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Date : 20170508


Dossier : IMM-4929-16

Référence : 2017 CF 458

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 mai 2017

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

WELI ABDIKADIR OMAR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               M. Weli Abdikadir Omar demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La SAR a conclu à l’exclusion de M. Omar de la protection de la Convention sur les réfugiés au motif qu’il avait déjà qualité de réfugié en Afrique du Sud.

[2]               J’ai conclu pour ma part que la SAR avait rendu une décision déraisonnable, fondée sur une lecture sélective de la preuve mise à sa disposition concernant la situation du pays. La Commission a également commis une erreur en enjoignant à M. Omar de faire la démonstration qu’il était personnellement la cible de persécution en Afrique du Sud, et en appliquant un critère erroné relativement à la protection de l’État. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

I.                   Contexte

[3]               M. Omar est un citoyen de la Somalie, dont il s’est enfui en 2006 après l’assassinat de son père. Lors de l’attaque qui a tué son père, M. Omar a été enlevé, battu et torturé pendant cinq jours par des radicaux islamistes. Après avoir transité par l’Éthiopie et le Kenya, M. Omar est arrivé en Afrique du Sud en 2008, où il a obtenu l’asile. Il y exploitait une épicerie, tout d’abord à Benoni, puis dans le canton d’Orange Farm.

[4]               En 2012, trois hommes sont entrés dans son magasin et ont demandé de l’argent. Ils ont ensuite battu M. Omar et l’ont poignardé à la poitrine. Il a été amené à l’hôpital, où il est resté dans le coma pendant trois jours. Il a ensuite passé un mois à l’hôpital, où il a subi plusieurs interventions chirurgicales.

[5]               L’un des agresseurs de M. Omar a été arrêté par les services de police sud-africains. M. Omar a témoigné contre son agresseur devant un tribunal. Même si la police a affirmé que son agresseur resterait en prison pendant 25 ans au moins, il a manifestement recouvré sa liberté après 2 mois puisqu’il est retourné au magasin de M. Omar pour le menacer. Selon ses dires, il aurait signalé l’incident à la police, mais celle-ci n’a rien fait. Il a alors déménagé dans le canton d’Orange Farm parce qu’il craignait d’autres attaques.

[6]               En 2014, raconte M. Omar, des bandes xénophobes ont commencé à s’en prendre violemment aux réfugiés somaliens dans le canton d’Orange Farm. En octobre de cette même année, alors qu’il chargeait des marchandises de son magasin dans sa voiture pour éviter le pillage, il a été attaqué par l’une de ces bandes. La police l’a aidé à s’enfuir, mais elle n’a pas réussi à protéger ses biens personnels.

[7]               M. Omar était encore traumatisé par l’incident survenu en 2012, et il avait de plus en plus peur de rester en Afrique du Sud, où il sentait une xénophobie grandissante à l’endroit des réfugiés somaliens. Il a alors pris la décision de demander un titre de voyage pour réfugiés auprès du gouvernement sud-africain. Sa demande a été refusée. Il s’est fait dire qu’il n’obtiendrait jamais de titre de voyage s’il ne versait pas de pot-de-vin. Plutôt que de payer un pot-de-vin, M. Omar s’est rendu au Brésil sous un faux passeport. De là, il a voyagé jusqu’aux États-Unis, puis il est entré au Canada en février 2016. Il a immédiatement demandé l’asile.

[8]               La recevabilité de sa demande d’asile a été évaluée à la frontière. Un représentant du ministre a constaté que M. Omar était un citoyen de la Somalie et qu’il avait obtenu l’asile en Afrique du Sud. Le représentant du ministre s’est également déclaré convaincu que la demande de M. Omar était recevable et qu’elle pouvait être déférée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. À l’appui de sa conclusion, le représentant du ministre a noté que « [traduction] malgré la qualité de réfugié qui lui a été reconnue en Afrique du Sud, je sais par expérience que ce pays est peu enclin à réadmettre un demandeur d’asile après une absence de plus de six mois. Je ne pense donc pas qu’il puisse retourner en Afrique du Sud. »

[9]               La Section de la protection des réfugiés a rejeté la demande d’asile de M. Omar au motif qu’il était exclu de la protection de la Convention sur les réfugiés (Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 189 U.N.T.S. 150) parce qu’il avait toujours qualité de réfugié en Afrique du Sud. Cette décision a été maintenue par la SAR ultérieurement.

II.                Norme de contrôle

[10]           Une conclusion voulant qu’un demandeur d’asile soit exclu de la protection accordée par la section E de l’article premier de la Convention sur les réfugiés fait intervenir des questions de droit et de fait, et est donc susceptible de contrôle au titre de la norme de la décision raisonnable : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Zeng, 2010 CAF 118, au paragraphe 11, [2010] F.C.J. no 632. Cependant, le critère que la SAR a appliqué à l’appréciation de la disponibilité de la protection de l’État soulève une question de droit qui doit être évaluée d’après la norme de la décision correcte : Buri c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 45, aux paragraphes 16 et 18, 446 FTR 57.

