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Date : 20170502


Dossier : T-1959-16

Référence : 2017 CF 440

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 2 mai 2017

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

NADINE WISDOM

demanderesse

et

AIR CANADA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

Aperçu

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Commission canadienne des droits de la personne [la Commission] le 13 octobre 2016, dans laquelle la Commission a indiqué qu’elle ne donnerait pas suite à la plainte déposée par la demanderesse à l’encontre de la défenderesse, Air Canada, en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 [la Loi].

[2]               Comme il sera expliqué plus en détail ci-dessous, cette demande est rejetée, parce que la demanderesse n’a pas prouvé que la décision de la Commission n’appartient pas aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, et que par conséquent, elle est déraisonnable.

Contexte

[3]               La demanderesse, Mme Nadine Wisdom est une préposée d’escale qui travaille à l’installation destinée à la cargaison d’Air Canada à Toronto. Son poste relève de la convention collective conclue entre son employeur et son syndicat, l’Association internationale des machinistes et des travailleurs de l’aérospatiale [le syndicat].

[4]               Jusqu’en mars 2015, Mme Wisdom travaillait des quarts de travail par rotation, entre 22 h et 6 h. En mars 2015, elle s’est adressée à la direction d’Air Canada pour discuter et demander officiellement que soit modifié de façon temporaire et à court terme l’horaire de son quart de travail pour la période estivale à venir, étant donné que sa situation avait changé de sorte qu’elle n’avait plus accès en permanence au service de garde précédent pour son fils de cinq ans.

[5]               Mme Wisdom a assisté à deux réunions avec la direction d’Air Canada les 13 et 21 avril 2015, à la suite desquelles Air Canada lui a écrit le 24 avril 2015, en lui indiquant que certains renseignements étaient nécessaires avant qu’elle puisse examiner sa demande de mesures d’adaptation. Mme Wisdom a répondu à la même date, précisant que quatre des sept éléments énumérés avaient été fournis antérieurement, mais a contesté les demandes relatives à la preuve qu’elle devait fournir concernant la garde de son fils et l’horaire personnel de sa fille d’âge adulte.

[6]               Le 27 mai 2015, la défenderesse a proposé un plan de mesures d’adaptation, mais l’examen de ce plan n’a pas progressé, parce que les représentants du syndicat et d’Air Canada étaient en vacances. Dans l’intervalle, Mme Wisdom ne disposait d’aucun service de garde et n’a pas pu se présenter à ses quarts de travail prévus. Le 2 juin 2015, le syndicat a déposé un grief fondé sur les difficultés financières de Mme Wisdom découlant de sa situation. Le lendemain, Air Canada a pris des mesures disciplinaires contre Mme Wisdom relativement à ses absences injustifiées, ordonnant à celle-ci de reprendre immédiatement son quart de travail prévu, à défaut de quoi des mesures disciplinaires progressives, pouvant aller jusqu’au licenciement, seraient prises.

[7]               Le 3 juin 2015, Mme Wisdom s’est présentée à son quart de travail prévu, en amenant son fils avec elle parce qu’elle n’avait accès à aucun service de garde et qu’elle voulait vérifier la légitimité de l’obligation pour son employeur de prévoir des mesures d’adaptation pour son quart de travail. La direction d’Air Canada lui a ordonné de retourner à la maison et, le 5 juin 2015, elle a communiqué avec Mme Wisdom par courriel pour mettre fin immédiatement à son emploi.

[8]               Le grief déposé par le syndicat a été élargi afin d’inclure ce licenciement. Le 4 août 2015, une sentence arbitrale a ordonné que Mme Wisdom soit réintégrée dans ses fonctions. L’arbitre William Kaplan [l’arbitre] a conclu que Mme Wisdom n’avait pas coopéré pleinement dans le processus de mesures d’adaptation et que certaines de ses communications et son comportement méritaient, à juste titre, une sanction disciplinaire. Cependant, l’arbitre a conclu que, bien qu’une cause valable de sanction disciplinaire ait été établie, il ne s’agissait pas d’une situation où un licenciement était justifié. Il a ordonné que Mme Wisdom soit réintégrée dans ses fonctions immédiatement, sans perte d’ancienneté et sans aucune indemnité. Voici un extrait de la décision :

