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Date : 20170217


Dossier : T-1613-16

Référence : 2017 CF 198

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 février 2017

En présence de monsieur le juge Harrington

Dossier : T-1613-16

ACTION PERSONNELLE ET RÉELLE

ENTRE :

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

demanderesse

et

HANJIN SHIPPING CO LTD

-ET-

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LES NAVIRES ÉNUMÉRÉS À L’ANNEXE « A »

-ET-

LES NAVIRES ÉNUMÉRÉS À L’ANNEXE « A »

défendeurs

 

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une requête présentée par Conti 24, Alemania Schiffahrts-GMBH & Co KG MS « Conti Lissabon », les propriétaires du navire Hanjin Vienna, en vue de faire rejeter l’action intentée à son encontre par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada au motif que la demande introductive d’instance modifiée ne révèle aucune cause d’action valable relevant de la compétence de la Cour. Subsidiairement, l’entreprise soutient que l’action intentée contre le navire Hanjin Vienna et ses propriétaires est scandaleuse, frivole et vexatoire.

[2]               Hanjin Shipping Co. Ltd., une entreprise insolvable qui a récemment cessé d’exister, exploitait des services de transport maritime par conteneur de bout en bout dans le monde entier. Cette entreprise affrétait différents navires, y compris le Hanjin Vienna du défendeur, pour assurer le transport maritime. Elle a confié à la demanderesse, le transport terrestre en Amérique du Nord à la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le CN). Le CN ramassait les conteneurs à leur arrivée aux terminaux de Vancouver et de Prince Rupert et les transportait jusqu’à leurs consignataires à destination. Le CN transportait aussi des conteneurs devant être exportés jusqu’aux terminaux de Vancouver et de Prince Rupert.

[3]               Le CN affirme que Hanjin lui doit environ 20 000 000 $, dont une partie en lien avec le Hanjin Vienna. Le CN allègue qu’il s’agit d’une relation contractuelle non seulement avec Hanjin, mais également avec les propriétaires des navires que Hanjin affrétait, en particulier, les propriétaires du Hanjin Vienna.

Décision

[4]               Pour avoir gain de cause, les propriétaires doivent me persuader qu’il est évident et manifeste que la présente action ne devrait pas être instruite.

[5]               En conséquence, il n’est pas évident et manifeste pour moi que la Cour n’a pas la compétence pour statuer sur les mérites de la demande introductive d’instance du CN parce que l’on peut supposer :

(a)    que le CN bénéficie d’un privilège maritime en vertu de l’article 139 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime;

(b)   que sa demande est régie par le droit maritime canadien;

(c)    que sa demande relève de la Loi sur les transports au Canada, une loi fédérale, et qu’elle se rapporte à des ouvrages qui s’étendent bien au-delà des limites d’une seule province.

[6]               Toutefois, il m’apparaît évident et manifeste que la demande introductive d’instance du CN n’est pas scandaleuse, frivole et vexatoire.

Article 221 des Règles des Cours fédérales

[7]               L’article 221 des Règles des Cours fédérales, lequel constitue un exemple du pouvoir de la Cour de contrôler sa propre procédure, prévoit que la Cour peut radier un acte de procédure, en l’espèce la demande introductive d’instance du CN, pour divers motifs. Les propriétaires du Hanjin Vienna invoquent deux motifs. D’une part, ils soutiennent que la demande introductive d’instance ne révèle aucune cause d’action valable et, d’autre part, que celle-ci est scandaleuse, frivole et vexatoire. La règle précise également qu’aucune preuve n’est admissible dans le cadre d’une requête au motif que celle-ci ne révèle aucune cause d’action raisonnable. Néanmoins, les cours ont admis des témoignages par affidavit à condition que l’objet de la requête soit que la Cour n’a pas compétence sur l’objet du litige (arrêt MIL Davie v Ibernia Management & Development Co, 1988 FCJ No 614, 226 NR 369). En conséquence, les propriétaires ont déposé un affidavit d’Eckart Mӧller, le directeur des services nautiques des gestionnaires du Hanjin Vienna, et le CN a déposé un affidavit de Bruce Yi, le gestionnaire du compte Hanjin. En conséquence, on a remis à la Cour

(a)    le contrat intervenu entre Janjin et les propriétaires du Hanjin Vienna (une forme de charte-partie New York Produce Exchange, comportant des passages supprimés et des modifications);

(b)   le contrat intervenu entre Hanjin et le CN;

(c)    le connaissement de Hanjin (ce à quoi les propriétaires se sont opposés).