III.             La Commission était-elle liée par la décision du représentant du ministre?

[11]           M. Omar fait valoir qu’au vu du principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, la Section de la protection des réfugiés (SPR) et la SAR (collectivement, « la Commission ») étaient toutes deux liées par la conclusion du représentant du ministre, selon laquelle le demandeur ne pouvait pas être renvoyé en Afrique du Sud. Je ne puis souscrire à cette affirmation.

[12]           Dans l’arrêt Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, au paragraphe 25, [2001] 2 RCS 460 (citant Angle c. Ministre du Revenu national, [1975] 2 R.C.S. 248, à la page 254, 47 DLR (3d) 544), la Cour suprême du Canada soutient que trois conditions doivent être remplies pour que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’applique. Ces conditions sont les suivantes :

(1)        que la même question ait été décidée;

(2)        que la décision judiciaire invoquée comme créant la préclusion soit finale;

(3)        que les parties dans la décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, soient les mêmes que les parties engagées dans l’affaire où la préclusion est soulevée, ou leurs ayants droit.

[13]           En l’espèce, le représentant du ministre et la Commission ont été saisis de questions différentes. Le représentant du ministre devait décider si la demande de M. Omar était recevable et si elle pouvait être déférée à la Commission de l’Immigration et du statut de réfugié. La Commission, quant à elle, devait trancher si M. Omar était bel et bien un « réfugié » au sens de la section 1E de la Convention sur les réfugiés. La définition donnée à la section 1E exclut de la définition de réfugié toute personne qui bénéficie de la protection auxiliaire d’un pays où elle jouit des mêmes droits et obligations que ses citoyens.

[14]           La recevabilité et l’exclusion sont deux concepts différents : Haqi c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 1246, aux paragraphes 57 et 58, [2014] ACF no 1214, conf. par 2015 CAF 256. Se reporter également à l’arrêt Feimi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 325, au paragraphe 21, [2012] ACF no 1610. Je conviens avec le défendeur qu’une décision portant sur la recevabilité d’une demande en vue de son renvoi à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est prise à l’issue d’un examen préalable, et qu’une conclusion d’exclusion découle d’une analyse de la question de savoir si un demandeur remplit la définition de « réfugié » au sens des sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés. La préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne s’applique pas en l’espèce, et la Commission n’était pas liée par les conclusions du représentant du ministre.

IV.              Possibilité pour M. Omar de retourner en Afrique du Sud

[15]           L’objet de la section 1E de la Convention sur les réfugiés est d’exclure les personnes qui n’ont pas besoin de protection auxiliaire : Zeng, précité, au paragraphe 19. Afin de déterminer si M. Omar avait besoin de protection, la Commission devait donc chercher à savoir s’il avait les mêmes droits et obligations que les citoyens de l’Afrique du Sud, et notamment le droit d’y retourner. 

[16]           Pour étayer sa conclusion comme quoi M. Omar pourrait retourner en Afrique du Sud, la SAR a fait valoir que, selon les renseignements sur la situation du pays, le statut de réfugié « [traduction] demeure valide aussi longtemps que le document attestant la qualité de réfugié demeure valide] ». La carte de réfugié délivrée à M. Omar par l’Afrique du Sud était valide jusqu’au 16 novembre 2016, c’est-à-dire jusqu’à une date postérieure aux décisions de la SPR et de la SAR. Par conséquent, la SAR a conclu qu’il continuait de bénéficier du droit d’asile en Afrique du Sud. 

[17]           La carte de réfugié délivrée à M. Omar par l’Afrique du Sud indique en outre qu’un départ définitif du pays annule le statut. Cette indication conforte l’assertion du représentant du ministre comme quoi l’Afrique du Sud n’accepterait probablement pas de réadmettre M. Omar étant donné son absence de plus de six mois.

[18]           La SAR fonde sa décision sur une déclaration d’un représentant du Refugee Ministries Centre (RMC). Selon la SAR, le RMC est « un organisme qui […] milite pour l’accès équitable aux documents pour les réfugiés et les demandeurs d’asile en Afrique du Sud ». Par conséquent, estime la SAR, l’on peut penser que le RMC « [traduction] a une connaissance et une expérience directes sur la question de la validité des documents liés à l’asile ». C’est pourquoi la SAR a accordé beaucoup de poids à sa déclaration.

[19]           Toutefois, elle occulte une partie importante de ce que le RMC avait à dire concernant la possibilité d’une personne dans la situation de M. Omar de retourner en Afrique du Sud. Le RMC est également cité comme ayant déclaré que « [traduction] le statut de réfugié est pour ainsi dire impossible à recouvrer » après qu’il a été perdu, et qu’un « statut de réfugié reconnu en Afrique du Sud peut être renouvelé ou non, voire révoqué suivant l’humeur du fonctionnaire qui traite le dossier ».

[20]           Dans les renseignements sur la situation du pays mis à la disposition de la SAR, il était aussi mentionné que si un demandeur quitte l’Afrique du Sud sans avoir obtenu un titre de voyage au préalable, il est très peu probable qu’il soit réadmis dans le pays. Cette personne devrait soumettre une nouvelle demande d’asile, ce qui dans la réalité est très difficile.