La plaignante est préposée d’escale aux services de fret. Au printemps 2015, elle a demandé des mesures d’adaptation afin de faciliter la garde de ses enfants. Des déclarations détaillées et des documents connexes ont été déposés. L’affaire a été entendue et la plaignante a également témoigné. Il ressort clairement de la preuve que la plaignante n’a pas pleinement coopéré au processus de mesures d’adaptation. De plus, certaines de ses communications et son comportement, en particulier certains courriels qu’elle a envoyés et le fait d’amener son enfant au travail, étaient totalement inacceptables et méritaient à juste titre une sanction disciplinaire. Le fait est que la plaignante s’est absentée de son travail, a insisté sur la mise en place d’une solution d’adaptation particulière, et n’a pas coopéré dans le cadre des discussions visant à faciliter ses tâches qui avaient pour but d’examiner diverses options d’adaptation et elle n’a pas répondu non plus aux demandes légitimes de renseignements supplémentaires. Cependant, bien qu’une cause valable de sanction disciplinaire ait été établie, il ne s’agit pas d’une situation où un licenciement est justifié. Par conséquent, la plaignante est réintégrée dans ses fonctions immédiatement sans perte d’ancienneté ou d’années de service et sans aucune indemnité. Elle a été informée à l’audience qu’un autre comportement du type dont elle avait fait preuve avant son licenciement méritera des sanctions disciplinaires importantes et sa réintégration était assortie d’une suspension pour la période de temps qu’elle avait déjà observée et d’un dernier avertissement. Si elle le souhaite, la plaignante peut verser ses propres cotisations de retraite et celles de l’employeur pour la période de sa suspension et elle dispose de 12 mois à compter de la date de la présente sentence pour effectuer ces versements. Il convient de noter que la plaignante a indiqué à l’audience qu’il n’y a plus de problème de mesures d’adaptation en suspens.

[9]               Le 3 septembre 2015, Mme Wisdom a déposé une demande auprès de la Cour, sollicitant le contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre. Le 29 septembre 2015, Air Canada a présenté une requête dans le but de faire annuler la demande. Mme Wisdom explique que le syndicat a refusé de l’appuyer dans le cadre de sa demande auprès de la Cour fédérale et que, le 6 octobre 2015, elle a retiré cette demande par avis de désistement.

[10]           Dans l’intervalle, Mme Wisdom a également déposé une plainte auprès de la Commission, alléguant qu’Air Canada avait exercé à son endroit de la discrimination fondée sur la situation de famille, en violation des articles 7 et 10 de la Loi. Dans le cadre de cette plainte, la Commission a écrit aux parties, le 29 janvier 2016, faisant observer que le paragraphe 41(1) de la Loi s’appliquait, étant donné que les allégations de Mme Wisdom avaient possiblement déjà été instruites dans un autre processus (l’arbitrage). La Commission a expliqué qu’un rapport serait préparé afin de l’aider à prendre la décision de traiter ou non la plainte et a demandé aux parties de lui présenter des exposés sur cette question. Mme Wisdom et Air Canada ont toutes deux participé à ce processus.

[11]           Ce rapport a été publié le 30 juin 2016 [le rapport], recommandant, conformément à l’alinéa 41(1)d) de la Loi, que la Commission n’instruise pas la plainte parce que l’arbitrage avait examiné l’allégation de discrimination dans son ensemble. Les parties ont présenté d’autres observations en réponse au rapport, après quoi la Commission a rendu sa décision du 13 octobre 2016 de ne pas donner suite à la plainte de Mme Wisdom.

Décision de la Commission

[12]           Les parties s’entendent sur le fait que les motifs de la décision de la Commission se trouvent dans le rapport sur lequel se fonde cette décision. Le rapport a noté que la Commission peut refuser de traiter une plainte si un autre processus a déjà examiné les allégations de discrimination, une telle plainte étant jugée « vexatoire » au sens de l’alinéa 41(1)d) de la Loi. Le rapport a également examiné la jurisprudence consacrée à l’explication du rôle de la Commission dans le cadre de l’examen de la question de savoir si elle devait refuser d’instruire la plainte en vertu de l’alinéa 41(1)d).

