Pour ce motif seul, je crois que l’affaire doit être renvoyée pour un nouvel examen.

E.  Rapport psychologique

[69]  Le demandeur affirme que l’évaluation psychologique de son épouse contenait un avis non contredit d’un professionnel, que les symptômes de son épouse étaient conformes au récit de ce qu’elle avait subi, et que la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur lorsqu’elle a omis de tenir compte de l’évaluation et qu’elle a simplement confirmé la conclusion de la Section de la protection des réfugiés. Le demandeur invoque la décision Tesema, précitée :

[5]  La question à trancher est de savoir si, lorsqu’elle a rejeté l’avis du psychologue, la SPR a commis une erreur susceptible de contrôle. Dans la décision Gina Curry c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, du 21 décembre 2005, IMM-10078-04, la juge Gauthier a clairement précisé le pouvoir discrétionnaire d’un agent d’immigration lorsqu’il évalue la preuve psychiatrique ou psychologique :

Comme la Cour l’a mentionné à maintes reprises, les agents d’immigration ne sont pas des spécialistes de la psychologie ou de la psychiatrie. Ils ne sauraient tout simplement rejeter des avis d’experts sans à tout le moins donner un motif qui résiste à un examen serré.

Lorsque j’applique cette opinion à la présente affaire, je suis d’accord avec l’avocat de la demanderesse que le refus d’accepter l’avis psychologique ne répond pas aux normes établies.

[6]  Selon moi, la déclaration de la SPR ne donne aucun motif légitime de ne pas accepter l’avis professionnel. Ce qui ressort des termes employés par la SPR, c’est sa conviction que l’avis n’est pas motivé et qu’il est contraire à son propre avis sur l’état mental de la demanderesse. Je conclus qu’il n’était pas loisible à la SPR de rejeter un avis professionnel sur ce fondement et agir ainsi revient à tirer une conclusion arbitraire. Par conséquent, la SPR a rendu une décision qui comporte une erreur susceptible de contrôle.

[70]  En l’espèce, la Section de la protection des réfugiés a traité ainsi le rapport :

[40]  En ce qui concerne le rapport psychologique présenté au nom de la demandeure d’asile, il y est indiqué que la demandeure d’asile souffre d’un état de stress post-traumatique, d’anxiété marquée et de dépression grave. Même si le tribunal ne conteste pas ces conclusions, puisqu’il n’a aucune expertise dans ce domaine, il ne croit pas que ces symptômes sont liés aux allégations de la demandeure d’asile puisqu’il juge cette dernière non crédible.

[71]  Comme cet extrait le précise, la Section de la protection des réfugiés ne rejette pas l’avis médical figurant dans le rapport. Le demandeur affirme, encore une fois, que la Section de la protection des réfugiés, approuvée par la Section d’appel des réfugiés, rejette simplement la valeur corroborante des symptômes de son épouse parce qu’elle a déjà décidé de ne pas la croire. À mon avis toutefois, la cause des symptômes de l’épouse, comme l’indique le rapport, ne peut, contrairement aux autres éléments de preuve corroborants, être attribuée à une véritable source indépendante, de sorte qu’elle ne nécessite pas une évaluation indépendante si la Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés ont conclu qu’elles ne pouvaient croire l’épouse.

[72]  Le rapport d’un psychologue est principalement fondé sur le compte rendu d’un patient des événements et des symptômes. Si le patient n’est pas crédible, la crédibilité du rapport et ses conclusions sont également douteuses. Par conséquent, il est loisible au décideur d’accorder moins de poids au rapport. La juge Strickland a examiné la même question dans la décision Irivbogbe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 710, au paragraphe 36 :

Quant au rapport du psychologue préparé après la présentation de la demande d’asile du demandeur, la SAR a estimé qu’il était loisible à la SPR d’y accorder peu de poids, puisque le rapport était fondé sur des observations faites par le demandeur et que la SPR avait mis en doute la crédibilité de ce dernier, et la SAR a appuyé la conclusion de la SPR après avoir fait sa propre évaluation de la preuve. Donc, contrairement à ce que soutient le demandeur, le rapport a été pris en compte. Il convient également de souligner que la SAR ne conteste pas le diagnostic de trouble dépressif majeur du demandeur, ni le fait qu’il a connu un épisode modéré de grande anxiété et qu’il a fait une crise de panique. Le demandeur n’a pas soutenu non plus que la SAR avait commis une erreur en ne tenant pas compte de l’impact qu’aurait ce diagnostic s’il devait retourner au Nigéria. Au contraire, compte tenu de l’absence de crédibilité et indépendamment du diagnostic, le rapport n’aide pas à établir la bisexualité du demandeur, comme l’ont conclu la SPR et la SAR. Je ne vois aucune erreur dans cette conclusion, car le récit des événements qui est fait à un psychologue ne rend pas ces événements plus crédibles (Rokni c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [1995] ACF no 182, au paragraphe 16; Danailov c. Canada (Emploi et Immigration), [1993] ACF no 1019, au paragraphe 2; Egbesola c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 204, au paragraphe 12; Moya c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 315, au paragraphe 57).

[Non souligné dans l’original.]

[73]  En l’espèce, la Section d’appel des réfugiés n’a pas écarté le rapport psychologique. Elle a évalué la valeur corroborante du rapport, qu’elle a estimé faible. Selon la jurisprudence, il était raisonnable pour la SAR de le faire.

F.  Conclusions

[74]  Compte tenu de mon évaluation du traitement par la Section d’appel des réfugiés de la preuve corroborante, expliquée ci-dessus, je crois que la décision est déraisonnable et qu’elle devrait être renvoyée pour un nouvel examen.

IX.  Question à certifier

[75]  Les parties conviennent qu’il n’y a pas de question à certifier et la Cour est du même avis.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée pour réexamen par un tribunal de la Section d’appel des réfugiés constitué différemment.

  2. Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 25e jour de mai 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3848-16

 

INTITULÉ :

DIDIER MAURICIO VALDEBLANQUEZ ORTIZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 mars 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 27 avril 2017

 

COMPARUTIONS :

Richard M. Addinall

 

Pour le demandeur

 

Tessa Cheer

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Richard M. Addinall

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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