Décisions de la Cour fédérale

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Date : 20170518


Dossier : T-1912-15

Référence : 2017 CF 509

[TRADUCTION FRANÇAISE]

ENTRE :

GEOFFREY W. HODGSON,

MICHELLE E. MURPHY, SCOTT HARRIS, CHANTAL HARRIS, BRENT W. POIRIER, LARA F. SHECTER, JEFFREY T. BANNARD, CHRISTINE L. BANNARD, JOHN E. D. CAMERON, THERESA M. ALLEN, JENNIFER L. SCHECTER

(AUSSI CONNUE SOUS LE NOM DE JENNIFER L. SHECTER),

JEFFREY N. BALIN,

JOHN I. CHRISTENSEN,

STEPHEN B. COULSON,

STEFANIA G. CICCONE,

CRISTINA M. CICCONE,

WAN H. JUNG, KUEI S. FU, HENRY SCHROEDER, JERRY JANES, DIANA JANES, JIN MA, LA SUCCESSION DE HERBERT M. M. LEWIS (DÉCÉDÉ), JOHN W. WHITEFOOT, SHEILA M. WHITEFOOT, DONALD A. COOKE, KAREN L. COOKE,

WONG L. LEE, MAN-LOONG LEE, MARILYN J. ROSS, WILLIAM T. ZIEMBA, JAMES R. THOMPSON, ANN B. THOMPSON, YUM C. LAU, IRENE LAU, HELEN C. L. TING, SHAVIV BEN NERIAH, SUSANA G. BEN NERIAH, CHI J. LIU, KEE L. SZE, ALI SHAH, FIKRIYE SHAH, KHI Y. TJIN, YUNG C. LIU, LISA A. RAGOSIN, MIRIAM G. WEINSTEIN, SHAUNA L. LORE, PATRICIA LAI, LUKE A. LAI, JEAN M. PATTON, SHEILA W. PATTON, BARBARA J. PATTON, PAMELA A. PATTON, BRUCE R. BAILEY, LISA J. BAILEY, JUDITH F. EYRL,

LI Q. WANG, ZHE M. YAN, QIN ZHANG, HELENA KAN, FRANCESCO L. PICCONE, MARIA C. PICCONE, ANTHONY W. L. LO, CYNTHIA LEE, NIK D. KELAVA, MARY J. KELAVA, HAN XIA, SEUK J. JANG, SEONG I. HAN, YUNG H. LIU, CAROLYN RENDLE, PREIANATHAN ARMOGAM, AMELIA F. M. HENRIKSEN, GEOFFREY LEE DESIGN & CONSTRUCTION LTD., ROBERT J. RIVINGTON, AGNIESZKA RIVINGTON, MARGARET A. C. NIELSEN, KWAN Y. LIU, AMY W. C. LIU, NICOLE L. FUNK, NORMAN D. FUNK, MIRA V. MODI, CHARLES H. SHNIER, WILLIAM V. Y. SHEN, HAPPY C. Y. SHEN, ROSS LOUKAS, GEORGIA LOUKAS, SILVIA B. NEGRONI, LAURA T. NEE, YIRK L. SO, SAU Y. SO, MOHAMED R. M. LUTHFY, SITHIE R. LUTHFY, STEPHEN D. SHAW, ELIZABETH J. L. CLARKE, JI S. LIM, CHOON M. LIM, LILY R. ENG, CAROL M. S. LAI, DONG H. KIM, HYE M. KIM, ALLAN T. OKABE, SUZANNE A. OKABE, TAMARA BELL, PAUL-SONG WU, LI ZHOU, CHRISTINE YIM HUNG SIU, YIN TAT HO

ET WALEED SUKKARIE

demandeurs

et

LA BANDE INDIENNE DE MUSQUEAM ET

SA MAJESTÉ LA REINE

DU CHEF DU CANADA

défenderesses

et

KIMBERLEY LAWSON, CHESTER LAWSON, CHERYL BURDICK, DANIEL P. ROYER, XIE SHI WANG (AUSSI CONNU SOUS LE NOM DE XUE SHI WANG), WILLIAM NORMAN KING,

ROSALIND RAE FORD

mises en cause

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE MACTAVISH

vide

Paragraphe

  1. Résumé des faits

[3]

  1. Litige concernant l’augmentation du loyer en 1995

[14]

  1. Décision de la Cour fédérale

[15]

  1. Arrêt de la Cour d’appel fédérale

[25]

  1. Arrêt de la Cour suprême du Canada

[28]

  1. Négociation du loyer en 2015

[44]

  1. Questions en litige

[48]

  1. Preuve d’expert

[51]

  1. Méthode d’évaluation de M. Dybvig

[55]

[70]

[74]

[89]

[100]

[105]

  1. Méthode de M. Neufeld

[116]

[117]

[121]

[122]

[134]

[142]

[153]

[156]

  1. Analyse

[158]

  1. Raisons de préférer les éléments de preuve présentés par M. Dybvig à ceux de M. Neufeld

[163]

[165]

[173]

[198]

[229]

[230]

[265]

[288]

[292]

[296]

[299]

  1. Coûts de viabilisation des terrains du parc Musqueam

[315]

  1. Inférences à tirer du fait que M. Neufeld a produit des éléments de preuve sur l’établissement des coûts

[319]

  1. Question de droit afférente aux coûts de viabilisation

[328]

  1. Incidence des coûts de viabilisation sur la valeur marchande courante des terrains du parc Musqueam

[351]

  1. Répartition de la valeur entre les lots

[357]

  1. Intérêts

[362]

  1. Dépens

[365]

  1. Forme du jugement

[366]

[1] Par la présente action, les demandeurs souhaitent que la Cour se prononce sur le « juste loyer » annuel que devraient payer les preneurs à bail de 69 lots de l’ensemble résidentiel du parc Musqueam, situé dans la réserve indienne no 2 de Musqueam, au sud-ouest de Vancouver, pendant 20 ans à compter du 8 juin 2015. Aux termes des baux pertinents, le « loyer juste » annuel de chaque lot doit correspondre à 6 % de la « valeur courante du terrain » immédiatement avant le 8 juin 2015.

[2] La Cour suprême du Canada a conclu que la nature du droit dans un terrain qui doit être évalué selon la clause de révision du loyer stipulée dans les baux du parc Musqueam correspond au droit en fief simple hypothétique dans les terrains visés. En conséquence, la question principale à trancher dans le cadre de la présente action concerne la valeur d’un droit en fief simple dans les terrains du parc Musqueam à l’état non amélioré et non viabilisé le 7 juin 2015.

I. Résumé des faits

[3] Il ne semble pas y avoir litige entre les parties pour ce qui concerne les faits suivants, lesquels sont tirés d’un exposé présenté conjointement par les titulaires de bail demandeurs et la Bande indienne de Musqueam défenderesse (la Bande). Bien que Sa Majesté la Reine du chef du Canada (le Canada) ne soit pas partie à l’exposé conjoint, son avocat a confirmé que le Canada ne conteste pas les faits exposés ci-dessous. Les tierces parties (les titulaires de bail des six autres lots résidentiels du parc Musqueam) n’ont pas pris part à la présente action.

[4] Le 17 février 1960, la Bande a cédé au Canada environ 40 acres du territoire de la réserve indienne no 2 de Musqueam aux fins de location. Conformément aux dispositions de la Loi sur les Indiens, LRC 1952, c 149, le Canada a accepté la cession à cette fin le 20 avril 1961.

[5] Le 8 juin 1965, le Canada a conclu une « entente-cadre » avec la Musqueam Development Company Limited (la société). La société n’est pas liée à la Bande. Aux termes de l’entente-cadre, la société s’engageait à lotir et à viabiliser le terrain de réserve cédé, qui a ensuite été divisé en deux parcelles (les parcelles B et G dans l’entente-cadre).

[6] En 1965, la parcelle G a été subdivisée en 70 lots, dont 69 étaient destinés à la construction d’habitations individuelles (lots 1 à 69) et 1 à la construction d’un immeuble d’habitation (lot 70). Le lot 70 n’est pas visé par la présente instance. Après la subdivision de la parcelle B en 1972, 6 autres lots ont été destinés à la construction d’habitations individuelles (lots 71 à 76). Un tableau indiquant les numéros de lots, les adresses municipales et la superficie en pieds carrés de chacun figure à l’annexe A des présents motifs.

[7] Après le lotissement et la viabilisation par la société, le Canada a remis des baux à la société pour chacun des 75 lots (les baux). Exception faite de la description du lot visé, les clauses des baux de 99 ans ne diffèrent pas de manière marquée. En contrepartie d’une somme forfaitaire et d’un loyer annuel à payer au Canada au profit de la Bande, la société a cédé chaque bail afin que le titulaire construise une résidence sur le lot loué visé. Depuis, certains baux ont été cédés.

[8] Au début, les titulaires des baux payaient leur loyer annuel à la Bande par l’intermédiaire du Canada. Depuis 1980, après le transfert du pouvoir de gestion des terrains de cession la Couronne à la Bande, les loyers lui sont payés directement.

[9] Les loyers annuels étaient établis par les baux à l’égard de chaque lot de la parcelle G pour les 30 premières années du bail, c’est-à-dire du 8 juin 1965 au 7 juin 1995. Les loyers étaient les suivants :

  1. pour chaque année de la première période de 10 ans du bail, un montant moyen de 298 $ environ;

  2. pour chaque année de la deuxième période de 10 ans du bail, un montant moyen de 343,75 $ environ;

  3. pour chaque année de la troisième période de 10 ans du bail, un montant moyen de 375 $ environ.

[10] Le loyer annuel et la durée du bail de chaque lot de la parcelle B étaient légèrement différents en raison de la date de l’entrée en vigueur ultérieure.

[11] Les baux comportaient des modalités de révision obligatoire du loyer après les 30 premières années, et tous les 20 ans par la suite. Les modalités de révision du loyer, stipulées aux paragraphes 2(2) à (4), sont libellées comme suit :

[traduction]

(2) Le loyer relatif à chaque année des trois premières périodes successives de vingt (20) ans et de la dernière période de neuf (9) ans correspond à un juste loyer à l’égard du lot visé, lequel loyer est négocié immédiatement avant le début de chacune de ces périodes. Dans le cadre de ces négociations, les parties tiennent pour acquis que, à la date de celles-ci, les terrains sont :

a) des terrains non améliorés se trouvant dans l’état où ils étaient à la date de la présente entente;

b) des terrains comportant une voie d’accès publique;

c) des terrains se trouvant dans une zone lotie;

d) des terrains zonés pour la construction résidentielle d’habitations individuelles,

et les présomptions qui précèdent seront également formulées dans le cas de toute détermination du loyer conformément aux dispositions du paragraphe (3) des présentes.

(3) Si le ministre et le preneur à bail ou les cessionnaires de celui-ci ne peuvent s’entendre sur les loyers à payer au cours de l’une des périodes successives selon le paragraphe (2) qui précède, la question sera tranchée conformément à l’alinéa 18(1)g) de la Loi sur la Cour de l’Échiquier.

4) Un loyer annuel total net représentant six pour cent (6 %) de la valeur courante du terrain, calculé à la date des nouvelles négociations conformément à la méthode énoncée au paragraphe (2) des présentes, est considéré comme un « juste loyer » aux fins des présentes.

[12] Les loyers ont été négociés pour la première fois aux termes des baux en 1995. Malgré les variations entre les loyers annuels de chaque lot, la Bande a exigé un loyer annuel moyen de 36 000 $ pour chacun. Les preneurs à bail ont refusé, et les parties n’ont pas pu s’entendre sur une augmentation de loyer acceptable pour la période de 20 ans débutant le 8 juin 1995.

[13] Par conséquent, en 1996, la Bande a intenté une action devant notre Cour, successeur de la Cour de l’Échiquier. Dans le cadre de son action, la Bande souhaitait obtenir une ordonnance fixant le « juste loyer » annuel à l’égard de chacun des 75 lots pour la période du 8 juin 1995 au 7 juin 2015 (l’action de 1996).

II. Litige concernant l’augmentation du loyer en 1995

[14] L’action introduite en 1996, plaidée devant trois instances judiciaires, a été tranchée par la Cour suprême du Canada en 2000. Étant donné que les conclusions des différentes instances sont au cœur de la présente affaire, j’examinerai en détail les jugements prononcés à l’égard de l’action de 1996.

A. Décision de la Cour fédérale

[15] L’action introduite par la Bande a été instruite en juin 1997 par le juge Rothstein, alors juge de notre Cour. Sa décision est publiée sous l’intitulé Musqueam Indian Band c Glass, [1997] ACF no 1339 (QL), (1997), 137 FTR 1, [1997] ACF no 1339 [Glass (CF)].

[16] Le juge Rothstein a fait remarquer dans l’affaire Glass (CF) qu’un droit afférent à des terres de réserve indienne est généralement inaliénable, et qu’une bande ne peut vendre ni par ailleurs grever des terres de réserve, sauf en cédant les terres à la Couronne. Bien que la cession absolue permette que les terres soient détenues en fief simple, elle prive irrévocablement une terre de sa qualité de « terre réservée aux Indiens ». Étant donné que les terres en cause dans l’action de 1996 avaient été cédées de façon absolue à la Couronne en vue de leur location et non de leur vente, le juge Rothstein a conclu qu’il serait inacceptable de les évaluer comme si elles étaient détenues en fief simple. Il a plutôt conclu « qu’aux fins de la nouvelle négociation des loyers, la tenure à bail envisagée est une tenure à bail de 99 ans » visant des terres de réserve (Glass (CF) au paragraphe 38).

[17] En raison de la difficulté à établir la valeur courante du terrain du parc Musqueam, le juge Rothstein a commencé par examiner la valeur des terrains hors réserve avoisinants. De l’avis commun des évaluateurs qui ont comparu devant le juge Rothstein, la valeur moyenne d’une propriété en fief simple sur des terrains hors réserve comparables en juin 1995 s’établissait à 600 000 $. En utilisant ce prix comme point de départ, le juge Rothstein a réduit de la moitié la valeur des terrains en cause compte tenu des droits de tenure à bail à long terme s’y rattachant et, en ses mots, « du fait qu’il[s] se trouv[aient] sur une réserve indienne ». Il est ainsi parvenu à une valeur moyenne de 300 000 $ par lot (Glass (CF), au paragraphe 86).

[18] La Bande a fait valoir au procès que la prise en compte du fait que les terrains du parc Musqueam sont situés dans une réserve indienne dans le calcul de la valeur courante des terrains en question était discriminatoire et contraire à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.) .1982, c 11. Selon la Bande, la prise en compte du caractère inaliénable des terres de réserve « a pour effet de dévaluer injustement les terres des réserves et de perpétuer à tort les distinctions défavorables et la discrimination dont les Indiens et leurs terres ont fait l’objet dans le passé » (Glass (CF), au paragraphe 41).

[19] Le juge Rothstein a reconnu que « [l]a méthode d’évaluation a[vait] été vivement débattue en l’espèce » (Glass (CF), au paragraphe 41). Il a toutefois conclu que la valeur des terrains du parc Musqueam était moindre que celle des propriétés en fief simple avoisinantes non pas en raison de considérations liées à la discrimination, comme le faisait valoir la Bande, mais en raison du marché. Il a aussi conclu que la valeur inférieure n’était « pas liée de façon importante au fait que le droit [...] est un droit de tenure à bail » puisque les experts ont témoigné qu’il n’y avait « pas de différence perceptible entre la valeur d’un domaine à bail et celle d’un domaine franc » au début du bail à long terme (Glass (CF), au paragraphe 57). Selon le juge Rothstein, la différence entre la valeur d’un terrain du parc Musqueam et celle de terrains avoisinants détenus en fief simple en dehors de la réserve tenait plutôt au « fait qu’il se trouve sur une réserve indienne » (Glass (CF), au paragraphe 57).

[20] Qui plus est, le fait qu’un terrain « se trouve sur une réserve indienne » constitue l’un des « facteurs pouvant avoir des répercussions négatives sur la valeur d’un droit de tenure à bail à long terme à l’égard d’un terrain situé sur une réserve indienne » (Glass (CF), au paragraphe 43). À ces facteurs s’ajoutaient, de l’avis du juge, l’incertitude liée à l’évaluation et aux taxes foncières; l’agitation connue dans plusieurs réserves indiennes de la province, ainsi que l’inéligibilité des non-Autochtones au sein de l’organisme dirigeant la réserve, le conseil de bande (les résidents qui n’étaient pas des Indiens ne pouvaient pas voter sur des questions comme l’aménagement, le zonage ou la fiscalité). De plus, l’approbation du ministre était requise à l’égard de certaines ventes ou hypothèques, ou de certains travaux de construction. Enfin, même si la ville de Vancouver avait externalisé la prestation des services aux propriétés du parc Musqueam, tels que la collecte des ordures, les égouts et les services de police et des incendies, aucune entente permanente définitive n’avait été conclue à ce sujet (Glass (CF), au paragraphe 44).

[21] Le juge Rothstein a établi un taux de réduction de 50 % en comparant la valeur des propriétés à bail du parc Salish (un autre lotissement résidentiel de la réserve indienne no 2 de Musqueam à proximité du parc Musqueam) à celle des propriétés situées dans l’ouest de Vancouver. Selon son analyse, le prix de vente des terrains du parc Salish correspondait à la moitié environ de celui des propriétés comparables de l’ouest de Vancouver. À cet égard, le juge a repris à son compte l’opinion d’un évaluateur comme quoi cette différence pouvait s’expliquer par le fait que les propriétés du parc Salish se trouvaient dans la réserve Musqueam. Le juge Rothstein a de plus déterminé que la réduction de 50 % pouvait s’appliquer aux propriétés du parc Musqueam et que la valeur moyenne de chaque lot s’établissait donc à 300 000 $.

[22] Après avoir fixé la valeur moyenne d’un lot à 300 000 $, le juge Rothstein s’est demandé « dans quelle mesure il [était] nécessaire de déduire les frais de service [viabilisation] de cette valeur pour le parc Musqueam afin de respecter l’hypothèse prescrite à l’alinéa 2(2)a) du bail ». Cette disposition prévoit que pour établir la valeur marchande courante des propriétés du parc Musqueam aux fins de la révision des loyers, il faut le faire en considérant que les terrains sont « non améliorés et [se trouvent] dans l’état où ils étaient à la date de la présente entente ». Le juge Rothstein devait établir à quelle « entente » renvoyaient les baux. C’était un aspect important puisque les terrains étaient viabilisés lorsque les baux ont été signés, alors qu’ils ne l’étaient pas à la conclusion de l’entente-cadre le 8 juin 1965.

[23] Le juge Rothstein a déterminé que les baux renvoyaient à l’entente-cadre et que les parties devaient donc tenir pour acquis que le terrain n’était pas viabilisé aux fins de la révision du loyer (Glass (CF), au paragraphe 96). Par conséquent, le juge Rothstein a conclu que tous les frais de service devaient être déduits de la valeur courante des terrains viabilisés du parc Musqueam (Glass (CF), au paragraphe 101).

[24] Le loyer annuel prévu aux baux pour la période de 20 ans commençant le 8 juin 1995 variait en fonction de la superficie des 75 lots et d’autres caractéristiques, mais la décision du juge Rothstein a eu pour résultat d’établir le loyer annuel moyen des lots du parc Musqueam pour la période du 8 juin 1995 au 7 juin 2015 à 10 000 $ environ chacun.

B. Arrêt de la Cour d’appel fédérale

[25] La Cour d’appel fédérale a accueilli en partie l’appel de la décision du juge Rothstein dans Bande indienne de Musqueam c Glass, [1999] 2 CF 138, [1998] ACF no 1893 [Glass (CAF)]. La Cour s’est dissociée de l’opinion du juge Rothstein quant à la nature du droit dans une propriété à évaluer. De l’avis de la Cour, le juge a commis une erreur en mettant l’accent sur la nature du droit des preneurs à bail dans le terrain plutôt que sur la valeur du terrain lui-même. Par conséquent, la Cour d’appel fédérale a conclu que la « valeur courante du terrain » s’entendait de la valeur d’une propriété franche plutôt que la valeur d’un droit de tenure à bail de 99 ans dans les terrains du parc Musqueam.

[26] La Cour a aussi conclu que comme il fallait évaluer un droit de pleine propriété et non un droit de tenure à bail dans des terrains situés dans la réserve, le juge Rothstein a commis une erreur lorsqu’il a réduit la valeur de 50 % « du fait qu’il s’agissait de terres situées sur une réserve » (Glass (CAF), au paragraphe 75).

[27] Selon la Cour d’appel fédérale, la mention de la [traduction] « valeur courante du terrain » dans les baux signifiait que la bande avait le droit, à titre de loyer annuel, à 6 % de la valeur de la pleine propriété du terrain, et que la valeur hypothétique du lot moyen détenu en pleine propriété s’élevait donc à 600 000 $.

C. Arrêt de la Cour suprême du Canada

[28] La principale question soumise à la Cour suprême du Canada consistait à savoir si le passage « valeur courante du terrain » dans les baux s’entendait de la valeur du terrain en tant que terrain faisant partie d’une réserve, tel que le faisaient valoir les preneurs à bail, ou la de valeur du titre en fief simple sur un terrain semblable hors réserve, indépendamment des facteurs liés à sa qualité de terrain faisant partie d’une réserve, comme le soutenait la Bande (Bande indienne de Musqueam c Glass, 2000 CSC 52, au paragraphe 5, [2000] 2 RCS 633 [Glass (CSC)].

[29] Dans une décision partagée, huit des neuf juges ont convenu qu’en l’absence d’une indication contraire dans les baux, l’expression « valeur courante du terrain » employée dans la clause de révision des baux du parc Musqueam désignait la valeur du terrain détenu en fief simple et non pas sa valeur en tant que propriété à bail (Glass (CSC), aux paragraphes 9 et 35). Le juge Bastarache était toutefois d’avis que la « valeur courante du terrain » devait être calculée en fonction d’un droit de tenure à bail dans les terrains du parc Musqueam puisque celui qui était en cause était un terrain à tenure à bail situé dans une réserve. À son avis, cette façon de faire était conforme à l’intention des parties (Glass (CSC), au paragraphe 61).

[30] S’exprimant en son propre nom et en celui de trois autres juges, le juge Gonthier a exprimé l’avis que le mot « valeur », tel qu’on l’emploie en droit immobilier, « signifie généralement la juste valeur marchande du terrain, laquelle est fondée sur le prix dont un vendeur et un acheteur, [traduction] “tous deux bien informés et consentants”, conviendraient pour le terrain sur un marché libre » (Glass (CSC), au paragraphe 37). Il a aussi observé que la justification d’ordre économique pour fixer le loyer selon un pourcentage de la valeur du terrain tient à ce que le fait de fixer le loyer selon un pourcentage de la valeur marchande du terrain « constitue une formule par laquelle un investisseur prudent s’attend, en contrepartie d’un rendement modeste sur son investissement, à un maximum de certitude et à un minimum de risques » (Glass (CSC), au paragraphe 40, citant Revenue Properties Co. c Victoria University (1993), 101 DLR (4th) 172 (C. div. Ont.), à la page 180).

[31] Selon le juge Gonthier, le loyer constitue donc le véritable rendement sur la valeur marchande du terrain, de sorte que le bailleur pourrait vendre le terrain à sa valeur courante et réinvestir le produit aux taux d’intérêt en vigueur, si le terrain ne faisait pas l’objet d’un bail à long terme. Le fait d’évaluer les terrains du parc Musqueam selon leur valeur en tant que propriétés franches est conforme à l’interprétation des baux voulant que la clause de révision du loyer vise à tirer un juste rendement annuel d’une immobilisation (Glass (CSC), au paragraphe 40). La juge en chef McLachlin, s’exprimant au nom de quatre juges, a conclu dans le même sens (Glass (CSC), au paragraphe 10).

[32] Selon le juge Gonthier, le fait d’évaluer les terrains du parc Musqueam selon leur valeur en tant que propriétés franches n’emporte pas forcément la conclusion de la Cour d’appel fédérale selon laquelle il faut utiliser la valeur de terrains hors réserve en tant que propriétés franches pour établir le loyer. Il en est ainsi parce que l’immobilisation en cause est constituée de terrains situés dans une réserve qui ont été cédés pour être loués et non pour être vendus. De plus, les baux du parc Musqueam ne précisaient pas que la valeur de terrains hors réserve devait être utilisée dans la formule de révision du loyer.

[33] Le juge Gonthier a concédé que le titre franc n’existe pas dans une réserve, mais que cela n’empêche pas de déterminer la valeur hypothétique d’un terrain détenu en fief simple aux fins du calcul de la révision du loyer (Glass (CSC), au paragraphe 35). Selon lui, en l’absence d’un véritable marché des terrains de réserve en tant que propriétés franches, l’hypothèse à utiliser pour établir la valeur marchande devrait refléter la situation réelle du terrain à évaluer, sans changer sa nature.

[34] Ainsi, la valeur d’une hypothétique propriété en fief simple située dans la réserve devrait refléter les restrictions légales en matière d’utilisation du territoire, par opposition aux restrictions prévues par le bail, ainsi que les conditions du marché. On ne peut toutefois tenir pour acquis que « les restrictions légales ou les conditions du marché sont les mêmes pour les terrains situés dans une réserve que pour ceux situés hors d’une réserve » (Glass (CSC), au paragraphe 46). En fait, la valeur des terrains hors réserve détenus en fief simple n’est pas transposable aux terrains du parc Musqueam. Le juge Gonthier a conséquemment enjoint aux parties de tenir compte des données du marché pour déterminer la valeur d’une hypothétique propriété en fief simple dans la réserve Musqueam (Glass (CSC), au paragraphe 48).

