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Date : 20170511


Dossier : IMM-4407-16

Référence : 2017 CF 491

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 11 mai 2017

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

BING ZHANG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire du refus de la Section d’appel des réfugiés (SAR), prononcé le 30 septembre 2016, d’accorder l’asile au demandeur au motif que celui-ci n’est ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger.

II.                 Contexte

[2]               Le demandeur est un citoyen de la République populaire de Chine. Il y était propriétaire et exploitant de deux magasins pour adultes, jusqu’à ce qu’il ait des démêlés avec la police le 15 août 2014. À cette date, deux de ses employés ont été arrêtés pour vente de drogues illicites à des policiers au travail. Les magasins du demandeur ont été fermés après l’incident.

[3]               Le 8 octobre 2014, le demandeur a été arrêté, mis en détention et interrogé au sujet de la vente de drogues illicites dans ses magasins. Il a été battu pendant sa détention. La mère du demandeur a soudoyé la police à son insu pour obtenir la remise en liberté de son fils. Le demandeur a néanmoins été condamné à une peine d’emprisonnement de cinq mois.

[4]               Après sa mise en liberté, le demandeur a déposé une plainte auprès d’un fonctionnaire, dans laquelle il affirmait que la police avait extorqué de l’argent à sa mère. La police a averti le demandeur de mettre fin à la procédure de plainte, en le menaçant de l’arrêter et de lui infliger une peine d’emprisonnement plus longue. À compter d’octobre 2015, la police aurait commencé à visiter régulièrement le demandeur à son domicile. En décembre 2015, le demandeur a obtenu un passeport chinois authentique sous son vrai nom, puis il a ensuite obtenu un visa canadien et il s’est enfui au Canada. Il est arrivé au pays le 11 mars 2016 et il a réclamé l’asile le 24 mars 2016.

[5]               La Section de la protection des réfugiés (SPR) a rejeté sa demande le 15 juin 2016. La SPR est parvenue à la conclusion que le demandeur n’avait pas réussi à fournir des éléments de preuve crédibles et fiables à l’appui de sa demande, ou qui attestaient que les autorités étaient à sa recherche en Chine.

[6]               Le demandeur a interjeté appel du refus de sa demande d’asile à la SAR. Après avoir pris en compte les arguments du demandeur, la SAR a tranché que la SPR n’avait pas commis d’erreur en concluant que le demandeur n’avait pas établi le bien-fondé de sa demande. La SAR a conclu que le demandeur n’avait pas soumis d’éléments de preuve convaincants à l’appui de sa demande. Aux yeux de la SAR :

a)      l’allégation du demandeur selon laquelle il devait se cacher à Beijing parce qu’il craignait d’être arrêté n’était pas crédible;

b)      l’allégation selon laquelle une poignée seulement de policiers corrompus recherchait le demandeur était dépourvue de fondement factuel;

c)      le demandeur n’était pas recherché par les autorités, au contraire de ce qu’il prétendait;

d)      le demandeur n’aurait pas pu obtenir un passeport biométrique et sortir de la Chine si une menace d’arrestation pesait contre lui.

[7]               La SAR a souligné que le demandeur n’a pas fourni de preuve documentaire concernant sa plainte alléguée à la police ou qui étayerait le fait qu’avant de s’enfuir au Canada, il devait se cacher à Beijing. Le demandeur a en outre omis de fournir une preuve documentaire attestant que les autorités étaient à sa recherche en Chine. En examinant l’avis d’arrestation qui aurait prétendument été signifié au demandeur, la SAR a relevé plusieurs incohérences entre celui-ci et un échantillon joint du cartable national de documentation. Plus précisément, la SAR a remarqué que l’avis d’arrestation ne donnait pas le nom du demandeur et que la configuration du lettrage divergeait de celle de l’échantillon à plusieurs endroits. Selon la prépondérance des probabilités, la SAR a estimé que l’avis d’arrestation était frauduleux, et elle a mis en doute la crédibilité des allégations du demandeur selon lesquelles des policiers corrompus étaient à sa poursuite ou qu’il était recherché par les autorités.

