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Date : 20170510


Dossier : T-1521-16

Référence : 2017 CF 477

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 mai 2017

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

MURRAY BIRD

demandeur

et

LA PREMIÈRE NATION DE WHITE BEAR

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, de la décision défavorable (la décision ou les motifs) rendue le 26 août 2016 par un arbitre nommé conformément au paragraphe 242(1) du Code canadien du travail, LRC 1985, c L-2 (le Code), à l’égard d’une plainte pour congédiement injuste déposée par le demandeur contre la défenderesse en application du paragraphe 240(1) du Code. Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et la plainte sera renvoyée pour nouvelle décision.

[2]  Le 29 janvier 2001, le demandeur a commencé à enseigner à l’école de la réserve de la défenderesse. Il en est devenu le directeur en 2009. Le demandeur était engagé par contrat d’un an, dont le dernier s’étendait du 1er septembre 2014 au 31 août 2015. Après avoir reçu un certain nombre de plaintes contre le demandeur, le White Bear First Nation Education Board (le conseil scolaire) a demandé au chef et au conseil de bande d’examiner son dossier.

[3]  Peu de temps après, dans une lettre datée du 4 décembre 2014 (la lettre), la défenderesse a informé le demandeur qu’il était congédié pour les motifs suivants :

  1. grave incompétence;

  2. insubordination;

  3. harcèlement sexuel;

  4. acte criminel;

  5. manquements importants à la politique du milieu de travail;

  6. abus de confiance et manquements à l’obligation de loyauté;

  7. tendance généralisée aux inconduites et aux irrégularités.

Il est mentionné dans la lettre que malgré les avertissements donnés au demandeur concernant [traduction] « divers sujets de préoccupation », aucun changement ou résultat positif n’a été constaté. La lettre ne donne pas d’autre explication.

[4]  Le 16 décembre 2014, le demandeur a déposé une plainte pour congédiement injuste auprès de Développement des ressources humaines Canada. En 2016, l’audition de la plainte devant l’arbitre a duré cinq jours et sept personnes ont témoigné. Les délibérations n’ont pas été enregistrées et il n’en existe aucune transcription.

[5]  À titre préliminaire, l’arbitre a conclu que comme il n’avait pas qualité de « directeur » au sens du Code, le demandeur n’était pas visé par l’exception du paragraphe 167(3) portant exemption de son application et pouvait en invoquer les garanties en matière syndicale et d’emploi. Cette conclusion n’est pas contestée. L’arbitre a ensuite énoncé quatre grands constats étayant une conclusion de [traduction] « congédiement justifié » : l’incompétence, l’insubordination, la mauvaise gestion financière et le harcèlement sexuel. Ces motifs seront examinés dans les prochains paragraphes.

[6]  Incompétence : L’arbitre a conclu que le demandeur avait fait preuve d’incompétence en refusant de manière provocatrice de mettre en œuvre les mesures proposées par Treaty 4 Student Success Program (T4SSP). La défenderesse avait demandé le soutien de T4SSP, un fournisseur de services externe, pour mener à bien diverses améliorations scolaires (par exemple, l’instauration de nouveaux modèles d’évaluation du leadership, de supervision des enseignants et de rehaussement des programmes). Lorsqu’il a témoigné devant l’arbitre, le demandeur a admis qu’il avait refusé de mettre en œuvre les mesures proposées par T4SSP jusqu’aux trois derniers mois de son emploi parce qu’il n’était pas d’accord avec le programme et qu’il avait d’autres priorités. Étant donné que cette résistance touchait au cœur de la relation d’emploi, l’arbitre a tranché qu’il s’agissait d’une inconduite délibérée justifiant une mesure disciplinaire.

[7]  Insubordination : Un jour, un parent en colère est venu raconter au demandeur qu’un enseignant de l’école avait envoyé des photographies de nus à sa fille. Même si le président du conseil scolaire l’avait enjoint à ne rien faire en l’absence de preuve claire contre l’enseignant, le demandeur lui a ordonné de quitter l’école sur-le-champ. Il ne l’a rappelé que plus tard le soir. L’arbitre a conclu que le demandeur avait fait preuve d’insubordination en dérogeant à la consigne du président du conseil scolaire. Il a également fait observer que l’intervention du demandeur a eu pour conséquences d’ostraciser et d’humilier l’enseignant, et que sa réputation en a souffert. Malgré tout, le demandeur ne lui a jamais présenté d’excuses et il n’a rien fait pour l’aider à surmonter le choc subi. Il a été établi ultérieurement que les allégations contre l’enseignant étaient fausses.