[35] Il convient de rappeler que le juge Rothstein a établi la valeur moyenne de terrains comparables détenus en fief simple hors réserve à 600 000 $, ce à quoi les experts des deux parties ont souscrit. La Cour d’appel fédérale n’a pas remis cette conclusion en cause, et la majorité de la Cour suprême non plus.

[36] Il a aussi été reconnu par cinq juges, dont les juges Gonthier et Bastarache, que la valeur marchande courante des terrains du parc Musqueam pouvait être réduite en raison de leur emplacement dans une réserve. Dans son exposé de cette conclusion, le juge Gonthier fait observer que l’évaluation d’une propriété doit tenir compte des conditions du marché auxquelles elle est soumise et que le contexte juridique d’une réserve doit aussi être pris en considération dans l’appréciation de la valeur des terres (Glass (CSC), au paragraphe 48).

[37] Il a reconnu que l’absence de marché réel de propriétés franches assujetties aux baux complique l’évaluation de leur valeur marchande courante puisque les terrains perdraient les attributs que leur confère le fait qu’ils sont situés dans une réserve s’ils étaient cédés pour être vendus. La majorité de la Cour suprême a néanmoins conclu que la valeur hypothétique d’un titre en fief simple afférent à un terrain situé dans une réserve pouvait être décidée en ajustant la valeur de terrains hors réserve pour tenir compte des caractéristiques réelles des terrains et du marché (Glass (CSC), au paragraphe 49).

[38] De plus, la majorité de la Cour suprême a souligné que les droits sur les propriétés du parc Salish sont des tenures à bail et non des tenures franches, et qu’il fallait donc établir la valeur hypothétique des terrains visés en tant que propriétés en fief simple. La Cour a conclu en conséquence que le juge Rothstein avait commis une erreur en réduisant la valeur du terrain parce qu’il possédait les attributs d’un intérêt à bail (Glass (CSC), au paragraphe 52). La majorité a toutefois conclu que cette erreur n’avait pas eu d’effet appréciable quant à la valeur marchande des terrains du parc Musqueam puisque les experts ont tous reconnu qu’il n’existait pas de différence perceptible entre la valeur d’un domaine à bail et celle d’un domaine franc au début d’un bail à long terme.

[39] De plus, la majorité a souligné que les parties ne s’étaient pas opposées au taux de réduction de 50 % devant la Cour suprême, et qu’aucune observation n’avait été présentée sur ce point. La majorité a accepté que les incertitudes relevées par le juge Rothstein se reflétaient dans la réduction de 50 % de la valeur des propriétés situées dans le parc Musqueam. Étant donné que la valeur marchande courante des terrains du parc Musqueam était inférieure de 50 % à la valeur de propriétés comparables hors réserve, il s’ensuivait que le loyer pour la période de 20 ans en cause devait être fondé sur la valeur réduite.

[40] Si la Cour suprême n’a pas modifié la conclusion du juge Rothstein concernant le taux de déduction de 50 %, la majorité a pris le soin de souligner la possibilité que le marché réagisse différemment à l’avenir, et que « [l]a question de l’ampleur de la réduction qui devr[a] être appliquée, voire de l’opportunité d’une réduction, est une question de fait » (Glass (CSC), au paragraphe 52).

[41] Les neuf juges sont unanimes sur la question des coûts de viabilisation. La question dont la Cour suprême était saisie était celle de savoir si des terrains [traduction] « non améliorés » sont des terrains non bâtis ou s’il faut aussi comprendre qu’ils ne sont pas viabilisés. Dans ce dernier cas, la Cour a statué qu’il fallait déduire une certaine somme de la « valeur courante du terrain » pour remettre théoriquement le terrain dans l’état où il était avant d’être viabilisé (Glass (CSC), au paragraphe 54).

[42] La Cour suprême du Canada a tranché que, dans son sens ordinaire, l’expression « terrains non améliorés » s’entend de « terrains non viabilisés » et pas seulement de terrains non bâtis (paragraphe 55). Ainsi, il faut déduire les coûts de viabilisation du terrain de la valeur marchande courante de la propriété.

[43] La Cour suprême a convenu, à l’instar du juge Rothstein, que le loyer annuel moyen de chacun des lots du parc Musqueam pour la période du 8 juin 1995 au 7 juin 2015 devait être fixé à 10 000 $.

III. Négociation du loyer en 2015

[44] Au début de 2015, les titulaires des baux, par l’entremise d’un représentant de la Musqueam Park Leaseholders Association (l’Association), ont rencontré les représentants de la Bande en vue de négocier, sous toute réserve, le [traduction] « juste loyer » annuel des propriétés du parc Musqueam pour la période du 8 juin 2015 au 7 juin 2035. Au terme de négociations de bonne foi, les parties n’ont pas réussi à s’entendre sur les loyers qui devaient être pratiqués pour la période de 20 ans en cause.

[45] Le 8 mai 2015, la Bande a délivré un avis à chacun des titulaires de bail pour les informer que le loyer annuel augmenterait de 58 543 $ à 146 743 $ pour la période du 8 juin 2015 au 7 juin 2035. Le loyer moyen proposé correspondait à 80 000 $ environ par année pour chaque lot, ce qui représentait une augmentation de 8 fois le loyer annuel moyen qui avait été considéré comme étant le « juste loyer » pour la période du 8 juin 1995 au 7 juin 2015.

[46] Les titulaires de bail n’ont pas accepté l’augmentation de loyer proposée par la Bande et, malgré la poursuite des négociations menées sous toute réserve entre la Bande et l’Association, le litige n’a pas été résolu. Tel que les en autorisait le bail, les titulaires de bail demandeurs ont porté la présente affaire devant notre Cour le 12 novembre 2015.

[47] Entre-temps, chaque titulaire de bail continue à payer à la Bande le loyer annuel fixé selon l’arrêt Glass (CSC) sous réserve de tout ajustement futur requis après que notre Cour aura établi le « juste loyer » annuel pour la période du 8 juin 2015 au 7 juin 2035.

IV. Questions en litige

[48] Les parties conviennent que la présente action soulève les deux questions suivantes :

  1. Laquelle des méthodes suivies par les experts a permis d’établir, selon les directives de la Cour suprême dans l’arrêt Glass (CSC), la valeur marchande d’un terrain non amélioré et non viabilisé hypothétique détenu en fief simple dans une réserve?

  2. Quels coûts de viabilisation faut-il déduire de la valeur de lots hypothétiques détenus en fief simple dans une réserve pour établir la valeur des lots en tant que terrains se trouvant dans l’état où ils étaient à la date de l’entente-cadre, c’est-à-dire non améliorés et non viabilisés?

[49] S’agissant de la première question, les demandeurs soutiennent qu’une fois que j’aurai déterminé lequel des deux évaluateurs a fourni les éléments de preuve les plus fiables, je devrai souscrire à son estimation de la valeur marchande courante des terrains du parc Musqueam. Les demandeurs me prient de ne pas mettre de l’avant ma propre opinion sur certains aspects précis puisque les techniques d’évaluation ne relèvent pas de la compétence spécialisée de la Cour (Piot c Canada, 2016 CF 1077, aux paragraphes 92 et 93, [2016] ACF No 1042.

[50] Si j’ai bien compris, les demandeurs conviennent avec la Bande que je ne suis pas tenue d’analyser la preuve des experts selon une approche [traduction] « tout ou rien », et qu’il m’est effectivement loisible de retenir les éléments de preuve ou les arguments de l’une des parties sur certaines questions, et ceux de l’autre sur d’autres. Effectivement, il m’appartient de choisir la manière dont j’aborderai l’examen qui m’incombe.

V. Preuve d’expert

[51] Un expert en évaluation de biens immobiliers a témoigné pour la Bande et un autre pour les demandeurs sur la question de la [traduction] « valeur marchande courante » d’un droit en fief simple hypothétique dans les terrains en cause dans la présente instance. Les demandeurs ont cité Larry Dybvig à témoigner, et la Bande a cité Lonnie Neufeld. Les deux ont été reconnus comme experts en matière d’évaluation de terrains et de loyer foncier.

[52] Les demandeurs ont également cité Nancy Hill à témoigner en leur nom. Mme Hill, reconnue comme experte en génie civil et en établissement des coûts des infrastructures municipales, a produit des éléments de preuve au sujet des coûts de viabilisation des terrains du parc Musqueam. M. Neufeld a aussi produit des éléments de preuve au sujet des coûts de viabilisation, mais la Bande a renoncé à faire valoir une grande partie de ceux-ci avant le début du procès.

[53] Le Canada a été représenté par des avocats tout au long du procès, mais il n’a pas produit d’élément de preuve et n’a pas non plus contre-interrogé les témoins des autres parties ni fait d’observation sur cette question. Comme il a été mentionné précédemment, aucune des tierces parties n’a pris part à la présente instance.

[54] En ce qui concerne la preuve portant sur l’évaluation, MM. Dybvig et Neufeld ont appliqué des méthodes fondamentalement différentes pour établir la valeur marchande courante d’un droit en fief simple hypothétique dans les terrains du parc Musqueam. Chacune de ces méthodes sera examinée dans les sections qui suivent.

A. Méthode d’évaluation de M. Dybvig

[55] Dans son rapport initial, M. Dybvig explique que la méthode d’évaluation des terrains non bâtis se prêtant à une mise en valeur peut varier en fonction de la nature des données disponibles.

[56] Il a reconnu en contre-interrogatoire que la technique de la parité est celle qui est préconisée si des données sur la vente de propriétés comparables sont disponibles. Cette technique est fondée sur le principe de la substitution, selon lequel l’acheteur prudent ne paierait pas plus pour une propriété que ce qu’il lui en coûterait pour faire l’acquisition d’une propriété de substitution tout aussi attrayante et offerte à des conditions semblables.

[57] La technique de la parité nécessite de faire des recherches sur des opérations mettant en cause des propriétés et des conditions de marché essentiellement similaires, puis de faire des comparaisons. En l’espèce, M. Dybvig a déclaré que la comparaison aurait dû être faite entre des propriétés vendues récemment, situées dans la réserve dans le parc Musqueam, détenues en fief simple et qui avaient la même utilisation optimale que les propriétés évaluées. Les propriétés comparables devaient en outre avoir une superficie et une taille semblables à celles des propriétés visées, et être visées par des mesures de contrôle semblables de l’utilisation du territoire.

[58] Selon M. Dybvig, le fait que les terrains en cause sont situés dans une réserve complique l’analyse. Il a fait valoir que la technique de la parité ne peut être appliquée puisque la valeur marchande courante des propriétés du parc Musqueam ne peut être établie au vu de la vente réelle de terres de réserve détenues en fief simple. Le fait est que les terres de réserve ne sont jamais détenues en fief simple, et que le droit à évaluer est donc hypothétique.

[59] Même si d’autres méthodes auraient pu être employées pour établir la valeur de lots en fief simple hypothétiques situés dans la réserve Musqueam, M. Dybvig a expliqué que la plupart auraient nécessité des ajustements pour estimer la valeur d’un terrain détenu en fief simple dans une réserve et que, partant, le résultat aurait été moins fiable.

[60] Plus précisément, l’évaluateur a voulu savoir s’il y avait lieu de prendre en compte les ventes de propriétés franches situées dans l’ouest de Vancouver pour évaluer les propriétés du parc Musqueam. Il a estimé que cette méthode ne conviendrait pas, pour plusieurs raisons.

[61] En premier lieu, le marché de l’ouest de Vancouver évolue différemment de celui des parcs Musqueam et Salish. Comme il a été expliqué auparavant, le parc Salish est un autre lotissement situé dans la réserve Musqueam, immédiatement au sud du parc Musqueam, avec lequel il partage de nombreuses caractéristiques. Le parc Salish compte 154 lots qui ont été aménagés aux termes de baux payés à l’avance pour une durée de 99 ans, qui ont été conclus en 1970 ou vers cette année.

[62] M. Dybvig a souligné que les prix augmentaient rapidement dans le marché des propriétés franches de l’ouest de Vancouver en juin 2015, de sorte que la valeur des lots a dépassé la valeur relative des maisons s’y trouvant. Ce déséquilibre a donné naissance au phénomène dit de « l’obsolescence économique » ou « externe », lequel s’est manifesté par l’acquisition de nombreuses maisons « pour démolition » qui n’avaient pas perdu toute valeur physique ou fonctionnelle dans l’ouest de Vancouver.

[63] Autrement dit, en raison de l’augmentation importante et rapide de la valeur des terrains dans l’ouest de Vancouver, alliée à la quasi-absence de terrains vagues dans cette partie de la ville, des lots sur lesquels se trouvaient des maisons habitables de 40 ou 50 ans ont été acquis au prix fort. Comme la qualité et la taille des maisons se trouvant sur ces lots ne correspondaient plus à la valeur du terrain, les maisons ont été démolies et remplacées par des maisons plus grandes peu après la conclusion de la vente. Ce phénomène ne s’est toutefois pas étendu au parc Salish ou au parc Musqueam. L’absence de maisons « vouées à la démolition » dans ces deux collectivités a porté M. Dybvig à conclure que l’utilisation optimale du terrain continue de correspondre aux maisons qui s’y trouvent.

[64] Il a fait observer de plus que pour comparer la valeur d’un droit en fief simple hypothétique dans un terrain situé dans une réserve et celle d’un droit en fief simple réel dans un terrain hors réserve, il faut tout d’abord déterminer la valeur d’un droit dans un terrain situé « dans une réserve ». Une fois cette valeur connue, il deviendrait superflu ou redondant d’établir la valeur d’une propriété comparable détenue en fief simple hors réserve.

[65] De l’avis de M. Dybvig, le fait que le droit à évaluer est détenu en fief simple à l’égard d’une propriété située dans la réserve représente l’aspect le plus important et le plus problématique de l’évaluation des propriétés du parc Musqueam. Il ajoute qu’il pourrait « seulement faire des hypothèses » quant aux raisons pour lesquelles la valeur des terrains situés dans la réserve et hors réserve varie, et que l’écart est fonction de l’endroit.

[66] En l’absence de données claires sur le marché, selon M. Dybvig, il est impossible d’apporter des ajustements fondés sur le marché pour tenir compte de la différence entre les ventes de propriétés situées hors réserve et la valeur de celles qui se trouvent dans la réserve, et il serait fondamentalement conjectural d’utiliser des opérations de vente liées à des propriétés de l’ouest de Vancouver comme base de comparaison. Il s’en est donc abstenu. Il a plutôt suivi une méthode qui, à son avis, fournissait un maximum de renseignements fondés sur le marché et nécessitait un minimum d’ajustements.

[67] M. Dybvig a établi que les ventes récentes de propriétés dans le parc Salish constituaient la meilleure source de données comparables aux fins de l’évaluation des lots du parc Musqueam. Les propriétés du parc Salish et celles des lots du parc Musqueam sont assez similaires pour ce qui est de leur nature, de leur configuration et de la qualité du voisinage. Les deux lotissements sont adjacents au Shaughnessy Golf & Country Club, et la superficie moyenne des lots est semblable dans les parcs Salish et Musqueam. En conséquence, les ventes réalisées dans le parc Salish répondaient à tous les critères établis par M. Dybvig aux fins de la comparaison des ventes, exception faite de la nature du droit dans le terrain.

[68] Tout comme les propriétés du parc Musqueam, celles du parc Salish ne sont pas détenues en fief simple. Toutefois, à l’inverse des lots du parc Musqueam (où le loyer est payé périodiquement), les occupants des propriétés du parc Salish sont titulaires d’un droit de tenure à bail payé à l’avance dans leur lot. Au moment de l’évaluation du 7 juin 2015, il restait 58 années à écouler aux baux. Cette différence n’est cependant pas un problème pour ce qui est d’établir la valeur des propriétés puisque, comme en ont convenu MM. Dybvig et Neufeld, les experts peuvent facilement établir quel ajustement « de tenure à bail à tenure franche » est requis pour tenir compte de ce paramètre dans une analyse du marché.

[69] Dans cette optique, M. Dybvig a suivi une méthode en trois étapes qui fait intervenir une extraction pour établir la valeur marchande courante d’un droit en fief simple hypothétique afférent aux terrains du parc Musqueam.

1) Première étape suivie par M. Dybvig : établissement de la valeur d’un droit dans un terrain situé « dans la réserve ».

[70] La première étape suivie par M. Dybvig consistait à établir la valeur d’un droit dans un terrain situé « dans la réserve ». Il a analysé 21 ventes réalisées dans le lotissement du parc Salish au cours des 3 années précédant l’évaluation du 7 juin 2015, et il a opéré un ajustement en fonction du moment au besoin.

[71] Pour ce faire, M. Dybvig a reporté les 21 ventes de propriétés du parc Salish sur un graphique afin de déterminer s’il existait un lien entre la date de la vente et le prix obtenu. Il en est ressorti que, malgré la hausse marquée de la valeur des maisons au cours des années précédentes à Vancouver, le lien était ténu entre la date et le prix de vente des maisons du parc Salish.

[72] M. Dybvig a aussi analysé 3 paires de ventes à l’intérieur de son groupe de 21 comparables. La comparaison du prix de propriétés très semblables du parc Salish vendues à des dates différentes a confirmé que leur valeur avait peu bougé, ou n’avait pas bougé du tout, et qu’il n’y avait pas lieu d’ajuster le prix de vente pour tenir compte des conditions du marché dans le parc Salish au cours des 3 années précédant l’évaluation du 7 juin 2015.

[73] Cette analyse a permis à M. Dybvig d’établir la valeur marchande des droits de tenure à bail de 58 ans payés à l’avance afférents à des terrains améliorés de superficies variées dans la réserve Musqueam. Il importe de mentionner que les propriétés du parc Salish se trouvent dans la réserve Musqueam et que, de ce fait, M. Dybvig n’a pas eu à déterminer s’il devait appliquer une quelconque [traduction] « réduction » pour comparer la valeur des propriétés du parc Musqueam et du parc Salish.

2) Deuxième étape suivie par M. Dybvig : établissement de la valeur comptable nette des améliorations apportées aux propriétés du parc Salish.

[74] Étant donné qu’il se trouvait une maison individuelle sur les propriétés vendues dans le parc Salish, la deuxième étape de l’analyse de M. Dybvig a consisté à appliquer la méthode de l’extraction de la valeur du terrain pour soustraire la valeur contributive du coût amorti des bâtiments de la valeur générale des 21 propriétés vendues dans le parc Salish. Il a obtenu ainsi ce qu’il a qualifié de preuve directe de la valeur sur le marché de terrains vagues lotis et viabilisés, situés dans la réserve Musqueam et visés par des baux payés à l’avance qui viendront à échéance dans 58 ans.

[75] Pour estimer le coût amorti des bâtiments se trouvant sur les propriétés du parc Salish, M. Dybvig a tout d’abord utilisé le programme informatique Marshall Swift, lequel sert de guide aux évaluateurs de biens immobiliers pour établir les coûts de construction. Dans le programme Marshall Swift, M. Dybvig a saisi des renseignements précis pour définir les paramètres de construction de chaque maison (nature de la construction, type de revêtement de sol, décalage des niveaux d’habitation, présence d’un sous-sol, etc.). Le programme a établi le coût de remplacement médian selon le marché à 190 $ le pied carré (le coût moyen se situant à 196 $ le pied carré pour chaque maison des 21 propriétés du parc Salish).

[76] M. Dybvig a ensuite examiné le marché local de la construction pour vérifier la plausibilité du coût moyen de remplacement de 196 $ le pied carré obtenu avec le programme Marshall Swift. Pour ce faire, il a communiqué avec trois constructeurs exerçant leurs activités principalement dans l’ouest de Vancouver. Deux de ces constructeurs lui ont indiqué que leurs coûts de construction allaient de 200 $ à 350 $ le pied carré, alors que le troisième constructeur a déclaré qu’ils commençaient à 400 $ le pied carré, soit beaucoup plus que le coût moyen de 196 $ le pied carré obtenu avec le programme Marshall Swift.

[77] Si M. Dybvig avait fondé ses calculs sur les coûts de construction indiqués par les constructeurs de l’ouest de la ville, les demandeurs auraient bénéficié d’une réduction de la valeur du droit sous-jacent dans les terrains. Cependant, M. Dybvig a estimé que le coût de construction de nouvelles maisons de qualité supérieure dans l’ouest de Vancouver ne pouvait pas s’appliquer aux maisons du parc Salish. Pour [traduction] « confirmer la valeur réellement attribuée aux nouvelles maisons dans le marché », il a analysé d’autres marchés dans lesquels la qualité des maisons se rapprochait davantage de celle des maisons du parc Salish, et plus précisément des ventes de maisons nouvelles dans les marchés de North Vancouver, de South Surrey, de White Rock et de Burnaby.

[78] À partir de cette analyse, M. Dybvig a estimé que le coût moyen par pied carré des maisons nouvelles dans ces quartiers était légèrement plus élevé que le coût de remplacement (à l’état neuf) des maisons du parc Salish obtenu avec le programme Marshall Swift.

[79] Optant pour la prudence, il a décidé de ne pas appliquer un coût de construction par pied carré supérieur aux fins de l’établissement de la valeur de chacune des maisons du parc Salish comme si elles étaient à l’état neuf. Il a plutôt utilisé les données relatives à des quartiers comparables pour confirmer que les données du marché étayaient le coût médian de 190 $ et le coût de construction moyen de 196 $ selon l’analyse du programme Marshall Swift. M. Dybvig a ensuite calculé ce qu’il en coûterait pour remplacer les améliorations apportées à chacune des 21 propriétés du parc Salish.

[80] Après avoir estimé ce coût de remplacement, il a établi la valeur comptable nette des améliorations pour déterminer leur incidence sur le prix de vente de chacune des 21 propriétés.

[81] L’âge moyen des maisons du parc Salish était de 38 ans en juin 2015. M. Dybvig a fait valoir que, d’après l’analyse du programme Marshall Swift, une maison individuelle peut avoir une durée de vie de 60 à 70 ans selon la qualité de la construction. Il a donc considéré que les maisons du parc Salish avaient subi une certaine perte de valeur en raison de leur âge. M. Dybvig a aussi observé que les modèles de maison ont changé au cours des 40 dernières années, et que celles qui sont plus récentes ont généralement une aire ouverte où se trouvent la cuisine, la salle à manger et la salle de séjour, alors que ces pièces sont plutôt fermées dans les maisons construites dans les années 1970. Il faut donc penser que le style ancien de la maison type du parc Salish impose de prendre en compte un certain facteur d’obsolescence fonctionnelle.

[82] Pour établir la valeur comptable nette des maisons des 21 propriétés du parc Salish, M. Dybvig a pris en considération l’âge et l’apparence de chacune et il a vérifié si elle se trouvait dans son état d’origine ou si elle avait été rénovée et, le cas échéant, quand les travaux de rénovation avaient été effectués. À cet escient, il est passé devant chaque maison afin d’en observer l’état et il a examiné la vingtaine de photos en couleurs accompagnant leur fiche d’inscription du service interagences. Ces photos étaient, aux dires de M. Dybvig, très révélatrices quant à l’état de chaque maison et au type des rénovations réalisées. Dans certains cas, il a parlé à l’agent immobilier qui s’était occupé de la vente pour confirmer certains renseignements concernant l’état des propriétés.

[83] Selon cette analyse, M. Dybvig a estimé que la valeur contributive des améliorations apportées aux 21 propriétés du parc Salish allait de 58 $ à 145 $ le pied carré, avec une « tendance centrale » de l’ordre de 108 $ le pied carré. Il a appliqué un taux d’amortissement moyen de 45 %.

[84] M. Dybvig a ensuite réalisé une analyse de marché pour vérifier si son estimation de la valeur comptable nette des améliorations apportées aux propriétés du parc Salish était raisonnable. Il a examiné 16 maisons de North Vancouver vendues en 2015 dont la superficie et l’âge étaient très comparables à ceux des maisons du parc Salish. À son avis, les maisons de North Vancouver représentaient un bon point de comparaison en raison de leur qualité et de leur âge très similaires à ceux des maisons du parc Salish. Cette analyse a convaincu M. Dybvig que la valeur contributive était comparable pour les maisons de North Vancouver et du parc Salish, et que ses estimations de l’amortissement étaient donc plausibles.

[85] Il s’est ensuite intéressé de nouveau aux 21 ventes de propriétés du parc Salish. Après avoir procédé à de légers ajustements en fonction du moment, il a pu établir la valeur des lots viabilisés, mais non améliorés de la réserve Musqueam qui sont détenus en tenure à bail payé à l’avance pour une durée de 58 ans. La valeur résiduelle de ces lots était de 450 173 $ à 901 269 $, et leur prix au pied carré était de 54 $ à 90 $.

[86] Pour évaluer les lots du parc Musqueam, M. Dybvig a choisi une propriété « de référence » qui présentait un bon nombre des caractéristiques des propriétés comparables du parc Salish. Il lui a ensuite attribué une valeur marchande compte tenu de l’analyse décrite précédemment.