[8]               Pour comprendre en quoi consiste la présente requête, il est important de comprendre ce qu’elle n’est pas. Ce n’est pas une requête pour rejeter l’action intentée par le CN au motif que celle-ci n’est pas fondée. Si le CN établit les faits allégués et que ces faits sont réputés avérés à ce stade, alors cette requête est fondée (arrêt Operation Dismantle c. La Reine, [1985] 1 RCS 441, [1985] ACS no 22). Une grande partie de l’affidavit de M. Mӧller porte sur cette question. Toutefois, aucune preuve ne doit être produite sur les mérites et la compétence de notre Cour ne peut servir d’excuse pour contourner cette règle. En conséquence, une bonne partie de son affidavit ne peut pas être prise en compte.

[9]               Ce n’est pas non plus une requête en jugement sommaire ou un exposé des faits exigeant une décision définitive sur la compétence de la Cour. Tout ce que j’ai conclu est qu’il n’est pas évident et manifeste que la Cour n’a pas la compétence voulue pour instruire cette affaire. Lorsque l’affaire est entendue sur le fond, il est toujours loisible aux propriétaires de soutenir que l’action du CN ressort de la compétence de la Cour (voir Toney v Canada (Royal Canadian Mounted Police), [2011] FCJ No 1740, [2012] FCJ No 705, [2012] FCJ No 1691 et [2013] FCJ No 1011).

[10]           On ne peut dire que l’action intentée par le CN est scandaleuse, frivole et vexatoire s’il devait éventuellement s’avérer que la Cour n’a pas la compétence  le seul motif allégué par les propriétaires. La présente demande n’est pas à ce point clairement futile qu’elle n’a aucune chance de succès.

[11]           Le fardeau qui incombe aux propriétaires du Hanjin Vienna est très lourd : «...qu’un demandeur ne devrait pas être privé d’un jugement à moins que la cause ne puisse faire l’objet d’un débat » (Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959, [1990] ACS no 93). À ce stade, il n’appartient certainement pas à la Cour de soupeser les chances de succès du CN.

[12]           Comme l’a expliqué la madame la juge Wilson dans l’arrêt Operation Dismantle, ci-dessus, aux pages 486 et 487 :

Le droit donc paraît clair. Les faits articulés doivent être considérés comme démontrés. Alors, la question est de savoir s’ ils révèlent une cause raisonnable d’action, c.-à-d. une cause d’action “qui a quelques chances de succès” (Drummond-Jackson v. British Medical Association, [1970] 1 All E.R. 1094) ou, comme le juge Le Dain l’a exprimé dans Dowson v. Government of Canada (1981), 37 N.R. 127 (C.A.F.), à la p. 138, est-il “évident et manifeste que l’action ne saurait aboutir”? [Non souligné dans l’original.]

Loi sur la responsabilité en droit maritime

[13]           L’article 139 de la Loi sur la responsabilité en droit maritime, qui est entrée en vigueur en 2009, accorde à une personne, par exemple le CN, qui exploite une entreprise au Canada un privilège maritime à l’égard d’un bâtiment étranger :

a) celle résultant de la fourniture — au Canada ou à l’étranger — au bâtiment étranger de marchandises, de matériel ou de services pour son fonctionnement ou son entretien, notamment en ce qui concerne l’acconage et le gabarage;

(a) in respect of goods, materials or services wherever supplied to the foreign vessel for its operation or maintenance, including, without restricting the generality of the foregoing, stevedoring and lighterage; or

b) celle fondée sur un contrat de réparation ou d’équipement du bâtiment étranger.

(b) out of a contract relating to the repair or equipping of the foreign vessel.

[14]           Toutefois, si l’action intentée porte sur un cas d’acconage et de gabarage, le service doit avoir été fourni à la demande du propriétaire du bâtiment étranger ou de la personne agissant en son nom.

