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Date : 20170517


Dossier : IMM-4285-16

Référence : 2017 CF 507

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 17 mai 2017

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

MAHA YOUSOF HIMAT HASSAN,

AYA ELFATIH AHMED KHALAFALLA,

AHMED ELFATIH AHMED KHALAFALLA,

et ASEEL ELFATIH AHMED KHALAFALLA

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue le 26 septembre 2016 par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, par laquelle la SPR a conclu que les demanderesses n’avaient présenté aucun élément de preuve crédible à l’appui de leurs demandes et qu’elles n’avaient ni qualité de réfugiées au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger.

[2]               Mme Hassan, la demanderesse principale, a invoqué la persécution politique à l’appui de sa demande. Elle allègue que son activisme au nom de la communauté nubienne du Soudan l’expose à un risque de persécution de la part du gouvernement soudanais. Elle a aussi présenté des demandes distinctes au nom de ses deux filles, Aya et Aseel, pour le motif que la famille élargie de Mme Hassan risquait de leur faire subir une mutilation génitale féminine si elles retournaient au Soudan.

[3]               La question déterminante en l’espèce concerne l’évaluation que la SPR a faite des allégations de mutilation génitale féminine à l’endroit d’Aya et d’Aseel. La SPR a jugé que la preuve était insuffisante et qu’elle ne permettait pas d’établir si la mutilation génitale féminine avait ou non déjà été pratiquée. Cependant, la SPR n’a pas fait une évaluation raisonnable des éléments de preuve objectifs sur la situation dans le pays en cause, en ce qui a trait à la prévalence de la mutilation génitale féminine au Soudan ou à la période durant laquelle les filles ont véritablement vécu au Soudan.

[4]               Mme Hassan et ses enfants mineurs sont des ressortissants du Soudan. La SPR a admis que la famille avait déménagé en Arabie saoudite en 2006, mais elle n’a pas ajouté foi aux motifs invoqués à l’appui de ce déménagement. Pendant son séjour en Arabie saoudite, Mme Hassan a donné naissance à Aseel qui, au moment de l’audience de la SPR, était âgée de 5 ans. Ce n’est qu’en 2016 que les demanderesses sont retournées au Soudan pour une période de 8 jours, afin que les enfants puissent voir leur grand-mère malade, à la demande de cette dernière.

[5]               La SPR a jugé que le témoignage de Mme Hassan n’était pas crédible. La SPR n’a pas admis que la demanderesse principale risquait d’être victime de persécution politique au Soudan ni qu’elle craignait personnellement que ses filles subissent une mutilation génitale féminine. Que cette conclusion soit raisonnable ou non, il incombait à la SPR d’examiner, en se fondant sur les éléments de preuve sur la situation dans le pays en cause, si les filles étaient exposées à une sérieuse possibilité de persécution fondée sur le sexe si elles retournaient au Soudan. En effet, il est un fait bien établi que, lorsqu’un demandeur n’a pas vécu personnellement une forme de persécution, la SPR est néanmoins obligée d’examiner si un risque personnel peut être déduit d’expériences vécues par des personnes se trouvant dans une situation comparable : Salibian c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 RCF 250, aux paragraphes 16 à 18 (CAF); Josile c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 39, au paragraphe 22.

[6]               La SPR a reconnu que la mutilation génitale féminine demeure une pratique répandue au Soudan selon la documentation sur le pays. Elle a cité le fait que 88 % des jeunes filles et des femmes âgées de 15 à 49 ans au Soudan [traduction] « ont subi cette pratique barbare, ainsi qu’il est clairement documenté dans notre cartable national de documentation, pièce 3 ». La SPR a également souligné le fait que, même si le taux de prévalence de la mutilation génitale féminine variait au Soudan, il était élevé dans l’ensemble du pays et atteignait jusqu’à 99 % dans le nord. Or, les demanderesses viennent du nord du Soudan. Malgré cela, la SPR a jugé qu’elle ne pouvait se fier au témoignage de Mme Hassan pour déterminer si ses filles avaient déjà subi une mutilation génitale féminine. La SPR n’a par ailleurs trouvé aucun autre élément de preuve permettant de conclure que la mutilation génitale féminine n’avait pas encore été pratiquée. La SPR a expliqué que le défaut de Mme Hassan de produire un rapport médical pour confirmer que ses filles n’avaient pas déjà subi une mutilation génitale féminine avait porté un coup fatal à leurs demandes.