[87] La majorité des terrains du parc Musqueam ont une forme rectangulaire et ils ont une superficie de 8 779 à 27 094 pieds carrés (la superficie moyenne s’établissant à 12 143 pieds carrés, et la superficie médiane à 11 924 pieds carrés). Le lot 36, situé au 8, Semana Crescent dans le parc Musqueam (le lot de référence) est un lot intercalé, il a une forme rectangulaire et donne sur une rue paisible de faible circulation, des caractéristiques qu’il partage avec la majorité des comparables du parc Salish. Le lot de référence a une superficie de 9 610 pieds carrés et, pour la plupart, les autres lots du parc Salish ont une superficie de 9 000 à 10 000 pieds carrés.

[88] Après avoir procédé à un ajustement en fonction du moment, M. Dybvig a établi la valeur (fondée sur le prix au pied carré) du lot de référence dans une réserve à 70 $ le pied carré, en considérant qu’il était visé par un droit de tenure à bail payé à l’avance pour une durée de 58 ans. En multipliant la superficie de 9 610 pieds carrés du lot de référence par la valeur du terrain de 70 $ le pied carré, M. Dybvig a établi à 672 700 $ la valeur du lot de référence, en considérant qu’il était viabilisé, mais non amélioré, et qu’il était visé par un droit de tenure à bail payé à l’avance pour une durée de 58 ans.

3) Troisième étape suivie par M. Dybvig : calcul de l’ajustement de tenure à bail à tenure franche

[89] À ce stade de l’analyse, M. Dybvig avait établi la valeur du lot de référence du parc Musqueam en considérant qu’il était visé par un droit de tenure à bail afférent au terrain. Parce que l’exercice visait à évaluer un droit de tenure franche afférent à un terrain situé dans une réserve, M. Dybvig a ensuite eu recours à des données du marché pour comparer la valeur marchande d’un droit de tenure à bail payé à l’avance d’une durée de 58 ans afférent à un terrain à celle d’un droit de tenure en fief simple afférent au même terrain afin de dégager un [traduction] « facteur de conversion de tenure à bail à tenure franche » (« ajustement de tenure à bail à tenure franche »).

[90] MM. Dybvig et Neufeld ont convenu que si les baux des propriétés du parc Salish venaient à échéance dans 99 ans, le prix pouvant être exigé pour les lots correspondrait quasi exactement à la valeur des terrains détenus en fief simple dans une réserve étant donné qu’un droit de tenure à bail de 99 ans correspondrait à peu près à la valeur marchande d’un droit de tenure en fief simple afférent au même terrain. Cela dit, comme la durée restante des baux du parc Salish était de 58 ans seulement au moment de l’évaluation du 7 juin 2015, il s’imposait de procéder à un ajustement de tenure à bail à tenure franche.

[91] MM. Dybvig et Neufeld ont convenu par surcroît que les évaluateurs recourent souvent à des analyses du marché pour opérer l’ajustement adéquat de tenure à bail à tenure franche. M. Dybvig a indiqué qu’un évaluateur doit, pour ce faire, analyser les ventes de propriétés détenues en tenure à bail payé à l’avance et comparer leur prix de vente à celui de propriétés franches aussi similaires que possible qui sont détenues en fief simple. Cette démarche permet à l’évaluateur de dégager la différence de valeur en pourcentage.

[92] M. Dybvig a comparé quatre groupes de ventes par paires de propriétés détenues au titre d’un droit de tenure à bail de longue durée payé à l’avance et de propriétés situées dans les environs immédiats qui étaient détenues en fief simple. Il a fourni à cet escient des preuves photographiques et des renseignements supplémentaires corroborant la similitude des propriétés. Ces comparaisons lui ont permis d’établir la différence de valeur entre un droit de tenure à bail de longue durée afférent à un terrain et un droit détenu en fief simple.

[93] Le premier groupe de propriétés vendues étaient situées à North Vancouver. M. Dybvig a comparé les prix de vente de 6 maisons en rangée en copropriété en tenure à bail, lequel venait à échéance dans 43 ans, à ceux obtenus pour 6 maisons en rangée en tenure franche dans les environs immédiats. L’âge, la superficie, le modèle, le style et l’emplacement des maisons étaient semblables. Même si chaque groupe de propriétés présentait des points forts et des points faibles, ils n’étaient pas suffisamment importants selon M. Dybvig pour démarquer un groupe par rapport à l’autre. Selon cette analyse, il fallait appliquer un taux d’ajustement de tenure à bail à tenure franche de 1,11 pour un bail venant à échéance dans 43 ans.

[94] Le deuxième groupe de paires de ventes mettait en cause huit logements en tenure à bail et huit logements en tenure franche dans des immeubles de trois ou quatre étages au sud-est de Vancouver. En plus d’examiner les données liées aux opérations de vente, M. Dybvig a interrogé un agent immobilier spécialisé dans les propriétés de ce secteur. Cette démarche lui a permis de recenser les majorations et les diminutions applicables dans ce marché, dont il fait état dans son rapport. M. Dybvig a opéré un ajustement pour tenir compte des légères différences entre les paires de ventes eu égard à des caractéristiques comme la vue offerte, la superficie, l’orientation ou l’emplacement. Il a ainsi obtenu un taux d’ajustement de tenure à bail à tenure franche inférieur à 5 % lorsque la période restante du bail dépassait 90 ans.

[95] Le troisième groupe de paires de ventes était constitué de 14 logements situés dans des immeubles de 8 et 11 étages respectivement du secteur False Creek de Vancouver; dans le cas de ces propriétés en tenure à bail, la période restante du bail était de 33 ans. L’analyse a dégagé un taux d’ajustement moyen de tenure à bail à tenure franche de 1,11 pour ces propriétés, avec un taux médian de 1,14.

[96] Le dernier groupe était constitué de cinq paires de maisons individuelles vendues dans le sud-est de Vancouver; ces propriétés étaient en tenure à bail, lequel avait une durée restante de 75 ans. M. Dybvig a établi au terme de son analyse que le taux moyen d’ajustement de tenure à bail à tenure franche applicable à ces propriétés allait de 1,04 à 1,10 (1,08 pour la majorité).

[97] Au vu de ces résultats, il a estimé qu’un taux d’ajustement de tenure à bail à tenure franche de 1,10 conviendrait en l’espèce. Cela dit, il a jugé qu’un autre facteur devait être pris en compte pour fixer un taux définitif,

[98] savoir l’incidence possible sur l’évaluation de l’admissibilité des locataires de logements en copropriété à tenure à bail situés dans une municipalité de la Colombie-Britannique au remboursement de la valeur marchande des améliorations apportées aux propriétés occupées à la fin du bail. M. Dybvig a précisé que la manière dont la valeur de ce « droit réversif » est établie soulève évidemment des questions.

[99] Selon son estimation, la valeur d’un droit réversif pourrait atteindre 5 % de la valeur d’une propriété. Son rapport de réponse contient une analyse économique de la valeur actualisée de ce droit réversif qui établit la valeur courante approximative entre 1,8 et 3,6 % de la valeur de la propriété en question. La Bande n’a pas contesté cette analyse lors de son contre-interrogatoire de M. Dybvig, et M. Neufeld ne l’a pas non plus commentée dans son témoignage lors de l’instruction. Par suite de la prise en compte de la valeur d’un droit réversif, M. Dybvig a obtenu un taux d’ajustement de tenure à bail à tenure franche de 15 %, ou un multiplicateur de 1,15.

4) Application de l’analyse de M. Dybvig aux propriétés du parc Musqueam

[100] À l’issue de son analyse en trois étapes, M. Dybvig a appliqué un multiplicateur de 1,15 à la valeur du lot de référence, établie à 672 700 $ dans le cas d’un lot viabilisé, mais non amélioré visé par un bail payé à l’avance venant à échéance dans 58 ans. Il a ainsi obtenu une valeur arrondie de 774 000 $ pour le lot de référence, considéré comme un lot en fief simple hypothétique viabilisé, mais non amélioré dans une réserve.

[101] Pour établir la valeur des 68 autres lots du parc Musqueam occupés par les demandeurs, M. Dybvig a comparé la valeur de 774 000 $ obtenue pour le lot de référence à la valeur fiscale qui lui avait été attribuée par la British Columbia Assessment Authority, soit 1 861 000 millions de dollars. M. Dybvig en a déduit que la valeur marchande réelle du terrain correspondait à 41,57 % de sa valeur fiscale.

[102] Il convient de souligner que la British Columbia Assessment Authority établit la valeur fiscale des propriétés à bail des lotissements du parc Musqueam et du parc Salish comme si elles étaient détenues en fief simple à l’extérieur de la réserve. Cette évaluation fictive est le fruit du règlement sur l’évaluation pris le 11 mars 1996 par la Bande. Selon le règlement, la [traduction] « valeur réelle » s’entend de « la valeur marchande du droit de tenure franche afférent à un terrain et des améliorations apportées comme si le titulaire détenait un droit de tenure franche hors réserve ». M. Dybvig ne s’est toutefois pas intéressé à la valeur fiscale absolue à ce stade de son analyse, mais plutôt à son lien avec la valeur marchande de la propriété, calculée comme s’il existait un droit de tenure franche afférent au terrain.

[103] M. Dybvig, rappelons-le, siège à la section d’appel de la British Columbia Provincial Assessment, et il a estimé que cette autorité d’évaluation avait attribué des valeurs raisonnablement proportionnelles aux 69 lots du parc Musqueam. Il a par conséquent établi que la valeur des 68 autres lots correspondait à 41,57 % de sa valeur fiscale.

[104] M. Dybvig a ainsi obtenu la valeur marchande de chacun des lots des demandeurs situés dans le parc Musqueam et considérés comme s’ils étaient viabilisés, mais non améliorés, et détenus en fief simple dans une réserve. Les résultats de l’évaluation de chacun des lots effectuée par M. Dybvig figurent à l’annexe 2 de son premier rapport d’évaluation (pièce P-4).

5) Coûts de viabilisation

[105] Après avoir établi la valeur marchande courante d’un droit en fief simple hypothétique afférent à un terrain viabilisé, mais non amélioré dans la réserve Musqueam, M. Dybvig a déduit les coûts de viabilisation du lotissement pour obtenir la valeur marchande courante d’un terrain à l’état non amélioré et non viabilisé. Se fondant sur les rapports de Nancy Hill, l’ingénieure experte citée par les demandeurs et travaillant pour AECOM, M. Dybvig a déduit les coûts de viabilisation, ainsi que les coûts associés de mise en valeur et de financement de la valeur des terrains du parc Musqueam. Il a ainsi obtenu la valeur de chacun des lots visés, considérés comme un droit en fief simple hypothétique afférent à un terrain non viabilisé et non loti dans la réserve.

[106] M. Neufeld a aussi fourni des éléments de preuve concernant les coûts de viabilisation. Toutefois, peu avant le début de l’instruction, les avocats de la Bande ont déclaré qu’ils retiraient les éléments de preuve de M. Neufeld portant sur les coûts de viabilisation des propriétés du parc Musqueam.

[107] Je m’attarderai plus longuement à la preuve produite par Mme Hill plus loin dans les présents motifs. Pour l’instant, je me bornerai à souligner que le retrait des éléments de preuve produits par M. Neufeld au sujet des coûts de viabilisation du lotissement du parc Musqueam a fait en sorte qu’il ne pouvait y avoir de litige véritable sur ce point entre les parties.

[108] Pour déduire les coûts de viabilisation (ainsi que les coûts associés de mise en valeur et de financement) de la valeur des terrains du parc Musqueam, M. Dybvig a appliqué la « technique résiduelle » du lotissement. Les promoteurs immobiliers recourent couramment à cette méthode pour établir le prix d’acquisition de terrains en friche qui n’ont pas été viabilisés.

[109] M. Dybvig a déduit les frais de vente (essentiellement, les commissions des agents immobiliers) et le bénéfice escompté du promoteur immobilier de la valeur des terrains viabilisés. Il a aussi déduit les frais directs de conception et de mise en valeur du lotissement, ainsi que les frais indirects associés. Dans son estimation des coûts, M. Dybvig a inclus une somme pour les jardins pluviaux intégrés au système de gestion des eaux de pluie, et déduit 10 % de la valeur des terrains viabilisés au titre d’un paiement de remplacement de l’aménagement d’un parc. Ces deux éléments de l’analyse des coûts de viabilisation sont les seuls qui sont toujours contestés par la Bande. Autrement, la Bande a renoncé à contester l’application par M. Dybvig de l’analyse résiduelle du lotissement par suite du retrait de la critique formulée à ce sujet par M. Neufeld.

[110] Selon M. Dybvig, la valeur résiduelle qui en résulte correspond à la valeur qui peut être attribuée aux terrains en friche du parc Musqueam. Pour tenir compte du fait que cette valeur pouvait être attribuée aux terrains trois ans après la date de l’évaluation, pas avant (c’est-à-dire après le délai d’approbation du lotissement, la construction des infrastructures et la vente réelle des terrains viabilisés), M. Dybvig a appliqué un taux réduit pour calculer la valeur définitive des terrains à la date de l’évaluation.

[111] M. Dybvig a conclu que la valeur de la parcelle de terre de 40 acres située dans le parc Musqueam et considérée comme une propriété non améliorée et non viabilisée, détenue en fief simple dans une réserve s’établissait à 26 550 $ à la date de l’évaluation. Cela représentait à peu près le point médian entre la valeur résiduelle du terrain, établie par M. Dybvig à partir de la valeur courante des fonds propres non empruntés (26 849 113 $), et sa conclusion fondée sur la valeur courante des fonds propres empruntés (26 277 974 $).

[112] M. Dybvig a ensuite comparé la valeur globale de 26 550 000 $ obtenue pour les propriétés du parc Musqueam aux valeurs fiscales que leur avait attribuées la British Columbia Assessment Authority. Il a ainsi obtenu un coefficient de 17,459 %, qu’il a ensuite appliqué à chacun des 69 lots appartenant aux titulaires de baux demandeurs.

[113] M. Dybvig a fourni à la Cour un tableau indiquant la valeur de chacun des lots des titulaires de baux demandeurs, considérés comme des lots non améliorés et non viabilisés détenus en fief simple dans une réserve. Selon M. Dybvig, la « valeur marchande courante » des lots des demandeurs allait de 274 979 $ à 542 800 $ à la date de l’évaluation.

[114] Il a aussi calculé le « juste loyer » pour la période du 8 juin 2015 au 7 juin 2035 de chacun des lots des titulaires de baux demandeurs dans le parc Musqueam. À cette fin, il a appliqué un taux de 6 %, conformément à la formule de révision des loyers stipulée dans les baux, à la « valeur marchande courante » du lot de chaque demandeur à la date de l’évaluation. Il a ainsi obtenu un loyer annuel moyen de 21 151 $ environ pour chaque lot.

[115] Le tableau indiquant la valeur et le loyer de chacun des 69 lots occupés par les titulaires de bail demandeurs figure à l’annexe B des présents motifs.

B. Méthode de M. Neufeld

[116] La méthode suivie par M. Neufeld est fondamentalement différente de celle qu’a utilisée M. Dybvig pour évaluer les terrains du parc Musqueam. Par conséquent, ils sont parvenus à des conclusions fort différentes relativement à leur valeur marchande lors de l’évaluation du 7 juin 2015. Cela dit, avant de me pencher sur la méthode d’évaluation de M. Neufeld, je trouve indiqué de me pencher sur le mandat qu’il a reçu.

1) Mandat confié à M. Neufeld

[117] Les explications concernant le mandat confié à M. Neufeld durant le procès n’étaient pas tout à fait claires. Il semble ressortir d’un courriel transmis par Jim Reynolds (l’avocat principal de la Bande) à M. Neufeld, de même que de certains éléments de preuve produits lors de l’interrogatoire préalable du gestionnaire de la Bande, Doug Raines, que la société Deloitte avait rédigé un rapport destiné à la Bande concernant [traduction] « les valeurs des terrains détenus en fief simple dans le secteur ouest, calculées sans réduction pour tenir compte des facteurs liés à l’emplacement dans une réserve ». Il avait seulement été demandé à M. Neufeld [traduction] « de déterminer la réduction à appliquer en 2015, le cas échéant, pour tenir compte des facteurs liés à l’emplacement dans une réserve ». Dans une lettre subséquente, il a été demandé à M. Neufeld de fournir une opinion concernant les coûts de viabilisation à déduire de la valeur des terrains visés.

[118] Même s’il était mentionné dans le courriel de l’avocat de la Bande qu’une copie du rapport de la société Deloitte avait été transmise à M. Neufeld, il a déclaré lors de son témoignage qu’il ne se souvenait pas d’avoir eu ce rapport entre les mains. Ce rapport ne se trouvait pas dans le dossier de M. Neufeld et il n’a pas non plus été fourni à la Cour.

[119] Dans la lettre adressée à M. Neufeld, il lui était demandé de déterminer [traduction], « les réductions à appliquer, le cas échéant, à la valeur des lots résidentiels pour habitations individuelles, dans leur état non amélioré, qui sont détenus en fief simple à proximité de la réserve indienne Musqueam no 2 et qui sont comparables à ceux de la parcelle A (parc Musqueam), située dans la réserve, afin de tenir compte des facteurs liés à l’emplacement dans une réserve indienne, conformément aux dispositions applicables des baux telles qu’elles ont été interprétées par le juge Gonthier dans l’arrêt Glass de la Cour suprême du Canada ». La lettre est claire : le mandat confié à M. Neufeld se limitait à établir 1) si la valeur des terrains du parc Musqueam devait quand même être réduite pour tenir compte de leur emplacement dans une réserve indienne; 2) les coûts de viabilisation des terrains.

[120] Malgré la portée limitée du mandat confié à M. Neufeld, il a quand même abordé dans ses rapports les questions de la valeur marchande courante d’un droit en fief simple hypothétique afférent aux terrains du parc Musqueam dans leur état non viabilisé et non amélioré. Il n’a jamais été éclairci devant la Cour si M. Neufeld l’a fait de son propre chef, ou s’il a reçu d’autres instructions ou des instructions plus précises avant l’instruction. Les avocats de la Bande ont eux-mêmes reconnu que les éléments de preuve concernant la portée du mandat de M. Neufeld étaient quelque peu [traduction] « vagues ».

2) Méthode suivie par M. Neufeld pour établir la valeur

[121] M. Neufeld commence son analyse en examinant les diverses méthodes d’évaluation. Il souligne que l’application de la technique de la parité [traduction] « convient mieux pour l’évaluation des propriétés qui font couramment l’objet des opérations réalisées dans un marché ouvert ». De l’avis de M. Neufeld, la technique de la parité convenait pour l’évaluation des propriétés en cause ici.

3) Application par M. Neufeld de la technique de la parité

[122] Étant donné qu’il avait reçu le mandat d’évaluer de lots pour habitations individuelles, non améliorés et non viabilisés et détenus en fief simple, M. Neufeld a étudié le marché des terrains vagues dans l’ouest de Vancouver. Selon lui, il pouvait avoir ainsi une bonne idée de la valeur des propriétés détenues en fief simple dans ce qu’il appelle le [traduction] « marché normal », c’est-à-dire le marché hors réserve. Il convenait qu’il y aurait peut-être lieu de corriger les valeurs obtenues pour tenir compte du fait que les propriétés se trouvaient dans une réserve.

[123] Dans sa recherche de ventes comparables dans l’ouest de Vancouver, M. Neufeld a relevé un bon nombre de similarités entre les propriétés du parc Musqueam et celles de l’ouest de Vancouver. Le parc Musqueam se trouve dans un endroit recherché à proximité des quartiers luxueux de l’ouest de Vancouver. À l’instar de celui-ci, le parc Musqueam est aussi à l’intérieur d’un territoire d’un bon nombre des meilleures écoles privées de Vancouver en plus d’être proche de l’Université de la Colombie-Britannique.

[124] M. Neufeld a reconnu qu’une [traduction] « bonne partie » des ventes résidentielles dans l’ouest de Vancouver concernent le terrain puisqu’il arrive souvent que les acquéreurs démolissent la maison qui s’y trouve pour en faire construire une nouvelle. Il n’a toutefois pas examiné les ventes de terrains sur lesquels se trouvait une maison. Pour justifier sa décision, il a expliqué qu’il y aurait eu confusion sur la question de savoir si ces opérations constituaient [traduction] « des ventes de terrains réelles » ou si, dans le cas contraire, un ajustement du prix de vente aurait été requis pour tenir compte de la valeur des améliorations apportées aux propriétés afin d’obtenir la valeur du terrain.

[125] En limitant son analyse aux ventes de terrains vagues, M. Neufeld n’avait pas à estimer ni à déduire la valeur comptable nette des améliorations afin d’obtenir la valeur du terrain. Il n’avait pas non plus à déterminer quel ajustement de tenure à bail à tenure franche serait adéquat puisque les opérations prises en considération concernaient déjà la vente de droits en tenure franche afférents aux terrains. M. Neufeld devait néanmoins établir si un ajustement était indiqué pour tenir compte du fait que les propriétés du parc Musqueam se trouvent dans une réserve.

[126] À cette fin, il a recensé 11 propriétés dans l’ouest de Vancouver qui avaient été vendues en tant que terrains vagues, même si une maison se trouvait sur certains. Bien qu’il ait déclaré avoir examiné 11 ventes, M. Neufeld a produit les données concernant 10 ventes seulement, sans toutefois expliquer de manière satisfaisante pourquoi il avait omis la onzième vente de son analyse.

[127] Les 10 ventes examinées par M. Neufeld ont été réalisées de janvier 2014 à avril 2016, et les terrains en cause avaient une superficie de 4 125 à 39 204 pieds carrés (superficie moyenne de 13 715 pieds carrés). Après avoir opéré un ajustement en fonction du moment, M. Neufeld a établi le prix moyen pondéré des propriétés à 201,07 $ le pied carré à la date de l’évaluation.

[128] Il a aussi constaté que la superficie des lots du parc Musqueam variait de 8 779 à 27 007 pieds carrés, que la plupart des lots avaient une superficie de 12 000 à 13 000 pieds carrés, et qu’un lot moyen avait une superficie de 12 148 pieds carrés. Selon M. Neufeld, toutes choses étant égales par ailleurs, les lots d’angle se vendent plus cher que les lots intercalés, et ceux qui sont bordés par un espace vert comme le terrain de golf Shaughnessy se vendent plus cher que ceux qui n’offrent pas de vue panoramique.

[129] Plutôt que d’évaluer chaque lot du parc Musqueam, M. Neufeld, tout comme M. Dybvig, a choisi d’évaluer un « lot de référence » et d’apporter les ajustements requis au vu des caractéristiques de chaque lot. Il a établi que le lot de référence aurait une superficie de 12 000 pieds carrés et qu’il serait intercalé (c’est-à-dire qu’il ne serait pas un lot d’angle). Toutefois, à l’inverse de M. Dybvig, M. Neufeld n’a pas choisi un lot précis du parc Musqueam comme lot de référence.

[130] Il a décrété que les lots de 10 000 à 12 000 pieds carrés seraient évalués selon le même prix au pied carré que son lot de référence. Pour ce qui est des lots de moins de 10 000 pieds carrés, M. Neufeld a jugé nécessaire de majorer le prix au pied carré de 20 % parce que, selon ce qu’il avait observé, les lots moins grands ont tendance à se vendre à un prix plus élevé au pied carré. Selon la même logique, il a estimé qu’il fallait appliquer une réduction de 20 % aux lots de plus de 12 000 pieds carrés parce que les terrains plus grands se vendent moins cher au pied carré. M. Neufeld a toutefois omis de fournir des données fondées sur le marché pour justifier les taux d’ajustement appliqués.

[131] Il a de plus ajouté 5 % à la valeur des lots bordés à l’arrière par le terrain de golf Shaughnessy, et 10 % à celle des lots d’angle. Comme dans le cas des ajustements opérés en fonction de la superficie, M. Neufeld n’a fourni aucune analyse du marché pour justifier les majorations accordées pour l’emplacement.

[132] Il a ensuite examiné la superficie de chaque lot du parc Musqueam. Compte tenu d’une valeur moyenne des terrains établie à 200 $ le pied carré, M. Neufeld a censément opéré les ajustements susmentionnés pour obtenir la valeur de chaque lot en tant que terrain vague. Je dis que M. Neufeld a « censément » opéré des ajustements pour tenir compte de caractéristiques comme la superficie, l’emplacement du terrain et les vues offertes parce que, comme on le verra plus loin dans les présents motifs, il n’a pas systématiquement fait les ajustements qu’il avait pourtant qualifiés de nécessaires.

[133] Au terme de son analyse selon la technique de la parité, M. Neufeld a obtenu des valeurs marchandes courantes de terrains vagues, mais viabilisés, situés dans le parc Musqueam allant de 2 106 960 $ à 4 321 120 $ à la date de l’évaluation.

4) Bien-fondé d’une réduction pour l’emplacement dans une réserve

[134] Comme il a été mentionné précédemment, en utilisant les ventes de terrains vagues situés dans l’ouest de Vancouver comme base de comparaison dans son analyse selon la technique de la parité, M. Neufeld n’avait pas à estimer ou à déduire la valeur comptable nette des améliorations apportées auxdites propriétés pour obtenir la valeur du terrain sous-jacent. Il n’avait pas non plus à opérer un ajustement de tenure à bail à tenure franche pour établir la valeur des propriétés puisque son analyse était fondée sur les ventes de terrains vagues détenus en fief simple. M. Neufeld devait néanmoins déterminer le bien-fondé d’un ajustement pour tenir compte du fait que les propriétés du parc Musqueam étaient situées dans la réserve.