[15]           Il est clair que les services fournis par le CN ne revêtaient pas la forme d’acconage et de gabarage. Même si la loi dans sa version précédant l’entrée en vigueur de l’article 139, en 2009, était telle qu’il n’y avait pas d’action réelle dans les circonstances envisagées aux présentes à moins qu’il n’y ait une responsabilité personnelle de la part du propriétaire du navire (décision Mount Royal/Walsh Inc v Jensen Star (The), [1990] 1 FC 199, [1989] FCJ No 450), il n’a pas encore été déterminé, en droit, si, outre les services d’acconage et de gabarage, la responsabilité personnelle du propriétaire du navire doit toujours être engagée (décision Comfact Corporation c. Navire «Hull 171», 2012 CF 1161, [2012] ACF no 1228, conf. par 2013 CAF 93, [2013] ACF no 93).

[16]           Comme l’a maintenu Lord Justice Fletcher Moulton dans Dyson v Attorney-General, [2011] 1 KB 410, à 419 :

Les désaccords sur le droit, tout comme les désaccords sur les faits, doivent en principe être tranchés au procès à la suite d’une audience devant la Cour, et ne sauraient se voir exclus d’une telle instruction par ordonnance du juge siégeant en son cabinet.

[17]           La question à trancher est de déterminer si les services prétendument rendus au Hanjin Vienna, un navire allemand, l’ont été pour permettre son exploitation. Il semblerait que la fourniture de conteneurs entre dans cette catégorie (Textainer Equipment Management BV v Baltic Shipping Co, 84 FTR 108, [1994] FCJ No 1267).

[18]           Il convient également de ne pas perdre de vue le fait que Hanjin, et peut-être les propriétaires du Hanjin Vienna, exploitait un service de ligne international qui était assujetti au droit maritime canadien en vertu du paragraphe 92(10) de la Loi constitutionnelle.

[19]           Comme l’a soutenu la Cour suprême dans R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, [2011] 3 RCS 46, une requête pour obtenir la radiation d’une demande ne sera rejetée que s’il est évident et manifeste qu’il n’y a aucune cause d’action. L’approche doit être généreuse et permettre, dans la mesure du possible, l’instruction de toute demande inédite.

Le droit maritime canadien

[20]           Les propriétaires du Hanjin Vienna soutiennent qu’eux-mêmes et le CN étaient des sous-traitants de Hanjin et qu’ils n’avaient rien à voir l’un avec les autres. Toutes les activités du CN étaient menées à terre. Le CN ne chargeait pas les conteneurs à bord du Hanjin Vienna et n’en déchargeait pas. Ce fait n’est pas contesté. Le CN ramassait ou livrait des conteneurs aux terminaux de Vancouver et de Prince Rupert.

[21]           Contrairement aux cours supérieures des provinces, la Cour fédérale est un tribunal judiciaire. Elle a été constituée en vertu de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, laquelle prévoit que le Parlement peut créer des tribunaux pour assurer une meilleure administration de la législation du Canada, ce qui englobe les lois fédérales, qu’elles revêtent la forme de loi, de règlement ou de la common law. Donc, la Cour fédérale n’a compétence que si : a) la cause d’action se rapporte à une catégorie législative fédérale de sujets, par opposition à une catégorie législative provinciale de sujets, b) s’il existe des règles de droit fédérales qui sont essentielles à la solution du présent litige c) si le Parlement a conféré à la Cour compétence. (Arrêt ITO-Int’l Terminal Operators Ltd c Miida Electronics Inc, [1986] 1 RCS 752 [le Buenos Aires Maru]).

[22]           À titre d’exemple, la faillite entre dans une catégorie législative fédérale de sujets et est assujettie à une loi fédérale; cependant, les cours supérieures des provinces en conserve la compétence, car elle n’a pas été confiée ni en exclusivité, ni de façon concurrente à la Cour fédérale.

[23]           Le droit maritime canadien est mentionné dans les articles 2, 22, 42 et 43 de la Loi sur les Cours fédérales.