[13]           Le rapport énonce ensuite les positions des deux parties, et est suivi de l’analyse qui a mené à la recommandation qui en découle. Cette analyse faisait mention de la décision de l’arbitre, notant que celle-ci avait clairement examiné les allégations de la plaignante relativement aux demandes de renseignements incessantes de la part de la défenderesse et à son traitement défavorable de la plaignante à la suite de sa demande de mesures d’adaptation à court terme pour répondre à ses besoins en matière de garde d’enfants. Dans le cadre de l’examen de la position de Mme Wisdom que l’arbitre n’a pas entièrement tenu compte des violations des droits de la personne, le rapport a examiné le mémoire d’arbitrage du syndicat et a conclu que tous les renseignements pertinents avaient été présentés à l’arbitre. Le rapport a noté que la plainte pour atteinte aux droits de la personne soulevait les mêmes questions qui ont été soulevées durant le processus d’arbitrage, que la plaignante avait eu la chance de soulever toutes les questions relatives aux droits de la personne dans le cadre de ce processus, qu’elle était représentée par son syndicat, et qu’elle avait eu l’occasion de témoigner pour son propre compte à l’audience.

[14]           Le rapport a conclu qu’il n’y avait pas de différence importante entre le processus d’arbitrage prévu par la convention collective de la plaignante et le processus de la Commission. À ce titre, le rapport a conclu que le processus d’arbitrage était entièrement capable de traiter les questions relatives aux droits de la personne soulevées par la plaignante et, s’il y avait lieu, ledit processus aurait pu lui offrir les recours appropriés pour les violations alléguées des droits de la personne.

[15]           Le rapport fait observer que, si la Commission devait décider de traiter la plainte de Mme Wisdom, elle examinerait les questions ayant déjà fait l’objet d’une décision par un décideur qui a le pouvoir d’appliquer la Loi et d’accorder une réparation en vertu de celle-ci. Le rapport a noté que le processus de plainte de la Loi ne constitue pas un mécanisme d’appel pour les décisions arbitrales en matière de griefs et a conclu que la plaignante n’avait pas démontré que la justice exigeait que la Commission instruise la plainte. S’appuyant sur les directives de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Colombie-Britannique (Workers’ Competition Board) c. Figliola, 2011 CSC 52 [Figliola], le rapport a conclu que la Commission doit respecter le caractère définitif des décisions prises par d’autres décideurs administratifs ayant le pouvoir d’appliquer la législation sur les droits de la personne. Se penchant sur l’arrêt Penner c. Niagara (Commission régionale de services policiers), 2013 CSC 19 [Penner], étant donné qu’aucune information n’avait été présentée qui semblait indiquer que l’arbitrage des griefs était injuste, ou qu’il serait injuste d’utiliser la décision de l’arbitre pour déterminer si la Commission devrait traiter la plainte, le rapport a conclu que la justice n’exige pas que la Commission examine la plainte.

Questions en litige et norme de contrôle

[16]            La demanderesse formule les questions suivantes à la Cour et a structuré ses arguments autour de ces questions :

A.     Quelle est la norme de contrôle applicable?

B.     La Commission avait-elle compétence pour statuer sur la plainte pour discrimination de la demanderesse?

C.     La Commission a-t-elle commis une erreur de droit dans l’interprétation et l’application des articles 40 et 41 de la Loi?

D.     La décision de la Commission était-elle raisonnable?

E.      La décision de refus de la Commission était-elle fondée sur un grave malentendu ou sur une mauvaise application des faits et des éléments de preuve?

F.      La Commission a-t-elle manqué aux principes de justice naturelle et de l’équité procédurale en ne fournissant pas des motifs adéquats?

[17]           La défenderesse soutient que les seules questions soulevées par la présente demande sont les suivantes :

A.     Quelle est la norme de contrôle applicable?

B.     La décision de la Commission était-elle raisonnable?

[18]           Les parties ont convenu que la norme de contrôle applicable à l’examen par la Cour de la décision de la Commission est la norme de la décision raisonnable, à la lumière de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, qui explique que le caractère raisonnable tient principalement à la question de savoir si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Par conséquent, cela milite en faveur d’une retenue à l’égard de la décision contestée. Dans le contexte précis d’un examen par la Commission de demandes présentées en vertu du paragraphe 41(1) de la Loi, la Cour d’appel fédérale a fait observer dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Davis, 2010 CAF 134, au paragraphe 5, que la Commission jouit d’une latitude considérable dans l’exécution de sa fonction d’examen lors de la réception d’un rapport d’enquête et que les tribunaux ne doivent pas intervenir à la légère dans les décisions qu’elle prend à cette étape.

[19]           Comme la norme de contrôle n’est pas contestée, ma conclusion est que la seule question que la Cour est appelée à trancher est de savoir si la décision de la Commission est raisonnable. En effectuant cette évaluation, je vais aborder les divers arguments soulevés par Mme Wisdom.