[135] Pour répondre à la question de savoir si un ajustement ou une déduction était nécessaire en l’espèce pour tenir compte de l’emplacement dans une réserve, M. Neufeld a tout d’abord cité le juge Rothstein, qui a observé que, en 1995, la valeur des propriétés du parc Musqueam devait être réduite de moitié pour cette raison. Le juge Rothstein fondait cet avis sur un certain nombre de critères, notamment l’incertitude liée à l’impôt foncier et l’agitation observée dans les réserves de la Colombie-Britannique. M. Neufeld a aussi indiqué que le juge Rothstein avait pris en compte le fait que les non-Autochtones ne pouvaient se porter candidats à l’élection du conseil de bande de Musqueam ni voter sur des questions comme celles de la planification, du zonage et de l’imposition. Il a aussi tenu compte de l’obligation d’obtenir l’approbation du ministre concernant certains prêts hypothécaires ou travaux de construction et certaines ventes, et de l’absence d’arrangement permanent pour la prestation de services de police, d’incendie ou de collecte des ordures ménagères par la Ville de Vancouver.

[136] Dans son analyse du bien-fondé d’une réduction de la valeur des propriétés du parc Musqueam pour tenir compte « du fait qu’elles se trouvent dans une réserve », M. Neufeld a souligné que le parc Musqueam était un lotissement haut de gamme qui bénéficiait d’une gamme complète de services offerts par la Ville de Vancouver, et que leur prestation continue avait été assurée par une entente de services conclue entre la Bande et la Ville. M. Neufeld a aussi pris en compte les statistiques sur la criminalité compilées par le service de police de Vancouver et selon lesquelles le parc Musqueam affichait les taux les plus faibles de tous les quartiers de la ville pour certains types de crimes.

[137] Par ailleurs, bien qu’il ait admis que les résidents non-Autochtones ne pouvaient pas se porter candidats à l’élection du conseil de bande, M. Neufeld a rappelé que les résidents du parc Musqueam qui étaient des citoyens canadiens pouvaient se présenter aux élections municipales de Vancouver et qu’ils pouvaient donc participer aux discussions avec la Bande concernant les terres du parc Musqueam. Il a aussi mentionné que les questions de planification et de zonage sont régies par les baux afférents aux lots.

[138] Au vu des circonstances, M. Neufeld a exprimé l’avis qu’il [traduction] « serait difficile de justifier ou d’expliquer une réduction pour un quelconque motif ». En conséquence, il n’a pas appliqué de réduction pour tenir compte de l’emplacement des terrains du parc Musqueam dans une réserve dans son évaluation des propriétés.

[139] M. Neufeld a rédigé un rapport en réponse au premier rapport soumis par M. Dybvig dans la présente affaire. Dans cette réponse, il se fonde sur des données du marché pour confirmer sa conclusion selon laquelle il n’était pas requis d’appliquer une réduction pour tenir compte de l’emplacement des terrains dans une réserve pour établir la valeur des propriétés en fief simple du parc Musqueam. À cette fin, M. Neufeld a, à partir de deux groupes de paires de ventes, comparé les ventes de maisons en rangée de North Vancouver et faisant partie de lotissements se trouvant sur des terrains visés par des baux de longue durée payés à l’avance à celles de maisons censément situées dans une réserve ainsi que d’autres maisons hors réserve. Là encore, j’utilise l’adverbe « censément » pour marquer le fait qu’au cours de son contre-interrogatoire, M. Neufeld a admis que les deux lotissements de maisons en rangée se trouvaient en fait dans la même réserve.

[140] Le second groupe de paires de ventes était constitué de logements dans des immeubles d’habitation visés par des baux à long terme payés à l’avance, certains se trouvant dans une réserve et d’autres hors réserve.

[141] Se fondant sur cette analyse, M. Neufeld a conclu que la différence de valeur était d’au plus 5 % entre les propriétés dans la réserve et les propriétés hors réserve, et que la majorité des éléments de preuve indiquaient en fait qu’elle s’établissait à 1 %. Il a conclu par surcroît que, selon les données du marché, les acheteurs n’avaient aucune réticence à acquérir une résidence sur les terres des Premières Nations. En conséquence, M. Neufeld ne voyait aucune raison de réduire la valeur de 50 %, comme en 1996, ou de la réduire de 67 %, comme l’a fait M. Dybvig pour 2015.

5) Application par M. Neufeld de la méthode de l’extraction de la valeur du terrain

[142] M. Neufeld a aussi appliqué la méthode de l’extraction de la valeur du terrain afin, selon ses propres mots, de [traduction] « contre-vérifier ses estimations » aux fins de l’établissement de la valeur marchande courante des propriétés du parc Musqueam. Il s’agit de la même méthode qui a été suivie par M. Dybvig et, tout comme celui-ci, M. Neufeld a utilisé le lotissement du parc Salish comme base de comparaison. À ce sujet, M. Neufeld a observé que la mise en valeur du parc Salish avait été faite selon une [traduction] « approche très similaire » à celle qui avait été suivie pour le parc Musqueam, à la différence que les propriétés du parc Salish étaient construites sur de plus petits lots et mises en marché au titre de baux payés à l’avance, alors que les lots du parc Musqueam l’étaient au titre de baux stipulant un paiement annuel.

[143] Bien qu’il y ait lui-même eu recours pour, comme il l’a exprimé, [traduction] « contre-vérifier ses estimations », M. Neufeld a qualifié la méthode de l’extraction de la valeur du terrain de problématique, et il a reproché à M. Dybvig d’avoir employé uniquement cette méthode pour évaluer les propriétés du parc Musqueam. Selon M. Neufeld, les résultats de la méthode de l’extraction de la valeur du terrain peuvent être trompeurs étant donné la grande difficulté, voire l’impossibilité d’établir avec précision la valeur comptable nette des améliorations.

[144] Il a par ailleurs fait valoir que les maisons et les lots du parc Salish sont nettement plus petits que ceux du parc Musqueam. S’il est exact que des maisons et des lots du parc Salish sont plus petits que ceux du parc Musqueam, il s’y trouve aussi de grands lots et de grandes maisons dont la superficie se compare à celles de lots et de maisons du parc Musqueam; qui plus est, les maisons du parc Salish et du parc Musqueam ont une superficie médiane très similaire. M. Dybvig a observé en outre que pour tenir compte de la superficie légèrement inférieure des lots du parc Salish, il suffit de choisir un lot de référence dont la superficie est plus proche de 10 000 pieds carrés.

[145] Faisant remarquer le [traduction] « flot constant » des ventes dans le parc Salish, M. Neufeld a examiné sept ventes de propriétés réalisées dans le lotissement en 2015. Il a ensuite établi la valeur comptable nette des maisons construites sur les lots en question. Selon M. Neufeld, la technique la plus appropriée lui aurait demandé de faire une estimation détaillée du coût amorti de chaque maison, un exercice qu’il a qualifié de périlleux sans une inspection complète de l’intérieur de chacune. M. Neufeld a ajouté qu’il était difficile d’obtenir des renseignements exacts concernant chaque maison, et que certaines maisons étaient demeurées à leur état d’origine, alors que d’autres avaient subi des travaux de rénovation qui en avaient grandement augmenté la qualité.

[146] Pour établir la valeur comptable nette de chaque maison du parc Salish, M. Neufeld a suivi ce qu’il a appelé une [traduction] « méthode par défaut » faisant intervenir les valeurs fiscales attribuées par la British Columbia Assessment Authority en juillet 2015. M. Neufeld soutient que ces valeurs provenaient d’une [traduction] « source impartiale », et qu’il les a utilisées à titre de [traduction] « point de comparaison général » de la valeur comptable nette des améliorations. M. Neufeld a admis le risque que cette méthode conduise à une sous-estimation ou à une surestimation dans certains cas, mais il s’agissait selon lui d’une [traduction] « technique raisonnable dans l’ensemble ».

[147] Après avoir appliqué la méthode de l’extraction de la valeur du terrain aux 7 ventes de propriétés du parc Salish, M. Neufeld a conclu que la valeur ajustée des terrains sous-jacents en tant que propriétés à bail allait de 78,98 $ à 135,95 $ le pied carré, avec une moyenne pondérée de 108,96 $ le pied carré.

[148] Étant donné que les propriétés du parc Salish se trouvent dans la réserve Musqueam, M. Neufeld a convenu avec M. Dybvig qu’aucun ajustement n’était nécessaire pour tenir compte du fait que les propriétés du parc Musqueam se trouvaient dans une réserve, mais qu’il fallait néanmoins opérer un ajustement « de tenure à bail à tenure franche » parce que les propriétés du parc Salish faisaient l’objet de baux payés à l’avance.

[149] Pour déterminer un coefficient d’ajustement de tenure à bail à tenure franche approprié, M. Neufeld a expliqué qu’il avait « examiné un certain nombre d’opérations visant des propriétés à bail et qu’il les avait ensuite comparées à des opérations visant des propriétés en fief simple par ailleurs semblables afin de dégager un modèle de réductions à appliquer selon la durée du bail ». Le rapport de M. Neufeld ne mentionne pas les renseignements sur lesquels il s’était fondé, mais il a affirmé qu’ils se trouvaient dans son dossier.

[150] Ce qui manque au rapport de M. Neufeld est un graphique des résultats de son analyse, laquelle selon lui révèle un lien évident entre la durée restante du bail et le pourcentage de la valeur d’une propriété en fief simple qu’il conviendrait d’utiliser. Il a aussi soutenu que son analyse indiquait que la valeur des propriétés visées par un bail payé à l’avance venant à échéance dans 60 ans équivaudrait à 80 % de la valeur de propriétés comparables en fief simple. Plus précisément, la conversion de tenure à bail payé à l’avance à tenure franche se traduit par un coefficient de valorisation de 1,25. Rappelons que M. Dybvig a appliqué un coefficient d’ajustement de 1,15 pour la conversion de tenure à bail à tenure franche.

[151] Lorsque M. Neufeld a appliqué un coefficient d’ajustement de 1,25 pour la conversion de tenure à bail à tenure franche aux ventes de propriétés du parc Salish, il a obtenu un prix de 98,73 $ à 169,94 $ le pied carré pour un lot en tenure franche, avec une moyenne pondérée de 136,20 $ le pied carré. Il a précisé toutefois que le lotissement du parc Musqueam était généralement de qualité supérieure à celui du parc Salish et que son emplacement en bordure de la promenade Southwest Marine était plus recherché. Pour ces raisons, les propriétés du parc Musqueam se vendraient probablement plus cher que celles du parc Salish.

[152] Cela dit, M. Neufeld était d’avis que son analyse des ventes de propriétés dans le parc Salish [traduction] « permet d’établir un point d’extrémité plus bas aux fins de l’évaluation », et que la valeur des propriétés du parc Musqueam pourrait dépasser 170 $ le pied carré. Rappelons qu’avec la technique de la parité, M. Neufeld a obtenu une valeur moyenne de 200 $ le pied carré de terrain pour le parc Musqueam.

6) Coûts de viabilisation

[153] Il est stipulé dans les baux que l’évaluation des lots du parc Musqueam doit se faire comme s’ils étaient à l’état non viabilisé. En conséquence, M. Neufeld a estimé les coûts de viabilisation des propriétés du parc Musqueam de façon à pouvoir les déduire de la valeur du terrain pour obtenir la valeur des lots à l’état non viabilisé.

[154] Cependant, peu avant le début de l’instruction, les avocats de la Bande ont retiré les éléments de preuve produits par M. Neufeld concernant les coûts de viabilisation des propriétés du parc Musqueam (sauf en ce qui concerne l’obligation de réserver des terres du parc Musqueam pour l’aménagement d’un parc). La Bande a renoncé à faire valoir les critiques formulées par M. Neufeld à l’égard des opinions exprimées par Mme Hill. Il s’ensuit que la Bande n’a pour ainsi dire pas contesté son témoignage concernant les frais de viabilisation, exception faite de quelques points négligeables dont il sera question plus loin dans les présents motifs.

[155] N’empêche, M. Neufeld a tenu compte de son estimation des coûts de viabilisation dans l’analyse qu’il a faite pour établir la « valeur marchande courante » des propriétés du parc Musqueam, ainsi que le « juste loyer » à appliquer aux lots.

7) Calcul du « juste loyer » par M. Neufeld

[156] En utilisant la valeur moyenne de 200 $ le pied carré de terrain, réduite de la fraction applicable des coûts de viabilisation des propriétés, M. Neufeld est parvenu à ce qu’il affirme être la valeur marchande courante d’un droit en fief simple hypothétique dans une propriété à l’état non viabilisé du parc Musqueam. Il a ainsi établi que les lots du parc Musqueam valaient de 1 930 063 $ à 3 776 929 $ à la date de l’évaluation.

[157] En établissant le « juste loyer » de chaque lot à 6 % de sa valeur marchande à l’état non viabilisé à la date de l’évaluation, M. Neufeld a déterminé que les « justes loyers » annuels des propriétés du parc Musqueam allaient de 115 804 $ à 226 616 $.

VI. Discussion

[158] Un écart très large sépare les estimations que proposent les évaluateurs de la valeur marchande courante des propriétés du parc Musqueam à l’état non viabilisé et les « justes loyers » qui en découlent. Selon l’analyse de M. Dybvig, le « juste loyer » annuel moyen se situe à 21 151 $ environ par lot, ce qui correspondrait à une augmentation annuelle moyenne de 11 000 $ environ. M. Neufeld a quant à lui établi, au terme de son analyse, que les « justes loyers » vont de 115 804 $ à 226 616 $ pour les propriétés du parc Musqueam.

[159] Les demandeurs et la Bande ont vertement critiqué l’évaluateur retenu par leur adversaire, tant sur les plans de la compétence que de l’intégrité professionnelle, lors des contre-interrogatoires et dans leurs observations.

[160] Aux yeux des demandeurs, le travail de M. Neufeld révélait une insouciance, une superficialité et une incompétence remarquables. Ils lui reprochent en outre d’avoir totalement manqué d’objectivité et d’indépendance professionnelles, et de ne pas avoir fait honneur à la responsabilité de l’expert impartial de prêter assistance à la Cour. Selon les demandeurs, M. Neufeld n’a pas procédé à une analyse minutieuse et indépendante du marché. Il s’est plutôt employé à débusquer des données susceptibles de corroborer la thèse de sa cliente et a ainsi agi en tant que défenseur des intérêts de la Bande. Les demandeurs ont estimé que le témoignage de vive voix de M. Neufeld était à la fois [traduction] « déroutant » et « désastreux », et qu’il n’avait donc aucune valeur probante.

[161] La Bande s’est montrée tout aussi critique en alléguant que les éléments de preuve produits par M. Dybvig n’étaient pas fiables, et qu’il avait fait l’impasse sur une méthode valable d’évaluation pour des motifs [traduction] « faux et trompeurs ». La Bande reproche en outre à M. Dybvig d’avoir « faussement allégué » que les « données étaient insuffisantes » quant à la question de l’application ou non d’une réduction « pour tenir compte de l’emplacement dans une réserve », et que sa démarche avait été « outrageante ».

[162] Selon la Bande, non seulement M. Dybvig était, [traduction] « en mettant les choses au mieux, fallacieux », mais il a sciemment cherché à tromper la Cour en laissant entendre qu’il n’y avait pas lieu de faire une analyse pour de la différence entre les terrains situés dans une réserve et hors réserve puisque celle-ci était impossible à mesurer. Ce faisant, M. Dybvig a pu omettre de tenir compte dans son analyse du marché des immeubles résidentiels de grand prix détenus en fief simple dans le secteur adjacent de l’ouest de Vancouver. La Bande soutient que M. Dybvig a délibérément fait abstraction de ces données parce qu’il savait, tout comme ses clients, qu’elles n’étayeraient pas avec la conclusion que ceux-ci recherchaient, c’est-à-dire une estimation très basse de la valeur marchande courante des propriétés du parc Musqueam.

A. Raisons de préférer les éléments de preuve présentés par M. Dybvig à ceux de M. Neufeld

[163] Comme notre Cour l’a fait remarquer dans de récentes affaires portant sur la révision du loyer, l’évaluation foncière n’est pas une science exacte (Glass (CF), au paragraphe 92). Comme un juge l’a expliqué de manière colorée, « ce domaine de l’évaluation immobilière est aussi loin de la science exacte que l’astrologie est loin de l’astronomie » (Rodgers v Canada (Minister of Indian Affairs and Northern Development) (1993), 74 FTR 164, au paragraphe 28, cité dans Morin c Canada, 2002 CFPI 1312, au paragraphe 62, conf. par 2005 CAF 52.

[164] Cela dit, comme je l’expliquerai plus loin, j’ai certaines raisons de conclure que les éléments de preuve produits par M. Dybvig doivent être préférés à ceux de M. Neufeld.

1) Compétences relatives des deux experts

[165] La première raison qui m’amène à privilégier les éléments de preuve produits par M. Dybvig tient aux compétences relatives des deux experts.

[166] MM. Dybvig et Neufeld sont tous les deux des évaluateurs agréés de l’Institut canadien des évaluateurs, et chacun est un évaluateur chevronné possédant des années d’expérience dans le marché immobilier de Vancouver. Ni l’une ni l’autre des parties n’a contesté les compétences ou l’expertise de l’expert de la partie opposée, et autant M. Dybvig que M. Neufeld ont été reconnus comme des experts [traduction] « dans les domaines de l’évaluation foncière et du calcul de loyers fonciers ».

[167] Toutefois, M. Dybvig possède une vaste expérience du milieu universitaire en plus de son expérience professionnelle en tant qu’évaluateur foncier et, à l’inverse de M. Neufeld, il semble avoir une aura de chef de file dans son domaine.

[168] M. Dybvig est un membre important de divers organismes professionnels aux États-Unis et au Royaume-Uni, et notamment de l’International Valuations Standards Council. Cet organisme représente quelque 70 organismes d’évaluation professionnels dans le monde et a pour mandat d’élaborer et de mettre en œuvre des normes relatives à la pratique de l’évaluation professionnelle, surtout en ce qui concerne les exigences liées aux secteurs financiers.

[169] Plus important encore, M. Dybvig est aussi rédacteur en chef et collaborateur technique de l’édition canadienne de la publication Appraisal of Real Estate depuis 1992. Si j’ai bien saisi, les deux parties considèrent que dans le monde, il s’agit de l’ouvrage de langue anglaise le plus important dans le domaine de l’évaluation foncière. La version canadienne est utilisée tant par l’Institut canadien des évaluateurs que par l’Université de la Colombie-Britannique, où M. Dybvig a agi comme conseiller pour le programme d’évaluation de l’Institut canadien des évaluateurs depuis 1996. Il a aussi révisé un certain nombre de textes publiés par l’American Appraisal Institute.

[170] En plus de ses collaborations universitaires, M. Dybvig est membre de la British Columbia Assessment Authority depuis 2012. Son rôle au sein de cet organisme consiste à statuer sur des différends concernant des évaluations foncières. Il a aussi joué un rôle actif au sein de l’Institut canadien des évaluateurs, au sein duquel il a siégé bénévolement à divers comités nationaux et provinciaux, dont le comité des normes professionnelles. Ce comité promulgue des normes régissant les activités des évaluateurs professionnels du Canada, appelées Normes uniformes de pratique professionnelle en matière d’évaluation au Canada (NUPPEC).

[171] Pour sa part, M. Neufeld est membre du Real Estate Institute of British Columbia, et il est également et directeur et président sortant de la Mortgage Investment Association of British Columbia. Son curriculum vitæ indique qu’il est aussi membre de « NAIOP », un sigle qui selon mes recherches désigne la National Association of Industrial and Office Properties.

[172] Je conclus au vu de ces renseignements que M. Dybvig a plus de compétences que M. Neufeld.

2) Rigueur des analyses des deux experts

[173] Comme il sera expliqué plus loin, la rigueur de l’analyse de M. Neufeld laisse à désirer et suscite de sérieuses préoccupations quant à la fiabilité des éléments de preuve qu’il a produits, alors que je n’en ai aucune à l’égard de ceux de M. Dybvig.

[174] Celui-ci a précédé à une analyse minutieuse et transparente qui, par ailleurs, est étayée par des données du marché. Son analyse témoigne d’une grande rigueur et d’une compréhension profonde des données et de leur application à l’exercice d’évaluation en litige. Son témoignage concernant la méthode suivie et ses conclusions a résisté en grande partie au contre-interrogatoire.

[175] En revanche, le travail de M. Neufeld était bâclé et entaché d’erreurs. Il n’a pas fait les ajustements qu’il jugeait lui-même nécessaires, il s’est mépris sur la nature des propriétés prises en compte, et certains volets de son analyse étaient à la fois subjectifs et superficiels.

[176] La négligence de M. Neufeld est illustrée par le simple fait que, dans son premier rapport, il a déclaré que sa recherche lui avait permis de recenser 11 ventes de terrains dans l’ouest de Vancouver, dont les détails figurent dans un tableau juste au-dessous de cette déclaration. Or, le tableau fait état de 10 propriétés seulement, et M. Neufeld ne donne aucune explication de ce qu’il était advenu de la onzième propriété.

[177] Un autre exemple beaucoup plus révélateur du peu de soin pris par M. Neufeld réside dans son défaut d’opérer des ajustements qu’il avait pourtant déclarés nécessaires pour évaluer les propriétés du parc Musqueam.

[178] On se souviendra qu’au lieu d’évaluer chaque lot du parc Musqueam, M. Neufeld a désigné un lot type, ou [traduction] « de référence », dont la valeur serait ensuite ajustée en fonction des caractéristiques propres à chaque lot. Il a choisi un lot de référence d’une superficie de 12 000 pieds carrés et intercalé, c’est-à-dire qui n’était pas un lot d’angle.

[179] M. Neufeld a choisi d’attribuer un prix de 200 $ le pied carré aux lots du parc Musqueam d’une superficie de 10 000 à 12 000 pieds carrés, soit le même que son lot de référence. Il a ajouté 20 % au prix de base des lots de moins de 10 000 pieds carrés parce que, selon ce qu’il avait observé, les lots plus petits ont tendance à se vendre plus cher au pied carré. Selon la même logique, il a réduit de 20 % le prix des lots de plus de 12 000 pieds carrés M. Neufeld a aussi déclaré qu’il majorerait de 5 % la valeur des lots bordés à l’arrière par le terrain de golf Shaughnessy, et de 10 % celle des lots d’angle.

[180] Non seulement il n’a fourni aucune donnée du marché pour étayer l’ampleur de ces ajustements, mais il a omis d’appliquer cette méthode à un certain nombre de cas qui, à ses dires, commandaient son application. Ainsi, il n’a pas opéré d’ajustement en fonction de la superficie pour les lots du parc Musqueam d’une superficie de 12 000 à 16 000 pieds carrés. Un ajustement en fonction de la superficie a été appliqué seulement aux lots de plus de 17 000 pieds carrés. Il a aussi majoré de 20 % la valeur des terrains de 10 000 à 11 000 pieds carrés, alors que cette majoration devait selon lui être réservée aux lots de moins de 10 000 pieds carrés.

[181] Quand ces erreurs ont été portées à l’attention de M. Neufeld durant son contre-interrogatoire, il a indiqué que contrairement à ce qui est mentionné dans son rapport, le prix de base de 200 $ le pied carré aurait dû être appliqué aux lots de 10 000 à 14 000 pieds carrés plutôt qu’à ceux de 10 000 à 12 000 pieds carrés. Cette explication n’est d’aucun secours pour nous permettre de comprendre pourquoi M. Neufeld a appliqué une réduction de 20 % seulement aux propriétés d’une superficie de plus de 17 000 pieds carrés, et non aux lots de 14 000 à 17 000 pieds carrés. Elle ne justifie pas non plus sa décision de majorer de 20 % la valeur des lots de 10 000 à 11 000 pieds carrés.

[182] Il est aussi inquiétant de constater que M. Neufeld n’a pas appliqué uniformément les ajustements qui, à ses dires, étaient nécessaires. Par exemple, il a fait valoir que la valeur des lots d’angle du parc Musqueam devrait être majorée de 10 %. Or, dans son analyse de l’échantillon de ventes réalisées dans l’ouest de la ville, il n’a opéré aucun ajustement pour les lots d’angle alors qu’il avait reconnu avoir accès aux données requises.

[183] Dans un même ordre d’idées, M. Neufeld a déclaré qu’il majorerait de 5 % la valeur des lots du parc Musqueam bordés par le club de golf Shaughnessy à l’arrière afin de tenir compte de la vue panoramique. Il n’a toutefois pas ajusté la valeur de l’un des 10 lots de l’ouest de la ville qui offrait une vue entièrement dégagée du fleuve Fraser, un attribut qui, a-t-il admis lors de son contre-interrogatoire, commanderait une majoration de valeur supérieure à celle accordée à un terrain bordé par un terrain de golf. M. Neufeld n’a pas non plus ajusté la valeur des comparables de l’ouest de la ville pour tenir compte des différences de zonage.

[184] Un autre exemple du travail bâclé de M. Neufeld concerne son analyse de la question, certes épineuse, de la pertinence de réduire la valeur des propriétés du parc Musqueam en raison de leur emplacement dans la réserve Musqueam. Il a reconnu qu’il s’agissait de la question centrale en l’espèce, et la seule d’ailleurs qu’il avait été appelé à examiner au départ.

