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Date : 20170428


Dossier : IMM-3957-16

Référence : 2017 CF 424

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 avril 2017

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

VICTOR HAPPY FESTUS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Résumé des faits

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire dans laquelle le demandeur conteste la décision rendue le 1er septembre 2016 (la décision ou les motifs) par la Section d’appel des réfugiés (la Commission); cette dernière y confirmait la décision de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger, pour des motifs liés à son identité et sa crédibilité. Je ne vois aucune raison me permettant de renvoyer la décision pour réexamen.

[2]  En résumé, le demandeur soutient qu’il est homosexuel et qu’il sera arrêté, emprisonné ou tué s’il retourne dans son pays natal, le Nigéria, où son conjoint de même sexe a été capturé et battu en 2015 par des justiciers qui l’ont ensuite menacé. Le demandeur s’est enfui vers le Canada. Le 6 avril 2016, il a épousé son conjoint de même sexe à Toronto, en Ontario.

[3]  Le 27 mai 2016, la Section de la protection des réfugiés a rejeté la demande du demandeur pour des motifs liés à son identité. La Commission a confirmé les conclusions de la Section de la protection des réfugiés quant aux trois principaux documents d’identité (un affidavit sur l’âge, un permis de conduire et une attestation de naissance); les deux tribunaux ont accordé peu de poids, sinon aucun, à ces documents. La Commission a également admis et examiné deux nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur afin de corroborer son identité, à savoir des lettres d’un bureau gouvernemental et d’un fonctionnaire (les lettres). À mon avis, ces deux documents ne sont pas fiables [traduction] « compte tenu des problèmes relatifs aux documents d’identité initiaux du [demandeur] ».

[4]  En plus des préoccupations en matière de crédibilité causées par le témoignage et les éléments de preuve documentaire liés aux principaux documents d’identité présentés, la Commission a expressément souligné a) la grande fréquence de la contrefaçon dans la région où ces documents ont été obtenus (État du Delta), et b) l’incohérence des déclarations quant au passeport et à la carte d’identité nationale du demandeur, qui a miné davantage sa crédibilité. En outre, la Commission n’a pas jugé crédible le récit qu’a fait le demandeur de son passage de la douane à son entrée au Canada et de sa sortie de l’aéroport.

II.  Discussion

[5]  Le demandeur conteste la décision de la Commission pour quatre motifs, faisant en général valoir que cette dernière a rendu sa décision de façon arbitraire et déraisonnable étant donné les éléments de preuve au dossier. En particulier, le demandeur affirme que la Commission :

  1. a, de façon déraisonnable, accordé peu de poids aux deux nouveaux documents;

  2. a omis d’examiner les éléments de preuve documentaire traitant de la validité des documents liés à l’identité;

  3. avait suffisamment d’éléments de preuve pour établir l’identité du demandeur;

  4. a appliqué le mauvais critère juridique pour évaluer l’identité du demandeur.

Enfin, le demandeur a fait valoir, dans ses observations orales, que la décision était erronée pour des motifs liés à l’indépendance de l’analyse et aux nouveaux éléments de preuve; voir, respectivement, les arrêts Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 [Huruglica], et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 [Singh].

[6]  La norme de la décision raisonnable s’applique aux questions en litige (Brodrick c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1118, aux paragraphes 9 et 10 [Brodrick]).

[7]  Tout d’abord, bien qu’il n’appartienne pas à la Cour de réévaluer les éléments de preuve dont était saisie la Commission, la conclusion de cette dernière selon laquelle les deux lettres nouvellement présentées n’étaient pas fiables (et n’avaient donc aucun poids) peut être problématique à première vue. L’analyse de la Commission à cet égard semble étayer la thèse selon laquelle, puisque la Section de la protection des réfugiés avait des réserves quant aux documents liés à l’identité du demandeur avant de recevoir et d’admettre ces nouveaux éléments de preuve, il s’ensuit que les nouveaux documents n’étaient pas fiables. S’appuyant sur les décisions rendues récemment par la Cour d’appel fédérale dans les arrêts Huruglica et Singh, l’avocate du demandeur a en effet consacré la majeure partie de son exposé oral au fait que la Commission n’avait pas assumé son rôle d’examiner de façon indépendante les nouveaux éléments de preuve.

[8]  Toutefois, compte tenu des conclusions générales sur la crédibilité qui ont été formulées contre le demandeur (et qui sont examinées ci-dessous), bien qu’il eut été préférable que la Commission examine les lettres en adoptant une approche analytique plus solide, la décision, examinée dans son ensemble, est raisonnable (Hui Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1030, aux paragraphes 18 et 22 [Li]).

[9]  Ensuite, le demandeur soutient que la Commission n’a pas tenu compte de certains éléments de preuve documentaire. Toutefois, il n’apparaît pas clairement en quoi ces éléments de preuve documentaire contredisent les conclusions de la Commission.