Analyse

[20]           Le paragraphe 41(1) de la LCDP, qui constitue la base de la fonction de contrôle du Conseil, énonce ce qui suit :

Irrecevabilité

41 (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

a)      la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont  normalement ouverts;

b)      la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

c)      la plainte n’est pas de sa compétence;

d)      la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

e)      la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

Commission to deal with complaint

41 (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

a)      the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;

b)      the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;

c)      the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

d)      the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

e)      the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

[21]           Le paragraphe employé par la Commission pour rendre la décision contestée en l’espèce est l’alinéa 41(1)d), relativement aux plaintes vexatoires. Comme l’indique le rapport, la Commission peut refuser de statuer sur une plainte qui est considérée comme vexatoire, parce qu’un autre processus de règlement des plaintes ou de grief a déjà examiné les allégations de discrimination.

[22]           Le premier argument soulevé par Mme Wisdom dans son mémoire des faits et du droit est que la Commission avait compétence pour statuer sur sa plainte pour discrimination. Cet argument n’est pas contesté par Air Canada. Comme l’indiquent les décisions du Tribunal canadien des droits de la personne sur lesquelles se fonde Mme Wisdom (Coulter c. Purolator Courrier Limitée, 2004 TCDP 1, au paragraphe 32; Eyerley c. Seaspan International Limited, [2000] DCDP n° 14, au paragraphe 21), la Commission a compétence pour examiner les plaintes de discrimination en milieu de travail, en dépit de l’existence d’une convention collective. La question à examiner en l’espèce n’est pas celle de savoir si la Commission n’avait pas compétence, mais plutôt si elle a raisonnablement pris sa décision en vertu de l’alinéa 41(1)d) de ne pas exercer cette compétence.

[23]           Pour examiner cette question, Mme Wisdom fait valoir que la Commission a commis une erreur dans son interprétation et son application de l’article 41 de la Loi, qu’elle a mal compris et mal appliqué les faits et les éléments de preuve, et qu’elle n’a pas motivé adéquatement sa décision, raisons qui établissent toutes que la Commission a rendu une décision déraisonnable. En avançant cet argument, j’ai affirmé que les prétentions de Mme Wisdom, soit que la décision de la Commission était déraisonnable, relevaient principalement de trois catégories. Tout d’abord, Mme Wisdom soutient que la Commission a omis de tenir compte de son témoignage, qui, selon elle, corrobore sa plainte pour discrimination et démontre que l’arbitre n’a pas statué sur tous les éléments de preuve dont il disposait. En deuxième lieu, elle soutient que la décision de la Commission était déraisonnable parce que la décision de l’arbitre n’a pas examiné ses allégations de discrimination. En troisième lieu, elle fait valoir que certains aspects du processus d’arbitrage ont été injustes sur le plan procédural.

[24]           S’agissant tout d’abord de l’argument selon lequel la Commission n’a pas tenu compte de son témoignage, je note que, lors de l’audition de cette demande de contrôle judiciaire, Mme Wisdom a précisé qu’elle ne conteste pas le fait que la Commission a fait défaut de tenir compte de la preuve qu’elle lui a présentée. Au contraire, la plaignante prétend que parce que la Commission a rejeté sa plainte en vertu de l’alinéa 41(1)d) de la Loi, et qu’elle n’a donc pas tenu une enquête plus approfondie sur celle-ci, la Commission n’a pas examiné ce que Mme Wisdom décrit comme étant une « preuve vérifiable » à l’appui de sa plainte. Elle a affirmé à l’audience que la preuve à laquelle elle renvoie consiste en des communications qui ont eu lieu entre elle et la direction d’Air Canada dans le cadre de sa demande de mesures d’adaptation. Je comprends la position de Mme Wisdom voulant que cette preuve démontre que l’arbitre a fait preuve de partialité ou qu’il a autrement commis une erreur en tirant ses conclusions, y compris le fait qu’elle n’avait pas coopéré dans le processus de mesures d’adaptation et que la demande de renseignements faite par Air Canada était légitime.

[25]           Mme Wisdom a également expliqué à l’audience que son argumentation devant l’arbitre, la Commission et maintenant la Cour était fondamentalement axée sur le fait que les demandes de renseignements de la part d’Air Canada n’étaient pas légitimes. Elle renvoie à la demande faite par Air Canada de documents établissant la garde de son fils et de renseignements concernant l’horaire personnel de sa fille d’âge adulte. Elle est d’avis, comme c’était le cas avec Air Canada à l’époque, que ces demandes étaient inutilement envahissantes et représentent une pratique discriminatoire fondée sur sa situation de famille.