[185] On se souviendra que M. Neufeld a conclu qu’aucun ajustement de la valeur à la date de l’évaluation n’était justifié pour tenir compte de l’emplacement dans une réserve. Sa conclusion sur ce point, a-t-il soutenu, était étayée par son analyse du marché de deux groupes de paires de ventes de propriétés à North Vancouver. Cet exercice avait pour objet de comparer les prix de vente dans deux lotissements semblables, dans lesquels les propriétés étaient visées par un bail à long terme, à la différence que l’un était situé dans la réserve et l’autre hors de la réserve. Cette comparaison devait aider M. Neufeld à déterminer s’il existait une différence dans la valeur selon que la propriété se trouvait ou non dans la réserve.

[186] À cette fin, il a examiné des ventes de maisons dans un lotissement de maisons en rangée sur la promenade Windcrest, à North Vancouver, dans la réserve Tsleil-Waututh. Il a comparé les prix obtenus pour ces maisons à ceux obtenus pour les maisons en rangée de la promenade Roche Point avoisinante, qui selon M. Neufeld est située hors réserve. Il restait 81 ans à courir aux baux des propriétés de la promenade Windcrest, et 79 ans à ceux des propriétés de la promenade Roche Point.

[187] M. Neufeld a fait remarquer que les maisons hors réserve de la promenade Roche Point valaient en gros 10 % de plus que celles de la promenade Windcrest Drive, situées sur les terres de la Nation Tsleil-Waututh. Il a toutefois ajouté que l’écart entre les prix obtenus pour les deux groupes de propriétés était attribuable au style plus traditionnel des maisons de la promenade Roche Point, qui selon lui était plus recherché que celui des propriétés moins traditionnelles de la promenade Windcrest. Par conséquent, la valeur des maisons n’était pas vraiment différente dans ces deux endroits. Évidemment, cette conclusion étayait la thèse de M. Neufeld selon laquelle aucune réduction n’était nécessaire pour tenir compte de l’emplacement dans une réserve et de son incidence sur la valeur des propriétés du parc Musqueam.

[188] Il n’est pas du tout étonnant que M. Neufeld n’ait pas décelé de différence importante dans les prix obtenus pour des propriétés où se trouvaient des maisons en rangée par ailleurs semblables à North Vancouver puisque les deux propriétés étaient situées dans la réserve Tsleil-Waututh.

[189] M. Neufeld a reconnu que la question du bien-fondé d’une réduction de la valeur des propriétés situées dans une réserve était fondamentale et d’une très grande importante en l’espèce, et il a admis lors de son contre-interrogatoire qu’il avait [traduction] « manqué de rigueur » dans son analyse de ce point.

[190] Pour expliquer son erreur, M. Neufeld a expliqué que les inscriptions des propriétés de la promenade Windcrest dans la base de données du service interagences indiquaient qu’il s’agissait de tenures à bail payé à l’avance, et qu’il en avait déduit qu’elles se trouvaient dans une réserve. Or, les fiches d’inscription des propriétés de la promenade Roche Point dans la base de données du service interagences indiquent aussi qu’elles sont visées par des baux payés à l’avance. M. Neufeld n’a pas été en mesure de dire comment il est parvenu à la conclusion que, parce qu’elles étaient des tenures à bail payé à l’avance, les propriétés de la promenade Windcrest se trouvaient forcément sur des terres des Premières Nations, alors qu’il n’a pas pensé à vérifier si c’était aussi le cas des propriétés de la promenade Roche Point après avoir constaté qu’elles étaient aussi des tenures à bail payé à l’avance. C’est d’autant plus étonnant que M. Neufeld semblait être au courant que la promenade Roche Point traversait des terres des Premières Nations et de North Vancouver.

[191] Bien que cela ne soit pas nécessairement le fruit de la négligence de M. Neufeld, il s’avère que le second groupe de paires de ventes pris en considération pour décider si un ajustement était nécessaire pour l’emplacement dans une réserve » est aussi problématique. M. Neufeld a comparé les prix de maisons du lotissement de copropriétés Destiny, qui se trouve dans une réserve des Premières Nations, à ceux de maisons construites dans trois lotissements de copropriétés hors réserve. Selon M. Neufeld, cette comparaison renforçait sa conclusion selon laquelle il n’y avait pas lieu d’appliquer une réduction pour l’emplacement dans une réserve en l’espèce. Toutefois, il suffit d’un examen sommaire pour comprendre que les paires de ventes utilisées ne permettaient pas de comparer des « pommes avec des pommes ».

[192] Destiny est un nouveau lotissement haut de gamme et à la fine pointe, qui est aménagé dans des lieux paisibles entourés d’espaces verts et de plans d’eau d’ouvrages d’eau à l’intérieur d’une réserve. Il est situé près de l’eau, et certains logements offrent une vue sur l’inlet Burrard. Le lotissement Destiny offre de nombreuses commodités modernes recherchées par les acheteurs, notamment un grand centre de conditionnement physique, une grande aire communautaire dotée d’une cuisine complète et d’une salle à manger, des salles de réunion privées et une terrasse extérieure de 1 600 pieds carrés. Il offre aussi une salle de cinéma qui peut être réservée pour des fêtes. Les logements sont eux-mêmes dotés d’un foyer, de plafonds hauts, de fenêtres sur un mur complet, de très grands balcons et de planchers de bois stratifié.

[193] En revanche, les propriétés hors réserve de Bowron Court et d’Ostler Court étaient âgées respectivement de 27 et de 22 ans à la date de l’évaluation, et M. Neufeld n’a pas d’ajustement pour tenir compte de l’âge des logements. Ceux-ci n’offrent pas non plus la plupart des caractéristiques et des services attrayants du lotissement Destiny. Les maisons hors réserve de la promenade Mount Seymour sont de construction plus récente, mais elles se trouvent sur une grande artère à quatre voies et M. Neufeld n’a fait aucun ajustement pour tenir compte de la circulation. La qualité des finitions, la configuration et le style des maisons du lotissement de la promenade Mount Seymour sont également moins attrayants que ceux du lotissement Destiny.

[194] M. Neufeld n’a opéré aucun ajustement pour tenir compte des différences entre les lotissements analysés, même si sa propre comparaison des données brutes indiquait que les logements en copropriété moins attrayants de la promenade Mount Seymour, située hors réserve, se vendaient de 19 % à 31 % plus cher que les logements en copropriété de qualité supérieure du lotissement Destiny, situé dans une réserve. M. Dybvig a fait observer que si les ajustements nécessaires étaient faits pour tenir compte du lieu, des commodités, des vues offertes et de l’âge des bâtiments, l’écart serait encore plus marqué entre la valeur marchande des propriétés comparables situées dans une réserve ou hors réserve que M. Neufeld a utilisées pour son analyse.

[195] M. Dybvig a affirmé, ce qui n’a pas été contesté lors du contre-interrogatoire, que les maisons en cause dans l’analyse de paires de ventes réalisée par M. Neufeld étaient tellement différentes qu’aucun évaluateur agissant raisonnablement ne les aurait utilisées.

[196] Peu importe si M. Neufeld a été négligent ou s’il a voulu produire une preuve tendant à corroborer les arguments de sa cliente, le résultat est le même : les éléments de preuve quant au bien-fondé d’une réduction pour l’emplacement dans une réserve sont fondamentalement affaiblis par les distinctions évidentes entre les propriétés du second groupe de paires de ventes de son analyse.

[197] Je reviendrai sur d’autres erreurs commises par M. Neufeld dans mon analyse des méthodes d’évaluation suivies par chaque expert. Pour l’instant, je me bornerai à souligner que le manque de soin qui entache l’analyse de M. Neufeld suscite de sérieuses préoccupations concernant la fiabilité de son témoignage, alors que je n’en ai aucune à l’égard de celui de M. Dybvig.

3) Indépendance

[198] Les demandeurs soutiennent par ailleurs que M. Neufeld a manqué à la fois d’indépendance et d’objectivité professionnelle, et qu’il s’est arrogé le rôle de défenseur des arguments de sa cliente plutôt que d’agir en tant qu’expert indépendant. J’ai aussi des doutes quant au degré d’indépendance dont il a fait preuve, surtout en ce qui concerne la question du bien-fondé d’appliquer une réduction pour l’emplacement dans une réserve.

[199] Le témoin expert doit prêter assistance à la Cour en lui faisant part de son opinion indépendante et neutre quant aux questions qui relèvent de son domaine de compétence. Il s’agit d’un rôle primordial, qui transcende toute obligation qu’a le témoin envers la partie qui le cite à témoigner. Le témoignage de l’expert devrait être le produit indépendant de l’expert n’ayant subi quant à la forme ou au fond aucune influence dictée par les exigences du litige National Justice Compania Naviera S.A. v Prudential Assurance Co. Ltd. (« Ikarian Reefer »), [1993] 2 Lloyd’s Rep. 68; White Burgess Langille Inman c Abbott and Haliburton Co., 2015 CSC 23, au paragraphe 32, [2015] 2 RCS 182.

[200] Les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, témoignent de l’importance de ces principes. Pour que les experts comprennent bien que leur obligation première est envers la Cour, l’alinéa 52.2 (1)c) des Règles exige que les témoins experts acceptent de se conformer au Code de déontologie régissant les témoins experts de la Cour avant de témoigner. Le Code indique clairement que le rôle de l’expert est d’aider la Cour et non de plaider le point de vue d’une partie, et qu’il doit le faire de manière indépendante et objective. Il est expressément stipulé au Code que cette obligation l’emporte sur toute autre que l’expert pourrait avoir envers une partie, notamment envers la personne qui retient ses services.

[201] Comme il a été exposé précédemment, M. Neufeld a reconnu que la question du bien-fondé d’une réduction de la valeur des propriétés du parc Musqueam pour tenir compte des facteurs liés à l’emplacement dans une réserve est fondamentale en l’espèce. Il en est même venu à reconnaître que la question de l’ajustement pour l’emplacement ou non dans une réserve était [traduction] « extrêmement importante » en l’espèce.

[202] On se souviendra par ailleurs que la Bande avait retenu les services de la société Deloitte pour établir [traduction] « les valeurs des terrains de l’ouest de la ville détenus en fief simple, calculées sans réduction pour tenir compte des facteurs liés à l’emplacement dans une réserve », et qu’elle avait demandé à M. Neufeld d’examiner le taux de réduction, le cas échéant, à appliquer en 2015 pour tenir compte de ce facteur. On a demandé à M. Neufeld si une réduction de 50 % convenait toujours, ou si la situation au parc Musqueam avait changé depuis 1995 et commandait de n’appliquer aucune réduction ou une réduction d’un autre ordre.

[203] Dans la lettre de mandat donnée à M. Neufeld, il lui était demandé de rédiger un rapport examinant [traduction] «les réductions à appliquer, le cas échéant, à la valeur des lots résidentiels pour habitations individuelles, dans leur état non amélioré, qui sont détenus en fief simple à proximité de la réserve indienne Musqueam no 2 et qui sont comparables à ceux de la parcelle A (parc Musqueam) [...] afin de tenir compte des facteurs liés à l’emplacement dans une réserve indienne, conformément aux dispositions applicables des baux telles qu’elles ont été interprétées par le juge Gonthier [… ] ». De toute évidence, la Bande s’attendait à ce que M. Neufeld offre son opinion experte sur la réduction pour l’emplacement dans une réserve.

[204] Comment M. Neufeld en est-il venu à conclure qu’il [traduction] « serait difficile de justifier ou d’expliquer une réduction pour un quelconque motif »?

[205] La question de la réduction pour tenir compte des facteurs liés à l’emplacement dans une réserve indienne occupe à peine 1 page dans son rapport initial de 56 pages. Il amorce son analyse en énumérant les facteurs pour lesquelles les acheteurs non-Autochtones pourraient avoir une certaine [traduction] « réticente » à acquérir une maison dans une réserve. Il a témoigné qu’il avait dégagé ces facteurs de son examen des motifs du juge Rothstein dans la décision Glass (CF), qu’il les avait résumés dans un style télégraphique, et qu’il en avait fait sa propre [traduction] « synthèse » dans son rapport.

[206] Il est toutefois ressorti du contre-interrogatoire de M. Neufeld que sa liste des facteurs liés à l’emplacement dans une réserve et sa façon de les exprimer dans son rapport avaient été calquées sur le mémoire de défense de la Bande. De plus, certains passages de son opinion sur cette question semblent provenir textuellement de ce mémoire.

[207] M. Neufeld a aussi reconnu que son opinion reflétait [traduction] « essentiellement » les points de vue de la Bande, tels que Jim Reynolds, son avocat principal, les lui avaient exposés dans un courriel qu’il lui avait transmis le 25 novembre 2015. Lors de son contre-interrogatoire, M. Neufeld a admis que ce courriel décrivait les motifs du juge Rothstein, à savoir [traduction] « l’interprétation qui en a été donnée, les facteurs mentionnés et la manière dont ces facteurs sont actuellement traités ». L’examen que fait Me Reynolds du traitement actuel des facteurs liés à l’emplacement dans une réserve transparaît dans l’opinion de M. Neufeld.

[208] Celui-ci a déclaré en contre-interrogatoire qu’il était parvenu à ses conclusions de façon indépendante, et que la raison pour laquelle il semblait avoir fait entièrement sienne la thèse de la Bande comme quoi une réduction n’était plus requise pour tenir compte des facteurs liés à l’emplacement dans une réserve était tout bonnement qu’il partageait ce point de vue.

[209] Cet argument donne à penser que M. Neufeld ne semble pas s’être vraiment efforcé, si tant est qu’il ait fait des efforts, pour mener des recherches et une analyse indépendantes avant de conclure qu’il ne convenait plus, en juin 2015, d’appliquer une réduction pour l’emplacement dans une réserve à la valeur des propriétés du parc Musqueam.

[210] Notamment, le juge Rothstein a souligné l’incertitude qui régnait en 1995 concernant la prestation par la Ville de Vancouver de services municipaux aux résidents du parc Musqueam, et que cette incertitude pouvait contribuer à dévaloriser les propriétés du parc Musqueam. Me Reynolds, dans son courriel du 25 novembre 2015, informait M. Neufeld que la Bande et la Ville de Vancouver avaient conclu une entente de services en 2013 par laquelle cette dernière s’était engagée à fournir des services équivalents en qualité et en quantité à ceux qui étaient fournis à des quartiers comparables.

[211] M. Neufeld a souligné dans son premier rapport que le parc Musqueam bénéficie [traduction] « d’une gamme complète de services municipaux », dont « la prestation continue avait été assurée par une entente de services conclue entre la Bande et la Ville de Vancouver ». Lorsqu’on a demandé à M. Neufeld si c’était par pure coïncidence que son évaluation indépendante avait abouti à la même conclusion que celle exprimée dans la défense de la Bande quant à la pertinence de l’entente de services, il a répondu ce qui suit : [traduction] « Si la Bande a conclu une entente avec la Ville de Vancouver en vue de la prestation de services à Musqueam qui n’était pas en place auparavant [et que] cette entente de services est maintenant en vigueur, pourquoi prétendrais-je qu’il y une incertitude à ce sujet? »

[212] M. Neufeld semble toutefois avoir cru la Bande sur parole lorsqu’elle a dit que toute incertitude qui aurait pu exister auparavant au sujet de la prestation de services avait disparu avec la conclusion d’une entente de services avec la Ville de Vancouver. M. Neufeld n’a jamais exercé de jugement indépendant à ce sujet, et il n’a jamais même pris connaissance de l’entente de services. S’il l’avait fait, il aurait vu que l’une ou l’autre des parties peut y mettre fin sur préavis raisonnable. Cette stipulation, tel que M. Neufeld l’a admis en contre-interrogatoire, [traduction] « pourrait faire hésiter [un acheteur] ».

[213] M. Neufeld a aussi admis que l’impossibilité pour les teneurs à bail non-Autochtones du parc Musqueam de se porter candidats aux élections municipales (ce qui les privait d’un droit de parole concernant la régie du lotissement), était un autre point qui pourrait [traduction] « faire hésiter » un acheteur. M. Neufeld n’a pas non plus réfléchi au fait que le bail du terrain de golf Shaughnessy arriverait à échéance dans 18 ans et qu’il fallait envisager la possibilité que Musqueam ne le renouvelle pas afin de changer la vocation du terrain. Dans un tel cas, la vue dont bénéficient certains titulaires de bail pourrait disparaître.

[214] Ces admissions plombent l’allégation de M. Neufeld concernant la levée de toutes les incertitudes qui auraient pu influer, en juin 2015, sur la réflexion d’un acheteur hypothétique hésitant entre une maison dans l’ouest de Vancouver et une maison semblable dans un marché hypothétique de propriétés détenues en fief simple dans la réserve Musqueam.

[215] La seule chose que M. Neufeld a ajoutée au résumé que Me Reynolds lui avait fait de la situation du parc Musqueam à la date de l’évaluation a trait aux statistiques sur la criminalité compilées par le service de police de Vancouver. M. Neufeld a témoigné que c’était [traduction] « l’un des paramètres [qu’il avait] examinés pour décider si l’agitation liée aux Premières Nations en ce qui concerne Musqueam demeurait une source de préoccupation ». Selon ces statistiques, le taux de certains crimes enregistré à Musqueam en 2015 était le plus faible parmi tous les quartiers de la ville. Bien que M. Neufeld ait admis ne pas être un spécialiste de la criminalité, il a expliqué en contre-interrogatoire qu’il avait mentionné ces statistiques [traduction] « à l’appui » de sa conclusion selon laquelle « il serait difficile de justifier ou d’expliquer une réduction [pour l’emplacement dans réserve] pour un quelconque motif [… ] ».

[216] Il est vite devenu évident lors du contre-interrogatoire de M. Neufeld que les statistiques qu’il avait citées sur la criminalité avaient très peu de valeur probante. Tout d’abord, un acheteur n’aurait pas pu obtenir les statistiques de 2015 à la date de l’évaluation, et les statistiques comparables pour les années 2013 et 2014 donnent une tout autre version des faits.

[217] Plus important encore, aucune corrélation n’est établie dans le rapport statistique de 2015 entre le nombre de crimes et la taille de la population dans le quartier en question. La [traduction] « zone des affaires » est inscrite comme l’un des quartiers, et « Musqueam » est inscrite comme un autre quartier. Il n’est pas étonnant que le taux de criminalité enregistré au centre-ville de Vancouver soit nettement plus élevé que celui qui est pour « Musqueam », mais on ne peut pas le confirmer sur une base « par habitant » sans connaître la population de chaque partie de la ville.

[218] Apparemment, M. Neufeld a compris que le juge Rothstein avait fourni une liste exhaustive des facteurs liés à l’emplacement dans une réserve indienne dont il faut tenir compte pour établir s’il est indiqué d’appliquer une réduction. Il s’est ensuite fié presque entièrement à son évaluation subjective (et à celle de Me Reynolds) quant à la présence de ces facteurs en 2015.

[219] Il faut d’abord rappeler que le juge Rothstein n’a pas procédé à une simple évaluation subjective ou qualitative pour décider si une réduction devait être appliquée aux propriétés du parc Musqueam pour tenir compte de leur emplacement dans une réserve. Il disposait d’éléments de preuve concernant le marché qui démontraient que la valeur des propriétés du parc Musqueam était à peine de la moitié de celle de propriétés hors réserve comparables. Il a ensuite relevé les facteurs liés à l’emplacement dans une réserve qui pouvaient contribuer à la dévalorisation des terrains du parc Musqueam (Glass (CF), aux paragraphes 40 et 43).

[220] Je ne crois pas non plus que le juge Rothstein a laissé entendre que les facteurs liés à l’emplacement sur une réserve dont il a tenu compte dans la révision du loyer de 1995 étaient coulés dans le béton, et qu’aucun autre facteur ne pourrait s’appliquer dans une révision subséquente. Tout ce qu’il a fait est de relever certains facteurs pouvant entraîner une incertitude dans le marché. Cela dit, à l’exception de la possibilité que le bail du club de golf Shaughnessy ne soit pas reconduit, les demandeurs n’ont relevé aucun facteur à prendre en compte pour décider si une réduction pour l’emplacement dans une réserve était toujours pertinente.

[221] M. Neufeld n’a pas non plus suivi les enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Glass (CSC), suivant lesquels les conditions du marché doivent être prises en compte pour établir la valeur d’un droit en fief simple hypothétique dans une réserve. Je suis d’accord avec les demandeurs qu’une évaluation qui ne reflète que la valeur marchande des terres hors réserve et qui comporte un ajustement subjectif au titre d’une réduction (ou de l’absence de réduction) sans preuve de la valeur marchande pour étayer cet ajustement n’est pas compatible avec l’approche établie dans l’arrêt Glass (CSC).

[222] Contrairement à M. Neufeld, M. Dybvig a utilisé des données du marché provenant surtout des comparables choisis par M. Neufeld lui-même dans le parc Salish (en appliquant l’ajustement de 25 % proposé par M. Neufeld pour la conversion de tenure à bail à tenure franche) pour vérifier la conclusion de M. Neufeld quant à la disparition de toute justification d’une réduction pour l’emplacement dans une réserve.

[223] Plus précisément, M. Dybvig a appliqué aux 7 éléments comparables du parc Salish choisis par M. Neufeld le coefficient de conversion de tenure à bail à tenure franche de 1,25 que celui-ci avait proposé. M. Dybvig a ainsi obtenu les prix de vente ajustés des propriétés, considérées comme si elles étaient détenues en fief simple dans la réserve Musqueam. Il a ensuite examiné 17 ventes récentes réalisées dans le secteur Dunbar, qui est immédiatement adjacent à la réserve Musqueam, de l’autre côté de la promenade Marine. Il a comparé de paires de ventes de lots et de maisons de superficie semblable aux sept comparables détenus en fief simple dans une réserve que M. Neufeld avait choisis.

[224] Cette analyse a démontré que le prix de vente moyen des propriétés du parc Salish (ajusté en fonction de leur tenure en fief simple) correspondait à 58 % seulement du prix moyen obtenu pour des propriétés comparables situées hors de la réserve Musqueam (avec une médiane de 53 % pour le groupe de comparaison). Si M. Dybvig avait appliqué son propre coefficient d’ajustement de tenure à bail à tenure franche de 1,15 plutôt que le coefficient de 1,25 employé par M. Neufeld, la différence entre les valeurs aurait été d’autant plus marquée.

[225] Les demandeurs n’ont pas présenté cette analyse comme fondement du calcul de la valeur des propriétés du parc Musqueam puisqu’ils ont fait valoir la thèse exposée dans le rapport initial de M. Dybvig. Cela dit, cette analyse ne fait que renforcer la conclusion que les marchés de l’ouest de Vancouver et de la réserve Musqueam sont tout simplement différents.

[226] Si M. Neufeld avait utilisé des données du marché pour vérifier l’hypothèse selon laquelle rien ne justifiait plus d’appliquer une réduction pour l’emplacement dans une réserve », il aurait constaté que l’ouest de Vancouver et le parc Musqueam sont en fait deux marchés très différents. Il a reconnu que la question de savoir s’il pouvait exister une telle différence de marché entre les propriétés de la réserve Musqueam et celles de l’ouest de Vancouver [traduction] « devait évidemment être examinée dans la présente affaire ».. Pourtant, pour des raisons qui lui sont propres, M. Neufeld a fait l’impasse sur cette question.

[227] Les dynamiques différentes dans les deux marchés sont également attestées par la présence démontrable du phénomène d’obsolescence économique dans l’ouest de Vancouver, qui se manifeste par la fréquence à laquelle des maisons sont achetées [traduction] « pour être démolies ». Ce phénomène n’avait pas été observé pour ce qui concerne les maisons de la réserve Musqueam.

[228] Tout ce qui précède mène inévitablement à conclure que M. Neufeld a fait sienne la thèse de la Bande selon laquelle aucun ajustement n’était requis pour tenir compte des facteurs liés à l’emplacement dans une réserve », et qu’il a ensuite cherché des données qui à son avis renforceraient ou corroboreraient la thèse de la Bande. Ce constat ne fait que miner davantage la valeur probante de son témoignage et me convainc encore plus qu’il s’impose de préférer le témoignage de M. Dybvig à celui de M. Neufeld.

4) Méthodes

[229] J’en arrive au point où je dois examiner la méthode d’évaluation suivie par chaque expert. Les deux parties ont vertement critiqué la méthode employée par l’évaluateur de son adversaire pour établir la valeur marchande courante des propriétés du parc Musqueam. J’ai examiné attentivement chacune de ces critiques, mais un examen de quelques-unes d’entre elles suffira aux fins de mon analyse.

a) Recours par M. Dybvig à la méthode de l’extraction de la valeur du terrain

[230] On se souviendra que M. Dybvig a utilisé la méthode de l’extraction de la valeur du terrain pour établir la valeur marchande courante des propriétés du parc Musqueam. Il a justifié ce choix en soulignant que, de son point de vue, l’emplacement du parc Musqueam dans une réserve était le facteur le plus déterminant dans l’exercice d’évaluation qu’on lui avait confié. Il est difficile d’évaluer avec précision le facteur de l’emplacement dans une réserve et, comme l’a déclaré M. Dybvig, la méthode de l’extraction de la valeur du terrain était [traduction] « de loin la meilleure méthode […] à cause du contrôle sur le facteur de l’emplacement dans une réserve ».