[21]           Cependant, la SAR a passé ces éléments de preuve sous silence, et soulève ainsi la question de savoir s’il lui était véritablement loisible de conclure que M. Omar pouvait retourner en Afrique du Sud. Ayant elle-même admis que le RMC représentait une source éclairée et fiable d’information sur la perte et le recouvrement de l’asile en Afrique du Sud, la SAR a commis une erreur en retenant une partie seulement de la preuve, sans expliquer pourquoi elle a écarté ceux des renseignements obtenus du même organisme qui contredisent ses conclusions : Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35, au paragraphe 15, [1998] ACF no 1425.

[22]           Pour ces raisons, je conclus que la SAR a tranché de manière déraisonnable que M. Omar continuait de jouir du droit d’asile en Afrique du Sud. Ce n’est toutefois pas l’unique erreur dont la décision de la SAR est entachée. Puisque la demande de M. Omar devra être renvoyée à la SAR en vue d’un nouvel examen, il s’avère nécessaire d’énumérer brièvement les autres erreurs qu’elle a commises.

V.                 L’exigence de démontrer que M. Omar était personnellement ciblé

[23]           M. Omar a déclaré à la SAR qu’il avait renoncé à ses droits en Afrique du Sud en raison de la persécution qu’il y a subie et de sa peur d’être de nouveau la cible d’attaques xénophobes s’il y retournait.

[24]           Comme il a été souligné précédemment, la section 1E vise à exclure les personnes qui n’ont pas besoin de protection au titre de la Convention sur les réfugiés. Le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés affirme dans sa note d’interprétation de la section 1E de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés qu’une crainte fondée de persécution dans le pays où une personne a obtenu l’asile doit être prise en considération. Cela tombe sous le sens commun. Autrement, les personnes qui sont dans la situation de M. Omar se verraient refuser l’asile au Canada, alors qu’un citoyen de l’Afrique du Sud qui serait exposé au même risque aurait droit à cette protection.

[25]           D’ailleurs, le défendeur admet que l’on ne peut refuser la protection de la Convention sur les réfugiés à quiconque fait la démonstration qu’il serait en danger dans le pays qui lui a accordé l’asile. Par voie de conséquence, avant de conclure à l’exclusion de M. Omar en vertu de la section 1E, la Commission aurait dû vérifier si sa crainte d’être persécuté en Afrique du Sud était fondée.

[26]           La SAR a certes examiné la question, mais elle a conclu que malgré les deux attaques dont il a fait l’objet, M. Omar n’avait pas réussi à la convaincre qu’il avait été personnellement la cible de discrimination ou d’attaques à caractère xénophobe. Selon elle, il avait simplement été une victime de la criminalité endémique en Afrique du Sud.

[27]           Or, non seulement les éléments de preuve dont la SAR a été saisie confirment que les commerçants somaliens sont la cible de bandes xénophobes en Afrique du Sud, mais également que M. Omar a lui-même été victime de telles attaques. Par surcroît, après la première attaque, M. Omar a reçu des menaces personnelles de son agresseur lorsque celui-ci a été libéré de prison. Il est pour le moins difficile de comprendre comment la SAR est parvenue à la conclusion que M. Omar n’avait pas été personnellement visé.

[28]           Cela dit, une faille plus fondamentale fausse l’analyse que livre la SAR du risque de persécution : le demandeur n’a pas à prouver qu’il a été personnellement visé. Pour que sa demande soit accueillie en vertu de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, il suffit au demandeur de faire la démonstration qu’il existe plus qu’une simple possibilité qu’il sera persécuté en raison de son appartenance à un groupe protégé : Adjei v. Canada (Minister of Employment and Immigration), [1989] 2 FCR 680, au paragraphe 8, 57 DLR (4th) 153.

VI.              Le critère relatif à la protection de l’État appliqué par la SAR

[29]           Après avoir examiné les éléments de preuve mis à sa disposition sur la question de la persécution, la SAR a conclu que M. Omar avait également échoué à prouver qu’il n’obtiendrait pas la protection de l’État s’il retournait en Afrique du Sud. À l’appui de cette conclusion, la SAR fait valoir que « [traduction] la preuve insuffisante n’indique pas que la protection de l’État est inexistante en Afrique du Sud ».

[30]           Le défendeur concède, à très juste titre, que la SAR ne semble pas avoir appliqué le bon critère relatif à la protection de l’État en l’espèce. Le demandeur d’asile n’a pas à prouver l’inexistence de la protection de l’État dans un pays quelconque. Il doit simplement démontrer que la protection à laquelle il peut s’attendre est insuffisante : Carillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] ACF no 399.

VII.           Conclusion

[31]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Je conviens avec les parties que la présente affaire repose sur des faits qui lui sont propres et ne soulève pas de question à certifier.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4929-16

LA COUR ORDONNE :

1.                  que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal constitué différemment pour qu’une nouvelle décision soit rendue conformément aux présents motifs.

« Anne L. Mactavish »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4929-16

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

WELI ABDIKADIR OMAR c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 mai 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 mai 2017

 

COMPARUTIONS :

Michael Crane

 

Pour le demandeur

 

David Knapp

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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