[26]           La difficulté pour Mme Wisdom, quant à sa capacité à obtenir gain de cause sur ce point, est que la Commission ne disposait pas de la preuve relative à ses communications lorsqu’elle a rendu la décision contestée à l’étape de l’examen préalable de son processus et cette preuve n’était pas non plus pertinente pour cette décision, parce que le bien-fondé de la plainte ne faisait pas l’objet d’un examen à cette étape-là. Elle affirme à juste titre qu’elle a été instruite par la Commission de ne pas inclure ces éléments de preuve relativement à l’examen par la Commission du paragraphe 41(1) de la Loi. La lettre datée du 29 janvier 2016 que la Commission lui a adressée expliquait que le tribunal n’examinerait aucune preuve relative aux allégations en matière de droits de la personne à ce moment-là. Cependant, cela s’explique par le fait que la Commission était à l’étape de l’examen préalable de son processus, étape à laquelle elle n’examine pas le bien-fondé de la plainte, mais plutôt la question de savoir si la plainte est vexatoire, en ce sens qu’un autre processus avait déjà traité les allégations.

[27]            Dans la décision Khapar c. Air Canada, 2014 CF 138 [Khapar] (confirmé par 2015 CAF 99, demande d’autorisation d’appel devant la C.S.C. rejetée), au paragraphe 64, le Juge Kane a expliqué le rôle de la Commission à l’étape de l’examen préalable, comme suit :

64        Il est de jurisprudence constante que l’étape visée par les articles 40 et 41 consiste en un examen préalable. Par conséquent, à cette étape, la Commission s’attache à déterminer si elle dispose de suffisamment d’éléments de preuve pour renvoyer la plainte à un examen plus approfondi. Il n’appartient pas à la Commission à l’étape visée aux articles 40 et 41 d’aller au-delà des faits et de déterminer si le bien-fondé de la plainte a été établi. Ainsi que la Cour suprême du Canada l’a déclaré dans l’arrêt Cooper c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1996] 3 RCS 854, 140 D.L.R. (4th) 193, au paragraphe 53 :

53        La Commission n’est pas un organisme décisionnel; cette fonction est remplie par les tribunaux constitués en vertu de la Loi. Lorsqu’elle détermine si une plainte devrait être déférée à un tribunal, la Commission procède à un examen préalable assez semblable à celui qu’un juge effectue à une enquête préliminaire. Il ne lui appartient pas de juger si la plainte est fondée. Son rôle consiste plutôt à déterminer si, aux termes des dispositions de la Loi et eu égard à l’ensemble des faits, il est justifié de tenir une enquête. L’aspect principal de ce rôle est alors de vérifier s’il existe une preuve suffisante.

[28]           Le processus suivi par la Commission dans la présente affaire est conforme à cette jurisprudence. La Commission n’a pas reçu et étudié les éléments de preuve pertinents pour déterminer si la plainte de Mme Wisdom a été établie, mais a plutôt limité son enquête à la question de savoir si un autre processus avait statué sur les allégations. Par conséquent, je ne vois aucune erreur de la part de la Commission lorsqu’elle a refusé de recevoir ou d’examiner la preuve qui, selon Mme Wisdom, aurait étayé sa plainte.

[29]           Je remarque que Mme Wisdom s’est fondée sur la décision rendue dans Société canadienne des postes c. Barrette, [2004] 4 RCF 145 [Barrette], dans laquelle la Cour fédérale d’appel a traité, aux paragraphes 23 à 25, du processus prévu au paragraphe 41(1) de la Loi comme suit :

[23]      L’article 41 impose à la Commission l’obligation de s’assurer, même proprio motu, qu’une plainte mérite d’être traitée. De toute évidence, il n’incombe à la Commission aucune obligation de mener une enquête à ce stade-là, et la Commission n’est tenue d’examiner que la question de savoir s’il y a, prima facie, des motifs fondés sur le paragraphe 41(1) et, dans l’affirmative, celle de savoir si elle doit tout de même traiter la plainte.

