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Date : 20170509


Dossier : IMM-4753-16

Référence : 2017 CF 475

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 mai 2017

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

SIU HAK LAU

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Aperçu

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant une décision (la décision) rendue par la Section d’appel des réfugiés (SAR), datée du 20 octobre 2016, rejetant l’appel de la demanderesse et confirmant la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR), selon laquelle la demanderesse n’est ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger, conformément aux articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). La présente demande est déposée en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR.

[2]               La demanderesse est une ressortissante chinoise âgée de 60 ans ayant droit de résidence à Hong Kong. Elle a épousé son ex-mari en 2003. Il est devenu violent envers elle en 2009 et ils ont divorcé en 2010. Toutefois, elle affirme qu’après le divorce, il a continué de communiquer avec elle et l’a forcée à lui donner de l’argent. Même si le dossier n’est pas clair quant à la chronologie exacte des événements, il semble que la demanderesse a vécu à Sydney, en Australie, durant la majeure partie des années 2000, d’abord avec son mari, puis ensuite seule. Elle est retournée à Hong Kong, avant de venir au Canada en août 2012.

[3]               La demanderesse est entrée pour la première fois au Canada en août 2012. Dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (formulaire FDA), elle a indiqué craindre pour sa vie parce que son ex-mari la harcelait et avait menacé de la tuer.

[4]               La SPR et la SAR ont toutes les deux conclu que l’histoire de la demanderesse n’était pas crédible, puisque son témoignage était incohérent et changeait souvent, en plus de ne pas concorder avec son formulaire FDA, en particulier en ce qui a trait aux gestes de son mari. La SPR et la SAR ont conclu que la demanderesse n’avait pas réussi à prouver l’élément central de sa demande d’asile, soit qu’elle craignait son ex-mari.

[5]               La présente demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

II.                 Question en litige et norme de contrôle

[6]               La demanderesse a soulevé une seule question, soit que la SAR a omis d’évaluer l’argumentation qu’elle a présentée comme fondement de son appel devant le tribunal.

[7]               La norme de révision applicable à une décision de la SAR est la norme de la décision raisonnable : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35.

[8]               Le caractère raisonnable d’une décision tient principalement à la justification de celle-ci, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

III.               Position des parties

[9]               Alors que la SPR a tiré plusieurs conclusions en matière de crédibilité, la demanderesse n’a contesté devant la SAR qu’un seul aspect de la décision de la SPR, soit la conclusion selon laquelle elle n’a pas une peur subjective d’être persécutée, et n’est pas crédible, étant donné qu’elle n’a pas déposé de demande d’asile avant avril 2016, soit environ quatre ans après son arrivée au Canada. Elle affirme qu’il s’agissait là d’une question déterminante dont était saisie la SPR, et qu’étant donné que la SAR ne s’est pas penchée sur cet élément, l’affaire doit être renvoyée pour nouvel examen.

[10]           Selon le témoignage de la demanderesse, elle n’a pas fait de demande d’asile à son entrée au Canada parce que lorsqu’elle vivait en Australie, elle avait reçu de l’information selon laquelle seuls les adeptes du Falun Gong ou les chrétiens pouvaient présenter des demandes d’asile au Canada.

[11]           Le défendeur n’est pas d’accord avec la thèse de la demanderesse, selon laquelle la question déterminante devant la SPR concernait son manque de crédibilité découlant de son retard à demander asile. Le défendeur souligne que la demanderesse n’a contesté aucune des diverses conclusions en matière de crédibilité qu’a tirées la SAR. Ces dernières concordent avec les conclusions en matière de crédibilité tirées par la SPR. Ainsi, le retard à déposer sa demande d’asile n’a pas du tout été déterminant au regard de la conclusion selon laquelle elle n’avait aucune peur subjective.

[12]           La demanderesse a affirmé qu’elle ne savait pas au moment où elle est arrivée au Canada qu’elle pouvait déposer une demande d’asile et quand elle a découvert qu’elle le pouvait, elle a déposé sa demande immédiatement. Elle affirme que son témoignage sous serment à propos de ce qui lui a été dit en Australie doit être cru et considéré comme la vérité en l’absence d’une preuve du contraire. En concluant autrement, la SPR a tiré une conclusion spéculative sur sa crédibilité et la SAR a omis de trancher la question de savoir si la SPR avait commis une erreur en tirant cette conclusion.

[13]           Le défendeur affirme que la SPR a tiré de nombreuses conclusions défavorables en matière de crédibilité, qui ont été confirmées par la SAR, qui a écouté la procédure devant la SPR; la demanderesse n’a contesté aucune de ces conclusions, sauf en ce qui concerne la conclusion sur le retard. Ces conclusions additionnelles, et pas seulement le retard à déposer une demande d’asile, ont mené à la conclusion que la demanderesse n’avait pas réussi à prouver qu’elle était menacée par son ex-mari.