[8]  Mauvaise gestion financière : L’arbitre a été outré d’apprendre que la cantine scolaire avait perdu 800 $, que des produits avaient disparu (apparemment, des membres du personnel se servaient allègrement), tout cela au vu et au su du demandeur puisqu’un enseignement l’avait alerté. L’arbitre a conclu que le demandeur n’avait rien fait pour remédier à cette situation, manquant ainsi aux responsabilités en matière de gestion financière énoncées dans sa description d’emploi.

[9]  Harcèlement sexuel : L’arbitre a entamé son analyse du harcèlement sexuel en précisant ce que signifie ce terme dans un contexte de travail selon la jurisprudence et les textes législatifs. Il a souligné que la défenderesse n’avait pas de politique en matière de harcèlement sexuel en milieu de travail, mais qu’une définition en était donnée à l’article 1:500 du White Bear Education Complex Procedures Manual (le manuel de procédures). Dans son analyse de la plainte, l’arbitre s’est donné beaucoup de mal pour résumer les témoignages, y compris les déclarations des témoins et leur contre-interrogatoire. Les allégations contre le demandeur englobaient les commentaires de nature sexuelle qu’il aurait adressés de manière tout à fait déplacée à deux femmes à différentes occasions et devant d’autres membres du personnel.

[10]  Selon d’autres allégations, le demandeur aurait tenu des propos désobligeants à l’égard des personnes homosexuelles, et il aurait ignoré les plaintes concernant les propos inappropriés à connotation sexuelle d’autres membres du personnel masculin.

[11]  Le demandeur a pris à la légère ou nié la plupart des allégations, en prétextant qu’il avait pu dire des choses à la blague ou sans méchanceté. L’arbitre a jugé que le demandeur se montrait souvent complaisant et il a accordé la prépondérance aux témoignages d’autres personnes.

[12]  Il a précisé qu’il devait rendre sa décision selon la prépondérance des probabilités, en cherchant à déterminer quels étaient les faits [traduction] « les plus plausibles ». Il a vu d’un mauvais œil l’omission du demandeur d’appeler un témoin qui aurait sans doute eu beaucoup à dire au sujet de certaines allégations contestées. L’avocat du demandeur a annulé la comparution de ce témoin deux jours avant la date prévue.

[13]  Citant le professeur A.P. Aggarwal, et notamment son livre Sexual Harassment in the Workplace (il ne donne pas la référence exacte dans ses motifs), l’arbitre a déclaré que le demandeur avait eu une [traduction] « conduite offensante », décrite comme « un comportement d’intimidation ou hostile à l’endroit d’un employé, qui a pour conséquence de créer un environnement de travail menaçant. Les commentaires et les gestes à connotation sexuelle font partie de ces comportements. » Selon lui, il s’agit d’une forme de harcèlement moins grave que la [traduction] « contrainte sexuelle », qui comprend notamment les faveurs sexuelles exigées par un supérieur hiérarchique comme condition à l’avancement professionnel ou à l’augmentation de salaire d’une personne subalterne.

[14]  S’appuyant sur les décisions Bell v Computer Sciences Corporation, 2007 ONCA 466, et van Woerkens v Marriott Hotels of Canada Ltd., 2009 BCSC 73, l’arbitre a également souligné la position occupée par le demandeur au sein de l’école et le fait qu’il faisait partie de la direction. Il a rappelé que les cadres supérieurs sont tenus à une norme de conduite plus stricte dans les affaires de harcèlement sexuel parce qu’ils ont une situation privilégiée de confiance et qu’on leur accorde plus d’autonomie et de responsabilités.

[15]  L’arbitre a estimé que la défenderesse avait respecté sa politique et sa procédure de cessation d’emploi, son manuel de procédures ainsi que le contrat de travail du demandeur (le contrat). Selon le manuel de procédures, l’employeuse défenderesse ne pouvait pas congédier un employé faisant l’objet d’une plainte sans lui avoir donné la possibilité de répondre aux allégations. L’arbitre a conclu que le demandeur avait décliné l’offre que lui a faite la défenderesse de lui expliquer les motifs de son congédiement et que, même s’il en était fait mention dans son contrat, il ne s’est pas prévalu du droit d’appel prévu dans la White Bear First National Personnel Policy (politique du personnel).

II.  Norme de contrôle et questions en litige

[16]  À l’instar de la Cour suprême dans l’arrêt récent Wilson c Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29 (paragraphes 15 et 16 [Wilson]), j’estime que les questions énoncées ci-après doivent s’examiner selon la norme de la décision raisonnable. L’article 243 du Code est une clause privative qui renforce l’obligation de retenue à l’égard des conclusions de fait et de droit de l’arbitre (Colistro c BMO Banque de Montréal, 2008 CAF 154, au paragraphe 6).