[7]               Même si la SPR a évalué le cartable national de documentation pour déterminer le risque futur de mutilation génitale féminine au Soudan, elle a omis de déterminer si la même preuve, examinée en regard de la période durant laquelle les filles ont effectivement été présentes au Soudan, permettrait de déduire si elles avaient ou non déjà subi une mutilation génitale féminine. En citant le taux de prévalence de mutilation génitale féminine chez les femmes âgées de 15 à 49 ans (88 %), la SPR a omis d’inclure cette mention qui suit immédiatement cette statistique dans le cartable national de documentation, à savoir : [traduction] « la mutilation génitale féminine est généralement pratiquée chez les filles entre l’âge de 5 et 11 ans ».

[8]               Aya avait 4 ans lorsque la famille a quitté le Soudan et Aseel n’était pas encore née. Ayant manifestement examiné le cartable national de documentation précisant l’âge auquel les jeunes filles risquent de subir une mutilation génitale féminine forcée, la SPR aurait dû personnaliser le risque en fonction de la situation propre aux demanderesses mineures. La SPR aurait dû tenir compte de l’âge des filles au moment où elles ont quitté le Soudan la première fois et l’âge qu’elles avaient, soit respectivement 16 ans et 5 ans, lorsqu’elles y sont retournées. Si elle l’avait fait, la SPR aurait vu qu’Aya n’avait pas encore atteint l’âge auquel la mutilation génitale féminine est généralement pratiquée lorsqu’elle a quitté le Soudan. Elle aurait également vu qu’Aseel n’était jamais allée au Soudan avant la visite en coup de vent d’une semaine en mars 2016, alors qu’elle avait 5 ans.

[9]               Rien n’indique que la SPR a examiné, en se basant sur les éléments de preuve du cartable national de documentation, la possibilité que les demanderesses mineures n’aient pas encore subi de mutilation génitale féminine. Cela vaut tout particulièrement pour Aseel, car des éléments de preuve indiquent que la mutilation génitale féminine n’est pas pratiquée en Arabie saoudite. Si la SPR s’était demandée si les filles avaient effectivement été présentes au Soudan à un âge où elles risquaient de subir une mutilation génitale féminine, on ne peut déterminer avec certitude si elle aurait toujours exigé une attestation médicale avant de tirer sa conclusion quant au risque que les filles soient victimes de persécution fondée sur le sexe.

[10]           Après réflexion, je suis d’avis que la SPR a omis de tenir compte d’un élément crucial des demandes des filles mineures et, donc, qu’il est impossible de conclure que la décision de la SPR appartient aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits. Pour ce motif, je juge que la décision est déraisonnable et j’accueille la demande.

[11]           L’affaire doit être renvoyée à la SPR afin d’être examinée par un tribunal différent.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande est accueillie.

2.      L’affaire doit être renvoyée à la SPR afin d’être réexaminée par un tribunal différent.

3.      Aucune question de certification ne découle des faits.

« E. Susan Elliott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-4285-16

 

 

INTITULÉ :

MAHA YOUSOF HIMAT HASSAN et al. c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 mai 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE :

Le 17 mai 2017

 

COMPARUTIONS :

Lisa R.G. Winter-Card

 

Pour les demanderesses

 

Leanne Briscoe

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lisa R.G. Winter-Card

Avocats

Welland (Ontario)

 

Pour les demanderesses

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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