[24]      En ce qui concerne les motifs énumérés aux alinéas 41(1)a) à e), la personne contre qui une plainte a été déposée dispose expressément de deux occasions de les soulever : d’une part à l’étape de l’examen préalable préliminaire prévu par l’article 41 et, d’autre part, à l’étape de l’examen préalable prévu à l’article 44 (voir les alinéas 44(2)a) et b) et les sous-alinéas 44(3)a)(ii) et b)(ii). La Commission ne peut se contenter de ne pas tenir compte d’observations faites à l’étape de l’examen préalable préliminaire ou encore de rejeter systématiquement de telles observations au motif que l’intéressé aura, de toute façon, l’occasion de présenter de nouveau ses observations à l’étape de l’examen préalable. L’intéressé a le droit de s’attendre à ce que la Commission examine le bien-fondé de ses observations, comme le prévoit la loi, à l’étape de l’examen préalable préliminaire, quoiqu’un tel examen se fasse, comme je l’ai déjà mentionné, de façon sommaire.

[25]      Dans le cas où elle omet d’examiner les questions que soulève la personne contre qui une plainte est faite (il s’agit de l’employeur en l’espèce), la Commission ne remplit pas une obligation qui lui incombe en vertu de la loi. L’employeur a, de par la loi, le droit de chercher à obtenir le rejet hâtif d’une plainte pour les motifs exposés au paragraphe 41(1). Cela ne peut nullement dire que des normes procédurales rigoureuses doivent être imposées à la Commission à ce stade-là ni que les tribunaux doivent examiner de façon approfondie les décisions prises en vertu du paragraphe 41(1). Nous voulons tout simplement dire que la Commission doit faire son travail avec diligence même à cette étape préliminaire, à laquelle elle n’est tenue de faire qu’un examen préalable prima facie.

[Soulignement ajouté par la plaignante]

[30]           Je ne trouve pas que l’enseignement professé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Barrette aide Mme Wisdom. Il s’agit là d’une décision de la Commission qui était fondée sur une recommandation du personnel antérieure aux observations présentées par la défenderesse. La Cour a conclu que la Commission n’avait pas tenu compte de ces autres observations, manquant ainsi à son obligation légale d’examiner le bien-fondé des observations à l’étape de l’examen préalable. Cependant, je ne considère pas que l’arrêt Barrette oblige la Commission à examiner non pas le bien-fondé des allégations de discrimination, mais bien le bien-fondé des observations des parties sur la question de savoir si les motifs visés au paragraphe 41(1) sont en cause.

[31]           Mme Wisdom renvoie également la Cour aux précédents judiciaires et aux décisions des tribunaux administratifs portant sur des allégations de discrimination dans le contexte d’un refus de fournir des mesures d’adaptation en milieu de travail fondées sur la situation de famille (voir, p. ex. SMS Equipment Inc. v Communications, Energy and Paperworkers Union, Local 707, 2015 ABQB 162; Clark v Bow Valley College, 2014 AHRC 4; Hoyt c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2006 TCDP 33). Cependant, bien que cette jurisprudence soit pertinente en ce qui a trait au bien-fondé d’allégations de discrimination du type sur lequel la plainte de Mme Wisdom est fondée, elle ne s’applique pas à la décision de la Commission, en vertu du processus d’examen préalable prévu au paragraphe 41(1), quant à la question de savoir si un autre processus a déjà examiné les allégations de discrimination.

[32]           Je me penche à présent sur les arguments de Mme Wisdom selon lesquels la décision de la Commission était déraisonnable parce que l’arbitre, dans sa décision, n’a pas examiné ses allégations de discrimination. Elle soutient que la décision de l’arbitre portait sur son licenciement, non pas sur ses allégations de discrimination. Mme Wisdom note également que le rapport cite une liste de neuf questions soulevées dans le mémoire d’arbitrage du syndicat, mais elle soutient que la décision de l’arbitre ne portait que sur deux de ces questions, soit celles de savoir si Air Canada était fondée à mettre fin à son emploi, et si elle a agi de façon déraisonnable au cours du processus de mesures d’adaptation. Les autres questions de cette liste se lisaient comme suit : si Air Canada était fondée à envoyer une demande à Mme Wisdom l’obligeant de réintégrer son emploi; si le processus de mesures d’adaptation avait été conclu au moment de cette demande et du licenciement qui s’en est suivi; si Air Canada a agi de façon déraisonnable au cours du processus de mesures d’adaptation; si les demandes de renseignements d’Air Canada allaient au-delà de la portée de leur admissibilité; si les renseignements fournis par Mme Wisdom étaient suffisants dans le contexte du processus de mesures d’adaptation; si le refus de Mme Wisdom de divulguer les renseignements personnels demandés était raisonnable; et si elle devait se faire rembourser les frais engagés dans le processus de mesures d’adaptation et ceux découlant du licenciement.