[10]  Je constate, en revanche, que l’essentiel de la décision repose non pas sur les éléments de preuve documentaire, mais plutôt sur les conclusions négatives quant à la crédibilité formulées contre le demandeur, parce qu’il n’a pas expliqué comment l’affidavit sur l’âge et l’attestation de naissance délivrés en mars 2012 pouvaient avoir été utilisés pour obtenir le permis de conduire, délivré en février de la même année, les deux premiers documents étant nécessaires pour obtenir le troisième.

[11]  La Commission a ensuite complété ses conclusions sur la crédibilité (découlant du témoignage du demandeur) en s’appuyant sur les éléments de preuve documentaire qui portaient également atteinte à la crédibilité, en faisant remarquer que (i) l’affidavit sur l’âge et l’attestation de naissance sont faciles à obtenir; et (ii) la photographie du déposant, habituellement apposée sur les affidavits sur l’âge, ne figurait pas sur celui du demandeur.

[12]  Enfin, bien que la Commission ait mentionné un taux élevé de contrefaçon, elle n’a formulé aucune conclusion quant à la question de savoir si les documents du demandeur étaient contrefaits; elle a plutôt utilisé cette information, en fonction de documents objectifs dont elle disposait, pour compléter les diverses conclusions sur la crédibilité qu’elle a examinées et analysées de façon indépendante.

[13]  De plus, comme je l’ai mentionné précédemment, la Commission ne croyait pas le récit fait par le demandeur sur son arrivée au Canada. La Commission a noté qu’il était invraisemblable qu’il ait passé la douane sans passeport, puis se soit retrouvé devant l’aéroport et ait téléphoné à sa mère afin d’avoir le numéro de quelqu’un qui viendrait le chercher.

[14]  En somme, je ne trouve rien de déraisonnable dans les conclusions négatives sur la crédibilité, dont un grand nombre n’ont pas été contestées dans le présent contrôle judiciaire. De plus, contrairement aux décisions Zheng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 877 [Zheng], et Jiang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1292 [Jiang], citées par le demandeur, aucune conclusion semblable sur la crédibilité n’a été formulée.

[15]  Enfin, le demandeur a cité l’arrêt Huruglica pour affirmer que la Commission avait outrepassé sa compétence. Interrogée sur ce point, l’avocate n’a toutefois pas pu indiquer en quoi cela différait de l’instruction d’une procédure d’appel hybride conformément à l’arrêt Huruglica. Il est certainement déjà arrivé que l’on conclue que la Commission n’avait pas agi conformément à l’arrêt Huruglica parce qu’elle n’avait pas examiné l’appel de façon indépendante (voir, par exemple, la décision Jeyaseelan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 278). Toutefois, la décision qui nous occupe est loin de présenter les faiblesses d’analyse qui caractérisaient ces affaires.

[16]  Le demandeur a mentionné l’arrêt Singh et a soulevé pour la première fois à l’audience le fait que la Commission avait également omis d’en respecter les prescriptions. Cependant, il n’a pas pu indiquer en quoi la Commission avait manqué à ses obligations; il a seulement affirmé qu’elle n’avait pas assumé son obligation législative en application du paragraphe 29(3) des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012-257 et de l’article 106 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[17]  Encore une fois, pour les motifs susmentionnés, ayant analysé la raison pour laquelle elle accordait peu de poids aux documents nouvellement admis (ce qui est conforme à l’arrêt Singh), la Commission a effectivement conclu que les documents ne remédiaient pas aux lacunes en matière de crédibilité de la totalité des documents d’identité fournis. Contrairement à ce qu’affirme le demandeur, la Commission n’a pas invoqué, pour se justifier, les éléments de preuve objectifs concernant la prédominance des documents frauduleux provenant de la région du Nigéria dont le demandeur est originaire; elle a plutôt abordé des questions précises quant à la fiabilité des documents d’identité du demandeur et à son témoignage à leur sujet. Bref, en l’espèce, les conclusions négatives non contestées quant à la crédibilité sont maintenues et sont défavorables au demandeur (voir également la décision Brodrick, au paragraphe 16).

[18]  De même, les deux derniers arguments du demandeur ne sont pas convaincants. En ce qui concerne l’erreur alléguée quant à la suffisance de la preuve pour établir l’identité, il est bien connu que la Cour n’a pas à procéder à une nouvelle évaluation des éléments de preuve lors d’un contrôle judiciaire (décision Brodrick, au paragraphe 20). Pour ce qui est de l’application alléguée du mauvais critère pour l’évaluation de l’identité, le demandeur s’appuie sur les décisions Zheng et Jiang, mais, comme je l’ai fait remarquer plus tôt, ces deux affaires n’ont absolument rien en commun avec la présente affaire puisqu’aucune n’est étayée par des conclusions non contestées et raisonnables sur la crédibilité.

III.  Conclusion

[19]  La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’a été posée aux fins de certification, et aucune question n’est certifiée.

  3. Aucuns dépens ne sont accordés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 23e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3957-16

INTITULÉ :

VICTOR HAPPY FESTUS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 avril 2017

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE DINER

DATE DES MOTIFS :

Le 28 avril 2017

COMPARUTIONS :

Mbong Elvira Akinyemi

Pour le demandeur

Prathima Prashad

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mbong Elvira Akinyemi

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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