[24]           Il est défini comme suit à l’article 2 :

droit maritime canadien Droit — compte tenu des modifications y apportées par la présente loi ou par toute autre loi fédérale — dont l’application relevait de la Cour de l’Échiquier du Canada, en sa qualité de juridiction de l’Amirauté, aux termes de la Loi sur l’Amirauté, chapitre A-1 des Statuts revisés du Canada de 1970, ou de toute autre loi, ou qui en aurait relevé si ce tribunal avait eu, en cette qualité, compétence illimitée en matière maritime et d’amirauté.

Canadian maritime law means the law that was administered by the Exchequer Court of Canada on its Admiralty side by virtue of the Admiralty Act, chapter A-1 of the Revised Statutes of Canada, 1970, or any other statute, or that would have been so administered if that Court had had, on its Admiralty side, unlimited jurisdiction in relation to maritime and admiralty matters, as that law has been altered by this Act or any other Act of Parliament.

[25]           La seconde partie de la définition – la loi qui aurait été administrée – est tellement vaste que, à toutes fins utiles, elle ne correspond pas exactement à la catégorie législative fédérale de sujets correspondant à « navigation ou marine marchande » (arrêt Buenos Aires Maru, précité).

[26]           Le paragraphe 22(1) confère également compétence à la Cour en matière de recours lié à la navigation et à la marine marchande, sauf indication contraire.

[27]           Le paragraphe 22(2) décrit les instances précises sur lesquelles la Cour a compétence, p. ex. :

f) une demande d’indemnisation, fondée sur une convention relative au transport par navire de marchandises couvertes par un connaissement direct ou devant en faire l’objet, pour la perte ou l’avarie de marchandises en cours de route;

f) any claim arising out of an agreement relating to the carriage of goods on a ship under a through bill of lading, or in respect of which a through bill of lading is intended to be issued, for loss or damage to goods occurring at any time or place during transit;

[28]           La demande du CN ne porte pas sur la perte ou l’avarie de marchandises, mais plutôt sur le non-paiement du transport de marchandises.

[29]           L’article 42 prévoit que le droit maritime canadien, dans sa version antérieure à l’adoption de la Loi sur les Cours fédérales, continue à s’appliquer, tandis que l’article 43 porte sur la compétence à titre réel et à titre personnel de la Cour en matière d’amirauté.

[30]           L’arrêt Buenos Aires Maru, précité, constitue la décision de principe en ce qui concerne le contenu du droit maritime canadien. La Cour suprême du Canada a maintenu que la Cour fédérale a compétence en ce qui concerne une réclamation pour perte d’une cargaison transportée en vertu d’un connaissement port à port de Caen, en France, à Montréal où elle a été volée alors qu’elle était entre les mains de l’exploitant du terminal entre le moment du déchargement et celui de la livraison. S’exprimant pour les juges majoritaires, le juge McIntyre a déclaré au paragraphe 23 :

Au risque de me répéter, je tiens à souligner que la nature maritime de l’espèce dépend de trois facteurs importants. Le premier est le fait que les activités d’acconage se déroulent à proximité de la mer, c’est-à-dire dans la zone qui constitue le port de Montréal. Le second est le rapport qui existe entre les activités de l’acconier dans la zone portuaire et le contrat de transport maritime. Le troisième est le fait que l’entreposage en cause était à court terme en attendant la livraison finale des marchandises au destinataire. À mon avis, ce sont ces facteurs qui, pris ensemble, permettent de caractériser la présente affaire comme mettant en cause du droit maritime canadien.

[31]           À première vue, cette citation semble favorable à l’Hanjin Vienna, car les activités du CN ont débuté que lorsque celles de l’exploitant du terminal ont pris fin. Toutefois, dans une décision antérieure, le juge McIntyre a également déclaré :

