Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20170511


Dossier : IMM-4975-16

Référence : 2017 CF 490

Montréal (Québec), le 11 mai 2017

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

MAKINY WAFFO TÉKADAM

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Au préalable

[12]      Or, il semble évident que la preuve, et en particulier les antécédents de l'appelant, permettait à l'agent de visa de conclure que l'appelant ne respecterait pas les échéanciers de son droit de séjour, et ce, quelle que soit la norme de contrôle applicable. Une décision dont le raisonnement est justifié par la preuve résiste à la norme de la décision raisonnable simpliciter puisque, face à une telle décision, une cour de révision ne peut refaire sa propre analyse ou substituer ses propres motifs (Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247 au para. 47). Bref, l'agent de visa avait le dernier mot peu importe la norme applicable.

(Eymard Boni c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CAF 68, selon un jugement unanime de la Cour d’appel fédérale rédigé par le juge Marc Noël à l’époque)

[38]      Il est bien établi que l’agent des visas n’a pas l’obligation légale de tenter d’éclaircir une demande déficiente, ni l’obligation d’aider un demandeur à établir le bien-fondé de sa demande, ni l’obligation de faire connaître au demandeur ses doutes se rapportant aux conditions énoncées dans la loi, ni encore l’obligation de dire au demandeur ce qu’est le résultat de sa demande à chaque étape du processus (Sharma c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 786, au paragraphe 8; Fernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 994 (QL), au paragraphe 13; Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 152 FTR 316 (CF 1re inst.), au paragraphe 4). Imposer de telles contraintes à l’agent des visas reviendrait à lui demander de donner avis préalable d’une décision défavorable, une obligation qui a été expressément rejetée par la Cour à de nombreuses reprises (Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] ACF no 940 (QL), au paragraphe 8; Dhillon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 574 (QL), aux paragraphes 3 et 4). L’agent des visas n’a pas l’obligation de demander des précisions ou d’aider le demandeur à établir le bien-fondé de sa demande (Mazumder c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 444, au paragraphe 14; Kumari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1424, au paragraphe 7).

[39]      Je suis donc d’avis que, dans les circonstances de l’espèce, l’agent n’était pas tenu de procéder à une entrevue ou d’informer Mme Solopova des lacunes de sa demande. Contrairement aux observations de Mme Solopova, il ne s’agit pas d’un cas où elle avait un droit de réponse aux préoccupations de l’agent. Cette affaire est distincte de Hara ou Li, décisions sur lesquelles se base Mme Solopova. Dans la décision Tang, la Cour a conclu que l’agent avait le devoir de donner au demandeur l’occasion de répondre à ses préoccupations puisque rien dans sa demande, à l’exception d’une référence à un salaire plus élevé au Canada, ne suggérait qu’il avait l’intention de rester au Canada de façon permanente (Tang, aux paragraphes 37 et 38). En l’espèce, l’agent s’est fondé sur de nombreux éléments de preuve à l’appui de sa conclusion sur les intentions de Mme Solopova.

[40]      Mme Solopova affirme que, puisque la crédibilité était en cause, l’agent aurait dû procéder à une audience (Hamadi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 317, au paragraphe 14; Duka c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1071, au paragraphe 13). Cependant, Mme Solopova confond une conclusion défavorable en matière de crédibilité avec une conclusion de preuve insuffisante. J’ai traité cette question dans Ibabu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1068, où j’ai déclaré ce qui suit au paragraphe 35 :

[35]      Une conclusion défavorable sur la crédibilité est différente d’une conclusion quant à l’insuffisante de la preuve ou quant au défaut du demandeur de s’acquitter du fardeau de la preuve. Comme la Cour l’a déclaré dans Gao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 59, au paragraphe 32, et l’a réaffirmé dans Herman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 629, au paragraphe 17, « [o]n ne peut toutefois pas présumer que, lorsque l’agente conclut que la preuve ne démontre pas le bienfondé de la demande du demandeur, l’agente n’a pas cru le demandeur ». Ce principe a été repris sous une forme différente dans Ferguson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067, au paragraphe 23, dans lequel le juge Zinn a déclaré que, même si un demandeur s’est acquitté de sa charge de présentation de la preuve parce qu’il a présenté des éléments de preuve pour chaque fait essentiel, il pourrait ne pas s’être acquitté de la charge de persuasion parce que la preuve présentée n’établit pas les faits requis, selon la prépondérance de la preuve.

(Non souligné dans l’original.)

(Comme spécifié par le juge Denis Gascon dans Solopova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 690)

II.                 Nature de l’affaire

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] à l’encontre de la décision du 17 octobre 2016 d’un agent des visas de l’Ambassade du Canada à Paris, rejetant la demande de permis d’études de la demanderesse.

III.               Faits

[2]               La demanderesse, âgée de 28 ans, est citoyenne du Cameroun. Elle est arrivée au Canada en novembre 2009, munie d’un permis d’études valide jusqu’au 31 mars 2013.

[3]               La demanderesse a interrompu ses études en février 2013, suite au décès de son père, qui pourvoyait à ses besoins, le 24 janvier 2013. À cette époque, elle avait complété les deux tiers de son programme de baccalauréat en chimie.