IV.              Analyse

[14]           La demanderesse a mal décrit la question déterminante dont étaient saisies la SPR et la SAR. La question déterminante était que ni la SPR ni la SAR ne croyait son témoignage selon lequel elle était menacée par son ex-mari. Elles ont toutes les deux conclu au manque de crédibilité de la demanderesse, qui changeait son histoire en réponse aux questions du tribunal, et souligné les incohérences entre son témoignage écrit et son témoignage de vive voix, en particulier en ce qui a trait aux interactions avec son mari.

[15]           La SPR a conclu que les actions de la demanderesse ne prouvaient pas une crainte subjective véritable de retourner à Hong Kong, et que le retard à demander asile avait sérieusement miné sa crédibilité. Toutefois, si je lis l’ensemble des motifs de la SPR et de la SAR, le temps écoulé avant que la demanderesse ne fasse une demande d’asile n’a pas été déterminant dans le rejet de sa demande d’asile. Il ne composait que l’une des nombreuses conclusions défavorables en matière de crédibilité. Au lieu d’évaluer l’effet du retard sur la crédibilité de la demanderesse, la SAR a plutôt évalué le poids des conclusions non contestées en matière de crédibilité et conclu qu’elles étaient suffisantes pour rejeter la demande d’asile de la demanderesse. C’était raisonnable; la SAR n’a pas l’obligation d’évaluer les motifs d’appel qui selon elle ne sont pas déterminants.

[16]           La conclusion défavorable en matière de crédibilité liée au délai écoulé avant que la demanderesse ne présente une demande d’asile était fondée sur le fait que lorsqu’elle est venue au Canada, la demanderesse a affirmé que ce n’était pas dans le but d’obtenir un statut, mais plutôt d’éviter son mari. La SPR a découvert qu’après son arrivée, la demanderesse a reçu deux permis de visiteur, valides jusqu’au 20 avril 2014. Elle a déposé sa demande d’asile en avril 2016 uniquement après avoir été arrêtée pour avoir travaillé sans permis. Lorsqu’elle a été amenée à un bureau de l’immigration, un interprète lui a dit que si elle craignait quelque chose à Hong Kong, elle pourrait faire une demande d’asile. La demanderesse a témoigné que cela lui avait [traduction] « rappelé » le risque auquel elle était exposée à Hong Kong, et elle a donc déposé une demande d’asile.

[17]           Les motifs pour lesquels la SPR a rejeté la demande d’asile ne reposaient pas sur le délai à lui seul; ils reposaient sur plusieurs autres conclusions défavorables en matière de crédibilité également importantes, dont aucune n’a été contestée en appel devant la SAR.

[18]           La SPR a noté que la demanderesse avait vécu en Australie durant des années. Parce qu’elle était raffinée et avait beaucoup voyagé, obtenant au cours des ans plusieurs visas autant pour l’Australie que pour le Canada, le tribunal n’a pas jugé crédible son affirmation selon laquelle elle croyait que seuls les adeptes du Falun Gong ou les chrétiens pouvaient présenter une demande de statut de réfugié au Canada.

[19]           La SPR a ensuite tiré une conclusion défavorable distincte sur la crédibilité de la demanderesse, du fait qu’elle a seulement décidé de présenter une demande d’asile quand on l’a informée qu’elle pouvait le faire. Le tribunal a estimé, selon la prépondérance des probabilités, qu’une personne exposée à un risque dans son pays d’origine, n’avait pas besoin qu’on lui « rappelle » ce risque quatre ans après avoir fui.

[20]           Le témoignage de la demanderesse contredisait les renseignements inscrits dans son formulaire FDA, dans lequel elle a déclaré qu’elle avait quitté Hong Kong dans le but d’éviter son mari. La demanderesse a témoigné devant la SPR qu’elle avait parlé pour la dernière fois à son ex-mari à la fin de février 2012, et qu’ils avaient cessé de vivre ensemble en janvier 2010. Elle a poursuivi en disant qu’elle n’avait eu aucun problème avec son ex-mari après cette date. Mais elle a affirmé qu’en janvier 2016, quand il a découvert qu’elle était au Canada, il a fait passer un message à un des membres de sa famille, disant qu’il la battrait à mort si jamais il la revoyait à Hong Kong. Confrontée aux incohérences entre son formulaire FDA et son témoignage, la demanderesse a affirmé que son ex-mari l’avait appelée et l’avait harcelée. Quand on lui a ensuite rappelé qu’elle disait dans son formulaire FDA que son ex-mari lui avait envoyé un message par l’intermédiaire d’un membre de sa famille, la demanderesse a affirmé qu’elle avait donné l’information dans son témoignage à son avocat et qu’elle ne savait pas pourquoi elle ne se retrouvait pas dans son exposé circonstancié figurant dans son formulaire FDA. La SPR a estimé que cet ajout était un embellissement ajouté par la demanderesse pour améliorer sa demande d’asile. Par conséquent, la SPR a tiré une conclusion défavorable au regard de la crédibilité.