[8]               La SAR a estimé que la preuve documentaire était insuffisante pour étayer les allégations de persécution du demandeur. L’appel a été rejeté.

III.               Questions en litige

[9]               Les questions en litige dans la présente demande sont les suivantes :

  1. La décision de la SAR était-elle raisonnable?
  2. La SAR a-t-elle manqué à l’équité procédurale?

IV.              Norme de contrôle

[10]           La décision de la SAR est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Le caractère raisonnable d’une décision tient à sa justification, à sa transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles et acceptables (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9). La question de l’équité procédurale est examinée selon la norme de la décision correcte.

V.                 Analyse

A.                 La décision de la SAR était-elle raisonnable?

[11]           Le demandeur soutient que la SAR :

a)      s’est fondée sur des « motifs irrationnels », ne reposant sur aucune preuve orale ou documentaire, pour discréditer sa déposition;

b)      a formulé des conclusions infondées ou irrationnelles à l’égard de la crédibilité du demandeur et de la vraisemblance de ses explications;

c)      s’est fondée sur les documents désuets et généraux du cartable national de documentation, et n’a pas tenu compte des éléments de preuve du demandeur concernant les multiples niveaux de la surveillance policière en Chine et la corruption dans ces milieux;

d)      a commis une erreur en concluant que le demandeur n’aurait pas pu, au contraire de ce qu’il a déclaré, obtenir un passeport valide et quitter la Chine en utilisant ce passeport et son visa;

e)      a commis une erreur dans son appréciation de la preuve en ignorant certains documents, et qu’elle a par conséquent manqué à l’équité procédurale.

[12]           Le défendeur soulève une préoccupation initiale légitime concernant l’omission du demandeur de produire un affidavit et le fait qu’il se fonde sur l’affidavit de l’assistant juridique de l’avocate qui le représente dans la présente instance. Ledit affidavit confirme tout au plus que l’assistant juridique a pris connaissance du dossier et de la preuve documentaire, et a soumis un appel à la SAR.

[13]           Comme il a été rappelé dans plusieurs jugements de notre Cour, l’affidavit produit à l’appui d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision en matière d’immigration constitue l’une des principales sources pour saisir les préoccupations et les perceptions du demandeur à l’égard des processus décisionnels de la SPR et de la SAR. Il est par conséquent de la première importance que l’affidavit soit établi par la personne qui a une connaissance personnelle du processus décisionnel, qui est usuellement le demandeur lui-même (Dhillon c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 614, aux paragraphes 4 à 10 ; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huntley, 2010 CF 1175, aux paragraphes 264 à 274).

[14]           L’omission du demandeur de produire un affidavit à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire met en cause la valeur probante, dont je dois tenir compte dans mon appréciation de la preuve du demandeur.

[15]           Pour ce qui a trait à la décision de la SAR, je constate qu’elle a diligemment procédé à sa propre analyse du dossier afin de déterminer si la SPR avait commis une erreur dans ses conclusions sur la crédibilité et son analyse de la preuve documentaire (Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 93, au paragraphe 103). Ayant examiné la décision de la SPR en détail, la SAR a fourni des motifs convaincants à l’appui des conclusions défavorables quant à la crédibilité dans toute sa décision.

[16]           Au vu de la preuve documentaire et des témoignages du demandeur, il ne m’est pas loisible, contrairement à ses prétentions, de tirer une conclusion d’invraisemblance relativement à la conclusion de la SAR. Celle-ci s’est simplement fondée sur l’absence de crédibilité. Par ailleurs, la SAR n’a pas traité la preuve au dossier d’une manière irrationnelle. L’absence de preuve documentaire convaincante et la prépondérance accordée aux documents du cartable national de documentation, indépendamment de la question de la corruption endémique en Chine, confèrent un caractère raisonnable à la conclusion de la SAR comme quoi le demandeur n’aurait pas pu quitter la Chine s’il avait été visé par un mandat d’arrestation. Il n’aurait ni pu obtenir un passeport sans être arrêté.