Je suis d’accord pour dire que la compétence historique des cours d’amirauté est importante pour déterminer si une demande particulière est une matière maritime au sens qu’en donne la définition du droit maritime canadien que l’on trouve à l’article 2 de la Loi sur la Cour fédérale. Je n’irais pas cependant jusqu’à limiter la définition de matière maritime et d’amirauté aux seules demandes qui cadrent avec ces limites historiques. Une méthode historique peut servir à éclairer, mais ne saurait autoriser à limiter. À mon avis, la seconde partie de la définition que donne l’art. 2 du droit maritime canadien a été adoptée afin d’assurer que le droit maritime canadien comprenne une compétence illimitée en matière maritime et d’amirauté. À ce titre, elle constitue une reconnaissance légale du droit maritime canadien comme ensemble de règles de droit fédérales portant sur toute demande en matière maritime et d’amirauté. On ne saurait considérer ces matières comme ayant été figées par la Loi d’amirauté, 1934. Au contraire, les termes « maritime » et « amirauté » doivent être interprétés dans le contexte moderne du commerce et des expéditions par eau. En réalité, l’étendue du droit maritime canadien n’est limitée que par le partage constitutionnel des compétences établi par la Loi constitutionnelle de 1867. Je n’ignore pas, en tirant cette conclusion, que la cour, en déterminant si une affaire donnée soulève une question maritime ou d’amirauté, doit éviter d’empiéter sur ce qui constitue, de par son caractère véritable, une matière d’une nature locale mettant en cause la propriété et les droits civils ou toute autre question qui relève essentiellement de la compétence exclusive de la province en vertu de l’art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. Il est donc important de démontrer que la question examinée dans chaque cas est entièrement liée aux affaires maritimes au point de constituer légitimement du droit maritime canadien qui relève de la compétence législative fédérale. [Non souligné dans l’original.]

[32]           Dans l’arrêt Buenos Aires Maru, la demande dirigée contre l’exploitant du terminal par des personnes ayant un droit sur la cargaison ne relevait pas des instances énumérées au paragraphe 22(2) de la Loi sur les Cours fédérales. Au contraire, elle relevait de l’alinéa 22(1) et la loi devant être administrée était celle que la Cour de l’Échiquier aurait administrée si elle avait eu une compétence illimitée sur les demandes en matière maritime et d’amirauté.

[33]           La division entre la terre et la mer n’est pas aussi limpide que les propriétaires du Hanjin Vienna l’aimeraient. Si une poursuite était intentée contre eux pour dommage à une cargaison couverte par un connaissement, notre Cour aurait compétence sur la demande d’indemnisation à l’encontre du CN (voir l’arrêt Quebec Liquor Corp v The Dark Europe, [1979] FCJ 518, [1979] 3 ACWS 10, et Chemin de fer Canadien Pacifique c. Boutique Jacob Inc., 2008 CAF 85, 375 NR 160).

[34]           La demande du CN porte sur du transport impayé et, par conséquent, ne relève pas de l’alinéa 22(2)f) de la Loi. Elle pourrait, par contre, relever du paragraphe 22(1). Est-il raisonnable que le CN doive s’adresser à la Cour fédérale pour faire valoir une demande concernant la cargaison, mais s’adresser à une cour provinciale pour poursuivre l’expéditeur du fret? Comme l’a confirmé le juge Binnie dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Telezone, 2010 CSC 62, [2010] 3 RCS 585, au paragraphe 18 [Telezone] :

C’est essentiellement l’accès à la justice qui est en cause en l’espèce. Les personnes qui prétendent avoir subi un préjudice attribuable à une mesure administrative doivent pouvoir exercer les recours autorisés par la loi au moyen de procédures réduisant au minimum les frais et complexités inutiles. Notre Cour doit aborder cette question d’un point de vue pratique et pragmatique en gardant cet objectif à l’esprit.

[35]           Le transporteur maritime est l’expéditeur vis-à-vis du CN (arrêt Boutique Jacob, précité). L’une de ses obligations est de ne pas transporter de marchandises dangereuses non déclarées. L’autre est de payer le transport. Il me semble étrange que le CN puisse faire valoir une demande concernant des dommages causés à des marchandises dangereuses devant notre Cour, mais que l’entreprise ne puisse pas intenter une poursuite pour transport impayé.