[231] M. Neufeld et la Bande ont vertement reproché à M. Dybvig d’avoir eu recours à la méthode de l’extraction de la valeur du terrain (plutôt qu’à la technique de la parité) dans son évaluation des propriétés du parc Musqueam. La Bande soutient que M. Dybvig n’a pas adhéré aux principes établis par la Cour suprême dans l’arrêt Glass ni à ce qu’elle appelle [traduction] « la méthode Glass » (pas même comme méthode d’évaluation complémentaire), et qu’il s’est fondamentalement mépris sur ce qui posait problème dans l’évaluation en l’espèce. La Bande estime notamment qu’en faisant abstraction de renseignements essentiels concernant les ventes réalisées dans l’ouest de Vancouver, M. Dybvig a fait une appréciation peu fiable et trompeuse des propriétés du parc Musqueam.

[232] Dans son rapport critiquant les appréciations faites par M. Dybvig, M. Neufeld renvoie à la troisième édition de The Appraisal of Real Estate, publié sous la direction de celui-ci. M. Neufeld cite le passage suivant de cette publication en appui à ses critiques et à celles de la Bande : [traduction] « La technique de la parité est la plus couramment utilisée et celle qui est privilégiée pour évaluer les terrains. » Il s’ensuit selon lui que M. Dybvig aurait dû tenir compte dans son analyse des prix auxquels se vendaient les maisons de la partie ouest avoisinante de Vancouver.

[233] M. Neufeld souligne qu’en fondant son analyse sur la technique de la parité pour établir la valeur des propriétés du parc Musqueam, il avait un seul ajustement à faire pour l’emplacement dans la réserve et hors réserve. En revanche, la méthode de l’extraction de la valeur du terrain suivie par M. Dybvig nécessitait deux ajustements.

[234] Premièrement, il devait déduire la valeur comptable nette des maisons du parc Salish du prix de vente des propriétés afin d’obtenir la valeur du terrain sous-jacent. Deuxièmement, il devait appliquer un ajustement de tenure à bail à tenure franche pour obtenir la valeur du droit en fief simple afférent aux propriétés du parc Musqueam. Selon M. Neufeld, l’ajustement de tenure à bail à tenure franche [traduction] « est un processus complexe », et M. Dybvig aurait dû à tout le moins appliquer la technique de la parité en se fondant sur des ventes de propriétés dans l’ouest de Vancouver pour [traduction] « contre-vérifier ses estimations ».

[235] M. Neufeld estime que la technique de la parité est beaucoup plus simple et plus directe que la méthode utilisée par M. Dybvig. Plus l’analyse d’évaluation est complexe, plus elle est susceptible d’être trompeuse, selon M. Neufeld.

[236] Sa thèse présente toutefois un certain nombre de failles.

[237] Il convient tout d’abord de rappeler que même si lui et la Bande reprochent à M. Dybvig son recours à la méthode incertaine et complexe de l’extraction de la valeur du terrain, M. Neufeld a lui-même utilisé cette méthode pour [traduction] « contre-vérifier ses estimations ».

[238] Par ailleurs, M. Neufeld fait une citation tronquée du passage de la publication The Appraisal of Real Estate. Il est vrai qu’il est affirmé dans le passage en question que la [traduction] « technique de la parité est la plus couramment utilisée et celle qui est privilégiée pour évaluer les terrains », mais M. Neufeld omet la suite de cette phrase, pourtant fort importante : « si on dispose de ventes comparables » [je mets en italique].

[239] Comme l’a souligné M. Dybvig, l’évaluation des terrains du parc Musqueam comme s’ils étaient détenus en fief simple pose notamment la difficulté de la nature hypothétique du droit en fief simple dans des terres de réserve. Les évaluateurs tentent d’évaluer quelque chose qui n’existe pas et qui ne peut exister. Ils ne peuvent pas utiliser des ventes de terrains détenus en fief simple dans une réserve à des fins de comparaison. Le juge Gonthier a d’ailleurs souligné que la technique de la parité ne peut pas être appliquée dans cette situation (Glass (CSC), au paragraphe 50).

[240] Le juge Rothstein a conclu dans le même sens dans la décision Glass (CF), en soulignant que même s’il aurait été préférable d’utiliser la technique de la parité, elle n’était inapplicable en l’espèce, « sauf s’il avait été possible d’utiliser les valeurs des propriétés en fief simple pour déterminer la valeur des lots du parc Musqueam ou sauf s’il y avait eu des terrains vagues sur une réserve indienne comparable à celle du parc Salish ». Le juge poursuit ainsi : « [i]l ne convient pas d’évaluer le terrain du parc Musqueam comme s’il s’agissait d’une propriété en fief simple située hors réserve et il n’y a pas de terrain vague au parc Salish. En conséquence, il est nécessaire d’appliquer la technique résiduelle du terrain [… ] » (Glass (CF), au paragraphe 80).

[241] Même si la Bande a mentionné plusieurs fois [traduction] « l’approche dégagée de Glass » dans ses observations écrites et lors des débats, les parties sont d’accord pour dire que la Cour suprême n’a pas imposé une d’approche particulière à l’évaluation pour évaluer les propriétés du parc Musqueam. L’important toutefois, peu importe la méthode d’évaluation utilisée, est qu’elle tienne compte des conditions du marché (Glass (CSC), au paragraphe 46).

[242] Le juge Gonthier a cependant fait remarquer que l’une des façons de s’approcher de la valeur de terrains détenus en fief simple dans une réserve serait d’ajuster la valeur de terrains hors réserve « pour tenir compte des caractéristiques réelles des terrains et du marché » (Glass (CSC), au paragraphe 49). Comme l’a souligné M. Dybvig, l’examen de ventes de propriétés situées dans l’ouest de Vancouver [traduction] « n’aurait pas grande utilité pour notre analyse puisqu’il faudrait tout de même s’assurer de l’incidence du facteur de l’emplacement dans une réserve ». De plus, il est évidemment loin d’être simple d’ajuster la valeur d’un terrain pour tenir compte du « fait qu’il se trouve sur une réserve indienne », selon la qualification du juge Rothstein.

[243] Comme il a été expliqué précédemment, M. Neufeld et la Bande ont abordé le facteur de l’emplacement dans une réserve et la réduction applicable pour en tenir compte d’une manière hautement subjective et non étayée par les données du marché.

[244] L’approche de M. Dybvig est différente. En examinant des ventes de propriétés comparables dans la réserve Musqueam et en appliquant ensuite un ajustement de tenure à bail à tenure franche aux valeurs obtenues, M. Dybvig a obtenu des valeurs pour les propriétés du parc Salish et du parc Musqueam qui ne nécessitaient pas d’ajustement pour tenir compte du « fait [qu’elles se trouvaient] sur une réserve ». De plus, l’analyse de M. Dybvig n’était pas subjective et elle était étayée par des données du marché qui prenaient déjà en compte le facteur de l’emplacement dans une réserve attribué par le marché aux propriétés du parc Salish.

[245] Dans sa plaidoirie finale, l’avocat de la Bande a fortement critiqué l’ajustement de tenure à bail à tenure franche qu’a dû appliquer M. Dybvig à la valeur des propriétés du parc Salish assujetties à un bail payé à l’avance. La Bande a reconnu que le juge Rothstein avait retenu les éléments de preuve de l’évaluateur des teneurs à bail concernant les tenures à bail payé à l’avance du parc Salish qui avaient été utilisées en guise de comparables et pour lesquelles il y avait eu ajustement de la valeur comme tenure franche dans le litige portant sur la révision des baux de 1995. L’avocat de la Bande a toutefois soutenu qu’il convenait alors de le faire, puisque la période à écouler des baux du parc Salish était de 78 ans, de sorte que la valeur des tenures à bail dans les propriétés équivalait à leur valeur en tant que fief simple. Cependant, selon l’avocat, il ne convenait plus d’utiliser des comparables dans le parc Salish puisqu’il restait seulement 58 ans aux baux payés à l’avance à la date de l’évaluation.

[246] On a fait remarquer à l’avocat de la Bande que MM. Dybvig et Neufeld avaient tous les deux admis que les évaluateurs fonciers opèrent couramment des ajustements de tenure à bail à tenure franche. En effet, l’opinion des deux experts quant à l’ajustement requis était assez semblable. Chose étrange, l’avocat de la Bande a ensuite tenté de dissocier sa cliente du témoignage de son propre témoin expert, en faisant valoir que malgré ce que M. Neufeld ait pu dire à ce sujet, il était impossible en l’espèce de faire un ajustement de tenure à bail à tenure franche. Selon l’avocat, M. Dybvig s’est complètement fourvoyé. Lorsqu’il a été souligné que M. Neufeld avait aussi prétendu avoir fait un ajustement de tenure à bail à tenure franche dans son analyse, l’avocat a répondu qu’il était [traduction] « dans le champ. C’est tout ce que je peux dire. »

[247] Comme il a déjà été mentionné, M. Neufeld a effectivement fait une erreur dans son calcul visant à établir l’ajustement approprié de tenure à bail à tenure franche en l’espèce. Cela ne change rien au fait que les experts ont convenu que l’ajustement des valeurs pour passer de la tenure à bail à la tenure franche est courant dans le domaine de l’évaluation, normale, et je préfère les témoignages des experts aux observations de l’avocat à ce sujet.

[248] La preuve n’étaye pas non plus l’allégation de la Bande selon laquelle M. Dybvig a mal utilisé la méthode de l’extraction de la valeur du terrain en calculant et en appliquant l’ajustement de tenure à bail à tenure franche [traduction] « dans le mauvais ordre ». M. Neufeld a suivi les mêmes trois étapes que M. Dybvig, dans le même ordre.

[249] Je ne souscris pas non plus à l’argument de la Bande selon lequel M. Dybvig a commis une erreur en choisissant des [traduction] « comparables » qui n’avaient pas la même utilisation optimale que les propriétés évaluées pour établir l’ajustement de tenure à bail à tenure franche à appliquer aux propriétés du parc Salish.

[250] M. Dybvig n’a pas considéré les copropriétés situées à North Vancouver en vue de trouver des ventes de propriétés comparables aux fins de l’appréciation des propriétés du parc Musqueam. Son objectif était plutôt d’établir la différence de valeur entre des propriétés semblables qui étaient dans certains cas détenues en fief simple et dans d’autres assujetties à un bail à long terme payé à l’avance. Une fois établie cette différence de valeur, M. Dybvig pouvait calculer le coefficient d’ajustement à appliquer aux propriétés du parc Salish pour en estimer la valeur comme si elles étaient détenues en fief simple.

[251] Par ailleurs, l’argument de la Bande apparaît pour le moins confondant si on considère que M. Neufeld a lui-même pris en compte des copropriétés situées à North Vancouver dans le calcul de l’ajustement de tenure à bail à tenure franche à appliquer en l’espèce.

[252] Le degré d’attention dont ont fait preuve les évaluateurs, de même que la rigueur avec laquelle ils se sont acquittés de leur mandat sont aussi illustrés par la façon dont chacun a établi la valeur comptable nette des améliorations apportées aux propriétés du parc Salish au moyen de la méthode de l’extraction de la valeur du terrain.

[253] Comme il a été mentionné précédemment, MM. Dybvig et Neufeld ont tous les deux utilisé la méthode de l’extraction de la valeur du terrain pour évaluer les propriétés du parc Musqueam. M. Dybvig y a eu recours de manière exclusive alors que M. Neufeld l’a utilisée pour [traduction] « contre-vérifier ses estimations ». La méthode de l’extraction de la valeur du terrain consiste à soustraire le coût amorti des améliorations de la valeur totale d’une propriété pour obtenir la valeur du terrain sous-jacent.

[254] Le juge Rothstein a fait remarquer dans la décision Glass (CF) qu’il peut être difficile d’estimer la valeur de l’amortissement cumulé des améliorations, et que l’utilisation de tableaux de coûts pour faire cette estimation « comporte des faiblesses, puisqu’elle repose sur des hypothèses, des moyennes et des estimations et non sur les données du marché ». Le juge a néanmoins conclu « qu’il est possible d’utiliser cette méthode en l’espèce pour obtenir une indication de l’ordre de grandeur de la valeur du terrain du parc Musqueam » (Glass (CF), au paragraphe 81).

[255] On se souviendra que pour établir le taux d’amortissement à appliquer aux 21 propriétés du parc Salish, M. Dybvig a tenu compte de l’âge et de l’apparence de chaque maison, et il a aussi vérifié si la maison était à son état d’origine ou avait été rénovée et, le cas échéant, quand les travaux de rénovation avaient été effectués. À cet escient, il est passé devant chaque maison afin d’en observer l’état et il a examiné la vingtaine de photos en couleurs accompagnant leur fiche d’inscription du service interagences. Selon M. Dybvig, ces photos fournissaient d’importants éléments de preuve concernant l’état de la maison et le type de rénovations effectuées, le cas échéant. Dans certains cas, il a parlé à l’agent immobilier qui s’était occupé de la vente pour confirmer certains renseignements concernant l’état des propriétés.

[256] M. Neufeld a quant à lui fait valoir la difficulté d’estimer l’amortissement des propriétés vendues dans le parc Salish qu’il a examinées, et qu’il était pratiquement impossible d’appliquer la méthode de l’extraction de la valeur du terrain sans inspecter chaque maison afin d’en apprécier l’état. Plutôt que de faire un ajustement pour tenir compte de la valeur réelle des améliorations, M. Neufeld s’est fondé sur les valeurs des améliorations établies par la British Columbia Assessment Authority, qui à son avis constituaient un [traduction] « bon point de comparaison général » pour déterminer la valeur comptable nette des améliorations.

[257] M. Dybvig – qui, rappelons-le, est membre de la section d’appel de British Columbia Assessment Authority – a expliqué que l’autorité évaluatrice utilise des algorithmes d’évaluation de masse pour évaluer les améliorations. Il est rare qu’elle inspecte les propriétés, de sorte que les travaux de mise à niveau et de rénovation sont rarement pris en compte dans l’évaluation des améliorations. Fait plus important, les valeurs des améliorations sont établies par l’autorité évaluatrice conformément au règlement sur l’évaluation de Musqueam, dans lequel les propriétés sont traitées comme si elles étaient détenues en fief simple hors réserve. Ces valeurs ne peuvent donc être prises en compte aux fins de l’extraction de la valeur du terrain parce que celle-ci exige de déduire la valeur nette comptable réelle des améliorations de la valeur totale d’une propriété.

[258] La Bande allègue de plus que M. Dybvig aurait dû faire valoir une [traduction] « condition restrictive extraordinaire » (CRE) et « précisé et justifié la nécessité d’en tenir compte » dans son analyse. À l’appui de cet argument, la Bande renvoie aux NUPPEC, selon lesquelles l’exclusion d’une méthode d’évaluation pertinente constitue une CRE. Elle ajoute qu’en faisant abstraction de ce qu’elle appelle [traduction] « la méthode Glass », M. Dybvig a limité la portée de son analyse au point d’en miner toute la crédibilité au vu de l’objet du mandat d’évaluation et de l’application prévue des résultats, savoir l’établissement de la valeur d’un droit en fief simple hypothétique dans un terrain situé dans une réserve, dans les mêmes circonstances que dans l’affaire Glass.

[259] Je ne puis souscrire à cette affirmation.

[260] D’abord, l’argument de la Bande repose sur une interprétation selon laquelle la Cour suprême aurait imposé une méthode en particulier pour l’évaluation des propriétés du parc Musqueam. Or, la Bande a explicitement reconnu que si la Cour suprême a précisé la nature du droit de tenure dans un terrain à évaluer dans le processus de révision du loyer, elle n’a pas précisé la méthode à utiliser pour évaluer les propriétés du parc Musqueam. La Cour suprême a seulement exigé que l’évaluation soit fondée sur les conditions du marché (Glass (CSC), au paragraphe 46).

[261] Qui plus est, les experts n’ont fourni aucun élément de preuve qui pourrait corroborer l’argument de la Bande. M. Neufeld n’a jamais été appelé à dire si M. Dybvig avait commis une erreur en omettant d’inclure une CRE dans ses évaluations, et celui-ci a expressément rejeté l’allégation de la Bande comme quoi pareille CRE était requise en l’espèce.

[262] Selon M. Dybvig, une CRE doit être invoquée [traduction] « si une méthode d’évaluation n’est pas appliquée alors qu’elle le serait normalement ». En l’espèce, M. Dybvig a jugé que la technique de la parité n’aurait pas [traduction] « permis une analyse aussi fiable que la méthode [qu’il avait] utilisée ». Il explique dans son premier rapport qu’il existe six méthodes d’évaluation pour estimer la valeur d’un terrain vague. Il a choisi celle qui selon lui convenait le mieux et justifié pourquoi les autres méthodes ne convenaient pas. Il s’ensuit selon M. Dybvig que le rejet de la technique de la parité ne constituait pas une CRE, et qu’il n’avait pas à en faire état.

[263] L’établissement de la valeur marchande courante des terrains du parc Musqueam en vue de fixer les loyers pour les 20 années subséquentes ne pouvait pas se faire dans le cadre d’un exercice d’évaluation type. Selon les enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Glass (CSC), les évaluateurs devaient évaluer quelque chose qui ne pouvait pas exister en droit, c’est-à-dire un droit de fief simple dans des terrains situés dans une réserve. Comme un tel droit n’existe pas, il est impossible de trouver de véritables comparables pour mener une analyse selon la technique de la parité. De plus, un ajustement devrait être opéré pour tous les comparables sur lesquels l’analyse est fondée, pour obtenir la valeur marchande courante des lots hypothétiques détenus en fief simple. En conséquence, il fallait faire preuve de créativité pour trouver une méthode d’évaluation appropriée.

[264] M. Dybvig a discuté des différentes méthodes possibles pour évaluer des terrains vagues, et il a justifié sa décision d’utiliser la méthode de l’extraction de la valeur du terrain plutôt que la technique de la parité à partir de comparables de l’ouest de Vancouver. Ses motifs sont transparents et logiques, et la Bande ne m’a pas convaincue que la valeur persuasive de son témoignage avait été compromise par son défaut d’invoquer une CRE dans ses évaluations.

b) Analyse par M. Neufeld de comparables situés dans l’ouest de Vancouver

[265] On se souviendra que parce qu’on lui avait demandé d’évaluer des lots pour habitations individuelles détenus en fief simple, non améliorés et non viabilisés, M. Neufeld a examiné des ventes de terrains vagues situés dans l’ouest de Vancouver pour établir la valeur au pied carré de lots hors réserve non améliorés. Cet exercice lui a donné une bonne indication de la valeur d’une propriété en fief simple dans ce qu’il a appelé le [traduction] « marché normal », c’est-à-dire le marché hors réserve, laquelle valeur pourrait être ajustée pour l’emplacement dans une réserve, le cas échéant.

[266] M. Neufeld a reconnu qu’une [traduction] « bonne partie » des ventes résidentielles dans l’ouest de Vancouver concernent le terrain puisque les maisons sont offertes à la vente en vue de leur démolition. En témoignent les annonces sur lesquelles on peut lire [traduction] « Construisez votre maison de rêve ici! » ou « Le rêve du constructeur! ». M. Neufeld a convenu qu’en pareil cas, aucun ajustement n’aurait été nécessaire pour tenir compte de la valeur du bâtiment se trouvant sur le terrain. Il a observé cependant qu’il n’est toutefois pas toujours évident si une maison a été achetée pour être démolie ou si elle restera occupée après la conclusion de la vente. Dans le second cas, le prix de vente devrait être ajusté pour refléter la valeur des améliorations apportées à la propriété afin d’obtenir la valeur du terrain sous-jacent.

[267] Étant donné qu’il a produit son rapport initial en mars 2016 – soit près d’une année après la date de l’évaluation –, on peut penser que M. Neufeld aurait eu le temps de passer devant les maisons qui avaient été annoncées comme étant à démolir pour constater si elles avaient effectivement été démolies ou si elles étaient toujours habitées. Il n’a pas expliqué pourquoi cet exercice aurait été inenvisageable. À une exception près, M. Neufeld n’est passé devant aucune des propriétés qu’il a utilisées en tant que ventes comparables avant de rédiger son rapport.

[268] Il a déclaré en outre qu’il était difficile d’opérer un ajustement pour tenir compte de la valeur comptable nette des bâtiments situés sur les lots comparables, et qu’il a pu éviter de le faire en limitant son analyse aux propriétés mises en marché en tant que terrains vagues. Même si je reconnaissais une certaine logique à la justification donnée par M. Neufeld pour limiter son analyse à des ventes de terrains, j’aurais néanmoins des préoccupations quant à la manière dont il a mené son analyse.

[269] Premièrement, une maison se trouvait sur 3 des 10 propriétés comparables figurant sur la liste de M. Neufeld. Il n’a pas expliqué de manière satisfaisante pourquoi il avait jugé approprié d’inclure ces propriétés dans son analyse alors qu’il avait fait valoir la difficulté d’évaluer des propriétés sur lesquelles se trouvait une maison pour obtenir la valeur marchande courante des propriétés du parc Musqueam.

[270] Qui plus est, les 10 ventes de terrains prétendument vacants analysées par M. Neufeld ont eu lieu entre janvier 2014 et avril 2016, c’est-à-dire après la date de l’évaluation. M. Dybvig a indiqué qu’il n’est pas indiqué de prendre en compte de ventes conclues après la date de l’évaluation, car elles ne sont pas indicatives des conditions du marché à ce moment. Bien qu’il puisse s’avérer nécessaire de recourir à des données postérieures à la date de l’évaluation dans certains cas, il ressort des éléments de preuve fournis par M. Dybvig qu’il y avait à disposition beaucoup de données concernant des ventes réelles de terrains dans l’ouest de Vancouver avant la date de l’évaluation.

[271] Il est tout aussi troublant de constater que M. Neufeld n’a fait aucune analyse de marché pour justifier ses ajustements en fonction du moment. Par exemple, il a souligné que 4 de ses 10 comparables dans l’ouest de Vancouver étaient des ventes conclues durant la première moitié de 2014, et qu’un [traduction] « important ajustement à la hausse serait requis en fonction du moment étant donné l’escalade des prix ». Il a ajouté que d’autres ventes conclues après la date de l’évaluation exigeraient un ajustement à la baisse des prix de vente. M. Neufeld n’a toutefois fourni aucune analyse du marché (par exemple, une analyse de paires de ventes) pour étayer le coefficient d’ajustement suggéré, et il n’a pas non plus mentionné d’autres indicateurs de l’état du marché (par exemple, l’indice de prix des maisons).

[272] Les 10 ventes qu’il a prises en considération concernaient aussi des lots dont la superficie variait de 4 125 à 39 204 pieds carrés, ce qui est bien loin de la superficie de 12 000 pieds carrés de son lot de référence. Il a reconnu qu’il n’avait pas inclus de preuve documentaire dans son rapport d’évaluation ni dans son dossier pour corroborer l’ampleur d’un ajustement à la hausse ou à la baisse pour tenir compte de la grande diversité entre les superficies des 10 lots qu’il avait comparés.

[273] D’autres différences entre les comparables et les propriétés du parc Musqueam ne semblent pas avoir été prises en compte dans l’analyse de M. Neufeld. Par exemple, un de ces comparables offrait une vue sur le fleuve Fraser, et deux autres donnaient sur une artère commerçante principale, à proximité d’un certain nombre d’attraits commerciaux et de magasins de détail. Il n’a pourtant pas appliqué d’ajustement à la valeur de ces propriétés pour tenir compte de ces caractéristiques distinctives.

[274] Deux propriétés contiguës de la 50e avenue Ouest avaient une superficie d’un peu moins de 40 000 pieds carrés, mais il n’a pas fait d’ajustement pour en tenir compte même si, selon ce qu’il a lui-même affirmé, les lots plus grands se vendent moins cher au pied carré.

[275] Par surcroît, les propriétés de la 50e avenue pouvaient être loties et accueillir jusqu’à huit habitations résidentielles privées. Elles n’avaient donc pas la même utilisation optimale que les propriétés du parc Musqueam, et je suis d’accord avec M. Dybvig qu’en raison de cette différence, elles ne pouvaient pas servir de comparables. Je retiens aussi la déclaration de M. Dybvig selon laquelle [traduction] « aucun évaluateur agissant raisonnablement [ne les] utiliserait », et que cela « frôlerait l’absurde ». Effectivement, comme l’a souligné l’avocat de la Bande de son contre-interrogatoire de M. Dybvig, les NUPPEC disposent que, dans la mesure du possible, les comparables devraient offrir la même utilisation optimale que les propriétés évaluées.

[276] Seuls 2 des 10 comparables choisis par M. Neufeld approchaient la superficie de 12 000 pieds carrés du lot de référence, et plusieurs n’avaient aucune ressemblance physique avec les lots du parc Musqueam évalués en l’espèce. L’un des lots retenus avait une superficie de 4 298 pieds carrés seulement. Or, malgré l’allégation de M. Neufeld selon laquelle les parcelles plus petites ont tendance à se vendre plus cher le pied carré et qu’un ajustement est nécessaire pour en tenir compte, il n’a pas fait cet ajustement. Il n’a pas non plus apporté d’ajustement à la valeur de 4 des 10 comparables qui étaient des lots d’angle, qui selon lui se vendent à un prix plus élevé que les propriétés intercalées.