[4]               La demanderesse est demeurée illégalement au Canada jusqu’en juin 2016. Afin de compléter ses études, elle a soumis une demande de rétablissement de statut de résidente temporaire le 1er février 2016, laquelle a été rejetée le 27 mai 2016. La demanderesse a quitté le Canada le 15 juin 2016 pour retourner au Cameroun.

[5]               La demanderesse a présenté cinq nouvelles demandes de permis d’études entre juillet et septembre 2016, lesquelles ont été rejetées. Le 27 septembre 2016, elle a déposé une nouvelle demande de permis d’études, laquelle a été refusée.

IV.              Décision

[6]               Le 17 octobre 2016, un agent des visas de l’Ambassade du Canada à Paris a rejeté la sixième demande de permis d’études de la demanderesse, n’étant pas convaincu qu’elle satisfasse aux exigences de la LIPR. Dans sa lettre de refus, l’agent a coché les éléments suivants :

Vous ne m’avez pas convaincu(e) que vous quitteriez le Canada au terme de votre séjour. Pour arriver à cette décision, j’ai pris en considération plusieurs facteurs, dont les suivants :

vos liens familiaux au Canada et dans votre pays de résidence;

la raison de votre visite;

toute violation des conditions d’admission lors d’un précédent séjour au Canada.

(Lettre du 17 octobre 2016, Dossier de l’Ambassade, à la p 57)

[7]               L’agent a aussi consigné les motifs de son refus dans le Système Mondial de Gestion des Cas [SMGC] :

5 précédents refus notés. RP avait un PE valable jusqu’en mars 2013, mais est resté au Cda jusqu’en juin 2016 sans statut. RP stipule avoir resté car elle était perturbé du décès de son père. RP n’explique pas pourquoi elle n’est pas retourné auprès de ses proches lors de ce moment difficile. De plus, selon la lettre de l’univ Montréal, en 2 ans, RP n’a accumulé que 6 crédits. RP est récemment revenu au Cameroune, celib, sans enfant, semble avoir peu de lien avec son pays de résidence. Je ne suis pas convaincue que RP soit étudiante de bf. refus (sic)

(Notes au SMGC, Dossier de l’Ambassade, à la p 3)

V.                 Question en litige

[8]               La question en litige est la suivante : L’agent des visas a-t-il erré en refusant la demande de permis d’études de la demanderesse?

[9]               Il est de jurisprudence constante que la décision d’un agent des visas de refuser d’accorder un permis d’études relève de son pouvoir discrétionnaire et doit être étudiée selon la norme de la décision raisonnable. Compte tenu de leur expertise dans l’analyse et l’évaluation des demandes de permis d’études, la Cour doit faire preuve de déférence à l’égard des décisions rendues par les agents des visas (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 526 au para 14).

VI.              Analyse

[10]           La demanderesse prétend que l’agent a erré en considérant la preuve fournie quant à ses liens familiaux au Cameroun et à l’absence de famille au Canada, à son intention de terminer ses études en chimie au Canada, ainsi qu’à son non-respect des conditions lors d’un précédent séjour. La demanderesse reproche en outre à l’agent d’avoir erré en concluant qu’elle ne quitterait pas le Canada à la fin de son séjour et qu’elle n’était pas une étudiante de bonne foi. Elle estime que l’agent aurait dû lui permettre de s’expliquer lors d’une entrevue.

[11]           Le défendeur argue au contraire que l’agent a convenablement analysé la preuve au dossier de la demande de permis d’études. En effet, l’agent a noté que : 1) la demanderesse ne serait pas retournée auprès de sa famille suite au décès de son père, elle est célibataire et sans enfant; 2) elle n’aurait pas démontré que les motifs de son séjour étaient de terminer son programme d’études; 3) elle serait restée illégalement au Canada entre mars 2013 et juin 2016. Par ailleurs, le défendeur soumet qu’il appartenait à la demanderesse de fournir tous les renseignements et documents pertinents en vue d’appuyer sa demande (De La Cruz Garcia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 784) et que l’agent n’était pas tenu d’avoir une entrevue avec elle.

[12]           La Cour doit déterminer si la décision de l’agent des visas est justifiée, transparente et intelligible, et donc, si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, 2008 CSC 9 au para 47).

[13]           L’agent des visas jouit d’un pouvoir discrétionnaire dans la prise de ses décisions. Il lui appartient de considérer toutes les circonstances d’une demande de permis d’études (Rammal (Tuteur à) c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] ACF no 462, 2003 CFPI 318; Wong (tutrice en l'instance) c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1999), 246 NR 377 (FCA)).

[14]           Il était loisible à l’agent de tirer une inférence négative du fait que la demanderesse soit demeurée au Canada sans statut pendant plus de trois ans à la fin de l’expiration de son permis d’études, ainsi que des refus de ses demandes de visa précédentes.

[15]           Par conséquent, la décision de l’agent n’est pas entachée d’aucune erreur nécessitant l’intervention de la Cour.

VII.            Conclusion

[16]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4975-16

 

INTITULÉ :

MAKINY WAFFO TÉKADAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 mai 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 mai 2017

 

COMPARUTIONS :

Hervé Edgard Chrysostome

 

Pour la partie demanderesse

 

Suzanne Trudel

 

Pour la partie défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Hervé Edgard Chrysostome

Saint-Hubert (Québec)

 

Pour la partie demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour la partie défenderesse

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.