[17]  Le demandeur conteste plusieurs aspects des motifs, et notamment les conclusions suivantes :

  • 1) l’incompétence (mettant en cause l’entente de services avec T4SSP);

  • 2) l’insubordination (mettant en cause la suspension d’un enseignant);

  • 3) la mauvaise gestion financière (de la cantine);

  • 4) le harcèlement sexuel;

  • 5) la possibilité qui lui a été offerte de réagir après son congédiement.

[18]  Le demandeur soulève également deux questions principales concernant le défaut de l’arbitre :

  1. d’appliquer le bon critère juridique pour établir l’existence d’un motif valable de congédiement;

  2. d’examiner la question de la [traduction] « progression des sanctions disciplinaires ».

[19]  Je suis du même avis. Pour les motifs exposés ci-dessous, j’estime que ces deux dernières erreurs sont manifestement déraisonnables et touchent au cœur de la décision. Par ailleurs, ces questions recoupent certaines des cinq conclusions attaquées et seront examinées dans la mesure où elles le font.

III.  Analyse

A.  Question 1 : Le critère juridique pour établir l’existence d’un motif valable de congédiement

[20]  Pour établir si le congédiement d’un employé était justifié, l’arbitre doit se fonder sur les alinéas 242(3)a) et b) du Code :

242(3) Sous réserve du paragraphe (3.1), l’arbitre :

242(3) Subject to subsection (3.1), an adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1) shall

 

a) décide si le congédiement était injuste;

(a) consider whether the dismissal of the person who made the complaint was unjust and render a decision thereon; and

 

b) transmet une copie de sa décision, motifs à l’appui, à chaque partie ainsi qu’au ministre.

(b) send a copy of the decision with the reasons therefor to each party to the complaint and to the Minister.

[21]  Les parties ont des points de vue divergents sur la Loi et son application. Le demandeur fait valoir que le critère énoncé au paragraphe 11 de la décision William Scott and Co v CFAW Local P-12, [1977] 1 Can LRBR 1 [Scott], est toujours valable en droit et que l’arbitre aurait dû, suivant le Code, appliquer ce critère en essence pour décider si les circonstances justifiaient un congédiement. Le demandeur déplore toutefois qu’après un exposé d’une grande partie de la preuve et de ses conclusions de fait, l’arbitre a tiré une conclusion de droit qui tient en deux paragraphes brefs :

[traduction]

Compte tenu de ce qui précède, je conclus que M. Bird a délibérément refusé d’adhérer aux objectifs éducatifs préconisés par T4SSP et appuyés par la Première Nation de White Bear. Il a fait preuve d’insubordination à l’endroit des membres du conseil scolaire, qui étaient ses supérieurs immédiats, en suspendant M. Stevenson [un enseignant], il a manqué à ses responsabilités à l’égard de la gestion financière de la cantine scolaire, il s’est livré à du harcèlement sexuel et il n’a rien fait pour que d’autres membres du personnel cessent d’agir de la même façon.

Pour ces motifs, je conclus que le congédiement de M. Bird était justifié.

[22]  Le demandeur soutient que l’arbitre a commis une erreur de droit en ne fondant pas ses conclusions sur le critère énoncé dans la décision Scott (ou tout autre critère équivalent), et qu’il aurait dû faire une analyse plus approfondie avant de trancher que son congédiement était justifié.

[23]  Tel qu’il est énoncé dans la décision Scott, une analyse en trois volets doit être réalisée pour établir si un congédiement est justifié :

  1. L’employé a-t-il fourni à l’employeur un motif juste et raisonnable de lui imposer des mesures disciplinaires?

  2. Compte tenu des circonstances, l’employeur a-t-il réagi de manière excessive en congédiant l’employé?

  3. Le cas échéant, une autre mesure juste et équitable pouvait-elle être substituée au congédiement?

[24]  Les premier et troisième éléments du critère énoncé dans la décision Scott reposent sur les faits, mais le deuxième exige une analyse contextuelle. Selon la décision Scott, cette analyse est axée sur ce que j’appellerai les cinq « facteurs atténuants » :

  1. la gravité et le caractère immédiat de l’inconduite;

  2. la nature préméditée ou répétitive de l’inconduite (par opposition à des égarements momentanés ou isolés);

  3. l’ancienneté de l’employé et son dossier disciplinaire;

  4. les mesures disciplinaires correctives déjà imposées par l’employeur pour remédier au problème;

  5. la conformité du congédiement à la politique de l’employeur (s’agit-il d’une sanction arbitraire et trop sévère?).