[36]           Le CN a cité la forme de connaissement que Hanjin utilise, connaissement qui se trouve sur le site Web de Hanjin. Les propriétaires s’opposent. Cependant, ce sont eux qui ont soulevé la question de la compétence de la Cour. Les connaissements sont pertinents. Même si un connaissement trouvé sur un site Internet ne constitue pas nécessairement le meilleur élément de preuve, c’est le seul dont dispose la Cour pour le moment et ce connaissement sera pris en considération.

[37]           Le connaissement définit le transporteur non seulement comme étant Hanjin Shipping Co. Ltd., mais également [traduction] « ses navires, agents et sous-traitants à toutes les étapes du transport, dans le contexte du transport multimodal ». Donc, on pourrait certainement soutenir qu’il existe en fait et en droit, une relation contractuelle entre le CN et les propriétaires du Hanjin Vienna.

[38]           Comme il est mentionné dans l’arrêt Buenos Aires Maru, précité, « les termes ‘‘maritime’’ et ‘‘amirauté’’ doivent être interprétés dans le contexte moderne du commerce et des expéditions ». Dans l’arrêt Buenos Aires Maru, le connaissement en litige était un connaissement port à port. Le CN n’est éventuellement impliqué dans le transport multimodal qu’au moyen des connaissements. En 2009, la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international a adopté la Convention des Nations Unies sur le contrat de transport international de marchandises effectué entièrement ou partiellement par mer. Le préambule mentionne les Règles de La Haye-Visby et les Règles de Hambourg, mais fait état des nombreuses nouveautés technologiques et commerciales qu’a connues le transport maritime depuis l’adoption de ces conventions. Le chapitre 1 de la Convention définit un contrat de transport comme étant le contrat par lequel un transporteur s’engage, moyennant le paiement d’un fret, à déplacer des marchandises d’un lieu à un autre. Le contrat prévoit le transport par mer et peut prévoir, en outre, le transport par d’autres modes.

[39]           La Convention, communément appelée les Règles de Hambourg, a été signée, mais elle n’a toujours pas en vigueur parce qu’elle n’a pas été ratifiée par un nombre suffisant d’États. Le Canada n’est pas partie à la Convention.

[40]           Je ne soutiens pas que les Règles de Rotterdam s’insèrent dans le droit international et ont force de loi au Canada. Même si le Canada avait signé la Convention, celle-ci ne ferait pas partie du droit canadien à moins qu’elle ne soit mise en œuvre par voie législative (arrêts Reference as to Powers to Levy Rates on Foreign Legations, [1943] SCR 208, Chung Chi Cheung v The King, [1939] AC 160; et Laane & Baltser v Estonian SS Line, [1949] SCR 530. Toutefois, dans Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration)), 2002 CSC 1, la Cour a maintenu que des instruments internationaux pourraient influer sur l’interprétation que donne la Cour de notre Charte, et ce, même s’ils ne sont pas intégrés dans le droit canadien. Si notre Constitution est un arbre vivant, notre compréhension de la navigation et du transport, ainsi que des compagnies de transport maritime, peut évoluer au fil du temps.

Loi sur les transports au Canada

[41]           Le CN exploite un chemin de fer qui relie la Colombie-Britannique aux autres provinces et aux États-Unis. Notre Cour a été déclarée compétente en vertu de l’alinéa 23c) de sa loi habilitante. La question qui se pose est de savoir si une loi fédérale doit être administrée. L’alinéa 23c) a été invoqué dans Quebec North Shore Paper c. C.P. Arrêt Ltée., [1977] 2 RCS 1054, et plus récemment dans l’arrêt Corporation of the City of Windsor (City) c. Canadian Transit Co., 2016 CSC 54. Dans les deux cas, la Cour suprême a soutenu que la Cour fédérale n’avait pas compétence, parce qu’il n’existait en fait aucune loi fédérale à administrer.

[42]           Dans l’arrêt Quebec North Shore, la loi habilitante était celle de la province de Québec, et non une loi fédérale. Cela va à l’encontre de la décision subséquente de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Tropwood A.G. et autres c. Sivaco Wire & Nail Co. et autres, [1979] 2 RCS 157, dans laquelle le contrat de transport était régi par les lois de la France. La Cour fédérale a compétence parce que le droit maritime canadien englobe les règles de conflit des lois de la common law, de sorte que des lois étrangères peuvent être établies.