[33]           Ces observations ne me convainquent pas que la décision de la Commission était déraisonnable. Pour en arriver à cette conclusion, soit que le processus d’arbitrage avait examiné les allégations de discrimination dans leur ensemble, la Commission a examiné à la fois le mémoire du syndicat et la décision même de l’arbitre, faisant observer que l’arbitre a conclu que les demandes de renseignements d’Air Canada étaient légitimes et que Mme Wisdom n’avait pas pleinement coopéré durant le processus de mesures d’adaptation. Bien que les conclusions de l’arbitre soient brèves et non étayées par une analyse substantielle, elles sont claires et la conclusion selon laquelle les demandes de divulgation étaient légitimes aborde précisément le point que Mme Wisdom décrit comme étant le fonds du raisonnement de sa position. Même si Mme Wisdom conteste ces conclusions, je ne peux pas conclure qu’il était déraisonnable pour la Commission de déterminer, sur le fondement de ces conclusions, que les allégations de discrimination de Mme Wisdom avaient été examinées par l’arbitre.

[34]           L’examen de la liste des questions soulevées dans le mémoire du syndicat ne permet pas de conclure non plus que la décision de la Commission était déraisonnable. Bien que neuf questions aient été soulevées, elles portent toutes sur les détails de la position du syndicat voulant qu’Air Canada n’ait pas agi de façon raisonnable dans le traitement de la demande de mesures d’adaptation de Mme Wisdom, y compris en faisant les demandes de renseignements contestées, et lorsqu’elle a mis fin à l’emploi de Mme Wisdom, et que celle-ci devrait donc être admissible à une réparation. La décision de l’arbitre, bien qu’elle soit brève et qu’elle ne tranche pas l’une ou l’autre des neuf questions individuellement, traite le fond de ces questions de manière telle qu’il était raisonnable pour la Commission de parvenir à la décision qu’elle a rendue.

[35]           Mme Wisdom fait valoir que certains aspects du processus d’arbitrage ont été injustes sur le plan procédural. En abordant cet argument, je remarque d’abord que le processus de plainte en vertu de la LCDP ne fonctionne pas comme un appel, ni ne s’apparente à un contrôle judiciaire, de la décision d’arbitrage, d’un point de vue du fond ou de la procédure. Comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Colombie-Britannique (Workers’Compensation Board) c. Figliola, 2011 CSC 52, au paragraphe 38 :

[...] L’organisme juridictionnel qui se prononce sur une question qui est de son ressort et les parties en cause doivent pouvoir tenir pour acquis que, sous réserve d’un appel ou d’un contrôle judiciaire, non seulement la décision sera‑t‑elle définitive, mais elle sera considérée telle par les autres organismes juridictionnels. La justesse de l’instance antérieure quant au fond ou à la forme ne saurait servir d’appât pour d’autres tribunaux administratifs exerçant une compétence concurrente.

[36]           Cependant, comme l’a indiqué la Commission dans sa décision, la Cour suprême a aussi précisé, dans l’arrêt Penner, au paragraphe 39, qu’il peut être inéquitable d’appliquer la doctrine de la préclusion pour empêcher un tribunal administratif d’examiner une question déjà tranchée dans une instance antérieure, si l’instance antérieure s’est déroulée de manière injuste d’un point de vue procédural ou s’il se révélerait injuste d’utiliser l’issue de l’instance antérieure pour empêcher l’examen de la question. La décision de la Commission renvoie également à l’argumentation de Mme Wisdom voulant que le processus d’arbitrage de la procédure ait été injuste. Elle a affirmé que ses arguments ont été interrompus par l’arbitre, l’empêchant ainsi de présenter entièrement sa cause, tandis qu’Air Canada a procédé à sa présentation et à son examen sans être interrompue et que cette dernière a été la seule partie autorisée à présenter sa plaidoirie à l’issue de l’audience. Mme Wisdom a également affirmé que l’arbitre a permis à Air Canada de l’interroger sans lui permettre de contre-interroger les témoins d’Air Canada, et a soutenu que l’arbitre n’a pas permis ni à elle ni au syndicat de présenter une preuve pour réfuter celle d’Air Canada.