[25]  Le demandeur s’appuie sur l’arrêt de la Cour suprême dans McKinley c BC Tel, 2001 CSC 38 [McKinley], cité par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Payne c Banque de Montréal, 2013 CAF 33, aux paragraphes 44 à 47 [Payne], pour faire valoir que la Cour doit apprécier ces facteurs au vu d’une analyse contextuelle fondée sur la proportionnalité afin de mettre en balance la nature de l’inconduite de l’employé et celle de la sanction imposée par l’employeur. Le demandeur soutient qu’une conclusion de congédiement justifié exige que l’arbitre soit convaincu que la preuve est claire, cohérente et convaincante. Il incombe à l’employeur, selon la prépondérance des probabilités, d’établir l’existence d’un motif valable de congédiement (McKinley, au paragraphe 33), y compris dans le cas d’employés non syndiqués assujettis au Code (Wilson, au paragraphe 67), comme nous le savons désormais. Aux yeux du demandeur, l’arbitre s’est arrêté à la première étape du critère de la décision Scott et n’a donc pas effectué l’analyse de fond requise pour établir l’existence d’un motif valable de congédiement.

[26]  La défenderesse rétorque que l’arbitre a rendu une longue décision dans laquelle il fait un examen minutieux de la preuve ainsi qu’une analyse juridique exhaustive. De plus, compte tenu de [traduction] « la myriade d’éléments de preuve », l’arbitre n’avait d’autre choix que de conclure que le congédiement était la seule avenue possible et que la poursuite de l’analyse au-delà de la première étape du critère de la décision Scott aurait été inutile. Autrement dit, la défenderesse estime que la sanction infligée était proportionnelle à l’inconduite en cause, et qu’il aurait été inutile de procéder à une analyse contextuelle et de répondre aux deuxième et troisième questions énoncées dans la décision Scott.

[27]  Même s’il s’appuyait sur des conclusions de fait, je pense comme le demandeur que l’arbitre n’était pas dispensé d’expliquer pourquoi l’inconduite justifiait un congédiement immédiat sans même une analyse de la proportionnalité, et notamment de la progression des sanctions disciplinaires et des solutions de rechange au congédiement. La jurisprudence a rejeté une approche fondée sur des catégories pour établir si l’inconduite d’un employé justifie son congédiement : « À de rares exceptions près, la catégorie en cause d’inconduite, y compris la malhonnêteté, n’a pas un caractère déterminant » (Payne, au paragraphe 46, citant McKinley).

[28]  Hormis ces rares exceptions, l’arrêt Payne enseigne qu’il faut examiner avec soin l’ensemble des circonstances pour s’assurer que la sanction infligée à l’employé est proportionnelle à la gravité de l’inconduite. La Cour d’appel fédérale a souligné que ce principe reconnaît l’importance du travail dans la vie d’une personne et l’inégalité typique du rapport de force entre l’employeur et l’employé. Il n’est pas aisé de satisfaire au critère relatif au congédiement en l’absence d’avertissements préalables ou d’une progression des sanctions (Payne, aux paragraphes 48, 53 et 54). En l’espèce, l’arbitre a conclu que le demandeur n’avait pas reçu d’avertissement préalable et qu’il n’y avait pas eu de progression des sanctions.

[29]  Il a également été souligné dans d’autres décisions de la Cour fédérale que le rôle de l’arbitre consiste en partie à décider si « les mesures disciplinaires choisies par l’employeur sont appropriées compte tenu de la mauvaise conduite et des autres circonstances pertinentes » (Bitton c Banque HSBC Canada, 2006 CF 1347, aux paragraphes 31 et 32). De façon similaire, la Cour d’appel fédérale a conclu dans l’arrêt Conseil de Bande de Uashat Mak Mani-Utenam c Fontaine, 2005 CAF 357, aux paragraphes 26, 27 et 31, que l’arbitre avait commis une erreur de droit en omettant de bien soupeser, voire d’examiner de manière adéquate le caractère approprié de la sanction imposée à l’égard de l’inconduite d’une employée.