[21]           La SPR a conclu que la demanderesse était crédible concernant la violence vécue auprès de son ex-mari lorsqu’ils vivaient ensemble en 2009. Toutefois, la SPR a souligné qu’ils étaient divorcés depuis six ans, et que son ex-mari ne vivait pas à Hong Kong; il n’a eu aucun contact direct avec la demanderesse depuis le début de 2012. La SPR a estimé par conséquent qu’il n’était pas vraisemblable que son ex-mari l’ait menacée en janvier 2016.

[22]           Interrogée par son avocat, la demanderesse a déclaré que bien qu’elle n’ait pas vu son mari, il l’avait menacée dans une lettre et avait placé la lettre dans la porte alors qu’elle se trouvait à Hong Kong. Quand on lui a demandé pourquoi elle avait quitté Hong Kong, elle a affirmé qu’elle vivait toujours dans la peur et qu’elle était fatiguée que la jeune sœur de son ex-mari communique avec elle. En interrogatoire, la demanderesse a témoigné que la jeune sœur ne la menaçait pas. Plus tard dans son témoignage, la demanderesse a témoigné qu’elle était venue au Canada parce qu’un vieil ami l’avait invitée. La SPR a tiré une conclusion défavorable quant à sa crédibilité en raison de ce témoignage changeant concernant les raisons de sa venue au Canada.

[23]           La SAR a écouté l’enregistrement de l’audience devant la SPR et a conclu que le témoignage de la demanderesse était incohérent concernant les détails de la violence alléguée qu’elle aurait subie après la séparation et le divorce et ses contacts allégués avec son mari. La SAR a estimé que les incohérences entre l’exposé circonstancié de son formulaire FDA et son témoignage à l’audience montraient qu’elle n’était pas un témoin crédible. Elle a conclu qu’il y avait moins qu’une simple possibilité que la demanderesse craigne des violences futures de la part de son mari, puisqu’il n’existait aucun document ni aucun témoignage crédible ou probant portant qu’elle avait été victime de violences durant les six années précédentes. La demanderesse n’a également pas été cohérente quant à ses raisons de quitter Hong Kong ou de ne pas pouvoir y retourner.

[24]           Quand on examine la décision de la SPR et la décision de la SAR, il est très clair que la demanderesse a fourni amplement de motifs permettant de tirer une conclusion raisonnable selon laquelle elle n’était pas crédible. Il est également clair que le retard de la demanderesse à déposer sa demande d’asile n’était pas une question déterminante, et qu’il ne constituait qu’une des nombreuses conclusions relatives à la crédibilité découlant de l’histoire changeante et incohérente de la demanderesse.

[25]           J’ai précédemment souligné dans Bersie c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 900, comment une cour de révision devait considérer les conclusions en matière de crédibilité tirées par la SPR et la SAR :

[27]      La Cour d’appel fédérale dans Siad c. Canada (Secrétaire d’État), [1997] 1 CF 608, au paragraphe 24 (CAF), a établi le point de départ du contrôle des décisions fondées sur des questions de crédibilité et les exigences qui doivent être satisfaites par le décideur quand il rejette une demande pour des motifs de crédibilité :

Le tribunal se trouve dans une situation unique pour apprécier la crédibilité d’un demandeur du statut de réfugié. Les décisions quant à la crédibilité, qui constituent « l’essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits » doivent recevoir une déférence considérable à l’occasion d’un contrôle judiciaire, et elles ne sauraient être infirmées à moins qu’elles ne soient abusives, arbitraires ou rendues sans tenir compte des éléments de preuve.

Un indicateur important de la crédibilité du témoin est la cohérence de son récit. (Dan-Ash v. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1988), 93 N.R. 33 (C.A.F.))

[traduction] « Si un tribunal rejette une demande sur les motifs que le demandeur n’est pas crédible, il doit exposer ce motif clairement » (Ababio v. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1988), ACF no 250 (CAF)), et [traduction] « il doit motiver la conclusion quant à la crédibilité » (Armson v. Canada (Minister of Employment and Immigration) [1989], ACF no 800 (CAF)).

(espace ajouté pour séparer les principes distincts)

[26]           Comme il est indiqué ci-dessus, la SAR et la SPR ont toutes les deux rendu des conclusions claires sur les questions de crédibilité largement fondées sur les incohérences dans l’histoire de la demanderesse. Chaque tribunal a donné les motifs des conclusions tirées. Le fait que la SAR ait estimé que la conclusion sur la crédibilité de la SPR relativement au délai était non concluante ne rend pas la décision de la SAR déraisonnable. Je n’ai aucune difficulté à conclure que la décision de la SAR était en fait raisonnable et satisfait aux critères énoncés dans l’arrêt Dunsmuir.

[27]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont soumis aucune question pour certification et les faits n’en soulèvent aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4753-16

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande est rejetée.

2.      Vu les faits, il n’y a aucune question à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-4753-16

 

 

INTITULÉ :

SIU HAK LAU c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 mai 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

Le 9 mai 2017

 

COMPARUTIONS :

Elyse Korman

 

Pour la demanderesse

 

Lucan Gregory

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Otis & Korman

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général

du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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