[277] Deux des propriétés choisies par M. Neufeld étaient situées dans une zone commerciale, sur la rue Arbutus. Le zonage de ces propriétés permettait la construction de duplex, de sorte que les propriétés de la rue Arbutus n’avaient pas la même utilisation optimale que celles du parc Musqueam. M. Neufeld a reconnu en contre-interrogatoire qu’il n’avait pas ajusté la valeur de ces propriétés pour tenir compte de leur potentiel de mise en valeur.

[278] La disparité des comparables retenus par M. Neufeld se reflète aussi dans le fait que ces propriétés se vendaient à raison de 108 $ à 525 $ le pied carré environ, ce qui représente une variance de 450 % pour les 10 propriétés. Il a lui-même reconnu qu’il s’agissait d’une [traduction] « marge de variation assez impressionnante » entre les comparables.

[279] Après avoir constitué son échantillon de 10 comparables disparates, M. Neufeld a procédé à une analyse – qu’il ne décrit nulle part dans son rapport – qui a abouti à un prix au pied carré qui, peut-être par pure coïncidence, est quasiment identique à la moyenne pondérée de ses 10 comparables. Il est assez étonnant que son analyse non documentée ait abouti à la même valeur qu’une analyse de la moyenne pondérée considérant l’écart de 450 % dans le prix au pied carré de ses 10 comparables avant tout ajustement.

[280] M. Neufeld a aussi omis d’envisager un certain nombre des ajustements qui auraient été nécessaires pour donner une quelconque cohérence à l’analyse ou à la conciliation des 10 comparables. Par exemple et comme je l’ai déjà souligné, il n’a pas fait les ajustements qu’il considérait comme nécessaires pour les lots d’angle ou ceux offrant une vue quelconque quand il a établi la valeur des lots du parc Musqueam.

[281] De plus, les paramètres utilisés par M. Neufeld dans sa recherche de ventes de terrains vagues dans l’ouest de Vancouver avaient pour conséquence d’exclure des propriétés qui avaient manifestement été mises en vente pour la valeur du terrain (notamment, celles dont l’annonce portaient des accroches comme [traduction] « Le rêve du constructeur! » ou « Construisez votre maison de rêve ici! »). Il a néanmoins débusqué une propriété située sur la rue Wiltshire, dont la fiche d’inscription dans le système interagences ne comportait pas de photo de la maison. De toute évidence, c’est pour cette raison que M. Neufeld s’en est servi dans son analyse.

[282] Il est passé devant la propriété de la rue Wiltshire avant de remplir son rapport. Il a remarqué qu’il s’y trouvait une maison qu’il a décrite comme étant [traduction] « de haute qualité » et « très attrayante », et que les acheteurs y résidaient encore bien après la conclusion de la vente. M. Neufeld a déclaré qu’il avait fait un ajustement [traduction] « qualitatif » pour tenir compte du fait que la propriété de la rue Wiltshire se trouvait à une « adresse de prestige », et que la maison de grande qualité était toujours occupée. Il n’a toutefois fourni aucun renseignement quant à l’ampleur ou à la nature de l’ajustement opéré.

[283] Comme il a été mentionné précédemment, M. Neufeld n’a donné aucune justification satisfaisante de sa décision d’inclure la propriété de la rue Wiltshire dans son analyse des ventes de lots. Il a pourtant très clairement exprimé qu’il avait limité son analyse aux ventes de terrains vagues, et qu’il n’avait pas tenu compte des nombreuses maisons mises en marché en vue de leur démolition dans l’ouest de Vancouver parce que leur inclusion aurait été trop complexe. Il n’a toutefois donné aucune raison de son choix de ne pas exclure de son analyse la propriété de la rue Wiltshire après avoir constaté la présence d’une maison attrayante et de haute qualité qui était toujours occupée bien après la conclusion de la vente. Il importe aussi de souligner que l’inclusion par M. Neufeld de la propriété de la rue Wiltshire dans les 10 ventes de lots analysées a eu une incidence importante puisque la valeur pondérée au pied carré est passée de 176 $ à 201 $.

[284] Sa liste de 10 ventes de terrains vagues comportait aussi une propriété dotée d’une maison sur la rue Balaclava. La British Columbia Assessment Authority avait établi la valeur de cette maison à près de 250 000 $, soit le triple de la valeur fiscale de 77 200 $ attribué à la maison [traduction] « de haute qualité » qui se trouvait sur la propriété de la rue Wiltshire. Même si M. Neufeld n’a fait aucune inspection de la maison à partir de la rue, il a jugé convenable de la considérer comme s’il s’agissait d’un terrain vague. Les comparables retenus par M. Neufeld comprenaient une propriété située sur l’avenue King Edward Ouest qui semblait également dotée d’une maison. Cependant, il n’est jamais passé devant cette propriété et n’a donc pas été en mesure de fournir d’autre renseignement que sa valeur fiscale.

[285] Dans le rapport qu’il a rédigé en réponse, il a indiqué que ses [traduction] « ajustements qualitatifs étaient clairement exposés et commentés dans [son] rapport ». Pourtant, il fait état de trois ajustements seulement dans son analyse : la superficie, le moment de la vente et la présence d’une maison pour ce qui concerne la propriété de la rue Wiltshire. M. Neufeld n’a fourni ni justification ni explication de la façon dont il s’y est pris pour faire ces ajustements, et aucune analyse de la sorte ne se trouvait au dossier. Il est par conséquent difficile d’apprécier la fiabilité ou le caractère exhaustif de son analyse, ou de lui accorder quelque crédibilité.

[286] Les demandeurs soutiennent que le choix de 10 comparables aussi disparates et l’absence d’une analyse rigoureuse pour déterminer les ajustements nécessaires de la valeur des propriétés ne peuvent pas être attribués simplement à son inattention ou à son incompétence.

[287] Toutefois, et je le répète, il importe peu de savoir si l’inattention et l’incompétence sont en cause, ou si M. Neufeld souhaitait avant tout aider sa cliente puisque le résultat est le même : les erreurs flagrantes dans la sélection et l’analyse des 10 comparables du secteur ouest de la ville entachent considérablement leur valeur probante, si valeur probante il y a.

c) Ajustements opérés par M. Neufeld pour tenir compte de la superficie des propriétés du parc Musqueam

[288] J’ai déjà mentionné le manque de rigueur affiché par M. Neufeld relativement aux ajustements de la valeur des lots du parc Musqueam en fonction de leur superficie. Il n’a pas suivi sa propre méthode consistant à majorer la valeur des propriétés d’une superficie de moins de 10 000 pieds carrés compte tenu du prix généralement plus élevé au pied carré des lots plus petits. Il n’a pas non plus appliqué de manière uniforme l’ajustement à la baisse qu’il préconisait pour les terrains d’une superficie de plus de 12 000 pieds carrés.

[289] Cela dit, une autre faille s’ajoute à la méthode d’ajustement en fonction de la superficie proposée par M. Neufeld. Tel que M. Dybvig l’a fait remarquer, cette méthode peut conduire à des résultats absurdes.

[290] Par exemple, le lot 49 est intercalé, il se trouve sur la promenade Salish et il a une superficie de 11 024 pieds carrés. M. Neufeld lui a attribué une valeur de 200 $ le pied carré et une valeur foncière totale de 2 204 800 $. Le lot 19, situé sur le croissant Tamath, a quant à lui une superficie de 10 770 pieds carrés, soit 254 pieds carrés de moins que la propriété de la promenade Salish. M. Neufeld a néanmoins majoré de 20 % la valeur de la propriété du croissant Tamath, qu’il a donc établie à 240 $ le pied carré, ce qui porte sa valeur foncière totale à 2 584 800 $.

[291] Autrement dit, suivant la méthode de M. Neufeld, la valeur d’un plus petit terrain dépassait de plus de 300 000 $ celle d’un terrain plus grand, mais par ailleurs semblable. M. Dybvig a fait remarquer qu’un [traduction] « tel ajustement en fonction de la superficie ne reflète pas le comportement du marché et il est incorrect. Les acheteurs ne paient pas moins pour un terrain plus grand, toutes choses étant égales par ailleurs. » M. Dybvig a souligné de plus que les ajustements en fonction de la superficie [traduction] « se font généralement selon un barème mobile », et qu’ils ne sont jamais « aussi tranchés » que ceux qui ont été appliqués par M. Neufeld.

d) Estimation par M. Neufeld de la valeur comptable nette des maisons du parc Salish

[292] Comme il a été mentionné précédemment, M. Neufeld a eu recours à la méthode de l’extraction de la valeur du terrain uniquement pour [traduction] « contre-vérifier ses estimations ». Pour ce faire, il a dû établir la valeur comptable nette des maisons du parc Salish. Ayant jugé cet exercice [traduction] « difficile », M. Neufeld s’est servi des valeurs fiscales établies par la British Columbia Assessment Authority comme « point de comparaison général » pour établir la valeur comptable nette des améliorations apportées aux terrains du parc Salish.

[293] Cependant, il n’a fait aucune analyse pour confirmer le caractère raisonnable de ces estimations. Cette omission s’avère préoccupante si on considère que la Cour suprême a explicitement observé dans l’arrêt Glass (CSC) que toute évaluation des propriétés du parc Musqueam aux fins de la révision du loyer doit être fondée sur le marché.

[294] Un examen de propriétés situées sur le croissant Staulo dans le parc Salish fait ressortir les problèmes que pose le recours par M. Neufeld aux valeurs établies par la British Columbia Assessment Authority. Il est indiqué dans l’annonce de l’une de ces maisons qu’elle avait une superficie de 5 200 pieds carrés environ et qu’elle avait fait l’objet récemment de travaux de rénovation de quelque 400 000 $. Même si la maison a été vendue au prix de 1 580 000 $, la British Columbia Assessment Authority l’avait évaluée à 199 000 $, et c’est cette dernière valeur que M. Neufeld lui a attribuée. Une autre maison située sur le croissant Staulo, rénovée au coût de 400 000 $, s’est vendue 1 520 000 $. La British Columbia Assessment Authority avait évalué cette maison à 146 000 $, et c’est cette valeur que M. Neufeld lui a attribuée.

[295] Force est de constater que les résultats obtenus par M. Neufeld sont tout simplement absurdes. Personne ne dépenserait 400 000 $ pour rénover une maison qui vaudrait 150 000 $ ou 200 000 $ après les travaux. Pour ces raisons, il s’impose de privilégier la démarche suivie par M. Dybvig pour apprécier l’amortissement à partir d’un examen détaillé de l’état réel de chaque maison.

e) Calcul par M. Neufeld de l’ajustement de tenure à bail à tenure franche

[296] Il convient de rappeler que dans son analyse de l’extraction de la valeur du terrain, M. Neufeld a examiné des comparables du parc Salish et a opéré un ajustement tenant compte d’un droit de tenure à bail de 58 ans payé à l’avance pour établir la valeur d’un droit de tenure en fief simple dans le même terrain. M. Neufeld a expliqué plus loin dans son rapport que pour déterminer le coefficient d’ajustement de tenure à bail à tenure franche approprié, il avait [traduction] « examiné un certain nombre d’opérations visant des propriétés à bail et qu’il les avait ensuite comparées à des opérations visant des propriétés en fief simple par ailleurs semblables afin de dégager un modèle de réductions à appliquer selon la durée du bail ». Il n’a toutefois pas inclus dans son rapport les données sur lesquelles reposait son analyse, bien qu’il ait déclaré qu’elles se trouvaient dans son dossier.

[297] Lorsque l’avocat des demandeurs lui a demandé s’il pouvait produire ses données justificatives, il est devenu évident que les données sur lesquelles M. Neufeld avait fondé son taux de majoration de 1,25 % provenaient en fait d’un rapport qu’un collaborateur de son bureau avait rédigé à une autre fin en 2012. Comme ce rapport avait été rédigé à une autre fin, il faisait état de comparaisons entre des propriétés industrielles (qui n’auraient évidemment aucune pertinence en l’espèce), ainsi que d’études précédentes qui n’étaient pas mentionnées dans le dossier de M. Neufeld.

[298] La façon dont celui-ci a abordé l’ajustement de tenure à bail à tenure franche contraste nettement avec l’analyse soignée de M. Dybvig, faite à partir de données du marché pour établir le coefficient d’ajustement de tenure à bail à tenure franche à appliquer en l’espèce. Il faut donc privilégier celui-ci à celui qui a été appliqué par M. Neufeld.

f) Discrimination

[299] Dans sa plaidoirie finale, la Bande a fait valoir que le racisme systémique se manifeste de manière pernicieuse envers les peuples autochtones du Canada et que nombre de Canadiens ont une attitude discriminatoire [traduction] « en associant les groupes autochtones à des stéréotypes sociaux tels que l’alcoolisme, la criminalité, le chômage, la dépendance à l’aide sociale et leur piètre comportement en tant que voisins ». La Bande souligne que ces croyances [traduction] « sont renforcées par l’association historique de la ségrégation raciale involontaire à la concentration de la pauvreté », et que « la création de “réserves indiennes” et l’investissement inadéquat dans ces réserves témoignent d’un racisme structurel qui contribue à introduire et à perpétuer les inégalités socio-économiques et les désavantages ».

[300] La Bande a qualifié de [traduction] « pernicieuse » la méthode utilisée par M. Dybvig pour évaluer les terrains du parc Musqueam en ce qu’elle visait à établir le coût financier de facteurs potentiellement discriminatoires sans en expliquer ouvertement les raisons. Comme il est parvenu à la conclusion que les terrains du parc Musqueam valaient beaucoup moins que les terrains avoisinants ne se trouvant pas dans la réserve Musqueam, M. Dybvig aurait dû chercher à comprendre pourquoi l’écart était si important. Il n’a pas fait cet exercice, se contentant d’affirmer qu’il ne comprenait pas pourquoi les gens acceptaient de payer les prix qu’ils payaient pour acquérir une propriété. La seule chose dont il était certain était qu’ils paient ces prix.

[301] La Bande a fait remarquer que M. Dybvig avait reconnu en contre-interrogatoire que certaines techniques d’évaluation permettent de prendre en considération les conditions défavorables. La dépréciation immobilière peut être le fruit d’une multitude de conditions défavorables allant de la criminalité à la nuisance, en passant par la déchéance et les stigmates associés aux maisons hantées. La Bande a laissé entendre que les facteurs tels que les [traduction] « stigmates raciaux associés à certains voisinages » et la « fausse perception de désordre » auraient dû être pris en considération dans l’évaluation des terrains du parc Musqueam. Si M. Dybvig était d’avis qu’une réduction pour l’emplacement dans une réserve était nécessaire en raison des préjugés concernant les Autochtones, il aurait pu, et aurait dû, appliquer le modèle des conditions défavorables pour rendre compte de l’effet des attitudes préjudiciables de la part d’acheteurs éventuels.

[302] Dans la décision Glass (CF), la Bande a fait valoir que « le fait de traiter le terrain du parc Musqueam en tenant compte de son statut de réserve indienne est discriminatoire et va à l’encontre de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés » (au paragraphe 41). Le juge Rothstein a rejeté cet argument et conclu que « [l]es facteurs qui touchent la valeur du terrain de la réserve Musqueam ne sont pas des facteurs artificiels ou discriminatoires que la Cour décide d’appliquer ». Plutôt, selon des témoins, « les valeurs sur le marché des terrains loués se trouvant sur une réserve indienne étaient inférieures à celles de propriétés en fief simple et ont fourni des justifications au soutien de ce qu’ils avançaient, lesquelles justifications sont rattachées à la nature du terrain en question » (au paragraphe 56).

[303] Dans l’arrêt Glass (CSC), le juge Gonthier a fait remarquer que le juge Rothstein avait conclu que « les terrains situés dans la réserve Musqueam avaient une valeur inférieure à celle des terrains avoisinants détenus en fief simple non pas en raison de considérations qui seraient jugées discriminatoires devant les tribunaux, mais bien en raison du marché ». Il a en outre souligné que « la différence entre la valeur du terrain de Musqueam et celle des terrains avoisinants détenus en fief simple en dehors de la réserve est attribuable au fait que ces propriétés “sont justement situées sur une réserve indienne” » (ces deux citations sont tirées de l’arrêt Glass (CSC), au paragraphe 28).

[304] En toute déférence, le fait d’affirmer que « le marché » est la raison pour laquelle les terrains de Musqueam valent moins que des terrains avoisinants situés hors de la réserve ne réfute pas complètement une allégation de discrimination fondée sur la race. Effectivement, les forces du marché peuvent refléter les attitudes discriminatoires de certains acheteurs qui peuvent être réticents à acheter une maison dans une réserve.

[305] Cela dit, deux raisons m’empêchent de souscrire à l’argument formulé par la Bande en l’espèce. Premièrement, exception faite de la question posée à M. Dybvig à la fin de son contre-interrogatoire (laquelle est demeurée sans réponse à la suite d’une objection soulevée par les demandeurs), le sujet de la discrimination a été soulevé dans les observations écrites déposées par la Bande une fois recueillis tous les éléments de preuve.

[306] L’avocat de la Bande a confirmé que sa cliente avait réalisé que M. Dybvig avait pris en compte des considérations qu’elle a qualifiées de discriminatoires dans sa méthode d’évaluation quand elle a reçu son rapport initial vers la fin de 2015. Si la Bande jugeait important de présenter des éléments de preuve concernant le sujet de la discrimination, alors il n’a pas vraiment été expliqué pourquoi M. Neufeld n’en a pas parlé dans son rapport rédigé en réponse au rapport initial de M. Dybvig, L’avocat de la Bande a néanmoins rétorqué que même si cette réalisation avait été tardive, cela ne changeait rien au fait que la discrimination existe.

[307] Les demandeurs n’ont toutefois reçu aucun préavis de l’intention de la Bande de plaider l’argument de la discrimination jusque peu avant la plaidoirie finale. Ils n’ont donc pas eu le temps de présenter des éléments de preuve concernant cette question, et il serait fondamentalement inéquitable pour eux que la discrimination soit examinée en tant que facteur ayant eu une incidence sur la valeur dans ces circonstances.

[308] Deuxièmement, je ne puis retenir l’argument de discrimination plaidé par la Bande parce que rien dans le dossier de preuve dont j’ai été saisie ne fait la démonstration de la manière et de l’ampleur avec lesquelles les attitudes discriminatoires alléguées peuvent influer sur la valeur que le marché attribue aux terrains de Musqueam. M. Dybvig n’a pas abordé ce sujet dans ses éléments de preuve, et ceux qui ont été produits par la Bande vont en fait dans le sens contraire.

[309] Comme il a été mentionné précédemment, M. Neufeld a déclaré que la différence était négligeable entre la valeur des propriétés de la réserve Musqueam et celles qui sont situées hors de la réserve. Il n’a pas relevé de facteur socio-économique ou lié au marché qui, à son avis, pourrait faire en sorte qu’un acheteur éventuel paierait moins cher pour un lot en fief simple pour habitation individuelle qui se trouve dans la réserve Musqueam que pour un lot semblable se trouvant dans un quartier voisin, mais hors de la réserve. M. Neufeld a lui-même affirmé que les données du marché indiquent que les acheteurs n’ont [traduction] « aucune réticence » à acheter une résidence sur des terres des Premières Nations. C’est sur ce fondement que M. Neufeld a déclaré qu’il n’y avait aucun motif d’appliquer une réduction pour l’emplacement dans une réserve en l’espèce.

[310] Citant l’arrêt R. c S. (R.D.), [1997] 3 RCS 484, 151 D.L.R. (4th) 193 de la Cour suprême, la Bande me prie de prendre acte d’office de la discrimination subie par les Autochtones. Dans cet arrêt, la juge en chef McLachlin a observé que « [l]a personne raisonnable est censée connaître le passé de discrimination dont ont souffert les groupes défavorisés de la société canadienne que protègent les dispositions de la Charte relatives aux droits à l’égalité. Il s’agit de facteurs dont le juge peut prendre connaissance d’office » (au paragraphe 46).

[311] La Bande fait valoir en outre que dans l’arrêt R. c Williams, [1998] 1 RCS 1128, 159 DLR (4th) 493, la Cour suprême reconnaît « l’existence de préjugés largement répandus contre les autochtones » et que « [l]e racisme dont sont victimes les autochtones comprend des stéréotypes en matière de crédibilité, de respectabilité et de propension à la criminalité ». Citant un rapport de l’Association du Barreau canadien, la Cour suprême a en outre souligné que ces stéréotypes reflètent « une perception des autochtones comme formant un peuple non civilisé, dépourvu d’ordre social ou moral cohérent » qui « nous empêche de considérer les autochtones comme des égaux » (toutes ces citations sont tirées du paragraphe 58).

[312] Je reconnais l’existence de préjugés largement répandus contre les peuples autochtones du Canada. Je reconnais aussi qu’il est possible que des attitudes discriminatoires puissent expliquer la réticence de certains acheteurs à acquérir une maison dans une réserve, réticence qui peut contribuer à diminuer la valeur des maisons du parc Musqueam. Il se peut fort bien que des éléments de preuve d’ordre social soient présentés pour faire la démonstration de ce phénomène dans le cadre de futurs processus de révision du loyer, et que des arguments juridiques soient avancés quant à l’incidence de ces éléments de preuve sur l’exercice d’évaluation effectué en vue de fixer les loyers des propriétés du parc Musqueam.

[313] Cependant, en l’absence de tels éléments de preuve en l’espèce, il m’est impossible de déterminer si des attitudes discriminatoires ont une incidence et, le cas échéant, l’ampleur de cette incidence. En outre, comme il a été mentionné précédemment, il serait fondamentalement inéquitable pour les demandeurs que la discrimination soit examinée en tant que facteur ayant une incidence sur la valeur en l’espèce puisqu’ils n’ont pas reçu de préavis que cet argument serait plaidé, ni eu l’occasion d’y répondre en présentant des éléments de preuve.

[314] La Bande a aussi soutenu qu’il serait contraire à l’obligation fiduciaire du Canada et à l’honneur de la Couronne de suivre un processus de révision du loyer faisant intervenir une méthode d’évaluation qui réduit la valeur des terrains de Musqueam du simple fait qu’ils se trouvent dans une réserve ou en raison de facteurs discriminatoires. Je vais m’abstenir de me prononcer sur cet argument étant donné que la Bande n’a pas démontré que la valeur des terrains du parc Musqueam est vraiment moindre du simple fait qu’ils se trouvent dans une réserve ou en raison de facteurs discriminatoires.

VII. Coûts de viabilisation des terrains du parc Musqueam

[315] Selon les clauses de révision du loyer contenues dans les baux, les parties doivent tenir pour acquis, lorsqu’elles négocient les nouveaux loyers annuels, que les terrains du parc Musqueam se trouvent dans un secteur loti et qu’ils sont zonés pour la construction résidentielle d’habitations individuelles. Dans le cadre de ces négociations, les parties doivent aussi tenir pour acquis que les terrains sont [traduction] « non améliorés et se trouvent dans l’état où ils étaient à la date de l’entente ».

[316] La Cour suprême a conclu unanimement que l’expression « terrains non améliorés » s’entendait de « terrains non viabilisés » et pas seulement de terrains non bâtis (Glass (CSC), au paragraphe 55; voir aussi les paragraphes 1, 20 et 59). Le juge Gonthier a conclu en outre que le coût de tous les services fournis à ce qui était des terres humides et une forêt de broussailles devait être déduit de la valeur marchande d’un droit en fief simple hypothétique dans un lot viabilisé dans une réserve (Glass (CSC), aux paragraphes 54 à 56).

[317] En conséquence, les parties doivent déduire les coûts de viabilisation des propriétés du parc Musqueam de la valeur des lots détenus en fief simple afin d’obtenir la « valeur marchande courante » des terrains aux fins de l’exercice de révision du loyer.

[318] Cependant, avant de traiter du type et de l’étendue des services à déduire de la valeur des lots du parc Musqueam détenus en fief simple, il s’impose de traiter du fait que M. Neufeld était disposé à témoigner au sujet des coûts de viabilisation des propriétés en cause.

A. Inférences à tirer du fait que M. Neufeld a produit des éléments de preuve sur l’établissement des coûts

[319] Comme il a été mentionné précédemment, les demandeurs ont appelé Nancy Hill à témoigner concernant le coût de l’infrastructure nécessaire à la viabilisation des terrains du parc Musqueam. Mme Hill est une ingénieure civile spécialisée dans les infrastructures municipales. Ses compétences n’ont pas été contestées par la Bande, et elle a été qualifiée en tant qu’experte en génie civil et en établissement des coûts liés aux infrastructures municipales.

[320] M. Neufeld a aussi fourni des éléments de preuve concernant les coûts de viabilisation mais, comme il a été mentionné précédemment, la Bande a retiré ces éléments de preuve avant le début de l’instruction. Étant donné leur retrait par la Bande, il ne sera pas tenu compte des éléments de preuve produits par M. Neufeld au sujet des coûts de viabilisation des terrains du parc Musqueam. Néanmoins, trois remarques doivent être faites concernant ces éléments de preuve et leurs conséquences sur mon appréciation de la fiabilité de son témoignage en général.