[30]  Plus récemment, au paragraphe 17 de l’arrêt Clarke c Syncrude Canada Ltd, 2014 ABCA 362 [Clarke], qui portait sur une affaire de harcèlement sexuel et d’agression sexuelle, la Cour d’appel de l’Alberta a reconnu que les facteurs conceptuels qui peuvent être examinés dans le cadre d’une analyse de la proportionnalité selon l’arrêt McKinley comprennent les événements eux-mêmes, l’étendue de l’inconduite en cause, les thèses des parties, leurs dossiers d’emploi ainsi que les répercussions de l’inconduite sur les relations professionnelles. Même si l’arrêt Clarke a été tranché en vertu d’une loi provinciale et non d’une loi fédérale et, ce faisant, n’était pas assujetti au Code, les facteurs pris en compte sont comparables aux facteurs atténuants énoncés dans la décision Scott.

[31]  De plus, comme nous le verrons dans la section portant sur la deuxième question, l’arrêt Wilson insiste davantage sur l’obligation de faire une analyse fondée sur le Code, afin de déterminer notamment si le principe de progression des sanctions disciplinaires a été appliqué (l’un des mécanismes de contrôle de l’employeur comptant parmi les facteurs atténuants de la décision Scott). Dans la foulée de l’arrêt Wilson, la jurisprudence exige désormais que l’arbitre établisse à tout le moins si le congédiement était justifié, et donc qu’il soupèse les facteurs atténuants tels que la progression des sanctions des mesures disciplinaires et leur adéquation par rapport à l’inconduite sanctionnée. Si l’arbitre conclut que l’inconduite reprochée était si grave qu’elle justifiait un congédiement sans nécessité pour l’employeur de prendre des mesures d’atténuation, une explication est requise.

[32]  En l’espèce, il est manifeste que l’arbitre a tenu compte des événements, de la thèse du demandeur, de la politique de lutte contre le harcèlement de l’employeur ainsi que des répercussions négatives de la conduite du demandeur sur ses collègues. L’arbitre a estimé que le harcèlement s’apparentait davantage à une conduite offensante (à l’extrémité inférieure du spectre d’Aggarwal susmentionné) qu’à la contrainte sexuelle. Comme il n’y fait pas allusion dans sa décision, il est difficile de savoir si l’arbitre a soupesé les facteurs atténuants de décision Scott pour établir si l’employeuse avait un motif valable de congédier le demandeur, une sanction que les tribunaux canadiens ont comparée à la [traduction] « peine capitale en droit du travail » (voir, notamment, Johar v Best Buy Canada, 2016 ONSC 5287, au paragraphe 11).

[33]  Il est intéressant de constater qu’au début de ses motifs, l’arbitre mentionne que rien ne permet de penser qu’un processus formel de progression des sanctions a été appliqué au demandeur. Dans la partie de l’analyse de la décision, l’arbitre ne fait jamais allusion aux facteurs atténuants énoncés dans la décision Scott ou à d’autres considérations similaires (comme celles énoncées dans l’arrêt Clarke) dans l’évaluation des inconduites reprochées au demandeur.

[34]  Bien entendu, il était loisible à l’arbitre de tirer des conclusions sur les inconduites du demandeur à partir de son analyse de la preuve. Cependant, il ne pouvait pas énoncer ses conclusions et affirmer qu’elles corroboraient l’existence d’un motif valable de congédiement sans expliquer pourquoi les critères relatifs à la justification du congédiement et à la proportionnalité de la sanction, pourtant très bien établis en droit, n’ont pas été soupesés. La Cour d’appel fédérale a rejeté cette approche « fondée sur des catégories » dans l’arrêt Payne (au paragraphe 46).

[35]  En résumé, la jurisprudence enseigne que cette approche ne repose pas sur une analyse suffisamment rigoureuse et éclairée. L’omission de l’arbitre de faire une analyse de la proportionnalité telle qu’elle a été recommandée dans les jurisprudences Scott, McKinley et Payne entache la transparence et la justification de sa décision.

B.  Question 2 : Progression des sanctions disciplinaires

[36]  Récemment, dans son arrêt Wilson, la Cour suprême du Canada a donné des directives aux employeurs sur la manière dont ils peuvent assurer la « justesse » de leurs processus de discipline en milieu de travail et de congédiement en application du Code. Au nom de la majorité, la juge Abella a décrété, conformément à une jurisprudence arbitrale remontant jusqu’à la décision du professeur George Adams dans Roberts v Bank of Nova Scotia (1979), 1 LAC (3d) 259 (Can) [Roberts], que le Code interdit à un employeur de congédier un employé sans motif valable et que les décisions arbitrales contraires doivent être rejetées (s’opposant ainsi aux juges dissidents). Dans l’arrêt Wilson, les juges majoritaires font observer ce qui suit à propos du passage de la décision Roberts sur le principe de la progression des sanctions disciplinaires :