[17]           La preuve documentaire soumise à la SPR indique que les personnes soupçonnées de crime en Chine doivent remettre leurs documents de voyage aux autorités policières. S’il avait été soupçonné d’un crime, le demandeur aurait été intimé de remettre ses documents de voyage et il aurait été identifié par le bureau des passeports qui a traité sa demande. Au terme de l’analyse de la preuve, il était donc raisonnable, autant pour la SPR que pour la SAR, de conclure que le demandeur n’aurait pas pu obtenir un nouveau document de voyage si un mandat d’arrestation avait été en vigueur contre lui, même si l’on accepte l’argument de la corruption des forces policières. De surcroît, même si certains documents du cartable national sont désuets ou ont peu d’intérêt, il ne contient aucune information donnant à croire que la situation aurait changé récemment.

[18]           Sans compter que la SAR a explicitement pris en considération l’explication du demandeur comme quoi il était recherché par une poignée seulement de policiers corrompus. Il convient de souligner toutefois que le demandeur omet ce fait dans l’exposé circonstancié joint au formulaire Fondement de la demande d’asile, de sorte qu’il était raisonnable pour la SAR de conclure que sa demande était dépourvue de fondement factuel. Par ailleurs, il omet aussi d’expliquer comment il a pu obtenir un passeport sans être arrêté.

[19]           Enfin, la SAR a examiné les documents auxquels renvoie la décision de la SPR et les a jugés convaincants. Le témoignage du demandeur comme quoi il aurait soudoyé des agents à l’aéroport a été discrédité par la preuve documentaire, qui révèle que les échanges de renseignements sont extrêmement soutenus entre les autorités gouvernementales et les agents de sécurité des aéroports internationaux en Chine, et que le demandeur aurait dû se plier aux nombreux contrôles de sécurité de ces aéroports. Le demandeur n’a produit aucun élément de preuve attestant que le mandat d’arrestation lancé contre lui n’était pas consigné dans le Bouclier d’or, ou que les renseignements le concernant dans la base de données du Bureau de la sécurité publique n’avaient pas été transmis à l’aéroport. Par conséquent, la SAR a confirmé à juste titre la conclusion de la SPR comme quoi le demandeur n’était pas recherché par les autorités, comme il le prétendait.

B.                 La SAR a-t-elle manqué à l’équité procédurale?

[20]           À l’instar du défendeur, je suis d’avis que la SAR a correctement conclu que l’analyse de la preuve effectuée par la SPR ne contenait pas d’erreur. Les documents mis de côté par la SPR n’avaient aucun lien avec le fondement de la demande du demandeur, et leur examen n’aurait eu aucune incidence sur l’issue du présent contrôle. En effet, le demandeur fonde sa demande sur les menaces qui ont été faites suite à sa plainte contre les autorités après sa détention, et non sur ses prétendues arrestation et déclaration de culpabilité. Quoi qu’il en soit, la SAR a bel et bien examiné l’avis d’arrestation et conclu à juste titre qu’il était frauduleux.

[21]           De plus, contrairement à ce qu’affirme le demandeur, la SAR a bel et bien pris connaissance de la lettre de sa mère. Toutefois, étant donné que la lettre n’était pas notariée et que son auteur n’était pas identifié, la SAR a conclu à bon droit qu’elle était dénuée de toute valeur probante.

[22]           Compte tenu de ce qui précède, je conclus que la SAR n’a pas manqué à l’équité procédurale dans son évaluation de la décision de la SPR, ni dans sa propre appréciation de la preuve au dossier.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4407-16

LA COUR ORDONNE :

1.                  que la demande soit rejetée;

2.                  qu’aucune question ne soit soumise pour être certifiée.

« Michael D. Manson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4407-16

 

INTITULÉ :

ZHANG c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 mai 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Manson

 

DATE :

Le 11 mai 2017

 

COMPARUTIONS :

Lindsey Weppler

 

Pour le demandeur

Prathima Prashad

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lindsey K. Weppler

Avocate

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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