[43]           Dans l’arrêt City of Windsor, la société de transport canadienne était constituée en société sous le régime des lois fédérales. La Loi permet à une entreprise de construire, d’entretenir et d’exploiter un pont enjambant la rivière Detroit entre Windsor et Detroit et, notamment, d’acheter des terrains et des bâtiments à cette fin. La Loi décrète que ses travaux et entreprises profitent généralement au Canada. Toutefois, la Cour suprême du Canada a soutenu que l’entreprise ne tentait pas d’obtenir une mesure corrective « en vertu d’une loi du Parlement ou autre » comme l’exige l’alinéa 23c) de la Loi sur les Cours fédérales, mais qu’elle demandait plutôt une déclaration qu’elle n’était pas liée par un règlement de la ville de Windsor.

[44]           Le contrat intervenu entre Hanjin et, d’une certaine façon, les propriétaires de navires, est visé par la Division IV de la Loi sur les transports au Canada et le Règlement sur la responsabilité à l’égard du transport ferroviaire des marchandises. Les propriétaires soutiennent que la loi fédérale doit créer la cause d’action. Ce n’est pas le cas. Comme il est mentionné dans l’arrêt The Tropwood, précité, la question est de savoir s’il existait un système juridique, mis en application avec compétence ou reconnu par le Parlement, sur lequel la compétence peut être exercée. Il est inexact de dire que, sans loi fédérale, il n’y aurait pas de cause d’action. Il y avait un cadre juridique détaillé et il semble que ce soit tout ce qui est requis. La présente affaire s’apparente à l’arrêt Rhine c. La Reine, [1980] 2 RCS 442. Cette affaire nous rappelle que des concepts tels que « contrat » ou « préjudice » ne peuvent pas être invariablement attribués à l’unique compétence des lois provinciales et réputés être, comme dans la common law, des affaires relevant de la législation provinciale. On a soutenu à maintes reprises qu’il existe réellement une common law fédérale.

[45]           La Loi sur les transports au Canada a été appliquée dans le contexte d’un connaissement direct par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Boutique Jacob, précité (voir également la décision Cami Automotive Inc v Westwood Shipping Lines Inc, 2009 FC 664, conf. par 2012 FCA 16).

[46]           Outre le connaissement direct, lequel inclut un transport maritime, notre Cour s’est déclarée compétente pour trancher une demande d’indemnisation à l’encontre d’une société ferroviaire qui n’offre aucun service maritime. (La décision Herreandknecht Tunneling Systems USA Inc v Canadian Pacific Railway Company, [2003] 2 FC 434, [2002] FCJ No 1447).

Demandes concernant la répartition du produit de la vente

[47]           Au moment de rédiger les présents motifs, le shérif intérimaire avait trouvé un acquéreur pour le Hanjin Vienna. La vente est en instance. Vu la jurisprudence actuelle, même si la demande du CN devait outrepasser la compétence de notre Cour, le CN pourrait quand même le produit de la vente (arrêt Eurobulk Ltd v Wood Preservation Industries Ltd, [1985] FCJ No 44; et décision Scott Steel Ltd v Alarissa (The), [1996] 2 FC 883, [1996] FCJ No 534; toutefois, voir la décision Nordea Bank Norge Asa c. Kinguk (Navire), 2007 CF 434, [2007] ACF no 593, aux paragraphes 21 à 23). En conséquence, les propriétaires du Hanjin Vienna devront quand même reconnaître les mérites de l’action en justice du CN.


ORDONNANCE

Pour ces motifs, la requête est rejetée avec dépens.

« Sean Harrington »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1613-16

INTITULÉ :

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA c. HANJIN SHIPPING CO LTD ET AL

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 février 2017

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :

Le 17 février 2017

COMPARUTIONS :

Jason Kostyniuk

Steve Carey

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour la partie requérante/intimée

Richard Desgagnés

Montréal (Québec)

Pour la demanderesse/défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alexander Holburn Beaudin + Lang LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour LA PARTIE REQUÉRANTE, INTIMÉE

Brisset Bishop

Montréal (Québec)

Pour la demanderesse/défenderesse

 

 

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