Selon [Roberts], le Parlement devait aussi avoir à l’esprit le concept des sanctions progressives […], selon lequel, en règle générale, l’employeur qui cherche à justifier le congédiement doit démontrer qu’il a signalé les problèmes de rendement à l’employé, cherché avec lui ou elle à les corriger et appliqué « un éventail de sanctions progressives avant de recourir à la mesure ultime du renvoi » […]

(Wilson, au paragraphe 54)

[37]  Dans son jugement, la juge Abella rappelle également qu’il faut déterminer s’il y a eu progression des sanctions disciplinaires dans le cas de plaintes fondées sur l’article 240. Elle rapporte les propos du professeur George Adams dans la décision Roberts :

[traduction] Dans le secteur syndiqué, les arbitres ont adopté le concept des sanctions progressives, sous réserve de dispositions contraires dans le texte de la convention collective. […] [...]

lorsqu’il a adopté la disposition en cause, le législateur devait avoir ce concept fondamental à l’esprit, car il touche à l’essence même de ce qui est « juste » dans le contexte des relations du travail. [...] [A]u fond, je suis d’avis que, dès l’édiction des [art. 240 à 246], tous les employeurs visés par cette nouvelle disposition se sont vu conférer les pouvoirs leur permettant de faire respecter les prescriptions en matière de sanctions progressives. Soit dit en tout respect, [une] interprétation contraire, plus technique, […] irait tout simplement à l’encontre de l’objet de cette loi et en diluerait les effets. (Tel que cité dans l’arrêt Wilson, au paragraphe 55)

[38]  Le professeur Adams avait toutefois nuancé ses conclusions et recommandé aux arbitres de ne pas appliquer [traduction] « à la légère » cette norme plus stricte (y compris le concept de la progression des sanctions) :

[traduction]

Or, je ne veux pas dire par là que les arbitres doivent importer les règles applicables aux conventions collectives dans les affaires disciplinaires à la légère et sans les adapter. Il faut qu’ils soient extrêmement sensibles à la diversité des contextes d’emploi visés par la nouvelle disposition du Code, car plusieurs ne cadrent pas facilement avec le modèle « industriel » en matière de discipline. Dans ces cas, les adaptations nécessaires peuvent être apportées. Ainsi, je dois demander s’il n’y aurait pas lieu d’exiger l’application de suspensions dans l’industrie bancaire. (Tel que cité dans l’arrêt Wilson, au paragraphe 56)

[39]  Après l’arrêt Wilson, le droit a évolué de telle sorte que l’arbitre saisi d’une plainte fondée sur l’article 240 du Code est désormais tenu de vérifier si l’employeur a suivi un processus rigoureux de progression des sanctions disciplinaires et, dans le cas contraire, s’il a expliqué pourquoi cette omission était justifiée au regard des faits.

[40]  Dans la décision Roberts, le professeur Adams s’est demandé si la suspension imposée conformément au processus de progression des sanctions disciplinaires devrait être obligatoire dans le secteur bancaire. Il répond par l’affirmative en invoquant le Code, et fait observer que [traduction] « [l]es mesures disciplinaires progressives, y compris l’imposition obligatoire d’une suspension comme mesure intermédiaire, est valable pour divers secteurs de services et milieux de bureau tels les hôpitaux, les administrations municipales et provinciales, les bureaux de professionnels et de para-professionnels » (Roberts, au paragraphe 20).

[41]  En l’espèce, l’arbitre n’a aucunement cherché à comprendre pourquoi aucune progression des sanctions disciplinaires n’a été tentée, et il n’a pas expliqué pourquoi cette progression aurait été inutile. Il est difficile de voir comment l’arbitre a pu conclure que le congédiement du demandeur était justifié alors que le concept de la progression des sanctions disciplinaires ne lui a jamais effleuré l’esprit.

[42]  Bien sûr, un événement isolé ou une série d’événements peuvent faire déborder le vase et justifier le congédiement d’un employé sans avertissement préalable. Toutefois, comme le rappelle la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Payne, ces cas sont l’exception. L’omission de prendre en compte le concept de la progression des sanctions disciplinaires s’accorde mal avec la jurisprudence récente de la Cour suprême, les principes établis dans la décision Scott et le commentaire faisant autorité sur le sujet dans l’arrêt Wilson. Il faut garder à l’esprit que les employeurs régis par le Code sont tenus d’appliquer un processus rigoureux de progression des sanctions disciplinaires pour la raison simple quoique fondamentale qu’elle permet à l’employé de réagir et de corriger son comportement (P(M) and Bank, Re, [2010] CarswellNat 6295, au paragraphe 43).