[37]           La décision de la Commission indique qu’il semble que Mme Wisdom ait eu la possibilité de poser toutes ses questions relatives aux droits de la personne dans le cadre du processus d’arbitrage, qu’elle était représentée par son syndicat à l’audience, et qu’elle a eu l’occasion de témoigner en son propre nom. La Commission a conclu, lors de son examen de l’arrêt Penner, qu’aucune information n’avait été présentée pour démontrer que l’arbitrage des griefs était injuste, ou qu’il serait injuste d’utiliser la décision de l’arbitre pour déterminer si la Commission devrait examiner la plainte.

[38]           Lors de l’audience de cette demande de contrôle judiciaire, Mme Wisdom a soutenu en particulier que la Commission a commis une erreur en affirmant que Mme Wisdom a eu la possibilité de témoigner en son propre nom devant l’arbitre. Cependant, il n’y a pas de transcription de l’audience devant l’arbitre, et la décision de l’arbitre, comme l’indique la Commission dans son rapport, déclare expressément que Mme Wisdom a témoigné. Dans ses observations écrites présentées à la Commission, s’exprimant sur la déclaration de l’arbitre voulant qu’elle ait témoigné, Mme Wisdom ne nie pas qu’elle a témoigné, mais affirme plutôt que l’arbitre l’a interrompue. Cela est conforme à la description faite par la Commission des allégations d’iniquité soulevées par Mme Wisdom. Par conséquent, je ne peux pas conclure que la décision de la Commission était déraisonnable lorsqu’elle a conclu, sur le fondement des renseignements dont elle disposait, que Mme Wisdom a eu l’occasion de témoigner à l’audience d’arbitrage.

[39]           Mme Wisdom soutient également que le processus de grief a été engagé et contrôlé par le syndicat. Cependant, aucune source jurisprudentielle n’a été fournie à l’appui de la proposition voulant que cette situation ait miné la capacité de la Commission à s’appuyer sur la décision d’arbitrage pour invoquer le paragraphe 41(1) de la LCDP. La Commission a noté que Mme Wisdom a eu le bénéfice d’être représentée par le syndicat. Bien qu’elle fasse valoir que le syndicat n’a pas bien défendu ses intérêts, je suis conscient de la déférence à laquelle la décision de la Commission a droit. La Commission a invoqué le fait que Mme Wisdom a eu le bénéfice d’être représentée par le syndicat, en concluant qu’elle avait eu la possibilité de poser toutes ses questions relatives aux droits de la personne dans le cadre du processus d’arbitrage, et je ne vois aucune raison qui me permet d’affirmer que cette conclusion était déraisonnable.

[40]           Plus généralement, la décision de la Commission renvoie clairement aux allégations d’iniquité que Mme Wisdom a soulevées aux fins d’examen. Il n’est pas permis de conclure que ces arguments ont été passés sous silence, tout comme je ne peux en arriver à la conclusion que la décision de la Commission, d’après les renseignements dont elle disposait, selon laquelle il n’y avait aucun motif fondé sur l’équité pour empêcher l’application du paragraphe 41(1) de la LCDP, n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[41]           N’ayant trouvé aucune raison de conclure que la décision de la Commission était déraisonnable, la demande de contrôle judiciaire de Mme Wisdom doit être rejetée.

Dépens

[42]           Ayant réussi à répondre à la présente demande, Air Canada a droit aux dépens. À l’audience, Mme Wisdom a informé l’avocat de la défenderesse et la Cour du montant des frais qu’elle sollicitait dans le cas où elle avait gain de cause dans la présente demande. Ce montant, qui était fondé sur les frais qu’elle a engagés pour poursuivre la demande, s’élevait à 730,50 $. Au cours de l’audience, les deux parties ont informé la Cour de leur accord sur le fait que ce chiffre constituait un montant approprié à accorder quelle que soit la partie qui obtient gain de cause.

[43]           Air Canada doit par conséquent recevoir la somme globale de 730,50 $ au titre des dépens.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Des dépens de 730,50 $ sont adjugés à la défenderesse.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1959-16

INTITULÉ :

NADINE WISDOM c. AIR CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 avril 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE :

Le 2 mai 2017

COMPARUTIONS :

Nadine Wisdom

(Se représentant elle-même)

Pour la demanderesse

Christianna Scott

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Christianna Scott

Avocate

Saint-Laurent (Québec)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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