[321] En premier lieu, je trouve inquiétant de constater que M. Neufeld était disposé à produire ce qui devait être des éléments de preuve d’expert dans un domaine dans lequel il n’a manifestement aucune expertise particulière. M. Neufeld est un évaluateur de biens immobiliers et non un ingénieur civil, et rien dans son curriculum vitæ ne donne à penser qu’il possède une expertise quelconque en matière d’établissement des coûts des infrastructures municipales. Le fait qu’il était disposé à fournir une opinion dans un domaine qui ne relevait manifestement pas de son champ de compétence remet en question sa neutralité en tant que témoin expert et compromet la fiabilité des éléments de preuve qu’il a produits qui relèvent de son champ de compétence.

[322] En deuxième lieu, M. Neufeld n’a presque rien fait pour se renseigner sur les pratiques et les politiques de la Bande concernant son plan communautaire, ou sur ses politiques visant à protéger son habitat aquatique. Il n’a pas non plus examiné la requête en rezonage que la Bande a présentée en vue de la mise en valeur d’un autre ensemble de parcelles de Musqueam, le bloc F, faisant partie de la dotation foncière universitaire (« University Endowment Lands »). M. Neufeld a de ce fait fourni des opinions se rapportant à la viabilisation qui étaient non seulement contraires à l’opinion experte de Mme Hill, mais qui plus est allaient directement dans le sens contraire du point de vue de sa propre cliente.

[323] En dernier lieu, je trouve inquiétant que M. Neufeld ait insisté sur le fait que malgré la différence certaine entre sa démarche et celle de Mme Hill, sont estimation des coûts de viabilisation des propriétés du parc Musqueam était essentiellement la même que la sienne. En effet, M. Neufeld mentionne à plusieurs reprises dans son rapport de juin 2016 que Mme Hill et lui sont parvenus à des estimations très semblables des coûts de lotissement et de viabilisation puisque l’écart est de 2,5 % seulement.

[324] Il est vrai que Mme Hill a estimé les coûts de viabilisation des terrains du parc Musqueam à 18 815 722 $, alors que M. Neufeld les a estimés à 18 355 137 $. Toutefois, leurs estimations ne reposaient pas sur la comparaison de « de pommes avec des pommes ».

[325] Par exemple, contrairement à celle de M. Neufeld, l’estimation qu’a faite Mme Hill des coûts de viabilisation des terrains du parc Musqueam n’incluait pas les coûts indirects tels que les coûts de financement et le bénéfice du promoteur. Si ces deux éléments sont retirés de l’estimation de M. Neufeld afin de comparer des pommes avec des pommes, elle passe de 18 355 137 $ à 14 581 166 $. En outre, à l’opposé de Mme Hill, M. Neufeld a aussi inclus dans son estimation 874 054 $ au titre de [traduction] « frais d’administration de la bande indienne Musqueam », frais que la Bande n’avait pas facturés à la date de l’évaluation. Une fois ces frais supprimés, l’écart entre les estimations qu’ont faites Mme Hill et M. Neufeld des coûts directs de viabilisation des terrains du parc Musqueam s’établit entre 4 et 5 millions de dollars, ce qui est bien loin de l’écart de 2,5 % mentionné par M. Neufeld.

[326] Mme Hill a aussi inclus dans son estimation les coûts liés notamment à l’érection de clôtures, au contrôle de la circulation, au transport de machinerie lourde et de remorques jusqu’au site, ainsi qu’au branchement temporaire de l’électricité et de l’accès Internet. L’estimation de M. Neufeld ne tenait pas compte de ces éléments. En revanche, elle incluait des coûts [traduction] « de défrichage et d’essouchage » de la propriété d’environ 8,8 millions de dollars, ce qui correspondait à plus de 60 % de son estimation des coûts directs de viabilisation. Mme Hill a témoigné qu’elle n’avait jamais vu des sommes aussi élevées que celles que M. Neufeld a inclus dans son estimation pour [traduction] « le défrichage et l’essouchage »; elle-même a estimé ces coûts à un peu moins de 1 million de dollars.

[327] Le fait que la Bande a retiré les éléments de preuve de M. Neufeld portant sur les coûts de viabilisation me dispense d’avoir à choisir entre ceux-ci et ceux que Mme Hill a produits. En raison des différences fondamentales entre les deux estimations des coûts de viabilisation des propriétés du parc Musqueam, je conclus qu’il était tout simplement fallacieux de la part de M. Neufeld de soutenir avec insistance que ses chiffres étaient essentiellement équivalents à ceux de Mme Hill. Je conviens également avec les demandeurs qu’il est inquiétant de constater la propension de M. Neufeld à avancer des arguments susceptibles d’aider la cause de sa cliente (même si l’absence de fondement factuel était manifeste), et que ce constat mine la crédibilité des éléments de preuve concernant des questions qui relevaient de son champ de compétence.

B. Question de droit afférente aux coûts de viabilisation

[328] L’estimation de 18 815 722 $ établie par Mme Hill incluait les coûts qui devraient être engagés pour viabiliser un nouveau lotissement du parc Musqueam sur un terrain vague en juin 2015. Son estimation tient compte de dépenses liées à des éléments qui seraient inclus dans une mise en valeur de haute qualité en 2015, mais qui n’étaient ni requis ni inclus lorsque les terrains du parc Musqueam ont été mis en valeur dans les années 1960.

[329] Les deux parties s’accordent pour dire que, pour établir la valeur des terrains du parc Musqueam à l’état non amélioré et non viabilisé, il faut déduire les coûts de viabilisation de la propriété de la valeur des terrains viabilisés. Elles conviennent aussi qu’il faut tenir compte des coûts de la viabilisation des terrains en juin 2015 aux fins de la révision du loyer.

[330] Les parties ne s’entêtent toutefois pas sur l’étendue des services à prendre en compte dans l’estimation des coûts de viabilisation.

[331] Les demandeurs déclarent que, conformément aux articles 7 et 9 de l’entente-cadre, incorporés aux baux par renvoi, la Cour doit estimer ce que coûterait en 2015 la mise en place sur les terrains vagues du parc Musqueam d’un ensemble résidentiel de haute qualité conforme aux normes. Ces articles disposent que, lorsque le parc Musqueam a été mis en valeur dans les années 1960, les services et les ouvrages devaient être construits conformément aux normes applicables de la Ville de Vancouver, et que toutes les approbations et tous les permis requis devaient être obtenus [traduction] « aux fins de la mise en valeur efficace des terrains visés afin de créer un lotissement résidentiel de haute qualité ».

[332] La Bande reconnaît que si un nouveau lotissement de haute qualité comportant 75 lots destinés à la construction d’habitations individuelles était aménagé au parc Musqueam en 2015 conformément aux exigences en vigueur de la Ville de Vancouver, les coûts directs de viabilisation s’établiraient à 18 815 722 $, tels qu’ils ont été estimés par Mme Hill. La Bande s’oppose toutefois à ce qu’une déduction soit faite pour des services qui n’étaient pas vraiment fournis par le promoteur lors de la mise en valeur de la propriété du parc Musqueam dans les années 1960. Elle n’a toutefois présenté aucun élément de preuve claire concernant les services qui étaient fournis lors de la mise en valeur originale du parc Musqueam. On ne m’a pas non plus fourni de description des services qui étaient offerts à la date de l’évaluation.

[333] Cela dit, l’avocat de la Bande a confirmé lors de la sa plaidoirie finale que seuls deux éléments liés aux coûts de viabilisation des terrains du parc Musqueam demeurent en litige : l’inclusion par Mme Hill d’un montant de 1 438 500 $ au titre de [traduction] « jardins pluviaux », et l’inclusion par M. Dybvig d’un montant de 2 950 000 $ versé au lieu de réserver 10 % des terrains du parc Musqueam pour l’aménagement d’un parc. Je crois comprendre que des jardins pluviaux n’ont jamais été installés au parc Musqueam, ou qu’aucune partie de ces terrains n’a été réservée pour un parc.

[334] Les jardins pluviaux font partie des systèmes de gestion des eaux pluviales en place. Ils permettent la rétention des eaux pluviales dans le sol et la végétation avant leur infiltration dans un tuyau d’égout ou une conduite d’eaux pluviales. Selon Mme Hill, l’intégration de jardins pluviaux au système de gestion des eaux pluviales du parc Musqueam contribuerait à réduire l’arrivée d’eaux pluviales dans le ruisseau qui traverse le lotissement. En conséquence, elle a inclus un montant de 1 438 500 $ pour les jardins pluviaux dans son estimation des coûts de viabilisation du parc Musqueam en 2015.

[335] Le second élément en litige a trait à la nécessité de réserver une aire du parc Musqueam pour l’aménagement d’un parc, ou de verser un paiement en tenant lieu. Selon Mme Hill, un règlement de la Ville de Vancouver exige que le promoteur de tout lotissement de plus de 20 acres réserve jusqu’à 10 % des terrains à l’usage d’un parc, ou qu’il verse une somme équivalant à 10 % de la valeur des terrains en remplacement. On se souviendra que la superficie du parc Musqueam est légèrement supérieure à 40 acres. Il n’y avait toutefois aucune exigence de réserver une aire pour un parc lors de la mise en valeur du parc Musqueam dans les années 1960, et on n’y trouve toujours pas de parc.

[336] Mme Hill a témoigné que toute mise en valeur [traduction] « de haute qualité » dans une municipalité en 2015 suivant les « meilleures pratiques » nécessiterait de prévoir une aire pour un parc ou un paiement en remplacement. Toutefois, par souci de simplicité, on a demandé à Mme Hill de tenir pour acquis qu’un lotissement au parc Musqueam en 2015 aurait le même plan que le lotissement existant, et qu’un paiement devrait donc être prévu en remplacement de l’aménagement d’un parc. Mme Hill n’a toutefois pas prévu ce paiement de remplacement dans son estimation des coûts; elle a laissé le soin à M. Dybvig de prévoir 10 % de la valeur des terrains du parc Musqueam à cette fin.

[337] M. Dybvig a établi que 10 % de la valeur des terrains du parc Musqueam correspondait à 2 950 000 $ à la date de l’évaluation. Il a donc déduit cette somme de son estimation de la valeur foncière courante des terrains du parc Musqueam au titre d’un paiement en remplacement de l’aménagement d’un parc.

[338] Je dois donc décider s’il y a lieu de déduire les coûts de mise en valeur du parc Musqueam selon les normes en vigueur de la valeur des terrains viabilisés en 2015, ou s’il faut rejeter les déductions au titre des jardins pluviaux et d’un paiement en remplacement de l’aménagement d’un parc au motif qu’aucune dépense de ce type n’a été engagée lors de la mise en valeur de ces terrains dans les années 1960 ou avant 2015.

[339] Aucun des tribunaux saisis du litige en 1996 n’a traité de la question. Le juge Rothstein et le juge Gonthier ont toutefois formulé des observations utiles à cet escient.

[340] Conformément à l’alinéa 2a) des baux, les parties doivent, aux fins de la révision du loyer, tenir pour acquis que les terrains en cause étaient [traduction] « non améliorés [et se trouvaient] dans l’état où ils étaient à la date de la présente entente ». Dans la décision Glass (CF), le juge Rothstein devait décider à quelle « entente » renvoyaient les baux. C’était un aspect important puisque les terrains étaient viabilisés lorsque les baux ont été signés, alors qu’ils ne l’étaient pas à la conclusion de l’entente-cadre le 8 juin 1965.

[341] Le juge Rothstein a déterminé qu’il s’agissait de l’entente-cadre, de sorte que les parties devaient tenir pour acquis que le terrain n’était pas viabilisé aux fins de la révision du loyer (Glass (CF), au paragraphe 96).

[342] En parvenant à cette conclusion, le juge Rothstein a souligné qu’une interprétation voulant que l’entente visée par les baux était l’entente-cadre correspondait aux faits. Plus précisément, la Bande a fourni des terrains non améliorés et non viabilisés, et c’est le promoteur qui a payé les coûts de la viabilisation de la propriété. Le juge Rothstein a déclaré qu’il « [lui était] difficile de croire que les parties souhaitaient, lors de la révision du loyer, que la bande reçoive un dédommagement à l’égard des services et de la mise en valeur alors qu’elle n’en a pas payé le coût et qu’elle n’en était pas responsable » (ces deux citations sont tirées de Glass (CF), au paragraphe 95).

[343] Autrement dit, puisque le promoteur a payé les coûts de viabilisation des terrains du parc Musqueam, ces coûts devaient être déduits de la valeur des terrains pour obtenir leur valeur marchande courante comme s’ils étaient dans l’état non viabilisé dans lequel ils se trouvaient à la date de l’entente-cadre.

[344] D’autres observations du juge Rothstein confirment cette interprétation. Lorsqu’il a tiré sa conclusion sur l’interprétation des baux, il a déclaré qu’il « était nécessaire de déduire tous les frais de service de la valeur courante des lots viabilisés du parc Musqueam pour retourner les terrains [traduction] “dans l’état où ils se trouvaient à la date de la présente entente (cadre)” » (Glass (CF), au paragraphe 101 [je mets en italique]; voir aussi les paragraphes 102 et 103). Le juge Rothstein n’a pas laissé entendre que les coûts de viabilisation des terrains du parc Musqueam selon les normes de 1995 devaient être déduits de la valeur des terrains viabilisés pour les retourner « dans l’état où ils se trouvaient à la date de la présente entente (cadre) ». Il s’ensuit que pour retourner les terrains dans l’état dans lequel ils se trouvaient à la date de l’entente-cadre, il fallait déduire les coûts payés en 1995 pour la prestation des services par le promoteur de la valeur des terrains non améliorés, mais viabilisés.

[345] La Cour suprême du Canada a adopté à l’unanimité cette analyse de la question des coûts de viabilisation dans l’arrêt Glass (CSC).

[346] Le juge Gonthier a souligné, dans l’introduction à son analyse des coûts de viabilisation, que la Bande avait contesté la conclusion du juge Rothstein relativement à l’entente visée dans les baux. La Bande demandait aussi qu’il soit décidé si l’expression [traduction] « non améliorés », telle qu’elle est employée dans la clause de révision du loyer des baux, signifiait uniquement sans les bâtiments ou si elle signifiait également sans les services. Le juge Gonthier a déclaré que, dans le second cas, « il faudrait déduire une certaine somme de la “valeur courante du terrain” pour remettre théoriquement le terrain dans l’état où il était avant d’être viabilisé » (Glass (CSC), au paragraphe 54 [je mets en italique]).

[347] Le juge Gonthier a conclu que l’expression « terrains non améliorés » englobait les « terrains non viabilisés », et pas seulement les terrains non bâtis (Glass (CSC), au paragraphe 56). Il en est venu à cette conclusion après avoir établi que la logique interne de la clause de révision du loyer milite pour une interprétation de l’expression « terrain non amélioré » comme englobant un terrain non viabilisé. Il a souligné que les baux avaient été signés avant la construction d’un seul immeuble sur les terrains du parc Musqueam. En conséquence, « les mots “non améliorés” n’auraient rien ajouté au paragraphe “des terrains non améliorés se trouvant dans l’état où ils étaient à la date de la présente entente” s’ils n’avaient pas fait référence aux services déjà existants » (Glass (CSC), au paragraphe 54 [je mets en italique]). Les autres juges ont souscrit à cette conclusion.

[348] Il est donc évident que la question n’est pas de savoir ce qu’auraient coûté en 2015 la mise en valeur et la viabilisation des terrains du parc Musqueam selon les normes en vigueur. En l’espèce, il faut déterminer ce qu’il faut déduire de la valeur des terrains non améliorés, mais viabilisés, du parc Musqueam pour qu’ils soient retournés à l’état dans lequel ils se trouvaient avant d’être viabilisés.

[349] Le juge Rothstein a conclu qu’il ne conviendrait pas d’interpréter les baux comme si la bande pouvait obtenir un dédommagement à l’égard de la viabilisation et de la mise en valeur dont elle n’a pas payé les coûts et dont elle n’était pas responsable (Glass (CF), au paragraphe 95). Cette conclusion a pour corollaire que la déduction du coût des jardins pluviaux et d’un paiement en remplacement de l’aménagement d’un parc en l’espèce pénaliserait la Bande puisque de tels coûts n’ont jamais été engagés.

[350] En conséquence, je conclus que, pour établir la « valeur marchande courante » des terrains du parc Musqueam se trouvant dans un état non amélioré et non valorisé au 7 juin 2015, il faut déduire la valeur en 2015 des coûts de la prestation des services et de la mise en valeur qui ont été assumés par le promoteur lors de la mise en valeur du parc Musqueam dans les années 1960. Seule la déduction de la valeur des coûts de ces services et de cette mise en valeur de la valeur courante du terrain permet, de manière théorique, « de retourner le terrain dans l’état où il était avant d’être viabilisé ».

C. Incidence des coûts de viabilisation sur la valeur marchande courante des terrains du parc Musqueam

[351] Comme il a été mentionné précédemment, Mme Hill a estimé les coûts directs de la viabilisation des terrains du parc Musqueam à 18 815 722 $. Son estimation n’incluait toutefois pas un certain nombre de coûts normalement engagés pour la mise en valeur d’une collectivité résidentielle tels les coûts de financement, les coûts liés à la vente et le bénéfice des promoteurs. Mme Hill n’a pas non plus prévu de paiement en remplacement d’une aire réservée à l’aménagement d’un parc.

[352] Par conséquent, après avoir reçu les rapports de Mme Hill concernant les coûts directs de viabilisation des terrains du parc Musqueam, M. Dybvig a rédigé un autre rapport rendant compte d’une analyse visant à soustraire les coûts de viabilisation et d’autres coûts associés – coûts de mise en valeur et de financement, bénéfice du promoteur – de la valeur des terrains du parc Musqueam à la date de l’évaluation.

[353] Plutôt que de reconfigurer le plan du parc Musqueam. M. Dybvig a aussi calculé la valeur d’un paiement versé en remplacement de l’aménagement d’un véritable parc. Selon M. Dybvig, 10 % de la valeur des terrains du parc Musqueam équivalait à 2 950 000 $ à la date de l’évaluation.

[354] Une fois soustraits les coûts de viabilisation de 18 815 722 $ selon l’estimation de Mme Hill de la valeur des terrains viabilisés du parc Musqueam estimée par M. Dybvig, ainsi que le paiement de 2 950 000 $ versé en remplacement de l’aménagement d’un parc et les autres coûts indirects de viabilisation qu’il a recensés, il est parvenu à une valeur de 26 550 000 $ pour les terrains du parc Musqueam se trouvant dans un état non amélioré, mais viabilisé (valeur moyenne de 354 000 $ par terrain).

[355] De façon générale, j’ai retenu les éléments de preuve de M. Dybvig concernant la valeur des terrains du parc Musqueam au 7 juin 2015. J’ai toutefois conclu que, dans le calcul des coûts de viabilisation des terrains du parc Musqueam en 2015, aucune déduction ne doit être appliquée à la somme de 1 438 500 $ calculée par Mme Hill au titre des jardins pluviaux, ainsi qu’au paiement de 2 950 000 $ versé en remplacement de l’aménagement d’un parc. En conséquence, la « valeur marchande courante » des terrains non améliorés et non viabilisés s’établit à 26 550 000 $ + 2 950 000 $ + 1 438 500 $, soit 30 938 500 $ au 7 juin 2015.

[356] Avant de clore l’analyse de cette question, je tiens à mentionner que ma conclusion à cet égard ne diminue en rien la crédibilité ou la fiabilité de Mme Hill et de M. Dybvig en tant que témoins. Les deux se sont acquittés du mandat qu’ils avaient reçu, alors que ma conclusion concernant le bien-fondé des deux déductions en cause découle de mon interprétation des ententes et de la jurisprudence applicables. Or, il s’agit de deux questions de droit qui ne relèvent pas du champ de compétence des deux témoins des demandeurs.

VIII. Répartition de la valeur entre les lots

[357] Après avoir établi à 26 550 000 $ la valeur des terrains du parc Musqueam détenus en fief simple dans leur état non amélioré et non viabilisé, M. Dybvig a appliqué un taux de 17,459 % – obtenu en comparant son évaluation du lot de référence à la valeur fiscale établie par la British Columbia Assessment Authority de la même propriété – aux autres lots des demandeurs. Il a ainsi obtenu la valeur marchande courante de ces propriétés.

[358] M. Dybvig a fourni à la Cour un tableau indiquant la valeur de chacun des lots des titulaires de baux demandeurs, considérés comme des lots non améliorés et non viabilisés détenus en fief simple dans une réserve. Il a aussi calculé le « juste loyer » pour la période du 8 juin 2015 au 7 juin 2035 de chacun des lots des titulaires de baux demandeurs. Il a appliqué le taux de 6 % stipulé dans la clause de révision du loyer des baux à son évaluation de la « valeur marchande courante » de chacun des lots des titulaires de bail demandeurs à la date de l’évaluation. Le tableau indiquant la valeur et le loyer de chacun des 69 lots occupés par les titulaires de bail demandeurs figure à l’annexe B des présents motifs.

[359] Même si j’estime que Dybvig a bien établi la valeur relative des lots du parc Musqueam, les valeurs indiquées à l’annexe « B » devront être ajustées pour tenir compte de mon rejet des déductions de 1 438 500 $ au titre des jardins pluviaux et de 2 950 000 $ au titre de la réserve pour un parc des coûts globaux de mise en valeur.

[360] M. Dybvig n’a pas fourni d’élément de preuve concernant la valeur des lots occupés par des titulaires de bail tiers, dont aucun n’a pris part aux présentes procédures. La méthode de calcul de la valeur marchande courante et du juste loyer des lots des demandeurs doit aussi être appliquée à chacun des lots des titulaires de bail tiers pour obtenir la valeur marchande courante et le juste loyer de ceux-ci.

[361] Si les parties ne parviennent pas à s’entendre au sujet de l’application de la méthode de M. Dybvig dans sa version modifiée par les présents motifs, elles pourront communiquer avec moi.

IX. Intérêts

[362] Depuis le 8 juin 2015, les demandeurs paient le loyer fixé lors de la révision de 1995. En conséquence, ils devront maintenant une somme importante en arrérages de loyer à la Bande. Cela soulève donc la question de savoir si la Bande a droit aux intérêts courus avant le jugement sur les sommes exigibles.

[363] Je crois comprendre que la Bande ne réclame pas les intérêts avant jugement sur la partie des loyers impayée par les demandeurs. En outre, dans le cadre de l’action de 1996, le juge Rothstein a conclu que les intérêts avant jugement ne sont pas exigibles sur l’écart entre les loyers précédents et les loyers révisés puisque le loyer à payer est fixé par la Cour (Musqueam Indian Band c Glass, (1997), 144 FTR 67, aux paragraphes 6 et 7, [1997] ACF no 1689). Je souscris au raisonnement du juge Rothstein.

[364] Les intérêts après jugement sont toutefois exigibles sur l’écart entre les loyers, conformément à l’article 37 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F-7.

X. Dépens

[365] Si les parties n’arrivent pas à s’entendre sur la question des dépens, de la présente action, la Cour les fixera par suite d’une requête de l’une ou l’autre des parties.


XI. Forme du jugement

[366] Dans les 21 jours suivant la date des présents motifs, les avocats des demandeurs prépareront un projet de jugement leur donnant effet, lequel projet devra inclure un tableau indiquant le calcul de la valeur ajustée du terrain et du « juste loyer » pour chacun des lots du parc Musqueam (sauf le lot 70). Après avoir obtenu l’approbation des avocats de la Bande et du Canada quant à la forme et à la teneur du projet de jugement, les avocats des demandeurs le présenteront à la Cour pour qu’elle le signe. Si les parties n’arrivent pas à s’entendre quant à la forme et à la teneur du jugement, ou si une partie ou les deux jugent que des directives de la Cour sont nécessaires relativement à la rédaction du jugement, l’une d’elles peut soumettre une requête à la Cour dans les plus brefs délais.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 18 mai 2017

Traduction certifiée conforme

Ce 8e jour de septembre 2020

Lionbridge


Annexe A – Recueil conjoint des documents, onglet 3.


 



Annexe B

 



COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1912-15

 

INTITULÉ :

GEOFFREY W. HODGSON ET AL. c BANDE INDIENNE DE MUSQUEAM et SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA et KIMBERLEY LAWSON, CHESTER LAWSON ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 5 et 6 décembre 2016

Les 7 et 8 décembre 2016

LES 9, 12, 13, 14, 15 et 16 DÉCEMBRE 2016,

Les 6 et 7 février 2017

LE 8 février 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 mai 2017

 

COMPARUTIONS :

R.J. Randall Hordo, c.r. FCIArb

 

Pour les demandeurs

(AVOCAT PRINCIPAL)

 

Howard A. Mickelson, c.r.

Allan L. Doolittle

 

Pour les demandeurs

(AVOCATS ASSOCIÉS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER)

 

Clete Purcell

Crystal Reeves

Chery Sharvit

Virginia Mathers

 

Pour la défenderesse

BANDE INDIENNE DE MUSQUEAM

 

Heather Franskon

Isabel Jackson

 

Pour la défenderesse

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

 

Personne n’a comparu

 

POUR LES MISES EN CAUSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathanson Schachter & Thompson LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour les demandeurs

(AVOCAT PRINCIPAL)

 

Gudmundseth Mickelson LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour les demandeurs

(AVOCATS ASSOCIÉS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER)

 

Mandell Pinder LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour la défenderesse

BANDE INDIENNE DE MUSQUEAM

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour la défenderesse

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

 

 

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