[43]  Par ailleurs, il a été statué récemment que si le congédiement est l’aboutissement d’une série d’inconduites (comme cela semble le cas en l’espèce), celles-ci seront reconnues comme un motif valable de congédiement seulement si l’employeur a donné des avertissements clairs et efficaces, dûment documentés, et suivi un processus de progression des sanctions disciplinaires (Goncharova v Marsh Lake Waste Society, 2015 YKSM 4, au paragraphe 232).

[44]  Je me répète, ma conclusion sur cette deuxième question ne doit pas être interprétée comme une interdiction absolue pour l’arbitre de trancher qu’un événement grave isolé ou un événement moins grave qui marque un point de bascule justifiait un congédiement. De toute évidence, des mesures disciplinaires amélioratives ne sont pas envisageables dans certaines situations (voir la décision Leach v Canadian Blood Services, 2001 ABQB 54, au paragraphe 117 [Leach], qui porte sur deux incidents graves de harcèlement sexuel impliquant des contacts physiques; aux paragraphes 120 et 138). Il importe avant tout que l’arbitre, à l’instar de la juge Coutu dans la décision Leach et du professeur Adams dans la décision Roberts, explique pourquoi une inconduite était à ce point grave ou récurrente que l’employeur était dispensé d’appliquer le principe de la progression des sanctions disciplinaires.

[45]  L’analyse de l’arbitre, ou l’absence de celle-ci, était déraisonnable pour d’autres raisons. Par exemple, l’arbitre fait état [traduction] « d’allusions » à des avertissements donnés de vive voix. Pourtant, il affirme ailleurs que rien dans la preuve documentaire ne corrobore ces allusions. Cet énoncé manque de clarté et de transparence. Selon la preuve, le conseil scolaire de la défenderesse a reçu un certain nombre de plaintes contre le demandeur à peu près à la même période, et il a renvoyé l’affaire au chef et au conseil, car [traduction] « c’était trop pour eux [les membres du conseil scolaire] ». Le chef et le conseil ont pris l’affaire en main et ont jugé qu’il existait un motif valable de le congédier. Aucun élément de preuve n’indique si le conseil scolaire ou le chef et le conseil ont offert au demandeur la possibilité de réagir ou de corriger son comportement. Des éléments de preuve contradictoires laissent entendre que l’avocat de la défenderesse aurait offert d’expliquer le contenu de la lettre au demandeur. Toutefois, cette rencontre aurait été inutile du point de vue du concept de la progression des sanctions disciplinaires puisqu’elle aurait été offerte après la notification de la lettre, soit après le congédiement.

[46]  Outre l’obligation juridique générale de la défenderesse d’appliquer un processus de progression des sanctions disciplinaires conformément au Code et à l’arrêt Wilson, elle avait aussi cette obligation aux termes du contrat (examiné plus loin) de l’employé (le demandeur).

1)  Insubordination

[47]  Dans un premier temps, l’arbitre a conclu que le demandeur avait fait preuve d’insubordination en suspendant un enseignant. Le demandeur a fait valoir que la conclusion de l’arbitre comme quoi son [traduction] « incompétence » (parce qu’il avait refusé d’instaurer les mesures recommandées par T4SSP) équivalait à de l’insubordination et son autre conclusion relative à son [traduction] « insubordination » dérogeaient au processus stipulé à son contrat.

[48]  L’article 8.01 du contrat de travail est rédigé comme suit :

[traduction]

8.01  S’il estime que l’employé a fait preuve d’insubordination, l’employeur prendra les mesures suivantes :

a) Avertissement de vive voix

b) Avertissement par écrit

c) Réprimande signifiée par écrit

d) Congédiement

Dans la lettre de réprimande, l’employeur rappellera à l’employé que, aux termes du présent contrat, la prochaine étape sera le congédiement.

[49]  En cas d’insubordination, cette clause du contrat prévoit un processus clair de progression des sanctions disciplinaires en quatre étapes. L’arbitre aurait dû expliquer pourquoi aucune des premières étapes n’ont été suivies. Même si la défenderesse soutient que la conclusion de l’arbitre était appropriée dans les circonstances, elle ne peut pas à la fois a) alléguer que le demandeur a fait preuve d’insubordination et b) justifier son omission d’appliquer intégralement le processus prévu en cas d’insubordination et le caractère raisonnable du défaut de l’arbitre d’examiner la question.

[50]  À mon avis, le défaut de l’arbitre de prendre en compte l’article 8.01 du contrat, qui prévoit la progression des sanctions disciplinaires, entache la décision d’une omission déraisonnable.

