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Date : 20170428


Dossier : IMM-4126-16

Référence : 2017 CF 425

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 avril 2017

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

XINYU SUN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENTS ET MOTIFS

I.                    Contexte

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi ou la LIPR) d’une décision négative (la décision) rendue le 15 août 2016 par la Section de la protection des réfugiés (SPR ou la Commission), par laquelle la SPR a décidé que la demanderesse n’était ni un réfugié ni une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi pour des raisons liées à la crédibilité. Pour les motifs expliqués ci-dessous, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

[2]               La demanderesse est citoyenne de la Chine.

[3]               En août 2013, la demanderesse a déclaré que son ami est décédé à la suite d’un accident de la route, ce qui l’a rendue anxieuse et déprimée. Un autre ami l’a par la suite introduite à la Church of Almighty God (Église), une dénomination clandestine et illégale en Chine, qu’elle a commencé à fréquenter en septembre 2013.

[4]               En 2014, la demanderesse prétend que ses parents l’ont pressée de quitter la Chine pour être en mesure de pratiquer sa religion librement, et ont embauché un passeur de clandestins pour préparer une demande de visa d’étudiant canadien, qui a été refusée. Une deuxième demande de visa a été acceptée, qui aurait été également soumise par le passeur de clandestins. Même si la demanderesse avait la possibilité de quitter la Chine au moment où elle a reçu son visa canadien, elle a choisi de rester pour terminer son année de formation en tant qu’enseignante.

[5]               En juin 2015, la demanderesse prétend que les membres de l’Église ont été arrêtés, et craignant pour sa propre sécurité aux mains des autorités chinoises, elle s’est cachée. Le 27 août 2015, elle a fui la Chine avec l’aide de son passeur de clandestins et est venue au Canada.

[6]               Deux mois après son arrivée au Canada, la demanderesse a rejoint une branche de l’Église dans la région du Grand Toronto. En décembre 2015, elle déclare avoir rencontré un conseiller en immigration, au moment où elle a appris qu’elle pouvait présenter une demande d’asile au Canada. Elle a présenté sa demande en 2016, dix mois après son arrivée au Canada.

[7]               La SPR a rejeté la demande en fonction d’un certain nombre de conclusions défavorables concernant sa crédibilité, notamment :

                     i.                           les réponses insatisfaisantes de la demanderesse relativement aux raisons pour lesquelles elle s’est jointe à l’Église, compte tenu des risques élevés en Chine;

                   ii.                           l’imprécision quant aux auteurs des demandes de visas et aux réponses de la demanderesse à cet égard;

                  iii.                           l’incidence sur la peur subjective de la persécution résultant du retard dans :

a)         le départ de la Chine,

b)         la recherche d’une branche de l’Église au Canada,

c)         la revendication du statut de réfugié au Canada,

                 iv.                           l’absence d’authenticité des deux lettres des membres de l’Église au Canada.

[8]               Compte tenu de la conclusion défavorable qu’il a tirée concernant la crédibilité de la demanderesse, la SPR, en notant le taux élevé de falsification en Chine, a accordé peu de poids à certains documents chinois, y compris un avis d’arrestation. La Commission a conclu que la demande était non fondée.

II.                 Questions en litige et norme de contrôle

[9]               La seule question est celle de savoir si les conclusions tirées par la SPR étaient déraisonnables. Les parties conviennent, tout comme moi, que la norme de contrôle applicable est la norme de la décision raisonnable (Diaz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1343, paragraphe 10 [Diaz]).

III.               Analyse

[10]           À titre d’observation préliminaire et contrairement aux prétentions de la demanderesse, je note que la Commission en l’espèce n’a pas perdu de vue la présomption de sincérité de la demanderesse. Cette présomption a été explicitement reconnue par la SPR, en soulignant qu’elle pouvait être réfutée. Je vais maintenant m’attarder sur les arguments relatifs à la crédibilité de la demanderesse.

[11]           En ce qui concerne l’Église et l’absence de connaissance de la demanderesse de sa doctrine, la demanderesse prétend que les conclusions de la SPR étaient déraisonnables parce que son Fondement de la demande explique qu’elle s’est jointe à l’Église à la suite du décès de son ami, ce qui a fourni une explication convaincante. Cependant, la SPR a conclu que les réponses de la demanderesse concernant sa motivation pour se joindre à l’Église et sa connaissance de cette église, fournies dans ses témoignages écrit et oral, étaient vagues (contenant des « généralités »). Après avoir examiné la preuve au dossier, y compris les témoignages oral et écrit, je conclus que cette conclusion était raisonnable.

[12]           De plus, l’avocat a reconnu que la demanderesse avait fourni des réponses incohérentes à la Commission sur la question de sa connaissance d’une branche de l’Église à Toronto. Il s’agissait certainement d’une autre conclusion raisonnable de la Commission quant à la crédibilité.

[13]           S’agissant de la question de la peur subjective, la demanderesse déclare que les conclusions de la Commission concernant les retards (en quittant la Chine, en se joignant à une branche de l’Église au Canada, et en réclamant le statut de réfugié) étaient toutes déraisonnables. Dans l’ensemble, je conclus que les observations de la Commission concernant la peur subjective étaient raisonnables : il est bien établi que celui qui craint pour sa vie peut raisonnablement s’attendre à quitter son pays d’origine et à demander l’asile à la première occasion, et la Cour a été cohérente à cet égard (Chechkaliuk c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1415, au paragraphe 13).