2)  Application régulière de la loi

[51]  En deuxième lieu, le demandeur attaque la conclusion de l’arbitre selon laquelle il aurait eu la possibilité de répondre aux plaintes dont il faisait l’objet puisqu’elle lui a été offerte après son congédiement. La défenderesse fait valoir que la conclusion de l’existence d’un motif valable de congédiement la dispensait d’offrir au demandeur la possibilité de répliquer auxdites plaintes avant son congédiement.

[52]  La clause relative à l’application régulière de la loi énoncée dans le préambule du manuel de procédures interdit au conseil scolaire de congédier un employé faisant l’objet d’une plainte avant de lui avoir donné la possibilité d’y répliquer. En voici le libellé exact :

[traduction]

Lorsque le conseil scolaire reçoit une plainte concernant la compétence ou l’attitude d’un enseignant ou d’un membre du personnel, il doit notifier la plainte à la personne visée et lui donner la possibilité de comparaître devant lui afin d’y répliquer avant de prendre toute mesure de congédiement. D’autres mesures pourront être prises en fonction de la description de travail de l’enseignant ou du membre du personnel visé.

[53]  L’article 9.01 incorpore le manuel de procédures au contrat. Par conséquent, l’employeur doit se conformer à la clause relative à l’application régulière de la loi et, le cas échéant, prendre des mesures correctives ou disciplinaires en conséquence.

[54]  Dans sa décision, l’arbitre semble suggérer que puisque le conseil scolaire a renvoyé l’affaire au chef et au conseil, il n’était pas tenu de faire part des plaintes au demandeur ou de lui offrir la possibilité de corriger son comportement.

[55]  Cette analyse est boiteuse. Les plaintes ont été formulées initialement auprès du conseil scolaire, qui avait l’obligation de les notifier au demandeur. Le contrat et le manuel de procédures ne prévoient pas d’exception dispensant le conseil scolaire à cet égard, y compris le renvoi des plaintes au chef et au conseil. Dans ses motifs, l’arbitre cite la clause du manuel de procédures relative à l’application régulière de la loi, mais il n’en fait pas un examen rigoureux.

[56]  À mon avis, il s’agit d’un autre exemple d’atteinte aux garanties procédurales auquel le demandeur avait droit avant son congédiement. Comme je l’ai déjà dit, il était loisible à l’arbitre de conclure que cette façon de faire était justifiée compte tenu de la conduite disgracieuse et offensante du demandeur. Cependant, il a commis une erreur déraisonnable en omettant de traiter adéquatement de cette question.

IV.  Conclusion

[57]  Pour tous les motifs qui précèdent, je suis d’avis que l’arbitre a commis une erreur déraisonnable en omettant de prendre en considération le concept de la progression des sanctions disciplinaires, lequel est évoqué au contrat entre les parties et a été interprété par la jurisprudence relative au Code. J’estime en outre que l’arbitre n’a pas fait l’analyse de la proportionnalité prescrite par la jurisprudence.

[58]  Même si je conviens avec la défenderesse qu’une grande retenue s’impose à l’égard de la décision de l’arbitre (Payne, aux paragraphes 41 à 43), il lui incombait de présenter des motifs transparents, intelligibles et justifiables (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47) pour justifier que l’inconduite du demandeur, peu importe les circonstances, justifiait son congédiement, c’est-à-dire la sanction ultime en droit de l’emploi et du travail. Compte tenu de ce qui précède, j’accueille la présente demande de contrôle judiciaire.

V.  Dépens

[59]  Les parties ont demandé un court délai pour présenter leurs observations sur les dépens. Dans l’éventualité où elles ne parviendraient pas à s’entendre, je leur accorde deux semaines à compter de la date du présent jugement pour me soumettre leurs observations quant aux dépens.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. L’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision conformément aux présents motifs.

  3. Les dépens seront adjugés après le délai de deux semaines à compter du présent jugement que j’ai octroyé aux parties pour me soumettre leurs observations.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 29e jour de janvier 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1521-16

INTITULÉ :

MURRAY BIRD c LA PREMIÈRE NATION DE WHITE BEAR

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Regina (Saskatchewan)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 mars 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

DATE DES MOTIFS :

Le 10 mai 2017

COMPARUTIONS :

Kirk Goodtrack

Pour le demandeur

Alan G. McIntyre

Pour lA défendeRESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Goodtrack Law

Avocat

Saskatoon (Saskatchewan)

Pour le demandeur

McKercher LLP

Avocats

Saskatoon (Saskatchewan)

Pour lA défendeRESSE

 

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