[14]           Enfin, la demanderesse conteste deux conclusions de la SPR relatives à la preuve documentaire.

[15]           Premièrement, la demanderesse conteste les conclusions relatives aux deux lettres rédigées par les paroissiens, qui visaient à confirmer l’engagement de la demanderesse dans l’Église ici au Canada. La demanderesse prétend que l’évaluation par la SPR des lettres était déraisonnable parce qu’elles portaient toutes les caractéristiques d’un document authentique, y compris, l’en-tête, le sceau et la signature. À mon avis, l’invocation par le demandeur de la décision Paxi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 905 [Paxi] n’est d’aucune aide dans sa position. Contrairement à l’affaire Paxi, la Commission en l’espèce n’a pas écarté les lettres parce qu’elles n’étaient pas authentiques. En revanche, la Commission est allée plus loin et a analysé le contenu des lettres, en soulignant qu’elles étaient toutes deux brèves, peu détaillées et quasi-identiques. Les lettres indiquent que leurs auteurs et la demanderesse ont répandu l’Évangile. Lorsqu’on lui a demandé comment ils ont répandu l’Évangile, la demanderesse a répondu qu’elle ne savait pas ce que les auteurs des lettres ont voulu dire. La SPR a noté que les auteurs des lettres n’étaient pas présents pour répondre aux questions. Compte tenu de ce qui précède, l’analyse de la SPR est entièrement défendable et le peu de poids accordé aux lettres est en conséquence raisonnable.

[16]           Deuxièmement, la demanderesse conteste l’évaluation par la SPR de certains documents provenant de la Chine, et surtout (tel que souligné pendant l’audience), l’omission d’aborder spécifiquement une assignation délivrée à la demanderesse. Relevant le taux élevé de falsification en Chine et les conclusions négatives quant à la crédibilité tirées à l’encontre de la demanderesse, la SPR a accordé peu de poids à ces documents. La demanderesse prétend que ce raisonnement est déraisonnable parce que la SPR ne peut pas simplement s’appuyer sur l’absence de crédibilité de la demanderesse et la connaissance qu’il y a un taux élevé de falsification en Chine pour écarter la preuve documentaire, en se fondant sur les décisions Jian c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 180, aux paragraphes 15 à 17 et Ren c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1402, au paragraphe 27.

[17]           Cependant, les conclusions relatives à la crédibilité peuvent influer et influent souvent sur le poids accordé à la preuve documentaire à l’appui : Wang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 972, au paragraphe 13; Huang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1250, aux paragraphes 14 à 15. En effet, récemment, la juge Strickland, dans la décision Diaz, au paragraphe 15, a passé en revue la jurisprudence applicable, et a déclaré ce qui suit :

La SPR n’a pas non plus écarté la preuve documentaire personnelle corroborante sans motifs. Au contraire, la SPR a fait référence explicite à cette preuve et a expliqué que parce qu’elle avait conclu que les éléments de preuve des demandeurs manquaient de crédibilité, elle a estimé que la preuve documentaire était soit frauduleuse, soit présentait une valeur probante faible. Il était loisible à la SPR d’adopter cette approche. Les demandeurs n’ont pas été jugés crédibles à l’égard des aspects centraux de leur demande […] et il était loisible à la SPR d’accorder peu ou pas de poids aux documents à l’appui dans cette circonstance. Comme il est précisé dans l’arrêt Xu, il est raisonnable de conclure que si un demandeur a inventé de toutes pièces son allégation, alors le document qui l’étaye est également une fabrication (au paragraphe 4). De même, comme l’a déclaré le juge Annis dans la décision Jia :

[ 19 ] Les conclusions quant à la crédibilité sont au cœur de l’expertise de la Commission, qui doit apprécier les témoignages et tirer des conclusions à partir de la preuve. Il est bien établi que la crédibilité du demandeur peut affecter le poids accordé à la preuve documentaire (Granada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1766, (CanLII) par. 13; Hamid c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] ACF no 1293 (QL) (1re inst.), par. 21; Huang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 288, par. 21).

[Non souligné dans l’original]

[18]           De même, en l’espèce, compte tenu des conclusions relatives à la crédibilité à l’égard des aspects centraux ayant abouti à la décision que la demande était « non fondée » - conclusions qui étaient raisonnables pour les motifs exposés ci-dessus - il était entièrement loisible à la SPR d’accorder peu de poids à la preuve documentaire de la demanderesse, en considérant les éléments de preuve documentaire supplémentaires qui lui avaient été présentés relativement à la prévalence de la fraude : ces éléments, pris dans leur ensemble, ont été préjudiciables à la demanderesse.

IV.              Conclusion

[19]           À la lumière de ce qui précède, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR REND le jugement suivant :

1.               La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.               Les avocats n’ont présenté aucune question à certifier, et aucune n’est soulevée.

3.               Aucuns dépens ne seront adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4126-16

INTITULÉ DE LA CAUSE :

XINYU SUN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 avril 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

DATE DU JUGEMENT :

Le 28 avril 2017

COMPARUTIONS :

Michael Korman

Pour la demanderesse

Norah Dorcine

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Otis and Korman

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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